IV

Il faisait déjà brun. Les grands arbres du parc entrelaçaient leurs ramures encore feuillues, et cela faisait un écran vert qui doublait l’écran gris des nuages. Le soleil, près de disparaître derrière les coteaux de la Croix-Rousse, ne jetait plus à la ville qu’une clarté terne.

Fougères, seul dans l’allée humide et moussue, marchait à pas lents. Le crépuscule était froid. Un brouillard léger voilait les lointains. À gauche, les grandes pelouses où paissent les daims et les cerfs s’allongeaient obscurément vers l’horizon confus, tandis qu’à droite, la rotonde grillée des oiseaux et des singes, proche, découpait nettement sa silhouette et semblait toute petite au seuil des bois de haute futaie.

Fougères s’arrêta devant la rotonde, qui était le lieu du rendez-vous. Un parterre à la française s’étendait auprès, et le jardinier trop ingénieux avait tracé sur un champ de plantes grasses, aux tiges courtes et violacées, un lion héraldique en trèfle vert-de-gris, armé de gazon bleu et lampassé de fleurettes rouges. Fougères considéra la bête bariolée, sourit, et passa…

Il était tard ; mademoiselle Dax ne viendrait pas plus ce soir-là que les précédents soirs…

– Évidemment, le parc n’est pas loin de chez elle… Mais ce n’est pas commode pour une petite fille, de s’évader d’une maison pleine de gens !…

Sous la voûte des branches qui formaient berceau, l’allée s’assombrissait, mystérieuse comme le chemin magique qui, dans les contes de fées, conduit au palais des Belles Endormies. Un petit pont enjambait un ruisseau ; et au delà, on n’apercevait plus que les troncs pressés et que la broussaille drue, sans nulle trouée visible. C’était comme une forêt grave et brumeuse, hautaine et mélancolique. Les hêtres, verts encore comme en été, mêlaient l’étoffe souple de leurs feuilles au satin raide des fusains, au taffetas mat des troënes, au velours épais des lierres partout enroulés. Les tilleuls gigantesques, dépouillés plus tôt, parce que le vent d’hiver frappe d’abord leur cime plus haute, n’avaient plus que des rameaux nus, dentelle délicate et sèche, dont le ciel était revêtu comme d’une immense toile d’araignée. Et leurs feuilles tombées, jaunes à l’endroit et blanches à l’envers, tachetaient le sol d’or et d’argent. Trois sycomores roux gardaient la porte d’une cabane couverte de chaume d’où filtrait un peu de fumée. Un peuplier dardait vers le ciel sa tête pointue. Et le silence n’était troublé que par des cris grêles d’oiseaux invisibles.

– Il n’y a pas grand’chose de plus beau que ceci, – murmura Fougères.

Il respira voluptueusement le parfum mouillé des arbres et de la terre.

– Il faudrait, – pensait-il, – se promener lentement sur ce tapis de feuilles mortes, en tenant par la main une femme émue qui ne parlerait pas. Il faudrait goûter la fraîcheur de ce bois qui sent l’automne, et prolonger la promenade jusqu’à la nuit très noire, et reculer l’heure tentante du retour dans l’ombre, du retour où les bras s’enlacent et où les bouches se mêlent… Ainsi on mériterait la joie divine de frissonner ensemble et de trembler à deux, sous le froid lunaire et sous la peur superstitieuse qui hantent les forêts nocturnes… Et l’on échapperait à la vie quotidienne pour entrer miraculeusement dans le royaume du rêve…

Et comme il en était là de sa songerie, une robe claire apparut parmi les troncs des tilleuls et des hêtres. Et mademoiselle Dax, accourant à pas précipités, franchit le petit pont qui était au bout de l’allée mystérieuse.

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