Conclusion

Les documents présentés dans ce volume à l’attention des amis de la vérité sont loin d’embrasser l’ensemble des phénomènes psychiques ; mais ils nous conduisent déjà à quelques conclusions préliminaires.

Le but de ces recherches est de savoir si l’âme humaine existe comme entité indépendante du corps, et si elle survit à la destruction de celui-ci.

Eh bien ! les faits qui viennent d’être exposés sont presque tous en faveur de cette existence.

Il est certain qu’une âme peut en influencer une autre à distance et sans l’intermédiaire des sens.

Un grand nombre de morts, dont les exemples sont donnés ci-dessus, ont été apprises par communications télépathiques, apparitions (subjectives ou objectives), appels de voix entendus, chants, bruits et mouvements (fictifs ou réels), impressions diverses. Il n’y a plus aucun doute à conserver sur ce point. Donc l’âme agit à distance.

La suggestion mentale est également certaine.

La communication psychique entre vivants n’est pas moins prouvée par un nombre suffisant de faits d’observation. Il y a des courants psychiques, comme il y a des courants aériens, électriques, magnétiques, etc.

L’abondance des témoignages récents et contemporains nous a empêché de citer les récits anciens, qui sont extrêmement nombreux aussi, et dont plusieurs se présentent avec tous les caractères d’une authenticité incontestable. Peut-être les décrirons-nous un jour avec tous leurs intéressants détails. Rappelons seulement les principaux.

La télépathie était presque un des lieux communs de la littérature antique. Les œuvres d’Homère, d’Euripide, d’Ovide, de Virgile, de Cicéron mettent très souvent en scène des manifestations de mourants et de morts, des apparitions, des évocations, des réalisations de songes prémonitoires.

L’un des plus anciens récits de ce genre est celui de la Bible, au Livre de Samuel : le roi Saül consultant la pythonisse d’Endor et voyant apparaître devant lui le fantôme du prophète Samuel. Si ce récit n’est qu’un conte (ce qui n’est pas démontré), il indique du moins les croyances de cette lointaine époque.

On peut lire dans PLUTARQUE l’histoire tragique de l’assassinat de Jules César et le rêve prémonitoire de sa femme Calpurnia, qui fit tout au monde pour l’empêcher de se rendre au Sénat. Il semble, en lisant ce récit, que l’on entende la voix du Destin, et il y a même là de curieux signes prémonitoires, (ouverture des fenêtres de la chambre à coucher de César, etc.), analogues aux faits dont nous venons de nous occuper.

Brutus et Cassius étaient, assurément, de mâles esprits, assez sceptiques, appartenant à la philosophie d’Épicure. Lisez aussi dans PLUTARQUE l’apparition d’un fantôme à Brutus, sous sa tente, lui donnant rendez-vous dans la plaine de Philippes, où il devait trouver la mort.

Si Jules César avait été moins incrédule en ce qui concerne les songes, il eût peut-être écouté la prière de sa femme. Auguste fut mieux inspiré à la bataille de Philippes. Le rêve d’un de ses amis le fit, quoique souffrant, quitter sa tente. Son camp fut pris et sa litière percée de coups d’épées. (SUÉTONE, Auguste, XCI.)

Cicéron montre dans son livre sur la Divination l’apparition de Tibérius Gracchus à son frère, le songe de Simonide récompensé par une ombre d’avoir donné la sépulture à son corps, et celui du voyageur de Mégare que j’ai rapporté dans Uranie (p. 193).

Valère Maxime signale (VII, § I, 8) le rêve prémonitoire d’Atérius Rufus assistant à un combat de gladiateurs, tué par un rétiaire qu’il avait vu en rêve la nuit précédente, et au moment où il venait de raconter ce rêve à ses amis.

Lisez dans le même auteur le rêve prémonitoire du roi Crésus voyant son fils Athys tué par un fer homicide, écartant de lui tous les dangers, et le confiant à un garde qui le tua dans une chasse au sanglier (VII, § II, 4).

Pline le Jeune raconte dans ses Lettres (Liv. VII) l’histoire d’une maison hantée à Athènes et d’une sépulture réclamée par un spectre.

Vopiscus signale la prédiction faite par une druidesse à Dioclétien de sa destinée future.

Grégoire de Tours affirme que le jour de la mort de saint Martin à Tours (l’an 400), saint Ambroise, évêque de Milan, vit et connut cette mort pendant une syncope. On sait qu’il en a été de même au XVIIIe siècle pour saint Alphonse de Liguori à la mort du pape Clément XIV (Stella, p. 73). Ces exemples ne sont pas très rares dans la vie des saints, mais ils ne sont pas du tout une preuve de sainteté, et encore moins de miracles, comme le croient les canonisateurs.

Pétrarque, en 1348, vit sa chère Laure lui apparaître en rêve le jour où elle rendit le dernier soupir, et a consacré à ce souvenir une belle pièce de poésie (le Triomphe de la mort).

Le pape Pie II (Æneas Sylvius) raconte dans son Histoire de Bohême que Charles, fils de Jean, roi de Bohême, qui fut ensuite l’empereur Charles IV, fut averti par un songe de la mort du dauphin (26 août 1336). [Je dois la connaissance de cette relation à M. Mourrel, de Monestier, qui me signale aussi l’apparition d’un mourant décrite par Nicolas Charrier, avocat au Parlement de Grenoble au XVIIe siècle].

Jeanne d’Arc avait prédit sa mort.

On avait prédit à Catherine de Médicis que ses trois fils seraient rois.

Agrippa d’Aubigné signale l’apparition du cardinal de Lorraine, le jour et à l’heure de sa mort, à Catherine de Médicis.

Jean Stoeffler, astrologue (1472-1530), avait annoncé la date de sa mort et son genre de mort (chute d’un objet sur la tête).

François de Belleforest, auteur des Histoires prodigieuses (1578), rapporte que son père lui est apparu dans un jardin au moment même où il mourut, quoiqu’il ne le sut pas malade.

Montluc fait part, dans ses Commentaires, du curieux rêve qui lui montra, la veille de l’événement, la mort du roi Henri II percé d’une lance dans le tournoi de Montgomery (30 juin 1559). [Ce fait vient de m’être rappelé par Mme Villeneuve de Nérac.]

La reine de Navarre, Marguerite d’Angoulême, étant au couvent de Tusson (Charente) s’entendit appeler par son frère François Ier au moment où celui-ci mourait à Rambouillet.

François Bacon rapporte (Sylva sylvarum, 10e centurie, 986) qu’une vision en rêve lui présagea la mort de son père, entre Londres et Paris (1578).

Sully met dans ses Mémoires (VII, 383) les pressentiments suivants dans la bouche de Henri IV : « On m’a dit que je devais être tué à la première magnificence que je ferais et que je mourrais dans un carrosse, et c’est ce qui fait que j’y suis si peureux. Si l’on pouvait ne pas faire ce maudit sacre ! »

David Fabricius, astronome allemand auquel on doit la découverte de la fameuse étoile variable Mira Ceti, avait prédit qu’il mourrait le 7 mai 1617. Il prit toutes les précautions pour éviter ce sort et ne sortit pas de sa chambre. Enfin, à dix heures du soir, il voulut prendre l’air : un paysan le tua d’un coup de fourche.

L’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) rapporte que l’abbé Bezuel vit son camarade Desfontaines, mort l’avant-veille, noyé, et s’entretint avec lui pendant assez longtemps.

Charles Nodier rapporte (Jean-François les Bas-Bleus) que, le 16 octobre 1793, le jeune homme que l’on appelait ainsi, à Besançon, signala l’exécution de Marie-Antoinette, à la grande stupéfaction des auditeurs.

(Je n’inscris pas la prédiction de Cazotte, parce qu’elle paraît être un conte arrangé par Laharpe. Mes recherches ont conduit au même résultat négatif pour la prétendue vision de Charles XI.)

Gratien de Semur expose, dans son traité critique Des erreurs et des préjugés, qu’une amie de sa famille, Mme de Saulce, femme d’un riche colon de Saint-Domingue, s’écria un jour, en faisant une partie de cartes : « M. de Saulce est mort ! » et tomba à la renverse. Ce jour même, son mari était assassiné par des nègres.

Nous rappelons brièvement les principaux de ces faits anciens, — de valeurs diverses, assurément, — simplement pour montrer qu’ils ne datent pas d’aujourd’hui. On peut espérer que leur étude scientifique les fera sortir des ombres de la légende et de la superstition.

L’espace nous manque également pour analyser en détail chacun de ceux que nous avons enregistrés dans ce volume et pour établir dès maintenant qu’il y a un grand nombre de causes diverses en jeu dans ces phénomènes. Nous avons d’abord voulu prouver ici la réalité des manifestations de mourants, de l’action psychique à distance, des communications mentales, de la connaissance des choses par l’esprit sans le concours des sens.

On peut voir sans les yeux, entendre sans les oreilles, non point par une hyperesthésie du sens de la vue ou de l’ouïe, car ces observations prouvent le contraire, mais par un sens intérieur, psychique, mental.

La vue intérieure de l’âme peut voir non seulement ce qui se passe au loin, à des distances considérables, mais elle peut encore connaître d’avance ce qui arrivera dans l’avenir. L’avenir existe potentiellement, déterminé par les causes qui amèneront les effets successifs.

L’OBSERVATION POSITIVE PROUVE L’EXISTENCE D’UN MONDE PSYCHIQUE, aussi réel que le monde connu par nos sens physiques.

Maintenant, de ce que l’âme agit à distance par une force qui lui est propre, sommes-nous autorisés à en conclure qu’elle existe comme être réel, qu’elle n’est pas une résultante des fonctions du cerveau ?

La lumière existe-t-elle réellement ?

La chaleur existe-t-elle ?

Le son existe-t-il ?

NON.

Ce ne sont là que des manifestations de mouvements.

Ce que nous appelons lumière est une sensation produite sur notre nerf optique par les vibrations de l’éther comprises entre 400 et 756 trillions par seconde, ondulations obscures en elles-mêmes.

Ce que nous appelons chaleur est une sensation produite par des vibrations dont le nombre est compris entre 350 et 600 trillions.

Le soleil éclaire l’espace à minuit comme à midi. Cependant l’espace reste noir. Sa température est voisine de 270 degrés au-dessous de zéro.

Ce que nous appelons son est une sensation produite sur notre nerf auditif par des vibrations de l’air, silencieuses en elles-mêmes, comprises entre 32 et 36 000 par seconde.

L’électricité existe-t-elle ou n’est-elle elle-même qu’un mode de mouvement ? L’avenir de la science nous l’apprendra. (Il est probable qu’elle existe comme entité réelle. L’éther ne serait-il pas une substance électrique ?)

Le mot d’attraction n’a été donné par Newton que pour représenter la manière dont les corps célestes se meuvent dans l’espace. « Les choses se passent, dit-il, comme si ces corps s’attiraient. » Quant à l’essence, à la nature de cette force apparente, nul ne la connaît.

Un grand nombre de termes scientifiques ne représentent que des effets, non des causes.

Il pourrait se faire que l’âme fût dans le même cas.

Les observations exposées dans cet ouvrage, les sensations, les impressions, les visions, les auditions, etc., pourraient indiquer des effets physiques produits entre cerveaux.

Oui, sans doute. Mais c’est ce qui ne semble pas être.

Examinons un exemple.

Ouvrons ce livre à la page *** :

Une jeune femme, adorée de son mari, meurt à Moscou. Son beau-père, à Poulkovo, près de Saint-Pétersbourg, la voit, à cette heure même, à côté de lui, l’accompagnant dans la rue, puis disparaissant. Saisi de surprise et d’effroi, il télégraphie à son fils et apprend à la fois la maladie et la mort de cette jeune femme.

Nous sommes absolument obligés d’admettre que « quelque chose » est émané de la mourante et est venu toucher son beau-père. Cette « chose inconnue » peut être un mouvement éthéré, comme dans le cas de la lumière, et n’être qu’un effet, un produit, un résultat ; mais cet effet a une cause, et cette cause c’est la mourante, évidemment. La constitution du cerveau peut-elle expliquer cette projection ? Je ne pense pas qu’aucun anatomiste ni aucun physiologiste ose répondre affirmativement. On sent là une propriété inconnue, non de l’organisme physique, mais de l’être pensant.

Prenons un autre exemple, soit page *** :

Une dame, chez elle, entend une voix qui chante, la voix d’une amie entrée au couvent, et tombe évanouie parce qu’elle a compris que c’était la voix d’une morte ! Au même moment, cette amie mourait, en effet, à 40 kilomètres de là.

N’avons-nous pas ici encore la même impression, celle d’une communication d’âme à âme ?

Autre exemple encore (p. ***) :

La femme d’un capitaine parti pour les Indes voit, une nuit, son mari debout devant elle, les mains pressées contre la poitrine et l’air souffrant. La commotion qu’elle en ressent la convainc qu’il est tué ou gravement blessé. C’était le 14 novembre. Le ministère de la Guerre lui annonce ensuite qu’il a été tué le 15. Elle fait vérifier. Le ministère s’était trompé : c’est bien le 14 qu’il était mort.

Un enfant de six ans s’arrête au milieu de ses jeux en s’écriant d’un air effrayé :« Maman, j’ai vu maman » ! À cet instant même sa mère mourait, loin de là (p. ***).

Une jeune fille au bal s’arrête tout d’un coup au milieu d’une danse et, fondant en larmes, s’écrie : « Mon père est mort, je viens de le voir » ! Au moment même mourait son père, qu’elle ne savait pas malade (p. ***).

Tous ces faits se présentent à nous comme indiquant non des actes physiologiques de cerveau à cerveau, mais des actes psychiques d’esprit à esprit.

Sans doute, il est toujours difficile de faire la part de ce qui appartient à l’esprit, à l’âme, et de ce qui appartient au cerveau. Nous ne pouvons nous laisser guider dans nos appréciations et dans nos jugements que par le sentiment intime qui résulte en nous de la discussion des phénomènes. C’est ainsi que toutes les sciences ont été fondées. Eh bien ! chacun ne sent-il pas ici qu’il s’agit de manifestations d’un être pensant et non pas seulement de faits physiologiques matériels ou de transformations de l’énergie physique ?

Cette impression est surabondamment confirmée par la constatation de facultés de l’âme inconnues, en jeu dans les rêves et le somnambulisme.

Un frère apprend la mort de sa jeune sœur par un horrible cauchemar (p. ***).

Un monsieur rêve qu’il voit tomber d’une fenêtre une jeune fille, qu’il ne connaît pas d’ailleurs (p. ***). — Une dame voit en rêve un de ses amis se noyer (p. ***).

Une mère voit en rêve sa fille tombée sur une route et couverte de sang (p. ***).

Une dame va, en rêve, visiter son mari sur un navire lointain, et son mari reçoit réellement cette visite, vue par une troisième personne (p. ***).

Une dame magnétisée voit et décrit tout l’intérieur du corps de sa mère mourante, état exact constaté à l’autopsie (p. ***).

Un monsieur voit en rêve une dame de ses amies arriver par le chemin de fer, voyage imprévu d’ailleurs (p. ***).

Une jeune fille voit d’avance en rêve le jeune homme inconnu qu’elle épousera (p. ***).

Un magistrat voit, trois ans d’avance, la perpétration d’un crime, dans ses moindres détails (p. ***).

Plusieurs personnes voient d’avance une ville, un paysage, des situations où ils se trouvent réellement ensuite (p. ***, ***, ***, ***, ***, ***, ***, ***, ***).

Une mère entend, six mois d’avance, sa fille lui annoncer un mariage imprévu (p. ***).

Une mort est prédite avec précision (cas fréquents).

Un vol est vu par une somnambule, et l’exécution du coupable annoncée (p. ***).

Une jeune fille voit son fiancé, son ami intime, au moment de la mort (cas fréquents), etc., etc.

L’action psychique d’un esprit sur un autre, la communication à distance existent, aussi sûrement que les courants électriques et magnétiques de l’atmosphère (p. ***-***).

Ce sont là des facultés de l’âme inconnues. Telle est, du moins, mon impression. Il ne me semble pas que l’on puisse raisonnablement attribuer la prévision de l’avenir et la vue mentale à une production nerveuse du cerveau.

Le cerveau n’est qu’un organe, comme le nerf optique ou le nerf auditif. L’âme, l’esprit, l’être intellectuel agit et perçoit par lui, mais n’en est pas une propriété physique.

La divination de l’avenir est peut-être ce qu’il y a encore de plus extraordinaire, car pour qu’elle existe, il faut que l’avenir soit déterminé d’avance avec certitude par les causes qui l’amèneront. Remarquons qu’un seul fait de ce genre, exactement constaté, prouverait la thèse. Or ce n’est pas un fait que nous avons sous les yeux, mais des centaines.

L’espace nous manque — et ce n’est pas ici le lieu — pour discuter le grave problème du libre arbitre et de la fatalité. Rappelons seulement les paroles suivantes de Laplace : « Les événements actuels ont avec les précédents une liaison fondée sur le principe évident qu’une chose ne peut pas commencer d’être sans une cause qui la produise. Cet axiome connu sous le nom de principe de la raison suffisante s’étend aux actions les plus indifférentes. La volonté la plus libre ne peut sans un motif déterminant leur donner naissance, car si toutes les circonstances de deux positions étant exactement les mêmes, elle agissait dans l’une et s’abstenait d’agir dans l’autre, son choix serait un effet sans cause ; elle serait alors, dit Leibniz, le hasard aveugle des épicuriens. L’opinion contraire est une illusion de l’esprit qui, perdant de vue les raisons fugitives du choix de la volonté dans les choses indifférentes, se persuade qu’elle s’est déterminée d’elle-même et sans motifs. Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence105 ».

Si l’avenir est inévitable, que devient notre liberté ? La philosophie conciliera sans doute un jour ces deux contradictions apparentes, car nous avons le sentiment de pouvoir choisir et de l’utilité des efforts accomplis, et tout le progrès des peuples occidentaux est dû précisément à l’action intellectuelle, opposée au fatalisme des Orientaux. Des faits en apparence contradictoires s’expliquent déjà aujourd’hui par la connaissance des choses, par exemple l’élévation, la lévitation d’un lourd morceau de fer sous l’influence d’un aimant. L’ascension d’un ballon est aussi naturelle que la chute d’une pierre. Que les moralistes n’arguent donc pas des conséquences d’une certaine nécessité déterminée d’avance, pour se refuser à admettre les prévisions d’avenir reconnues et contrôlées. Les contradictions ne sont qu’apparentes. Le déterminisme n’est pas le fatalisme.

Les phénomènes que nous étudions ne sont peut-être pas aussi éloignés qu’ils le paraissent des raisonnements de la science positive.

Je crois qu’il faut, ou nier tous ces faits, ou admettre qu’ils dénotent une cause intellectuelle, spirituelle, d’ordre psychique, et je suis d’avis que les sceptiques de parti pris préféreront les nier, les traiter d’illusions et de coïncidences fortuites : ce sera plus simple. Les négateurs intransigeants, rebelles même à l’évidence, seront encore plus absolus et déclareront que les auteurs de ces récits extravagants sont des farceurs qui m’ont écrit pour me mystifier, et qu’il en a été de même dans tous les siècles pour tous les penseurs qui ont eu à s’occuper de ces questions.

Serait-il vraiment possible de nous refuser à accepter tous ces témoignages humains ? Je ne pense pas que nous en ayons le droit. Ceux qui ont été contrôlés ont prouvé leur vérité, leur authenticité. Ce n’est pas après coup qu’ils ont été imaginés ou arrangés : c’est, au contraire, leur spontanéité qui a frappé, et c’est souvent à cause de cet apparent mystère que l’on m’a écrit, dans le désir de recevoir une explication. Sans aucun doute, tous les récits n’offrent pas les mêmes garanties et plusieurs peuvent, très sincèrement d’ailleurs, s’être eux-mêmes modifiés dans la mémoire des narrateurs et adaptés plus strictement aux événements ; mais ils n’ont pas été inventés pour cela, et ce ne sont point là des mystifications. Récuser tous ces témoignages conduirait à récuser les relations de tout ce qui se passe constamment autour de nous dans la vie, sous prétexte qu’on n’a pas tout vérifié ou que certains détails sont inexacts. Je m’en tiens ici au raisonnement d’Emmanuel Kant cité plus haut (p. ***) et à ce que j’ai déjà fait remarquer à ce propos (p. ***).

Telle est, du moins, mon impression, et je la soumets avec confiance aux lecteurs soucieux d’arriver à la vérité, sans d’ailleurs avoir en aucune façon la présomption d’imposer mon opinion à personne. Chacun appréciera suivant son jugement propre. J’essaye simplement de mettre les choses au point, comme un astronome à sa lunette, un photographe devant un paysage ou un naturaliste armé d’un microscope.

Ces phénomènes prouvent, selon moi, que l’âme existe et qu’elle est douée de facultés encore inconnues. C’est par là qu’il était logique de commencer nos études, dont la suite nous conduira au problème de la survivance et de l’immortalité. Une pensée peut se transmettre d’un esprit à un autre. Il y a des transmissions mentales, des communications de pensées, des courants psychiques entre les âmes humaines. L’espace ne semble pas un obstacle, et le temps paraît parfois comme annihilé.

Quel est le mode d’énergie en jeu dans ces transmissions ? Il est impossible de le dire actuellement. Un certain nombre des impressions ressenties font songer aux faits et gestes de la foudre et de l’électricité. Il ne serait pas déraisonnable de penser que cet agent soit beaucoup plus intimement associé à l’organisme humain qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Mais, encore une fois, l’heure des théories n’est pas venue.

Tout en restant relativement rares et en n’ayant pas la banalité des choses ordinaires de la vie quotidienne, ces faits sont beaucoup plus nombreux et plus fréquents qu’on ne l’a pensé jusqu’à présent. Nous avons vu plus haut que l’enquête ouverte par moi au mois de mars 1899 m’en a transmis 1130. En y ajoutant ceux que j’ai reçus pendant l’impression de ce volume, ils dépassent 1200. On a pu lire, juger, apprécier, dans ce premier volume, 186 cas de manifestations de mourants constatées à l’état éveillé, 70 cas perçus pendant le sommeil, 57 observations ou expériences de transmission de pensée sans le concours de la vue, de l’ouïe ou du toucher, 49 exemples de vue à distance en rêve ou en somnambulisme, 76 rêves prémonitoires et divinations de l’avenir, soit 438 phénomènes d’ordre psychique indiquant l’existence de forces encore inconnues agissant entre les êtres pensants et les mettant en communication latente les uns avec les autres. (J’en ai encore peut-être autant d’analogues.) Même en faisant la part la plus large aux variations de la mémoire et à l’imagination des narrateurs, il n’est pas possible de ne pas sentir et de ne pas reconnaître dans ces témoignages un fond de vérité et de sincérité incontestables. D’ailleurs, certaines observations et certaines expériences ont été relatées avec un tel souci de ne laisser aucune prise à l’erreur, qu’elles portent en elles-mêmes le caractère de l’authenticité scientifique la plus absolue et la mieux contrôlée. Ce sont donc là surtout des témoins qui accusent le scepticisme des négateurs de parti pris et le réduisent à la dernière extrémité. Et maintenant que l’attention générale est appelée sur ces sortes de faits, on en remarquera un nombre beaucoup plus grand, qui passaient inaperçus ou auxquels on n’attribuait aucune valeur. En astronomie, une fois que les astres sont découverts, tout le monde les voit.

Il me semble que les conclusions suivantes ressortent logiquement de l’ensemble des faits exposés :

1° L’ÂME EXISTE COMME ÊTRE RÉEL, INDÉPENDANT DU CORPS ;

2° ELLE EST DOUÉE DE FACULTÉS ENCORE INCONNUES À LA SCIENCE ;

3° ELLE PEUT AGIR ET PERCEVOIR À DISTANCE, SANS L’INTERMÉDIAIRE DES SENS ;

4° L’AVENIR EST PRÉPARÉ D’AVANCE, DÉTERMINÉ PAR LES CAUSES QUI L’AMÈNERONT. L’ÂME LE PERÇOIT QUELQUEFOIS.

D’autres observations sont déjà présentées, notamment en ce qui concerne les doubles de vivants, le corps éthéré ou astral et les manifestations de morts ; mais les quatre points qui précèdent me paraissent affirmés et démontrés.

Quant aux explications, il est sage de n’y point prétendre. J’ai déjà montré plusieurs fois dans ce livre quelles ne sont pas nécessaires pour admettre les faits. On est dupe, en général, sur ce point, d’illusions assez singulières. Par exemple, au temps des possédées de Loudun ou des convulsionnaires de Saint-Médard, les effets de la suggestion et de l’hypnotisme étant inconnus, on déclarait que ces phénomènes étaient ou frauduleux ou diaboliques. Or ils ne sont ni l’un ni l’autre. Aujourd’hui, plusieurs s’expliquent, et l’on entend souvent dire de tous ceux dont on parle : « c’est de l’hypnotisme, c’est de la suggestion, c’est de la subconscience ». Autre erreur. Ce peut n’être ni de l’un ni de l’autre non plus, et n’en pas moins exister pour cela. Ne fermons pas le cercle de nos conceptions, n’établissons ni écoles ni systèmes, et ne prétendons pas que tout doive actuellement s’expliquer pour être admis. La science est loin d’avoir dit son dernier mot en quoi que ce soit.

Ces études dépassent de beaucoup l’étendue d’un volume dans laquelle j’avais eu l’intention de les renfermer. Mais ce cadre restreint m’obligeait à tant de condensations, de restrictions et de suppressions que la connaissance des sujets en était considérablement diminuée, et insensiblement, naturellement, un plus grand développement s’est imposé. Être trop incomplet eût été ne rien prouver. J’ai préféré traiter entièrement et méthodiquement les sujets d’études au lieu d’en effleurer superficiellement et inutilement un trop grand nombre. Il faut, dans ces sortes de recherches, des preuves accumulées et convaincantes, des témoignages sûrs, nombreux et concordants. Il importait d’abord de prouver. J’espère que cette démonstration est faite ici pour tout esprit libre, éclairé et de bonne foi.

La suite de ces recherches conduit à examiner les phénomènes du spiritisme et de la médiumnité, ceux du somnambulisme, du magnétisme et de l’hypnotisme, la connaissance des faits lointains et de l’avenir en dehors des rêves, les pressentiments, les doubles de vivants, le corps astral, les apparitions et manifestations de morts, les maisons hantées, les mouvements d’objets sans contact, la sorcellerie, la magie, etc., etc.

Ce que nous pouvons penser, dès aujourd’hui, c’est que, tout en faisant la part des superstitions, des erreurs, des illusions, des farces, des malices, des mensonges, des fourberies, il reste des faits psychiques véritables, dignes de l’attention des chercheurs. C’est dire que nous sommes entrés dans l’investigation de tout un monde, aussi ancien que l’humanité, mais encore bien nouveau pour la méthode scientifique expérimentale, qui commence seulement à s’y attaquer depuis quelques années, et simultanément dans tous les pays.

C’est là un programme d’études que j’aimerais mener à bonne fin, si le temps indispensable pour y parvenir m’était donné. Mais, d’une part, il est prudent de ne pas se livrer exclusivement à ces sortes de sujets occultes, parce qu’on perdrait assez vite l’indépendance d’esprit nécessaire pour juger impartialement : il vaut mieux ne voir là qu’un hors-d’œuvre de la vie normale, une distraction d’ordre supérieur, curieuse et intéressante : il y a des mets et des liqueurs qu’il est plus hygiénique de ne prendre qu’à petites doses. D’autre part, la terre tourne très vite et les jours passent comme des rêves. J’espère néanmoins me donner le plaisir scientifique d’étudier une partie de ces mystères. Et puis, ce que l’un ne fait pas, d’autres le font, chacun apporte sa modeste pierre pour la construction de la pyramide future.

Rappelons aussi que ces faits sont exceptionnels. Les phénomènes psychiques de tout ordre, d’ailleurs, tout en cessant d’appartenir au domaine morbide des superstitions et des fantômes occultes et en étant appelés dans la lumière des méthodes expérimentales, ne cesseront pas pour cela de rester anormaux et exceptionnels. On ne doit donc jamais s’y abandonner en négligeant l’esprit critique sans lequel la raison humaine ne serait qu’un leurre, et l’on ne doit les considérer que comme des sujets d’études intéressants pour notre connaissance de nous-mêmes. Il faut bien avouer, en effet, que ce que nous connaissons encore le moins, c’est notre propre nature. La maxime de Socrate « Connais-toi toi-même ! » peut toujours inspirer nos plus nobles pensées.

Tout auteur a charge d’âmes. On ne doit dire que ce que l’on sait. Peut-être ne doit-on pas toujours dire tout ce que l’on sait ; mais, même dans la vie normale de chaque jour, on ne devrait jamais dire que ce que l’on sait.

Étudions donc, travaillons et espérons. L’ensemble des faits psychiques montre que nous vivons au milieu d’un monde invisible au sein duquel s’exercent des forces encore inconnues, ce qui est d’accord avec ce que nous savons sur la limite de nos sens terrestres et sur les phénomènes de la nature. C’est même précisément à cause de cet état de choses que ce travail a pour titre l’INCONNU. Répétons avec Shakespeare la pensée que nous avons inscrite en épigraphe à l’un de nos chapitres :

Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio,
Que n’en peut rêver toute notre philosophie ;


et disons aussi avec Lamartine, en revenant à la philosophie astronomique :

La vie est un degré de l’échelle des mondes
Que nous devons franchir pour arriver ailleurs.

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