À deux lieues des Apennins, du côté de Narcia, on voit une belle et large vallée.
Quelques marécages dont les eaux dorment vers le milieu de ce vaste bassin donnent de la transparence au paysage.
C’est surtout au soleil couchant, que ces eaux stagnantes répandent sur la nature je ne sais quelle splendeur mêlée de mystère.
Quiconque a visité les grottes basaltiques des îles du Nord et parcouru leurs colonnades infinies où courent en se brisant les vagues furieuses, quiconque a visité les cavernes tapissées de stalactites de la Belgique ou de l’Allemagne, devinera tout d’un coup le principe des mythologies grecques, scandinaves, égyptiennes.
Ce principe lui apparaîtra comme une révélation soudaine.
Contemplez au contraire les grands marécages assoupis au fond d’une vallée à l’heure où le soleil couchant enflamme leurs eaux dormantes qui étincellent encore, tandis qu’autour d’elles tout se fait ombre et ténèbres, et vous aurez l’explication de la mythologie des bonnes gens : la féerie des villages.
La vallée de Fonte-Rigghi empruntait à la nappe changeante de ses eaux ce caractère mystérieux et imposant dont nous parlions tout à l’heure.
Un immense château gothique s’élevait à l’une des extrémités de cette vallée, et ajoutait encore à l’aspect sombre et majestueux de sa physionomie.
Au déclin du jour, quand les tourelles noires, trouées de meurtrières, se détachaient avec rudesse sur les nuages sanglants de l’horizon, la vallée chargée d’ombres prenait un aspect si fantastique et si bizarre, que les voyageurs ne s’y aventuraient qu’avec crainte.
Il y avait une incroyable tristesse dans ce mirage monotone où venait se peindre la colossale figure du château.
La superstition des gens de la vallée plaçait bien des fantômes derrière ces lugubres murailles et le long des lacs aux rivages désolés.
On sentait là comme un vent de malheur.
Ce château était le dernier domaine du comte de Spolette, Ercole Vitelli, le seul que la vengeance de ses ennemis lui eût laissé.
C’était une forte place occupant une excellente situation sur le point le plus élevé du pays environnant. Ses murailles étaient inexpugnables, et, dans ce siècle de classiques forteresses, on citait proverbialement la profondeur énorme de ses fossés.
C’était là qu’Ercole Vitelli, accablé d’ennuis, de chagrins, de fatigues et de terreurs sans cesse renaissantes, chassé de toutes ses terres par son impitoyable ennemi, troublé à Spolette même jusque dans son propre palais, s’était réfugié comme en un asile où du moins il était à l’abri de toute surprise.
Ce château portait le nom du bourg voisin, Narcia, qui depuis est devenu une ville.
Le jour comme la nuit, le pont-levis du château était levé ; nul n’y pénétrait sans qu’on sût bien son nom, sa demeure et le but de sa visite. Malgré toutes ces précautions, le prince Hercule osait à peine fermer les yeux. Il passait les nuits sans sommeil et n’osait toucher à un seul mets avant que l’officier de bouche ne l’eût deux fois dégusté en sa présence.
On menait une triste vie au château de Narcia. On n’y voyait que des soldats et des serviteurs. La cour du comte avait fui.
Tout ce qui possédait quelque fortune préférait la liberté à cette existence de reclus, en compagnie d’un prince vieilli par les chagrins, brisé par la terreur.
Le nombre des gentilshommes restés fidèles au vieux comte de Spolette n’était pas considérable. On en comptait trois, et tous trois étaient si besogneux que leur dévouement n’avait pas besoin d’explication. On les nommait Capitan, Tiberio Fanferluizzi et Pasquale Contarini.
Nous les avons vus agir au début de cette histoire sur la place de Spolette. Capitan était alors chef des bravi d’Ercole ; Tiberio Fanferluizzi et Pasquale Contarini avaient alors des chaînes d’or sur leurs pourpoints de velours : les chaînes d’or s’étaient fondues chez les usuriers juifs du domaine de Saint-Pierre.
Hormis ces trois gentilshommes, le comte de Spolette n’avait pas d’autre compagnie que celle de Mercedès. La duègne semblait liée à l’existence d’Ercole par une mystérieuse solidarité qui avait longtemps fait le sujet des conversations du comté.
Depuis plusieurs années une main inconnue avait levé un coin du voile qui couvrait ce mystère, et des bruits sinistres avaient fait place aux interprétations malignes auxquelles cette étrange liaison avait jadis donné lieu.
On parlait tout bas de crime, de crime infâme et lâche.
L’horreur publique s’attachait au nom d’Ercole Vitelli.
Et cela augmentait le vide qui se faisait autour de lui, et cela doublait la tristesse navrante de sa vie.
Pendant longtemps il avait eu près de lui sa femme, Bianca Orsini, douce et digne créature dont le dévouement le soutenait.
Mais Bianca était morte de peur.
Par une sombre soirée d’hiver, la veille des Rois, elle était seule dans la chapelle du château ; une pierre se leva au fond du chœur où nulle lampe ne veillait.
Un spectre se dressa : le vieux prince de Monteleone, disaient les uns ; la Lucrezia Mammone, disaient les autres ; car cet homme et cette femme étaient les victimes de son mari.
Bianca tomba à la renverse et ne se releva plus. L’affaire du spectre était peut-être un mensonge ; ce qui était vrai, c’est qu’on l’avait trouvée morte sur les froides dalles de la chapelle.
Il est inutile de dire que les terreurs et les chagrins secrets qui ravageaient l’âme d’Ercole Vitelli avaient singulièrement altéré sa santé.
Sa fille enlevée, sa femme morte de frayeur, ses domaines ravagés avaient produit sur son tempérament un effet funeste. Quoiqu’il n’atteignît pas encore sa soixantième année, on lui en eût donné quatre-vingts. Sa tête penchait sur sa poitrine, et son crâne nu, autour duquel flottaient encore quelques mèches de cheveux blancs, n’avait rien de cette expression vénérable qu’on salue au front des vieillards.
Son visage était couvert de rides ; il marchait appuyé sur un bâton, et presque plié en deux. Un trait caractéristique de cette sénilité précoce se révélait dans le renflement des épaules, qui donnait au comte Ercole l’apparence d’un homme qui craindrait de voir crouler sur sa tête le toit de sa maison menacée.
On conçoit, d’après tout ce que nous venons de dire, que la démarche de Mercedès était pour le comte de Spolette un fait d’une importance capitale. En effet, de la réponse d’Andrea Vitelli allait dépendre pour Ercole le malheur ou la consolation des dernières années de sa vie.
Il passa la plus grande partie du jour dans la chambre haute d’une des tourelles du château. De là, promenant ses regards éteints sur le paysage, il attendait avec une anxiété de condamné le retour de Mercedès.
Les heures de la journée avaient tombé une à une ; le front d’Ercole commençait à se charger de désespoir, lorsqu’il aperçut, non loin du château, une femme montée sur une mule, qui se dirigeait vers le pont-levis.
C’était Mercedès.
Une jeune fille vêtue de blanc se tenait en croupe sur la mule derrière la duègne.
Le comte jeta un cri de joie.
Andrea lui rendait son enfant, Andrea acceptait donc la transaction que Mercedès lui avait proposée.
Il descendit aussi vite que son âge et sa faiblesse le lui permettaient.
Mercedès et Alma entrèrent.
— Ma fille ! s’écria le vieillard en pressant Alma contre son sein ; ma pauvre enfant que j’ai tant pleurée !
Alma se laissa embrasser par le vieillard ; mais, quoiqu’elle fût bien persuadée qu’elle était en présence de son père, elle ne sentit pas en elle ces mouvements de tendresse filiale qu’elle aurait voulu éprouver.
Alma était d’une bonté angélique ; l’air de souffrance répandu sur toute la personne de ce vieillard, son émotion, la touchèrent, et quelques larmes tombèrent de ses yeux.
Cependant le vieux prince, après avoir cédé au premier mouvement d’effusion, recula d’un pas et se mit à considérer attentivement la jeune fille.
Une expression de doute et d’anxiété venait peu à peu sur son visage, et remplaçait le rayon de joie qui l’avait tout à coup rajeuni de vingt ans…
— Elle ne ressemble pas à sa mère ! murmura-t-il d’abord.
Puis il ajouta en jetant un regard effrayé sur la duègne :
— Elle ressemble… oh !… elle ressemble…
— À la Lucrezia Mammone, prononça lentement Mercedès.
En même temps, elle se retira jusqu’à l’autre bout de la salle, laissant à l’écart la pauvre Alma, étonnée de cet accueil. Ercole suivit la duègne en chancelant.
— Ce n’est pas ma fille, dit-il d’une voix brève et brisée.
— C’est la fille de Lucrèce.
— Ah ! fit le comte. Et pourquoi ?… pourquoi ?
Ses yeux ranimés lançaient des éclairs.
— Monseigneur, dit la duègne qui tremblait, j’ai fait tout ce que je pouvais pour vous obéir ; nous sommes victimes de nos propres tromperies ; Andrea croit que votre Régina est sa nièce, et qu’Alma est votre fille… Dieu nous poursuit, monseigneur !…
— Dieu !… Dieu !… grommela le vieillard ; c’est toi qui es cause de cela, misérable femme !…
— Si j’ai trompé autrefois Andrea, ce fut par votre ordre.
— Il fallait le détromper !…
— Il n’a pas voulu me croire… Quand on sème le mensonge, on récolte l’erreur.
— Fatalité ! fatalité ! fit le vieillard en secouant sa tête qui s’inclinait vers le sol.
— Ne devais-je point ramener cette jeune fille ? reprit Mercedès timidement.
— Tu as bien fait, répliqua le vieillard en fixant ses regards sur le front d’Alma, qui se tenait toujours debout, les yeux baissés, n’entendant pas un mot de cette conversation à voix basse.
Une expression d’astuce cauteleuse vint à la lèvre du vieillard.
— Tu as bien fait de m’amener cette jeune fille, répéta-t-il ; puisque Andrea ne veut pas me rendre mon enfant, j’aurai du moins entre mes mains la fille de sa sœur. C’est un otage… et s’il ne cesse point ses attaques contre moi, je saurai comment me venger.
Il reprit à voix haute et en se forçant à sourire :
— Soyez la bienvenue, ma fille, et bénissez la Providence qui vous ramène enfin dans votre famille. Votre présence va rendre le bonheur à cette maison désolée. Dans l’espoir de votre arrivée, nous avons donné des ordres afin de fêter votre retour… Venez.
Il lui prit la main et la conduisit dans un vaste salon où quelques gentilshommes, mêlés aux officiers du fort, causaient et se promenaient.
Parmi ces gentilshommes et ces gens d’armes, le lecteur retrouvera ses trois anciennes connaissances : Tiberio Fanferluizzi, Capitan et Pasquale Contarini.
Les années avaient fait en eux peu de changements. Tiberio Fanferluizzi avait conservé toutes les grâces de sa personne. Ses cheveux, du plus beau rouge, frisaient comme par le passé ; il exhalait des parfums non moins suaves, et vous n’auriez pas compté un nœud ou une aiguillette de moins depuis ses souliers jusqu’à sa fraise.
Seulement, tout cela était un peu fané, à cause du vide de la bourse et de la dureté des temps.
Capitan avait l’air plus formidable encore que le jour où il assistait au duel d’Andrea. Quant au nez de Pasquale Contarini, il avait passé du rouge au violet ; à cela près, ce gentilhomme était toujours le même, et l’on aurait même pu dire que loin de perdre en bonne mine par ce surcroît de ton, il en avait reçu un nouvel éclat. Son visage en était tout réjoui.
L’entrée d’Alma éveilla dans le salon un murmure d’admiration. Le comte présenta celle qu’il nommait sa fille, et reçut les félicitations de toute la compagnie.
Le sévère Capitan lui-même, qui, en temps ordinaire, ne faisait pas grande attention au beau sexe, jura par une demi-douzaine de diables et de saints, que la fille du prince était belle et blanche comme une cuirasse fraîchement fourbie.
Pasquale Contarini lui trouva la grâce d’un flacon de Saint-Genèze dont le col s’élance gracieux comme le pistil d’une fleur et répand des flots de rubis.
Quant au seigneur Tiberio Fanferluizzi, il faillit tomber en pâmoison et chercha pour la circonstance à se rappeler quelques-uns de ses meilleurs sonnets à la lune. Il gratta longtemps ses cheveux roux, donna sa mémoire à Satan, et jura qu’il composerait le soir même un sonnet nouveau comme Pétrarque n’en avait jamais fait.
Après avoir essuyé une foule de compliments à la mode de ce siècle, où le phébus et l’emphase croissaient en pleine terre, après avoir été comparée à Vénus sortant du sein de l’onde, à Diane, à la lune, aux étoiles, au soleil, Alma fut conduite au réfectoire, où fumait un repas splendide éclairé par cent candélabres d’argent.
Le comte avait enfoui à Narcia tout ce qui lui restait de splendeur.
Loin de causer de la joie à la jeune fille, cette magnificence la ramenait à de tristes comparaisons entre sa vie nouvelle et sa vie passée. Elle se rappelait les simples repas de la montagne entre Mario, Régina et Andrea Vitelli.
Mario, qu’elle aimait sans se le dire, Régina, sa sœur chérie, Andrea, le chef superbe et bon dans sa fierté qu’elle avait si longtemps respecté comme un père.
Elle aspirait après le moment où l’on sortirait de table et où il lui serait permis de se retirer dans la chambre qui lui était destinée, et de se livrer seule à ses réflexions. Mais on buvait beaucoup au château d’Ercole, où l’on n’avait guère d’autre distraction que les plaisirs de la table.
Le repas se prolongea donc, et la conversation s’anima. On parla des événements récents de la contrée.
— Messieurs, dit un officier du fort, j’ai, moi, une nouvelle à vous apprendre. La semaine dernière, en revenant la nuit de Spolette, j’ai rencontré, ou plutôt j’ai aperçu de loin dans la plaine Bel Demonio et ses douze Mores du pays d’Afrique.
— Bel Demonio ! s’écria-t-on à la ronde ; fables que tout cela !
L’officier tordit sa moustache.
— Corps de Dieu ! s’écria-t-il, je vous dis que je l’ai vu !
— Voyons !… voyons ! seigneur officier, dirent les plus curieux. Nous vous croyons… Contez-nous un peu cette histoire.
Alma ouvrait de grands yeux. Elle était bien étonnée d’entendre parler de Bel Demonio au château d’Ercole, comme elle en avait entendu parler dans la montagne.
Le front du prince s’était rembruni ; un sentiment de vague terreur changea sa physionomie.
— Par le sang du Christ ! s’écria Capitan dont la langue commençait à s’épaissir, je voudrais bien le rencontrer un soir au clair de la lune, ce Bel Demonio, et mesurer avec lui la longueur de nos épées.
La conversation, s’étant engagée sur le terrain des fanfaronnades, ne devait pas entre soldats s’arrêter de sitôt.
Les jurons et les rodomontades se croisaient d’un bout à l’autre de la table.
En même temps, Bel Demonio revenait sans cesse sur le tapis. Nul ne pouvait dire au juste ce qu’était ce fantastique personnage, beau comme une vierge, fort comme un diable, à ce que disait une ballade de la montagne.
Nul ne pouvait se vanter de l’avoir vu, là, bien en face ; mais chacun avait son anecdote : des châteaux brûlés, des portes de fer brisées comme par enchantement, des apparitions bizarres qui donnaient à cet être étrange un aspect tout à fait surnaturel.
Et l’on buvait toujours.
Le comte seul laissait désormais son verre vide, et semblait retombé au plus profond de ses sombres réflexions.
Cependant Mercedès, comprenant bien qu’Alma ne pouvait rester plus longtemps au milieu de cette cohue, habituée à prolonger ses libations jusque très avant dans la nuit, prit la jeune fille par la main et la conduisit dans la chambre qu’on avait préparée pour la recevoir.
Après lui avoir offert ses soins, qu’Alma refusa, elle lui souhaita la bonne nuit et se retira.
La chambre d’Alma était située au premier étage, dans la tourelle de l’ouest du château d’Ercole. Elle était meublée richement, mais avec une élégance un peu surannée, qui n’était pas de nature à porter la gaieté dans l’âme d’une jeune fille.
Une fenêtre à épaisse embrasure éclairait cette chambre ornée de draperies antiques, chefs-d’œuvre des Flandres.
Alma ne se sentit pas rassurée. Elle visita la ferrure de sa porte et poussa deux énormes verrous qui la garnissaient en dedans.
Alors, un peu plus courageuse, elle tira les rideaux et ouvrit la fenêtre. Il faisait un clair de lune magnifique, et la vallée, baignée dans cette lumière mélancolique, se déroulait tout entière.
Au dehors, tout était silence et calme, tandis qu’au dedans les rauques échos de l’orgie arrivaient parfois jusqu’aux oreilles de la jeune fille.
Alma s’appuya sur le balcon.
Elle contemplait cet admirable spectacle.
Tantôt ses yeux cherchaient les cimes des Apennins où elle avait laissé tout ce qui lui était cher ; tantôt ils erraient dans le voisinage, comparant tristement ces lieux étrangers avec ceux dont sa mémoire lui reproduisait si bien les contours connus et la couleur aimée.
Au pied de la tourelle s’étendait un fossé tapissé d’herbes et de ronces ; au milieu de la douve dormait une eau paisible, embarrassée de roseaux, de nénufars et d’iris jaunes.
La lune plongeait dans ce fouillis de verdure et d’eau où quelque oiseau de marais, sautant pour poursuivre une proie, brisait le calme miroir et faisait danser durant une minute les rayons pâles de la lune.
Plus loin, on voyait le rempart revêtu d’herbe courte ; une sentinelle dormait debout, appuyée sur son mousquet.
Plus loin encore, des champs, des vallées, le grand marais muet et mystique…
Tout cela, au premier abord, semblait désert autant que silencieux, mais en promenant son regard autour d’elle, Alma fut témoin d’un spectacle qui n’aurait pas dû échapper aux yeux de la sentinelle.
Une ombre avait gravi le rempart extérieur et contemplait attentivement le château, comme si elle avait voulu en étudier la configuration et les ouvrages.
Cette forme immobile et indécise semblait couverte de vêtements sombres et se tenait dans une attitude pleine de tristesse.
Alma regardait, regardait… Et plus ses yeux se fatiguaient à mieux voir, plus elle croyait reconnaître, avec un étonnement inexprimable, cette apparition qui l’avait surprise au bord de la fontaine la veille, lors de sa dernière entrevue avec Régina.
C’était bien la créature que, dans le pays, on appelait la femme noire.
Alma se demanda quel intérêt étrange poussait cette pauvre femme à la suivre en tous lieux, et par quelle singulière attraction elle s’attachait ainsi à ses pas.
À cette question il n’y avait point de réponse possible.
Mais la présence de cette pauvre femme, loin de causer de nouvelles craintes à la jeune fille, lui rendit un peu de bien-être. Au milieu de son abandon, quelqu’un s’intéressait donc à elle.
Elle n’était plus seule.
Quelqu’un veillait sur elle.
Quelqu’un de bien faible, sans doute ; mais bien faible aussi est le brin d’herbe qui sauve parfois le malheureux emporté par le courant.
Alma prit un mouchoir et l’agita. La pauvre femme l’aperçut aussitôt, et, la reconnaissant sans doute, elle tendit les bras en avant et lui envoya mille baisers.
La jeune fille lui répondit par un gracieux signe de tête ; puis lui montrant le soldat, elle lui fit comprendre qu’il était prudent de s’éloigner. La pauvre femme restait toujours.
Alma eut peur pour elle et ferma sa fenêtre.
Ce fut alors seulement que la femme noire, obéissant à regret, descendit lentement la pente des glacis.
Le visage collé aux vitres, Alma suivit longtemps des yeux la femme inconnue.
Quand elle ne la vit plus, elle laissa retomber les rideaux, et se mit à genoux pour faire sa prière.
Sait-on la logique mystérieuse qui lie les pensées des jeunes filles ?
La présence de l’inconnue lui parlait de la montagne.
Quand Alma s’endormit, l’image de Mario Vitelli, gracieuse et souriante, vint s’asseoir à son chevet.