Ce Pedro Gil était parfaitement un Espagnol de ce temps-là, laissant passer à chaque instant le bout d’oreille du maraud sous sa perruque magistrale, et n’ayant même plus assez de vaillance pour soutenir le mensonge de son emphase castillane. Un coquin français serait plus gai, un coquin anglais plus lugubre ; mais je ne sais point de nation réputée productive en ce genre qui pût fournir un coquin plus coquin.
Il allait nageant dans ces eaux troublées jusqu’à n’être plus qu’une fange ; il se baignait à plaisir dans un océan d’intrigues plus ou moins honteuses. Peut-être voyait-il clair à se diriger dans le labyrinthe de ses propres fourberies, peut-être jetait-il ses plombs un peu au hasard.
Pour ces pêches en eau trouble, l’art, c’est l’activité ; donnez le plus de coups de filets possible, et vous aurez résolu le problème.
Quand, pour employer ses propres expressions, Pedro Gil avait retourné ses cartes devant le bon duc, il en avait volontairement filé quelques-unes. Pedro Gil ne servait pas seulement le comte-duc, Bernard de Zuniga et le comte de Palomas, il servait aussi le Carpentier d’Aulnet, agent prétendu ou véritable de la France ; il servait encore Abraham Coppen, envoyé secret de la Hollande, le juif Dagosta, émissaire de Bragance, et milord Dawes, comme se faisait appeler en Espagne le bon Nicolas Dawes, espion entretenu par ce chevaleresque Buckingham.
Probablement Pedro Gil ne s’en tenait pas là. Il était homme à servir l’Europe entière, outre le roi don Philippe, qu’il servait fidèlement aussi, nous le savons bien, en qualité d’oïdor second de l’audience andalouse.
C’était un effréné serviteur.
Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. Mais le proverbe dit aussi qu’il ne faut point mettre tous ses œufs dans le même panier. Le proverbe est comme la loi anglaise, qui chante le pour et le contre avec une gravité imperturbable. Pedro Gil avait des œufs dans tous les paniers, il courait cent lièvres à la fois. Il travaillait, cet oïdor, plus qu’une demi-douzaine de forçats aux présides !
Il était ambitieux vaguement ; ce sont les ambitions les plus dangereuses. Son but était en quelque sorte élastique : il convoitait le moins et le plus. Il était cupide ; il n’avait absolument rien qui pût le retenir : aucun principe, aucune pitié.
Nous avons vu que sa rancune contre Medina-Celi, sa rancune de valet congédié, l’avait porté tout froidement au guet-apens. Cela s’était fait en lui sans effort ni secousse. S’il avait eu jadis une conscience, c’était du plus loin qu’il pût se souvenir.
La vengeance ici, du reste, avait servi un de ses plans. Il n’eût pas tenté l’aventure pour se venger seulement. La vengeance est une passion : à proprement parler, Pedro Gil n’avait point de passions.
Il n’avait même pas de vices. Son malfaisant labeur avait lieu sans excuse ni prétexte. Il était cet ouvrier fatal qui pullule aux heures de la décadence comme les sauterelles d’Égypte. Son travail était celui de l’insecte nuisible.
L’amour n’avait point armé son bras ivre. Il défiait l’amour et se riait des femmes. Il était sobre, économe, la vie de famille l’attirait.
Il aimait sa fille. C’était la seule fibre humaine qui fût en lui ; c’était aussi le seul côté par où l’excès put entrer dans sa nature. Pour son intérêt, il était froidement impitoyable : par sa fille et pour sa fille, il aurait pu devenir cruel.
Pedro Gil possédait du reste à un fort haut degré cette bonne opinion de soi-même, qui est le fond du caractère espagnol. Il ne s’effrayait point de la brouille qui se mettait parfois dans l’écheveau de ses intrigues. Il prétendait tricher sans cesse impunément à ce jeu de colin-maillard dont l’extravagant tourbillon entraîna alors la cour de Philippe IV.
Dix heures du matin sonnaient à l’horloge Saint-Ildefonse comme il traversait la place de Jérusalem, en sortant de la maison de Pilate. Il allait d’un air préoccupé. Sa tête travaillait, se disant :
– Pourquoi non ? L’autre est dans la terre. C’est déjà bien que ma Gabrielle soit fille d’honneur de Medina-Celi… on aura beau faire, ce sera toujours le premier nom de l’Espagne !… Celui-ci a plus d’énergie dans son petit doigt que les autres en toute leur personne. Il me devra davantage, puisqu’il sera parti de plus bas… Si l’oïdor Pedro Gil allait être nommé un beau matin président de l’audience de Séville !
Il se frotta les mains en spéculateur qui vient de trouver un filon d’or dans sa tête.
– Serviteur au seigneur Pedro Gil, dit une voix près de lui.
Notre ami maître Galfaros, entrepreneur des Delicias du Sépulcre, marchait à ses côtés, chapeau bas.
– Quelles nouvelles ? demanda l’oïdor.
– Mon rapport de cette nuit est déjà chez Votre Seigneurie, répondit Galfaros ; mais depuis cette nuit, il s’est passé quelques petites choses… Ce peuple de Séville est de méchante humeur… Il y a plus de cinq cents majos, à l’heure qu’il est sur la place du palais…
– Bah ! fit Pedro, que les gardiens fassent seulement claquer leurs fouets…
– Si votre seigneurie savait ce dont il s’agit… Avec les Espagnols, voyez-vous, et surtout avec nous autres, bonnes gens de l’Andalousie, il n’est pas prudent de passer certaines bornes… Par les plaies saintes ! nous ne sommes pas en Turquie pour avoir des esclaves… Et encore les Turcs infidèles, que Dieu maudisse, ne se font pas porter en chaise par des jeunes filles.
– Et qui donc se fait porter en chaise par des jeunes filles, maître Galfaros ?
– Le comte-duc, seigneur Pedro Gil.
– Qui a vu cela ?
– M’est-il permis de parler franchement ?
– Sans doute, quand je vous interroge.
– Alors je le dirai pour le bien de l’État… c’est moi qui l’ai vu, seigneur.
Pedro Gil haussa les épaules. Maître Galfaros, piqué au feu, dit avec vivacité :
– Si Votre Seigneurie ne me croit pas, qu’elle interroge…
Il s’interrompit et baissa les yeux.
– Que j’interroge qui ? demanda l’oïdor avec impatience.
Le maître des Delicias se mordait les lèvres, affectant un grand regret de son imprudence.
– Seigneur oïdor… commença-t-il d’un air embarrassé.
– Parle, Galfaros, ou prends garde à toi ! s’écria Pedro Gil.
– Du moment que Votre Seigneurie l’ordonne… J’aurais préféré me taire… mais mon obéissance…
– Parle donc, misérable !
– J’allais dire… et je compte bien sur l’indulgence de Votre Seigneurie, car j’aurais eu bouche close sans votre commandement exprès… j’allais dire : Interrogez la senora Gabrielle, votre fille.
– Ma fille a vu ?…
– Elle a fait mieux.
– Que veux-tu dire ?
– Ce que j’ai pu voir de mes propres yeux, seigneur… Votre fille a porté la chaise de Sa Grâce.
Pedro Gil devint tout blême. L’orgueil espagnol est une maladie si incurable que l’infamie elle-même ne peut la guérir.
– Ma fille, répéta Pedro Gil, attelée comme une mule à la litière du parvenu !… Par toutes les épreuves de la Passion ! cet homme est fou, et il payera cher sa folie !…
– Vous parlez de Sa Grâce, n’est-ce pas, seigneur ? dit Galfaros qui se rapprocha.
– Ma fille ! la fille d’un oïdor !… Sur ma foi ! j’étais indécis…
– Il y a donc quelque chose en train ? demanda curieusement Galfaros.
À son tour, Pedro se mordit la lèvre.
– Quelque chose en train ? répéta-t-il en tâchant de paraître calme.
– Je ne sais pas, moi, répondit le maître des Delicias, tout le monde en parle.
– De quoi ?
– De la conspiration… M’est avis qu’une conspiration dont tout le monde parle…
– Évidemment, maître Galfaros, évidemment ! interrompit l’oïdor d’un ton glacial, vous êtes un homme sage… Qui peut conspirer contre le trône de Philippe le Grand, sinon quelques insensés abandonnés de Dieu ? Quelle était, s’il vous plaît, l’autre jeune fille ?
– La fille du Maragut, votre voisin.
– Aïdda la belle ?…
– Elle faisait la paire avec Gabrielle la jolie.
Pedro Gil réfléchissait.
– Maître Galfaros, dit-il brusquement après quelques secondes de silence, vous êtes un loyal et fidèle sujet du roi. Voulez-vous que je vous confie mon sentiment ?… Son Excellence a voulu se divertir… il s’agit de quelque innocente gageure, et ma fille va m’expliquer cela tout au mieux, dès mon retour à la maison… C’est votre établissement qu’il faut surveiller… ouvrez les yeux et les oreilles… et, croyez-moi, ne vous occupez jamais de ce qui ne vous regarde pas !
Il tourna le dos, laissant le cabaretier tout déconcerté.
Galfaros rentra chez lui d’humeur détestable, parce qu’il craignait d’avoir mécontenté le pouvoir. Il querella sa femme, invectiva ses servantes, et mit à la porte deux marmitons qui chuchotaient entre eux dans la cuisine.
Ces deux marmitons pouvaient parler politique.
Pedro Gil longeait à grands pas la rue de l’Infante. À la porte de sa maison, il trouva trois ou quatre familiers, une demi-douzaine de petits bourgeois du quartier, et maître Cubrepan, le forgeron, en compagnie de maître Nogada, propriétaire de l’hôtellerie de Saint-Jean-Baptiste.
Tout ce monde l’attendait. En sa qualité d’oïdor second, le seigneur Pedro Gil était chargé de la police de la cité. Or, dans les villes que nous pourrions appeler politiques, comme Madrid, Séville, Valladolid, Barcelone, cet emploi était loin de passer pour une sinécure, sous le règne des successeurs de Charles-Quint. Le nombre des employés officiels de la police, sans parler même de ceux qu’enrégimentait l’inquisition, était fort considérable. Quiconque voudrait maintenant énumérer les pelotons de cette armée serait, à coup sûr, taxé d’exagération. Et cependant cette armée n’était que le squelette osseux de cet énorme corps, aussi gras qu’il était grand, et dont l’obésité majestueuse faisait la gloire des Espagnes.
En dehors des officiers et soldats de la justice proprement dite, une innombrable quantité d’affiliés avoués mettaient de la chair sur les os du colosse. En dehors des affiliés avoués, une troisième couche, plus épaisse, s’agglomérait : les espions bénévoles, les observateurs de fantaisie, les dénonciateurs d’occasion.
Des écrivains l’ont dit : la police espagnole, au dix-septième siècle, c’était presque tout le monde, grands et petits, riches et pauvres, nobles et vilains.
La péninsule entière, espionnante, espionnée, se battait à coups de délations. Aviez-vous un ennemi ? ce n’était plus la peine de le poignarder ou de l’empoisonner : il suffisait de le dénoncer, cela valait le meilleur couteau catalan ou la plus haute dose d’aqua del milagro. Seulement il fallait se hâter, de peur d’être prévenu.
Et bien souvent, sur ce terrain, comme les deux adversaires se rencontraient, il y avait coup fourré. C’était double aubaine pour la confrérie, qui taillait, qui dévorait, qui rongeait tout le gibier jusqu’à l’os.
Et parmi les hontes de cette décadence inouïe, le langage fanfaron de Lope et de Calderon florissait. Vous eussiez dit, à entendre les poètes, que l’Espagne n’avait qu’un Dieu : l’honneur.
Mais regardez de près l’honneur des comédies espagnoles, et vous verrez que c’est une idole de convention, fabriquée à plaisir, et dont l’or faux ne tient pas. C’est un dieu de bois que cet honneur trop féroce. – Et puis le Gascon n’a-t-il pas toujours à la bouche le mot franchise ?
On chantait l’honneur. Les guitares râclaient l’amour sous les balcons ; les taureaux tombaient dans l’arène ; Philippe était surnommé grand.
Les familiers, les petits marchands, le forgeron et l’hôtelier s’élancèrent tous à la fois vers le seigneur Pedro Gil et l’entourèrent avec toutes les marques d’un profond respect.
– J’attendais Votre Seigneurie fort impatiemment, commença le mercier du coin.
– J’aurais été chercher Votre Seigneurie au bout du monde ! interrompit le tanneur d’en face.
Un familier dit en roulant les yeux :
– Il y a des choses importantes !
Un autre :
– Que Dieu protège l’Espagne ! Veuillez m’écouter un instant en particulier.
– Seigneur oïdor, cria maître Cubrepan, vous allez voir si je suis un homme utile !
– Tout est découvert, glissa maître Nogada, qui était parvenu à mettre sa large bouche au niveau de l’oreille droite de l’oïdor.
– À moi, s’il vous plaît, seigneur Pedro Gil !
– Ce que j’apporte intéresse l’État !
– Il s’agit du comte-duc !
– Il s’agit du roi !
– Il s’agit de votre fille ! murmura l’hôtelier Nogada. Et Cubrepan à l’autre oreille :
– Il s’agit de vous !
L’oïdor continuait son chemin d’un air superbe. Il repoussait à droite et à gauche le flot de ces zélés observateurs. Sa tête était haute, son geste fier.
– Au bureau, disait-il, au bureau… Je reçois les avis divers au bureau… Ne voyez-vous pas que je suis harassé de fatigue ?… Je me suis levé avant le soleil et je n’ai pas cessé depuis lors de m’occuper des affaires publiques… Qu’on ait pitié de moi… mon corps n’est pas de fer !
– À bon entendeur salut ! fit l’aubergiste qui était un petit homme sémillant et satisfait de lui-même. Ceux qui viennent déranger Sa Seigneurie pour les cancans du quartier…
– Ceux qui n’ont dans leur sac que de mauvais propos et des médisances, ajouta Cubrepan, gros homme taillé en cyclope et bronzé par la poussière du charbon.
Mais tout le monde était du même avis. Toutes les voix s’élevèrent en chœur, abondant dans le même sens et criant :
– C’est certain !… Ceux-là devraient avoir honte et se retirer au plus vite !
Personne n’eut honte, car personne ne se retira. Chacun fit effort, au contraire, pour se rapprocher, et l’oïdor dut interrompre sa marche, pressé qu’il était de tous côtés.
– Je sais le nom de l’homme masqué, lui dit un familier à la volée, l’homme qui distribue l’argent de France…
– Combien donneriez-vous, lui demanda le mercier, pour connaître par le menu un grand complot de l’Angleterre contre le premier ministre ?
– L’hôtelier est un traître ! fît le forgeron à l’oreille droite.
À l’oreille gauche, l’hôtelier :
– Le forgeron vous trompe indignement !
– Un mot seulement, seigneur oïdor !
– Seigneur oïdor, si vous refusez de m’entendre, vous vous en repentirez toute votre vie.
Pedro Gil était arrivé au seuil de la cour. Il repoussa rudement maître Cubrepan, dont le doigt révélateur lui montrait la corde de soie encore tendue d’un balcon à l’autre.
– Arrière ! fit-il en enflant sa voix. Le roi possède en vous de bons serviteurs et cela me fait excuser jusqu’à un certain point l’importunité de votre rôle… À qui pensez-vous parler, voisins ? Qu’espérez-vous m’apprendre ?… C’est un mince titre que celui d’oïdor second, et c’est le mien… Mais qu’importe le titre, s’il doit changer demain ? Il est naturel, n’est-ce pas, de monter quand on a le pied à l’échelle. Mes amis auront sujets d’être contents… Si j’ai des ennemis, qu’ils prennent garde !
Un grand chuchotement suivit ce discours mystique, prononcé avec toute l’emphase désirable.
Peste ! c’était pourtant déjà une belle place que celle d’oïdor second ; mais chacun s’avouait que le Seigneur Pedro Gil était fait pour de plus hautes destinées. Quelque chose en lui disait que la faveur planait sur sa tête comme une auréole. Quel devait être son lot ? Conseiller, peut être procureur du saint-office, peut-être inspecteur de la confrérie…
– Des ennemis, vous ! seigneur Pedro Gil ?
– Dans votre propre quartier !
– Qu’ils soufflent et nous les étranglons avant de les traîner au Guadalquivir !
L’oïdor imposa silence d’un geste à cet enthousiasme bruyant.
– Au bureau, dit-il, mon devoir est d’écouter vos rapports, et je n’ai pour vous que des sentiments de bienveillance… Me reprochez-vous les quelques minutes que je vais donner à un repas léger et frugal ?
Il y eut une protestation unanime.
– Entrez chez votre humble valet, seigneur, dit Nogada, ce sera pour lui un grand honneur que de vous servir à déjeuner… Votre fille, ajouta-t-il tout bas, n’est pas à la maison.
Pedro le regarda de travers, et comme il vit des œillades s’échanger dans la foule, il drapa son manteau avec une fierté nouvelle.
– L’homme qui veut percer les nuages du ciel est un fou, reprit-il ; parmi les animaux, l’aigle seul peut regarder le soleil en face… Es-tu donc un aigle, ami Nogada !
Nogada resta seul sérieux au milieu des rires qui éclatèrent de toutes parts.
– Et vous tous, continua Pedro Gil, êtes-vous des aigles ?… Prétendez-vous percer des mystères qui sont au-dessus de votre portée ?… Je vous écouterai, c’est ma charge, mais ne montrez pas tant de hâte et modérez l’orgueil de vos découvertes, car tout ce que vous savez, je le sais…
Il y eut un murmure.
– Je le sais avant vous, poursuivit l’oïdor en élevant la voix ; je le sais mieux que vous… et prenez garde ! nous vivons dans un temps où le hasard peut mettre dans des mains vulgaires une partie des secrets de l’État… L’État n’aime pas cela. Je vous le répète : prenez garde !
– Oh ! Oh ! fit maître Cubrepan, qui avait le sang chaud, je n’ai pas besoin des secrets de l’État pour ferrer mes mules… Cette corde qui pend là-haut est-elle un secret d’État, seigneur oïdor ?
– L’État, appuya Nogada aigrement, apporte-t-il des corps morts dans le repaire du sorcier Moghrab ?
– Est-ce l’État, ce beau cavalier qui a sauté d’un balcon sur l’autre, comme un oiseau, pour aller joindre deux jolies fillettes que je pourrais nommer ?
– Est-ce l’État qui marchande le poignard du gracioso Cuchillo ?…
– Et si vous savez tout avant nous, mieux que nous, devinez qui vous attend en votre logis, seigneur Pedro Gil ?
– Et devinez qui ne vous attend pas ?
– L’homme qui m’attend, répondit gravement l’oïdor, vient de chez le roi ; celle qui ne m’attend pas, dona Gabrielle, ma fille, sera l’honneur de ma maison, car elle a rendu ce matin à l’Espagne un signalé service.
– Il y avait donc un corps saint dans cette chaise demanda ironiquement Cubrepan.
– Et les tabliers de boucher passent donc le seuil de la chambre royale ? ajouta Nogada, qui cligna de l’œil en provoquant l’approbation de l’assemblée.
– Mes enfants, prononça Pedro Gil avec un dédain croissant, cette corde de soie fera la fortune de ma maison, et Trasdoblo le boucher mourra peut-être grand d’Espagne !
Les bonnes gens se regardaient en souriant, car l’oïdor n’avait pas tout deviné.
– Holà ! Diègue Solaz ! s’écria-t-il en levant la tête pour que sa voix montât.
Ce nom fit plus d’effet que tout le reste. Il prouvait en effet que l’oïdor n’ignorait rien.
Diègue Solaz, l’alguazil premier, parut au balcon du quatrième étage.
– Descends ! lui ordonna l’oïdor.
Pendant que l’alguazil obéissait, Pedro Gil parla bas aux familiers.
Les petits marchands et autres agents de fantaisie commencèrent à perdre de leur assurance.
Maître Cubrepan ôta son large sombrero pour faire la révérence.
Quand Diègue Solaz arriva au bas de l’escalier l’oïdor lui dit :
– Mets le bâillon à ces deux-là.
– Il montrait l’aubergiste et le forgeron, qui poussèrent aussitôt les hauts cris.
Mais les hommes de Solaz, joints aux familiers, eurent raison d’eux en un clin d’œil. Le mercier, le tanneur et les autres voisins donnèrent, du reste, un coup de main à l’alguazil. Entre gens du même quartier, en Espagne, on se rend volontiers de ces petits services : cela consacre les relations de bon voisinage.
– À la prison neuve ! dit l’oïdor, et au secret !
– Ils en savaient trop long ! chuchota le mercier.
– On les avait avertis ! fit observer le tourneur.
Et les autres :
– Voilà longtemps qu’on n’avait arrêté personne dans la rue de l’Infante.
C’était en somme une bonne matinée et le quartier avait de quoi causer.
La foule s’écoula, cherchant le mot de cette multiple énigme. Pedro Gil, en montant les marches de son escalier, se disait :
– Le moindre vent fait tourner la Giralda ; que faudrait-il pour changer tous ces moutons en loups ?
À la bonne heure ! s’écria-t-il en passant le seuil de son logis, voici un brave et honnête garçon, fidèle au rendez vous… Touche là, Trasdoblo ! As-tu fait ta besogne ?
Vous eussiez regardé à deux fois ce Trasdoblo herculéen avant de le reconnaître. Il était aminci, aplati, assoupli, dompté comme un lingot qui a passé au laminoir. Ses belles couleurs avaient disparu, ainsi que la confiante hardiesse de son regard. Sa taille était voûtée, ses mains maladroites et inquiètes ne savaient où se prendre. Il tremblait la fièvre, et sa voix chevrotait dans sa gorge embarrassée.
Il avait vieilli de dix ans, il avait perdu cent pour cent, il faisait pitié, comme un condamné ou comme un mourant.
En vérité, Trasdoblo n’était point changé ainsi le lendemain du jour où il avait arrangé ses affaires de famille avec son beau-frère, le pauvre Bertram Salda, le peaussier de la rue de l’Amour-de-Dieu. Il y a meurtre. Il paraît qu’entre proches cela fait moins d’effet chez les gens de cette espèce.
Ou peut-être les meurtres qui ne réussissent pas pèsent-ils davantage sur la conscience des scélérats.
Ou peut-être, enfin, ce bon Trasdoblo était-il malade tout uniment, malade de la peur qu’il avait eue.
Les employés de la forteresse l’avaient trouvé caché dans le cuir de son bœuf. C’était peu. Il eût assurément, au besoin, creusé la terre avec ses ongles pour s’y enfouir. Il avait eu peur jusqu’à l’agonie et jusqu’au délire. La vue d’une épée dans la main de Medina-Celi l’avait foudroyé.
Il était debout au milieu de la chambre où naguère nous avons vu rassemblées Gabrielle et Aïdda.
Il fixa sur l’oïdor, qui entrait, son œil hagard et morne.
– J’ai fait tout ce que m’a commandé votre seigneurie, dit Trasdoblo ; j’ai été chez le roi… Ah ! je ne me serais jamais cru capable de cela, Seigneur Dieu !
– L’appétit vient en mangeant. Trasdoblo, mon ami, répliqua l’oïdor : nous en verrons bien d’autres.
Pedro Gil était de la nature de ces gens que la détresse d’autrui met en belle humeur. Il se jeta dans un fauteuil, tandis que le colosse déchu grondait entre ses dents :
– Non… non… je n’ai plus qu’un désir, seigneur, c’est d’aller loin, bien loin d’ici… Le pavé de Séville me brûle les pieds désormais.
– Tu renoncerais à la récompense promise ?…
– Je renonce à tout, seigneur oïdor !… j’ai sur la poitrine un poids qui m’étouffe…
– Le remords, toi, Trasdoblo ?
Le géant poussa un soupir de bœuf qu’on égorge. La veille au soir, il avait subi, de la part de Pedro Gil, un premier et minutieux interrogatoire. Comme la menace du bûcher restait suspendue sur sa tête, il avait effrontément déclaré que le bon duc était mort et bien mort. Il avait même donné sur le massacre des détails très précis d’une horrible vraisemblance.
Pedro Gil, qui trompait tout le monde, était trompé à son tour par cet inerte et aveugle instrument.
– Voyons, dit-il, raconte moi les faits et les gestes… et n’essaye pas de biaiser… Tu sais qu’on ne me donne pas le change à moi… À quelle heure es-tu entré au palais ?
– À sept heures, et le cœur me battait, j’en réponds… Il me semblait qu’on voyait écrit sur mon front : Il a coupé la tête d’un grand d’Espagne !… Ah ! les remords sont lourds à porter… Les portes du palais s’ouvraient seulement et l’on était en train de lâcher les eaux dans les cours. Le premier valet qui m’a vu a voulu me mettre dehors, mais j’ai suivi de point en point les conseils de votre seigneurie. J’ai demandé maître Ordonez, concierge de la cour de la Foi… Maître Ordonez m’a fait parvenir, pour l’amour de vous, jusqu’au chambrier du majordome premier, qui a exigé de moi cinq onces, et je suis parvenu dans la galerie des Lions… Saint-Antoine ! les armoiries du bon duc sont là. J’ai eu comme un vertige. J’entendais un concert de voix qui m’appelaient coupeur de têtes.
Ici, Trasdoblo étancha la sueur abondante qui ruisselait de ses tempes. On dit que la frayeur donne des ailes ; peut-être aussi peut-elle donner de l’éloquence et de l’esprit. Chaque fois, en effet, qu’il revenait à ce meurtre qu’il n’avait point commis, sa voix tremblait et prenait un irrésistible accent de terreur.
C’était bien la conscience de l’assassin qui parlait.
– Mais, reprit-il, les ordres de votre seigneurie me traversaient l’esprit et je me roidissais, car il fallait obéir. Après deux grandes heures de marche dans les corridors, dans les galeries, dans les salles et partout, je suis arrivé jusqu’au chambrier troisième de Sa Majesté. L’alcazar est grand, il coûte cher d’y voyager. Quarante onces manquaient dans ma pauvre bourse quand je suis arrivé à l’antichambre du roi.
– Est-ce toi qui veut pénétrer auprès de Sa Majesté ? m’a dit le seigneur chambrier en me toisant avec mépris ; tu as odeur de sang.
Pour le coup, j’ai vu ma dernière heure arrivée. Je ne songeais plus qu’à l’abattoir. Il me semblait que tout le sang de l’univers était dans la cour de la forteresse d’Alcala. Bonté du ciel ! la terre en a bu du sang !…
Le chambellan a repris :
– L’or seul n’a pas d’odeur… donne dix onces, et déclare ce que tu viens demander au roi.
J’ai compté les dix onces. Ô mes pauvres économies ! J’ai dit : Je viens pour la fourniture, et si je l’obtiens, monseigneur sera content de moi.
On m’a fouillé. On m’a ôté jusqu’à mon couteau de poche et jusqu’à mes épingles, afin que le roi n’eût rien à craindre de moi… Saint-Jacques ! on m’a laissé mes poignets, et qu’y a-t-il de plus aisé que d’étrangler un homme ?…
Une porte s’est ouverte. J’ai vu un seigneur avec une veste de bazin. Ce seigneur donnait la becquée à trois perroquets de diverses couleurs qui répétaient tous les trois le bec plein :
– Philippe est grand ! Philippe est grand !…
C’était le roi. Nous avons eu peur l’un de l’autre au premier moment. Les perroquets ont battu de l’aile, et l’un d’eux ma montré sa langue difforme.
– Que me veut ce rustre ? a demandé Philippe IV (Dieu le conserve !) en reculant de deux ou trois pas.
– Votre Majesté ne doit rien craindre, a répondu le chambrier courbé en deux ; c’est un secret d’État qu’on lui apporte.
Le coquin ne croyait pas si bien dire.
Le roi a répondu :
– Almanzor refuse la pâtée… je crois qu’on met trop de cœur de mouton… veillez à cela, c’est votre charge… Voyez Asdrubal, comme ses plumes tombent !… Il faut qu’on m’ait jeté un sort !
Puis, s’adressant à moi :
– Parle, homme, et dépêche ! tu vois que je n’ai pas le temps.
Je me figurais le roi autrement. Je ne puis dire pourtant que ce ne soit un beau prince.
Il a les mains plus blanches que du lait et des bagues à tous les doigts.
– Grand sire, ai-je dit de mon mieux, je ne puis parler en présence de témoins.
Le roi a fait la grimace ; et je l’ai entendu qui grommelait :
– Il est peut-être soudoyé par le cardinal… ou par l’Anglais… ou par le Bragance…
Les trois perroquets s’accoutumaient à ma physionomie. Almanzor, malgré le faible état de sa santé, a dit le premier :
– Philippe est grand !
Les deux autres ont aussitôt répondu :
– Il est grand, Philippe ! il est grand !
– Voici les échos de l’univers entier ! a murmuré le chambrier troisième.
Et le roi :
– S’il veut me parler seul à seul, qu’on lui mette les menottes.
Il paraît que c’est d’étiquette. Le chambrier en avait dans sa poche. Il me les passa, non sans habileté, en homme qui pratique souvent. Quand cela fut fait, le roi lui dit :
– Va-t’en… et n’oublie pas pour la pâtée.
Nous étions seuls, Philippe d’Espagne, moi et les trois perroquets.
Je me suis prosterné aux genoux du roi et je lui ai dit :
– Majesté, je viens vous apporter ma tête.
– Et que veux-tu que j’en fasse, imbécile ? m’a répondu Philippe avec mauvaise humeur.
Il attendait mieux. Je ne me suis pas déconcerté ; j’ai mis mon front sur les dalles et j’ai poursuivi :
– Majesté, je suis cause que votre plus grand ennemi a recouvré la liberté.
– Est-ce que ce pataud va me parler en paraboles ? s’est écrié le roi. – Mes plus grands ennemis ne sont pas en prison… Que j’y tienne seulement Buckingham, Richelieu et don Juan de Portugal, tu verras si je les laisse échapper !… Explique-toi, et vite !
Je cherchais à me rappeler vos instructions, seigneur Pedro Gil, et la fable que vous aviez inventée, fable qui se greffe sur la vérité, de telle sorte que, sauf l’évasion du Medina-Celi qui est mort et bien mort, j’en fais serment sur mon salut ; tout le reste est vrai comme Évangile.
Depuis quinze minutes, Pedro Gil s’était assis devant une table et classait des papiers qu’il avait tirés de sa poche. C’était, selon toute apparence, la série des rapports de police reçus ce matin même, car leur contenu lui arrachait tantôt un geste, tantôt une exclamation.
Il écoutait cependant, car son regard défiant se releva sur le boucher.
– Voilà déjà bien des fois que tu me fais ce serment superflu ! murmura-t-il.
Et comme Trasdoblo, pris à l’improviste, changeait de visage, l’oïdor, fronçant le sourcil, ajouta entre haut et bas :
– Il faudra que tu me mènes à l’endroit où tu as enterré le cadavre de Medina-Celi.
– Certes, certes, seigneur, fit le boucher, qui essaya de sourire ; mais comment reconnaître un corps sans tête et bien tristement mutilé ? Je vous l’ai dit, et vous m’avez approuvé ; nous avons pris nos précautions précisément pour que le corps du bon duc fût méconnaissable…
– Tu me le montreras, prononça Pedro Gil d’un ton sec, j’ai mes moyens à moi pour reconnaître les gens… Continue… Jusqu’à présent, je suis content de toi.
– Eh bien ! reprit le colosse, il fallut contenter le roi. Je prononçai le nom du bon duc, et j’expliquai comme quoi j’avais essayé, moi septième, de m’opposer à son évasion. Je lui répétai le récit que je vous fis hier soir à vous-même, n’omettant aucune des péripéties de la bataille, et remplaçant seulement le coup de couteau, qui fut le vrai dénouement, par l’évasion, qui est un mensonge.
Pedro Gil releva encore une fois les yeux sur lui. Son regard était si perçant que les paupières du boucher se baissèrent.
Pedro Gil parcourait en ce moment un rapport signé du nom de Diègue Solaz, alguazil premier au service de la confrérie. Ce rapport lui rendait compte de ce qui s’était passé, la veille au soir, sur la place de Jérusalem, un peu avant la fin du salut, à savoir : l’émeute des gueux devant le perron de Saint-Ildefonse, l’arrivée de Saint-Esteban, les entraves que le président de l’audience de Séville et le commandant des gardes avaient mise à son arrestation.
Pedro Gil ignorait ces événements, ayant passé la soirée de la veille à Alcala de Guadaïra.
Il laissa tomber sa tête entre ses mains et se prit à réfléchir profondément.
Les fils déjà si embrouillés de l’intrigue se mêlaient au point de fatiguer et de décourager cette cervelle de calculateur.
Quel était ce nouveau coup de partie tenté par don Balthazar de Alcoy et don Pascual de Haro ? Et qui jouait le rôle d’Esteban, roi des gueux, pendant que le roi des gueux, Esteban, audacieusement déguisé en duc de Medina-Celi, reprenait possession de la maison de Pilate ?
– Continue, dit Pedro, qui était désormais soucieux.
– Le roi, reprit Trasdoblo, avait cessé de donner la becquée à ses perroquets. Il suivait mon récit avec une attention extraordinaire. Dès le premier moment, j’avais cru m’apercevoir qu’il s’intéressait au bon duc… Mais alors, me demandai-je, pourquoi l’a-t-il retenu pendant quinze ans prisonnier ? Je me répondais : Trasdoblo, ne te romps point la tête… les rois ne se conduisent pas comme les autres hommes… et puis tu n’entends rien à tout cela !
Quand je montrai pour la première fois le bon duc pendu à sa corde et nous autres l’attendant l’épée au poing sous la corniche, Philippe fronça le sourcil et dit :
– Sept contre un !… Par la sainte croix, voilà une honteuse vilenie !
Puis il frappa dans ses mains en voyant échouer la première attaque. La défense du duc, monté sur son tas de dalles lui arracha des cris d’enthousiasme, et quand vint l’épisode de ce coquin de jeune homme qui lança l’épée du haut du mur, il sauta véritablement de joie…
– Le reconnaîtrais-tu, ce jeune homme ? demanda ici l’oïdor.
– Oui, sur mon salut ! répliqua vivement le boucher, dans cinquante ans comme aujourd’hui, si Dieu me fait la grâce d’arriver à la vieillesse.
Pedro Gil écrivit quelques mots sur ses tablettes, et dit encore :
– Continue.
– Ma foi ! poursuivit Trasdoblo, qui avait reconquis peu à peu son assurance, le reste était bien le plus difficile, mais je crois que je m’en suis tiré comme il faut… Il s’agissait de transformer notre victoire en défaite, et de montrer le duc nous passant sur le corps… Je me suis lancé là-dedans à corps perdu. J’ai dit au roi : « Quand ce démon a eu l’épée à la main, ah ! seigneur Dieu ! quelle débandade ! Il a frappé d’estoc et de taille comme un sourd ! Je n’ai plus rien vu que des bras coupés, des poitrines ouvertes et des têtes fendues… Que pouvais-je faire, Majesté ? »
– Tendre le cou, coquin ! m’a répondu le roi. T’attaquer à mon pauvre Hernan ! Vive Dieu ! si j’avais été là !… J’ai envie de te casser la tête !
Heureusement qu’Almanzor a chanté : « Philippe est grand ! » Le roi, rendu à lui-même, n’a pas voulu souiller ses blanches mains dans mon pauvre sang.
Bien au contraire, il a été généreux : il m’a fait don de quatre onces d’or pour ma peine d’avoir laissé échapper le bon duc ; une once de moins que mon étrenne au valet du majordome ; aussi Asdrubal et Thémistocle (c’est le nom du troisième perroquet) criaient-ils à tue-tête et avec raison : « Il est grand, Philippe ! il est grand ! »
L’oïdor se frottait les mains tout doucement. Cette partie du récit lui faisait retrouver plante. La visite du boucher à l’Alcazar avait pleinement réussi.
– Est-ce tout ? demanda-t-il.
– À peu près, seigneur, répondit Trasdoblo, rassuré par le contentement qui brillait dans les yeux de son patron ; le roi a caressé ses bêtes, disant qu’il mettrait ses ministres à la tour de Ségovie si on touchait un cheveu du bon duc.
– Bravo ! ne put s’empêcher de crier Pedro Gil.
– Ah çà ! seigneur ! s’écria le boucher à son tour, vous avez l’air presque aussi satisfait que le roi… et quand vous m’avez donné mission contre le Medina-Celi, vous m’avez dit : « C’est pour le service du roi. »
– Est-ce tout ? répéta l’oïdor qui haussa les épaules avec dédain.
– À peu près, dit encore Trasdoblo. Mon histoire était finie, j’allais prendre congé lorsque j’ai vu commencer une autre histoire… Mais peu importe à Votre Seigneurie.
– Quelle histoire ?
– Je ne puis vous en dire que le premier mot : le chambrier troisième était en train de m’enlever mes menottes, lorsqu’un de ses confrères a ouvert la porte à haute voix :
– Hussein-le-Noir demande à entretenir Votre Majesté.
Pedro Gil tressaillit et laissa échapper les papiers qu’il tenait à la main.
– Qu’il entre, a répondu le roi ; il va visiter Almanzor…
J’ai vu paraître un grand diable de Maure avec des charbons ardents sous les sourcils. Il s’est avancé roide comme un piquet. Le roi salue comme un enfant maussade qui craint et déteste son maître, « Philippe est grand ! » disaient les perroquets ; mais il semblait bien petit auprès du mécréant.
Pedro Gil écoutait avec une avidité singulière.
– Après ? fit-il, voyant que le boucher se taisait.
– Après ?… répéta Trasdoblo. Eh bien ! le roi m’a dit : « Va-t-en… » et je l’ai laissé avec son Maure.