VII

Cependant mademoiselle Dax, glissant comme une ombre le long des murs, avait atteint la maison familiale.

La porte était fermée, naturellement. Mademoiselle Dax tira de son mouchoir une clef – une clef dont la possession représentait trois jours de patience et de ruse ! – et ouvrit. Le vantail s’entre-bâilla tout juste, et la serrure ne fit pas le moindre grincement.

Dans le vestibule, mademoiselle Dax, hâtive, dépingla sa toque, l’ôta, et la tint cachée derrière son dos pour grimper furtivement jusqu’à sa chambre. Arrivée sans encombre, elle se jeta, haletante, sur une chaise… Ouf ! Sortie sans avoir été vue, rentrée de même… La Providence, visiblement, s’était mêlée de l’aventure…

Et maintenant… maintenant, c’était fait !…

Mademoiselle Dax ferma les yeux, pour mieux revoir, dans son souvenir, cette allée de parc où venait de se décider son destin…

Sous les paupières closes, le paysage crépusculaire s’ébaucha. Les arbres étendirent leurs ramures automnales. Le sol se joncha de feuilles jaunes et blanches… Puis les épaules tremblèrent sous la molle caresse d’un bras enveloppant… Et une voix, douce à l’infini, murmura la phrase adorable : « Vous ne le savez pas, que vous êtes jolie ?… »

Sur la chaise qui craqua, le corps de mademoiselle Dax ploya un peu… une langueur s’insinuait dans toutes les fibres de ce corps abandonné.

Et la voix évoquée répéta aux oreilles bourdonnantes : « Vous ne le savez pas ?… vous ne le savez pas, que vous êtes mieux que jolie, tentante, ensorcelante ?… et que tous les hommes, et que moi-même, rêvons de vous après vous avoir aperçue ?… »

Secouée soudain d’un frisson violent, mademoiselle Dax fut debout. Ses tempes battaient très fort. Elle chancela. Le rêve tournoyait encore dans sa tête. Elle fit trois pas, les mains en avant, et toucha la glace de l’armoire.

Il faisait tout à fait nuit maintenant. Mademoiselle Dax tourna le commutateur électrique. La chambre s’éclaira. Le miroir refléta le visage un peu pâli, les yeux un peu cernés, « et le front chaste, et les joues enfantines, et la bouche sensuelle, et la taille mince, et la gorge ronde… »

Mademoiselle Dax, très longtemps, se contempla. Un sourire entr’ouvrait ses lèvres. La blancheur mouillée des dents brillait.

Comme fascinée par sa propre image, mademoiselle Dax peu à peu s’en rapprocha. Et ses yeux, trop près de la glace, cessèrent de voir.

Alors elle tressaillit des orteils aux cheveux… Elle gonfla sa poitrine d’une aspiration éperdue… murmura par deux fois :

– Aimée… Aimée…

Et, s’appuyant de tout son corps au miroir, elle éprouva, contre le reflet même de sa bouche, la forme et le goût de son baiser.

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