Les Rêves prémonitoires et la divination de l’avenir

Quum est somnos evocatus animus a societate corporis, tum meminit præteritorum, præsentia cernit, futura prævidet.

CICÉRON.

Les rêves les plus curieux et les plus difficiles à expliquer sont peut-être encore ceux qui nous montrent un fait, une situation, un état de choses non encore arrivé, et qui se trouve réalisé effectivement à quelque distance de là, dans un avenir plus ou moins rapproché. Il ne s’agit pas seulement ici de voir sans les yeux, mais de voir d’avance ce qui n’existe pas encore.

L’énoncé seul de la question paraît absurde et contradictoire, par conséquent inacceptable. Son acceptation est grosse de conséquences, car elle impliquerait que l’avenir peut être déterminé d’avance par l’enchaînement des causes et des effets successifs, et que le libre arbitre est bien voisin d’une illusion.

Avant d’entrer dans l’analyse philosophique d’un problème qui touche aux plus grandes difficultés de la connaissance des choses, voyons d’abord s’il y a des rêves dignes de foi qui aient vraiment montré l’avenir, d’une façon ou d’une autre. C’est là une première constatation nécessaire et sans laquelle il serait superflu de s’engager en des digressions imaginaires.

Eh bien, je dois l’avouer tout de suite, les rêves qui montrent d’avance et avec précision un événement futur sont certains, doivent être acceptés comme réels. Ce ne sont pas des fables, et ici non plus la coïncidence fortuite, le hasard n’explique pas la réalisation du rêve.

Nous venons de voir, au chapitre précédent, des rêves montrant ce qui se passe au loin, dans le présent. Des faits analogues sont observés dans certains cas d’hypnotisme, de magnétisme, de somnambulisme et d’expériences spirites. C’était là une sorte de préface, de préparation naturelle à ce que nous avons maintenant à examiner.

Je citerai d’abord deux rêves dont je puis affirmer l’authenticité absolue, éprouvés par ma mère en deux circonstances bien différentes, et qu’elle vient encore de me confirmer, pour la vingtième fois peut-être.

Le premier date d’une époque à laquelle elle n’était pas encore venue à Paris. Mes parents habitaient le bourg de Montigny-le-Roi (Haute-Marne). Je commençais mes études à Langres, et ils avaient décidé de quitter la province pour la capitale, surtout dans le désir de préparer pour leurs enfants des carrières plus sûres et plus élevées. Une quinzaine de jours avant leur départ, ma mère rêva qu’elle était déjà à Paris, qu’elle traversait de grandes rues et arrivait devant un canal, au-dessus duquel était jeté un pont à escaliers. Or, quelque temps après son arrivée à Paris, elle alla rendre visite à une de ses parentes demeurant rue Fontaine-au-Roi, dans le faubourg du Temple, et fut bien surprise, en arrivant au canal, de reconnaître le pont, le quai, l’aspect du quartier, dont elle n’avait pu avoir aucune connaissance ni par des gravures, ni autrement.

Ce songe ne peut guère s’expliquer. Il faut admettre que l’esprit puisse voir à distance, et pendant la nuit, des détails que l’on trouvera, de jour, conformes à l’image laissée dans le cerveau. C’est assurément difficile. Je préférerais supposer que des personnes venues de Paris auront raconté à ma mère l’existence de ces sortes de ponts, qu’elle aura oublié ce récit et qu’il sera reparu dans le rêve. Mais ma mère m’affirma absolument que jamais personne ne lui avait parlé ni du canal parisien ni de ces ponts aériens.

Voici son second rêve :

Un certain été, l’une de mes sœurs était allée, avec son mari et ses enfants, habiter la petite ville de Nogent (Haute-Marne) ; mon père les avait accompagnés, et ma mère était restée à Paris. Tous les enfants étaient en bonne santé, et l’on n’avait aucune inquiétude sur eux. Ma mère rêve qu’elle reçoit de mon père une lettre dans laquelle elle lit cette phrase : « Je suis le messager d’une triste nouvelle, le petit Henri vient de mourir presque sans être malade, à la suite de convulsions. » Ma mère en s’éveillant se dit : « Ce n’est qu’un rêve ; tout songe, tout mensonge. » Huit jours après, une lettre de mon père portait exactement la même phrase. Ma sœur désolée venait de perdre son dernier-né, à la suite de convulsions.

Dans le premier de ces deux rêves on pourrait, à la dernière rigueur, invoquer, comme nous le disions, un récit oublié, latent dans le cerveau. C’est excessivement peu probable, puisque ma mère est sûre de n’avoir jamais entendu parler de ces ponts. Mais dans le second, quelle explication donner ?

Mon ami regretté, le docteur Macario, auteur d’un ouvrage estimé sur le Sommeil, les Rêves et le Somnambulisme, dont j’ai parlé plus haut, rapporte le fait suivant, arrivé dans sa famille :

Mme Macario, dit-il, partit le 6 juillet 1854 pour Bourbon-l’Archambault, afin de prendre les eaux pour une affection rhumatismale. Un de ses cousins, M. O..., qui habite Moulins, et qui rêve ordinairement ce qui doit lui arriver d’un peu extraordinaire, fit, la nuit qui précède le voyage de ma femme, le rêve suivant : il vit Mme Macario, accompagnée de sa petite fille, prendre le chemin de fer pour se rendre aux eaux de Bourbon. À son réveil, il pria sa femme de se préparer à recevoir deux cousines qu’elle ne connaissait pas encore.

« Elles arrivent aujourd’hui même à Moulins, ajouta-t-il, et partiront ce soir pour Bourbon ; elles ne manqueront pas, j’espère, de venir nous voir. »

En effet, ma femme et ma fille ne tardèrent pas à arriver à Moulins ; mais, comme il faisait un temps affreux (la pluie tombait à verse), elles descendirent chez un ami, près de la gare du chemin de fer, et n’allèrent point rendre visite (le temps leur manqua) à leur cousin qui habite un quartier fort éloigné de la ville. Celui-ci ne se découragea pas.

« Ce sera pour demain, » pensa-t-il.

Mais, cette fois encore, il fut trompé dans son attente.

Persuadé, cependant (nous l’avons déjà fait remarquer : M. O... a l’habitude de rêver vrai), que les avertissements de son rêve étaient justes, il alla au bureau de la diligence qui fait le service de Moulins à Bourbon, pour s’enquérir si une dame, accompagnée de sa fille, dont il donna les signalements, n’était pas partie la veille pour Bourbon. Il lui fut répondu affirmativement ; il demanda alors si cette dame était descendue à Moulins, et apprit que toutes les particularités de son rêve étaient parfaitement exactes.

Avant de terminer, qu’il me soit permis de faire observer que M. O... n’avait aucune connaissance ni de la maladie, ni du voyage de Mme Macario, qu’il n’avait pas vue depuis plusieurs années95.

Le docteur ajoute, à ce propos, le fait suivant :

Le jeudi 7 novembre 1850, au moment où les mineurs de la charbonnerie de Belfast se rendaient à leur travail, la femme de l’un d’eux lui recommanda d’examiner avec soin la corde de la benne ou cuffard, qui sert à descendre au fond du puits :

« J’ai rêvé, dit-elle, qu’on la coupait pendant la nuit. »

Le mineur n’attacha pas d’abord grande importance à cet avis ; cependant, il le communiqua à ses camarades. On déroula le câble de la descente, et, à la grande surprise de tous, on le trouva haché en plusieurs endroits. Quelques minutes plus tard, les travailleurs allaient monter dans la benne, d’où ils auraient été infailliblement précipitée ; et, s’il faut en croître le Newcastle Journal, ils n’ont dû leur salut qu’à ce rêve.

Lors de mes débuts dans le journalisme, à Paris, j’avais pour collègue, au Siècle, un écrivain charmant, d’un fort aimable caractère, qui se nommait Émile de la Bédollière. Son mariage a été dû à un rêve prémonitoire.

Dans une petite ville du centre de la France, à La Charité-sur-Loire, département de la Nièvre, il y avait une jeune fille ravissante de grâce et de beauté. Elle était, comme la Fornarina de Raphaël, fille d’un boulanger. Plusieurs prétendants aspiraient à sa main, et l’un d’eux avait une grande fortune. Les parents le préféraient. Mais Mlle Angèle Robin ne l’aimait pas et le refusait.

Un jour, poussée à bout par les instances de sa famille, elle alla à l’église et pria la sainte Vierge de lui venir en aide. La nuit suivante, elle vit en rêve un jeune homme en costume de voyageur, portant un grand chapeau de paille et des lunettes. À son réveil, elle déclara à ses parents qu’elle refusait absolument le prétendant et qu’elle attendrait, ce qui leur mit en tête mille conjectures.

L’été suivant, le jeune Émile de la Bédollière est entraîné par un de ses amis, Eugène Lafaure, étudiant en droit, à faire un voyage dans le centre de la France. Ils passent à La Charité et vont à un bal de souscription. A leur arrivée, le cœur de la jeune fille bat tumultueusement dans sa poitrine, ses joues se colorent d’un rouge incarnat, le voyageur la remarque, l’admire, l’aime, et, quelques mois après, ils étaient mariés. C’était la première fois de sa vie qu’il passait dans cette ville.

Cette curieuse histoire de mariage n’est pas unique dans son genre. Je pourrais en citer plusieurs autres analogues, et je crois même n’être pas indiscret en ajoutant que l’un de nos astronomes contemporains les plus célèbres, M. Janssen, a été vu d’avance en rêve par Mme Janssen assez longtemps avant leur présentation mutuelle.

Alfred Maury cite un cas analogue, mais en l’expliquant par sa théorie des images de la mémoire, qui ne s’applique certainement pas au mariage de la Bédollière, et qui sans doute ne s’applique pas davantage à celui-ci. « M. P...96, écrit-il, ancien bibliothécaire au Corps législatif, m’a assuré avoir vu en songe la femme qu’il épousa par la suite, et cependant elle lui était inconnue, ou du moins, il croit qu’il ne l’avait jamais vue réellement : il y a là selon toute vraisemblance, un fait de souvenir non conscient. »

Le tort des théoriciens est de vouloir tout expliquer, tout enfermer dans leurs cadres. Selon toute vraisemblance, à la lumière de nos nouvelles investigations psychiques, Alfred Maury se trompe ici.

M. A. Goupil, ingénieur civil à Cognac, nous a communiqué le fait suivant :

À Tunis, entre la Poste et le Café de France, est un coiffeur français dont j’ai oublié le nom. Un matin de l’été de 1891, je faisais une partie de billard avec lui ; cette partie terminée, je lui en proposai une seconde. « Non, me dit-il, j’attends le médecin et je désire savoir ce qu’il a dit. — Est-ce que vous avez quelqu’un de malade ? — Non, mais j’ai mon petit neveu âgé de... (11 ans je crois), qui a eu hier soir une hallucination, il s’est levé tout à coup en criant : « Voilà une femme qui veut prendre ma petite cousine (ma fillette de quelques mois), je ne veux pas qu’elle l’emporte. » Cela dura un bon moment et nous ne pûmes lui faire croire qu’il avait rêvé : — Est-ce qu’il a déjà eu des hallucinations ? — Non. — Il se porte bien ? — Oui, mais je crains que cela soit l’indice d’une fièvre. — Votre petite fille se porte bien ? — Oui, très bien. » Je posais cette dernière question parce qu’il venait de me passer par la tête que cette vision voulait dire que la petite allait mourir avant peu. Je ne dis rien de ma pensée à mon interlocuteur qui me quitta. Le lendemain, je lui demandai des nouvelles. Tout son petit monde allait bien. Le surlendemain, même question, et même réponse ; le troisième jour, même question et encore même réponse. Il avait l’air de s’étonner de l’intérêt que je semblais porter à ces enfants que je ne connaissais pas. Trois jours se passèrent sans que je le visse de nouveau. L’ayant rencontré le jour suivant dans la rue, je lui demandai si les enfants allaient toujours bien. « Vous savez, me dit-il, que nous avons perdu ma petite fille : elle a été emportée en rien de temps. (Je crois qu’il m’a dit que c’était du croup.) — Non, dis-je, je ne le savais pas, mais j’attendais cela. — Comment ? — Oui, c’est la femme qui l’a emportée. — Quelle femme ? — Eh bien, celle qu’a vue votre neveu, elle représentait la mort, la maladie, ou tout ce que vous voudrez ; ça devait être une hallucination prophétique. »

Je laissai là mon homme très étonné : il pourrait affirmer ce récit au moins dans ses lignes principales, car il a été surpris de mes réflexions et il doit s’en souvenir.

Invoquera-t-on encore ici le hasard ? Non. Il y a là quelque chose d’inconnu pour nous, mais de réel.

Un ancien magistrat, actuellement député, M. Bérard, a publié l’émouvant récit que voici dans la Revue des Revues du 15 septembre 1895 :

À cette époque, il y a de cela quelque dix ans, j’étais magistrat, je venais de terminer la longue et laborieuse instruction d’un crime épouvantable, qui avait porté la terreur dans toute la contrée ; jour et nuit, depuis plusieurs semaines, je n’avais vu, en veille et en rêve, que cadavres, sang et assassinats.

J’étais venu, l’esprit encore sous la pression de ces souvenirs sanglants, me reposer en une petite ville d’eaux, qui dort tranquille, triste, morose, sans bruyant casino, sans mail-coachs tapageurs, au fond de nos montagnes vertement boisées.

Chaque jour, je m’égarais à travers les forêts de chênes, mêlés aux hêtres et aux fayards, ou bien par les grands bois de sapins. Dans ces courses vagabondes, il arrivait parfois que je m’égarais complètement, ayant perdu de vue les cimes élevées qui me permettaient habituellement de retrouver la direction de mon hôtel.

À la nuit tombante, je débouchais de la forêt sur une route solitaire, qui franchissait ce col étroit entre deux hautes montagnes ; la pente était rapide, et dans la gorge à côté de la route il n’y avait place que pour un petit ruisseau retombant des rochers vers la plaine en une multitude de cascades. Des deux côtés, la forêt sombre, silencieuse à l’infini.

Sur la route, un poteau indiquait que la ville était à 10 kilomètres : c’était ma route ; mais, harassé par six heures de marche, tenaillé par une faim violente, j’aspirais au gîte et au dîner immédiats.

À quelques pas de là, une pauvre auberge, isolée, véritable halte de rouliers, montrait son enseigne vermoulue : Au rendez-vous des amis. J’entrai.

L’unique salle était fumeuse et obscure : l’hôtelier taillé en hercule, le visage mauvais, le teint jaune ; sa femme petite, noire, presque en haillons, le regard louche et sournois, me reçurent à mon arrivée.

Je demandai à manger et, si possible, à coucher. Après un maigre souper, très maigre, pris sous l’œil soupçonneux et étrangement inquisiteur de l’hôtelier, à l’ombre d’un misérable quinquet, éclairant fort mal, mais répandant en revanche une fumée et une odeur nauséabondes, je suivis l’hôtesse, qui me conduisit à travers un long couloir et un dur escalier, dans une chambre délabrée située au-dessus de l’écurie. L’hôtelier, sa femme et moi, nous étions certainement seuls dans cette masure perdue dans la forêt, loin de tout village.

J’ai une prudence poussée jusqu’à la crainte, cela tient de mon métier qui, sans cesse, me fait penser aux crimes passés et aux assassinats possibles. Je visitai soigneusement ma chambre, après avoir fermé la porte à clef ; un lit, — ou plutôt un grabat — deux chaises boiteuses, au fond, presque dissimulée sous la tapisserie, une porte munie d’une serrure sans clef. J’ouvris cette porte : elle donnait sur une sorte d’échelle qui plongeait dans le vide. Je poussai devant pour la retenir si on tentait de l’ouvrir en dehors, une sorte de table en bois blanc portant une cuvette ébréchée, qui servait de toilette ; je plaçai à côté une des deux chaises. De cette façon, on ne pouvait ouvrir la porte sans faire de bruit. Et je me couchai.

Après une telle journée, comme bien on pense, je m’endormis profondément. Tout à coup, je me réveillai en sursaut : il me semblait que l’on ouvrait la porte et que en l’ouvrant, on poussait la table ; je crus même apercevoir la lueur d’une lampe, d’une lanterne ou d’une bougie, par le trou resté vide de la serrure. Comme affolé, je me dressai dans le vague du réveil et je criai : « Qui est là ? » Rien : le silence, l’obscurité complète. J’avais dû rêvé, être le jouet d’une étrange illusion.

Je restai de longues heures sans dormir, comme sous le coup d’une vague terreur. Puis la fatigue eut raison de la peur, et je m’endormis d’un lourd et pénible sommeil entrecoupé de cauchemars.

Je crus voir, je vis, dans mon sommeil, cette chambre où j’étais, dans le lit, moi ou un autre je ne sais ; la porte dérobée s’ouvrait, l’hôtelier entrait, un long couteau à la main ; derrière, sur le seuil de la porte, sa femme debout, sale, en guenilles, voilant de ses doigts noirs la lumière d’une lanterne ; l’hôtelier à pas de loup s’approchait du lit et plongeait son couteau dans le cœur du dormeur. Puis le mari portant le cadavre par les pieds, la femme le portant par la tête, tous deux descendaient l’étroite échelle ; voici un curieux détail : le mari portait entre ses dents le mince anneau qui tenait la lanterne, et les deux assassins descendaient l’escalier borgne à la lueur terne de la lanterne. Je me réveillai en sursaut, le front inondé d’une sueur froide, terrifié. Par les volets disjoints, les rayons du soleil d’août inondaient la chambre : c’était sans doute la lueur de la lanterne, je vis l’hôtesse seule, silencieuse, sournoise, et je m’échappai joyeux, comme d’un enfer, de cette auberge borgne pour respirer sur le grand chemin poudreux l’air pur des sapins, sous le soleil resplendissant, dans les cris des oiseaux en fête.

Je ne pensais plus à mon rêve. Trois ans après, je lus dans un journal une note à peu près conçue en ces termes : « Les baigneurs et la population de X... sont très émus de la disparition subite et incompréhensible de M. Victor Arnaud, avocat, qui depuis huit jours, après être parti pour une course de quelques heures dans la montagne, n’est point revenu à son hôtel. On se perd en conjectures sur cette incroyable disparition. »

Pourquoi un étrange enchaînement d’idées ramena-t-il mon esprit vers mon rêve à mon hôtel ? Je ne sais, mais cette association d’idées se souda plus fortement encore quand, trois jours après, le même journal m’apporta les lignes que voici : « On a retrouvé en partie les traces de M. Victor Arnaud. Le 24 août au soir, il a été vu par un roulier dans une auberge isolée : Au rendez-vous des amis. Il se disposait à y passer la nuit ; l’hôtelier dont la réputation est des plus suspectes et qui jusqu’à ce jour avait gardé le silence sur son voyageur a été interrogé. Il prétend que celui-ci l’a quitté le soir même et n’a point couché chez lui. Malgré cette affirmation, d’étranges versions commencent à circuler dans le pays. On parle d’un autre voyageur d’origine anglaise disparu il y a six ans. D’autre part, une petite bergère prétend avoir vu la femme de l’hôtelier, le 26 août, lancer dans une mare cachée sous bois des draps ensanglantés. Il y a là un mystère qu’il serait utile d’éclaircir. »

Je n’y tins plus, et tenaillé par une force invincible qui me disait malgré moi que mon rêve était devenu une réalité terrible, je me rendis dans la ville.

Les magistrats saisis de l’affaire par l’opinion publique recherchaient sans donnée précise. Je tombai dans le cabinet de mon collègue le juge d’instruction, le jour même où il entendait la déposition de mon ancienne hôtelière. Je lui demandai la permission de rester dans son cabinet pendant cette déposition.

En entrant, la femme ne me reconnut pas, ne prêta même aucune attention à ma présence.

Elle raconta que, en effet, un voyageur, dont le signalement ressemblait à celui de M. Victor Arnaud était venu, le 24 août au soir, dans son auberge, mais qu’il n’y avait point passé la nuit. Du reste, avait-elle ajouté, il n’y a que deux chambres à l’auberge et, cette nuit-là, toutes deux ont été occupées par deux rouliers, entendus dans l’instruction et reconnaissant le fait.

Intervenant subitement : « Et la troisième chambre, celle sur l’écurie ? » m’écriai-je.

L’hôtelière eut un brusque tressaillement, et parut subitement, comme en un soudain réveil, me reconnaître. Et moi, comme inspiré, avec une audacieuse effronterie, je continuai : « Victor Arnaud a couché dans cette troisième chambre. Pendant la nuit vous êtes venue avec votre mari, vous tenant une lanterne, lui un long couteau ; vous êtes montés par l’échelle de l’écurie, vous avez ouvert une porte dérobée qui donne dans cette chambre ; vous, vous êtes restée sur le seuil de la porte pendant que votre mari est allé égorger son voyageur afin de lui voler sa montre et son portefeuille. »

C’était mon rêve de trois années que je racontais ; mon collègue m’écoutait ébahi ; quant à la femme, épouvantée, les yeux démesurément ouverts, les dents claquant de terreur, elle était comme pétrifiée.

« Puis, tous deux, ajoutai-je, vous avez pris le cadavre, votre mari le tenant par les pieds ; vous l’avez descendu par l’échelle. Pour vous éclairer, votre mari portait l’anneau de la lanterne entre ses dents. »

Et alors, cette femme terrifiée, pâle, les jambes se dérobant sous elle : « Vous avez donc tout vu ? »

Puis, farouche, refusant de signer sa déposition, elle se renferma dans un mutisme, absolu.

Quand mon collègue refit au mari mon récit, celui-ci se croyant livré par sa femme, avec un affreux juron : « Ah ! la c..., elle me le payera ! »

Mon rêve était donc bien vrai et était devenu une sombre et terrifiante réalité.

Dans l’écurie de l’hôtel, sous un épais tas de fumier, on retrouva le cadavre de l’infortuné Victor Arnaud et à côté de lui, des ossements humains, peut-être ceux de l’Anglais disparu, six ans auparavant dans des conditions identiques et tout aussi mystérieuses.

Ce récit est assez éloquent par lui-même pour dispenser de tout commentaire. C’est un rêve prémonitoire de toute beauté. Nous ne supposons pas que l’auteur, ancien magistrat, l’ait inventé pour le plaisir d’écrire un conte dramatique admirablement rédigé. Cependant la chose n’est pas impossible. Peut-être M. Bérard pourrait-il en donner lui-même le témoignage irrécusable par une confrontation avec le dossier de l’affaire Victor Arnaud97.

Mme A. Vaillant m’a adressé de Foncquevillers (Pas-de-Calais) le curieux récit d’un rêve prémonitoire et de trois cas de télépathie très remarquables qui, par une inadvertance due certainement à la quantité considérable des lettres reçues, n’ont pas été inscrits plus haut. Sans revenir sur ce sujet, je dirai que le premier concerne la vue précise d’une mort, en 1794, des bords du Rhin à Arras ; le second l’apparition et l’audition à Bapaume, par deux témoins séparés, d’un mari et d’un père morts ce même jour en Autriche (1796) ; le troisième une jeune fille habitant un château d’Écosse, descendant en courant, un escalier, et voyant au pied de cet escalier, baignant dans son sang, un oncle assassiné en cet instant même à Londres (1796). Voici le rêve prémonitoire.

Il y a quelques années, dans une ville du Nord, un nouveau vicaire fut nommé dans une certaine paroisse. Une personne connue de Mme Vaillant rêva, quelques jours auparavant, que ce vicaire était un M. G..., qu’il prêchait le dimanche suivant sur tel sujet, que sa sœur était assise devant lui, et toutes les particularités de son rêve se trouvèrent réalisées. [Lettre 103.]

Voici un autre rêve prémonitoire, rapporté par un honorable ecclésiastique :

J’étais en pension à Niort, j’avais quinze ou seize ans, et, une nuit, j’eus un singulier songe. Il me sembla être à Saint-Maixent (ville que je ne connaissais que de nom), avec mon maître de pension, sur une petite place, auprès d’un puits en face duquel était une pharmacie, et voir venir à nous une dame de la localité, que je reconnus pour l’avoir vue une seule fois à Niort, dans la maison où j’étais. Cette dame, en nous abordant, nous parla d’affaires que je trouvai si extraordinaires que, dès le matin, j’en fis part au patron. (On appelait ainsi le chef de l’institution.) Celui-ci, très étonné, me fit répéter cette conversation. Quelques jours après, ayant eu à faire à Saint-Maixent, il m’emmena avec lui. À peine arrivés, nous nous trouvâmes sur la place que j’avais vue en songe, aux deux points marqués ci-dessus, et nous vîmes venir à nous, au point posé plus bas, la dame en question, qui eut avec mon patron la conversation telle que je l’avais racontée, absolument mot à mot.

GROUSSARD,
Curé de Sainte-Radegonde (Charente-Inférieure).

On ne voit pas non plus comment le hasard pourrait expliquer cette prémonition si précise.

Mon enquête m’a fourni un grand nombre de rêves prémonitoires. Je les ai classés spécialement, et je demanderai encore à mes lecteurs la permission d’en citer ici les principaux et de les ajouter aux onze exemples précédents, afin de mettre entre leurs mains toutes les pièces de conviction.

XII. — Je me présente moi-même, Pierre Jules Berthelay, né à Yssoire, Puy-de-Dôme, le 23 octobre 1825, ancien élève du lycée de Clermont, prêtre du diocèse de Clermont en 1850, ancien vicaire pendant huit ans à Saint-Eutrope (Clermont), trois fois inscrit au ministère de la Guerre comme aumônier militaire.

1° Après treize ans de pénible ministère, j’étais très fatigué, d’autant plus que j’avais dû servir de contremaître surveillant au nom de la fabrique, pour la construction de la gracieuse église de Saint-Eutrope à Clermont ; pendant quatre ans, j’ai suivi les ouvriers depuis 10 m. 50 dans l’eau des fondations, jusqu’à la croix de la flèche. C’est moi qui ai posé les trois dernières ardoises. Notre professeur, M. Vincent, pour me faire changer de travaux, me fit venir à Lyon, où je n’étais jamais allé. Un des premiers jours, mon élève me dit, en sortant de déjeuner : « Monsieur l’abbé, voulez-vous m’accompagner à notre domaine de Saint-Just-Doizieux ? » J’accepte ; nous voilà en voiture. Après avoir passé Saint-Paul-en-Jarret, je pousse une exclamation : « Mais je connais le pays ! » dis-je, et, de fait, j’aurais pu m’y diriger sans guide. Au moins un an auparavant, j’avais vu pendant mon sommeil toutes ces petites terrasses en pierres jaunes.

2° Je suis rentré dans mon diocèse, mais on m’a envoyé remplir dans les montagnes de l’Ouest une mission très pénible, au-dessus de mes forces. Je suis resté sept mois très malade à Clermont. Enfin je puis me tenir sur mes jambes, on m’envoie remplacer l’aumônier de l’hôpital d’Ambert frappé par une congestion cérébrale. Le chemin de fer d’Ambert n’était pas encore construit, j’étais dans le coupé de la voiture faisant le service de Clermont à Ambert. Après avoir dépassé Billom, je jette les yeux à droite et je reconnais le petit castel avec son avenue d’ormeaux, comme si j’y avais vécu. Je l’avais vu pendant mon sommeil au moins dix-huit mois auparavant.

3° Nous sommes à l’année terrible. Ma mère qui avait vu les alliés parader dans les Champs-Élysées à Paris est veuve, elle me réclame comme son seul soutien ; on me donne une petite paroisse proche d’Yssoire. La première fois que je suis allé voir un malade, je me suis trouvé dans des ruelles étroites, entre de hautes murailles noires, mais j’ai parfaitement trouvé le débouché. J’avais pendant mon sommeil, plusieurs mois auparavant, parcouru ce dédale de ruelles sombres.

4° Des événements indépendants de ma volonté m’ont amené à Riom, où je me prépare au grand voyage. Quelle n’est pas ma surprise de retrouver comme une vieille connaissance la chapelle que mon camarade l’abbé Faure avait bâtie pour les soldats, que je n’avais jamais vue de mes yeux, et dont j’ignorais même l’existence ! J’aurais pu faire le croquis98 que je vous adresse comme si j’avais servi de contremaître.

BERTHELAY,
à Riom (Puy-de-Dôme). [Lettre 19.]

XVI. — Dans les premiers jours de septembre 1870, aux bains de mer à Weymouth (Angleterre.), vers 2 heures du matin, jeudi à vendredi, je me suis réveillée au même moment qu’une voix mystérieuse a prononcé ces paroles très distinctement : « Jump out of bed, pray for these at sea. » « Sautez hors de votre lit, priez pour ceux qui sont sur la mer. » À peu près au même temps le Captain grand vaisseau anglais, s’est perdu dans la baie de Biscaye. Trois cents noyés. Le reste de l’escadre est arrivé près de nous dans les Portland Roads. Le public étant admis à l’inspection de ces vaisseaux, compagnons du malheureux, j’en ai profité, ainsi qu’un frère. Sept ans plus tard, 9 septembre 1877, ce frère a péri lui-même dans le naufrage de l’Avalanche, dans ces mêmes Portland Roads.

MARY C. DEUTSCHEMDAFF,
épouse du pasteur protestant de Charleville (Ardennes). [Lettre 29]

XVII. — Le fait suivant m’a été rapporté par un de mes vieux confrères, âgé aujourd’hui de quatre-vingt-onze ans, esprit très positif et nullement enclin au mysticisme.

Un soir, vers 1835, il travaillait dans sa chambre, à Strasbourg. Soudain il eut la vision très nette de Morey, son village natal. La rue où était la maison paternelle présentait une animation insolite à cette heure, et il reconnut plusieurs personnes parmi lesquelles une de ses parentes portant une lanterne.

« Quelques jours après, me disait-il, je reçus la nouvelle de la mort de ma mère, survenue ce même soir, et en présence des mêmes personnes que j’avais vues. De plus, c’était bien la mère de ma mère qui tenait la lanterne. »

De pareils faits sont sans doute inexplicables actuellement, mais ce n’est pas une raison pour les nier dédaigneusement. Attendons et cherchons : l’avenir nous réserve bien des surprises et dévoilera bien des mystères.

Qu’est-ce que la pensée ? Nous l’ignorons absolument, mais nous pouvons supposer qu’elle correspond à un nombre de vibrations déterminé : mettons si l’on veut un million de quintillions par seconde. Le cerveau, appareil qui émet ces vibrations, est à la fois transmetteur et récepteur. Il est possible que sous l’influence d’une excitation intense, ces vibrations soient capables d’impressionner à d’énormes distances d’autres cellules nerveuses. Et si les phénomènes de télépathie sont surtout produits par des mourants, on sait que, souvent à l’approche du dernier moment, le cerveau possède une suractivité extraordinaire. D’autre part, ceux qui sont impressionnés sont aussi généralement des êtres sensibles, nerveux, impressionnables en un mot. Enfin, l’affection, la haine, l’inquiétude peuvent contribuer à mettre en état d’isochronisme cérébral deux personnes possédées de ces sentiments.

Sans tomber dans le domaine du surnaturel ou de l’impossible, un jour viendra peut-être, mais si lointain encore, où l’homme regardera le téléphone et le télégraphe comme des moyens primitifs et barbares pour correspondre à distance ; à volonté il enverra sa pensée à travers l’espace. Ce sera alors vraiment le bouleversement du vieux monde.

DOCTEUR DÈVE,
à Fouvent-le-Haut (Haute-Saône). [Lettre 26.]

XVIII. — L’année dernière, au mois de septembre, j’eus, pendant une nuit, la vision très distincte d’un enterrement d’enfant sortant d’une maison dont je connais les habitants, seulement j’ignorais dans mon rêve celui des enfants qui était mort.

Ce rêve me revint à la mémoire toute la journée et j’essayai en vain de le chasser de mon esprit. Le soir, un des enfants de cette maison, âgé de quatre ans, tomba accidentellement dans une douve et s’y noya.

ÉMILE BOISMARD,
à Seiches (Maine-et-Loire). [Lettre 53.]

XIX. — Mon frère aîné, Émile Zipelius, artiste peintre, mourut le 16 septembre 1865, à l’âge de vingt-cinq ans, en se baignant dans la Moselle. Il habitait Paris, mais se trouvait à ce moment-là en visite chez ses parents à Pompey, près Nancy. Ma mère avait rêvé deux fois, à des intervalles assez éloignés, que son fils se noyait.

Lorsque la personne chargée d’annoncer la terrible nouvelle à mes parents se présenta chez eux, ma mère, devinant qu’il était arrivé un malheur, s’informa d’abord d’une de ses filles absentes dont elle n’avait pas eu de nouvelles depuis quelques jours. Lorsqu’on lui répondit qu’il ne s’agissait pas d’elle, elle dit : « Ne continuez pas, je sais ce que c’est ; mon fils s’est noyé. » Nous avions eu une lettre de lui dans la journée, de sorte que rien ne faisait prévoir cette catastrophe.

Mon frère lui-même avait dit à sa concierge peu de temps auparavant : « Si je ne rentre pas un soir, allez à la Morgue le lendemain, j’ai le pressentiment que je mourrai dans l’eau. J’ai rêvé que j’étais au fond de l’eau, mort et les yeux ouverts. »

C’est en effet ainsi qu’on l’a trouvé, il était mort sur l’eau, de la rupture d’un anévrisme. Ma mère et mon frère étaient si persuadés que cela arriverait, que le jour de sa mort, il avait refusé de se baigner dans la Moselle. Mais, vers le soir, il se laissa séduire par la fraîcheur de l’eau, et fut enlevé ainsi à notre affection.

J. VOGELSANG-ZIPELIUS,
à Mulhouse. [Lettre 127.]

XX. — Il y a plusieurs années, pendant six mois, je rêvais au moins une fois par semaine que j’étais obligée de laisser mes enfants seuls pour aller travailler dans un bureau, je courais de crainte d’être en retard ; et la fatigue, l’inquiétude me réveillant, je constatais avec plaisir que rien ne justifiait ce bête de rêve, et qu’avec mon mari j’avais une position modeste mais suffisante.

Hélas, dans l’année, ce rêve se réalisait.

CLAIRE.
[Lettre 151.]

XXI. — Le 25 novembre 1860, étant à chasser en mer, vers 4 heures du soir, dans une barque, nous revenions et n’étions plus qu’à 20 mètres du rivage, lorsqu’un de mes amis m’avoua qu’il avait rêvé la nuit précédente qu’il mourait noyé ce jour.

Je le rassurai en lui disant que dans dix minutes nous serions à terre.

Quelques instants après, notre barque chavira et, deux de mes amis, dont celui en question, se noyèrent, malgré les soins que nous leur avons prodigués. Le frère de mon ami dont il est question ci-dessus est encore avocat au Havre, où cette catastrophe s’est passée. (On peut consulter à ce sujet les journaux du Havre du 26 novembre 1860).

E. B.
78, rue de Phalsbourg, au Havre. [Lettre 194.]

XXII. A. — Au mois d’août dernier, à un moment où j’étais occupé d’une étude de craie, en rêve je crus trouver un galet dans la craie des Brocles, près de Bernot. J’avais disposé de ma journée du lendemain pour voir cette craie ; pendant mon exploration, je fus très surpris de trouver un galet et très exactement dans les conditions de mon rêve ; les galets de la craie sont rares99.

B. — Il y a quelques années, en rêve également, je vis une trouvaille d’objets gallo-romains à un endroit précis du village de Sissy. Cet endroit vint à être choisi pour l’emplacement d’un nouveau cimetière. Dans une des premières fosses creusées, les fossoyeurs trouvèrent un pot qui me fut envoyé : c’était un pot gallo-romain, et le nouveau cimetière se trouvait être sur d’anciennes tombes gallo-romaines.

ALPHONSE RABELLE,
pharmacien, à Ribemont (Aisne). [Lettre 222.]

XXIV. — J’ai été à deux fois différentes, en rêve, prévenue de la mort de personnes que je connaissais seulement de vue, et dont le décès, arrivé la veille ou la nuit du rêve, m’a été annoncé le lendemain dans des circonstances, et avec des paroles à peu près identiques à celles du rêve. Dans l’un et l’autre cas, j’ignorais absolument la maladie de ces personnes qui m’étaient d’ailleurs indifférentes.

M. LORILLIARD,
à Przemysl (Pologne). [Lettre 248.]

XXV. — J’avais dix-huit ans, quand mon pauvre père mourut, à la suite d’une attaque. Quinze jours avant sa mort, je l’avais vu, en rêve, dans sa chambre, étendu sur son lit tout habillé et mort, avec, autour de lui, cinq personnes, toutes des intimes de la famille, qui le veillaient. Ce sont ces mêmes cinq personnes qui veillèrent le corps toute la nuit qui suivit le décès. Cette constatation bien étrange m’a laissé pendant longtemps sous le coup d’une émotion profonde.

P. B.,
à Marseille. [Lettre 251.]

XXVI. — Trois jours (juste le temps nécessaire à une lettre de venir de Pétersbourg ici) avant d’apprendre la mort de la sœur du peintre Vereschaguine, je vis en rêve son mari auquel je demandai, étonnée de le voir seul : « Où est Marie Vasilievna ? » Il me répondit distinctement : « She rest », ce qui veut dire : « elle repose. »

J. MOTTU,
à Seale-How-Ambleside. Westmorland. [Lettre 253.]

XXVII. — Alors que ma femme, encore jeune fille, soignait sa mère, elle prenait fort peu de repos la nuit comme le jour. Une nuit, la dernière, pendant un court sommeil bien peu réparateur, elle vit sa mère en rêve. Cette dernière lui dit :

« Tu me perdras à onze heures. »

Et la prédiction s’accomplit exactement ; le douloureux événement arriva à l’heure dite.

Ma femme ne parla de ce rêve qu’après les premiers jours de deuil, il n’y a donc d’autre preuve que sa parole, à laquelle je crois aveuglement.

Si vous croyez utile de publier ce fait à vos lecteurs, je préfère, étant donne ma qualité, que mon nom reste inconnu.

X.,
lieutenant de vaisseau, à Rochefort. [Lettre 261.]

XXVIII. — A. En 1858 (je ne suis pas jeune), j’étais à Terrasson (Dordogne), employé à la construction du chemin de fer de Périgueux à Brive. Un autre employé sur le terrain, originaire des Hautes-Alpes, me dit, un matin, très préoccupé, que dans la nuit précédente, il avait vu un fantôme en lequel il avait cru reconnaître son père. Deux jours après, il recevait un pli bordé de noir ; une lettre lui annonçait le décès de son père, survenu dans la nuit même de l’apparition.

B. En 1885, j’étais à Périgueux avec ma famille. Ma femme a vu en rêve, dans la nuit du 15 au 16 janvier, un lit fermé par des rideaux, et, auprès, une table sur laquelle étaient posés un cierge allumé et un crucifix ; elle me fit part de ce rêve qui l’alarmait. Or, nous reçûmes une lettre de Rodez, où se trouvait mon beau-père, nous annonçant qu’il était atteint d’une fluxion de poitrine à la suite de laquelle il a succombé peu après.

LUMIQUE,
7, rue Traversière-des-Potiers, à Toulouse. [Lettre 268.]

XXX. — Étant éveillée, j’ai bien souvent senti près de moi la présence d’un être disparu et vivement regretté. De plus, deux jours avant la mort de cette même personne, j’ai rêvé qu’il arrivait une lettre imprimée me faisant part de son décès, et c’est de cette manière que la triste nouvelle m’est parvenue.

VVE POULLAIN-BOUHOU,
à Seignelay. [Lettre 270.]

XXXI. — J’ai fait la triste expérience que toutes les fois que je vois en rêve une dame de mes amies, morte il y a cinq ans, je perds un membre de ma famille.

Mais ce qui m’a le plus frappé, il y a environ un mois et demi, c’est que cette même personne est venue dans un rêve se promener avec moi du côté de Lagoubran. Arrivés sur le boulevard de Strasbourg, en entrant à Toulon, elle m’a quitté et elle est retournée vers Lagoubran avec des ouvriers que je ne connaissais pas. Ils avaient tous l’air malheureux.

Pendant plusieurs jours, je me demandais avec effroi qui j’allais perdre encore, quand arriva la catastrophe de Lagoubran que tout le monde connaît.

Elle était donc venue m’annoncer le malheur qui devait frapper la ville entière.

Une de mes amies a, dans la nuit du 3 au 4 mars, rêvé les scènes qui se sont produites dans la nuit du 4 au 5, et le dimanche, quand elle a vu défiler devant sa porte les prolonges d’artillerie portant les morts et les blessés accompagnés de soldats et de prêtres, il lui semblait voir une seconde édition de son rêve.

M. J. D.,
à Toulon. [Lettre 345.]

XXXII. — Souvent il m’est arrivé de me trouver dans une situation quelconque, aussi banale que possible, dont j’avais eu l’exacte sensation un temps indéterminé auparavant.

J.-H. CHARPENTIER,
à Francfort-sur-Mein. [Lettre 351.]

XXXIII. — C’était en 1889, un jour du mois d’avril, une jeune fille nommée Jeanne Dubo, attachée au service de ma maison en qualité de domestique, s’affaissait soudainement, en ma présence, sans que j’aie pu lui porter le moindre secours. Il s’agissait là d’un cas de mort subite, causée par la rupture d’un anévrisme.

Les parents de cette fille, de pauvres métayers, qui habitaient et qui habitent encore le département des Landes, ayant appris l’affreuse nouvelle, arrivaient en pleurs à la maison, le lendemain de ce triste événement.

Cette première entrevue fut aussi pénible pour moi que pour eux, car je me sentais profondément affecté de la mort de cette fille à laquelle je m’étais attaché autant pour la franchise et la douceur de son caractère, que pour le zèle qu’elle apportait aux soins de mon ménage.

La nuit venue, alors que je veillais la morte en compagnie de son père et de sa mère, m’adressant au vieux Dubo, je lui posai, en patois, la question suivante : « Dites-moi, Dubo, n’avez-vous pas eu quelque pressentiment, à propos de la mort de Jeanne ? — Comment cela ? me répondit-il, je ne comprends pas ? — Oui, continuais-je, un signe quelconque... que sais-je... un je ne sais quoi qui a pu vous avertir qu’un malheur vous menaçait ? — Non, me répondit-il, en secouant la tête, rien !... — Un rêve ?... par exemple, insistai-je. — Un rêve !... Ah ! attendez, dit-il, comme une personne qui cherche à se rappeler. Oui, un rêve ! » murmura-t-il, puis tournant la tête du côté de sa femme, laquelle était couchée tout habillée sur un matelas : « Entends-tu Marceline ? Ton rêve, tiens ! » ... Des sanglots étouffés répondirent à cette interrogation. Alors, il me raconta qu’une nuit, il y avait de cela une dizaine de jours, sa femme avait rêvé que leur fille était morte ; que pendant ce rêve, elle avait gémi et pleuré à chaudes larmes et que malgré les efforts qu’il avait faits pour la consoler, elle avait conservé jusqu’au jour l’idée que sa fille était morte. Une forte migraine s’ensuivit, qui dura plusieurs jours.

Ce rêve, que j’avais en quelque sorte deviné, et que la femme Dubo avait pris pour une réalité, devait le devenir en effet, dix ou douze jours plus tard.

JUSTIN MANO,
receveur buraliste, à Belin (Gironde). [Lettre 371.]

XXXIV. — En 1865, j’étais en Angleterre, institutrice dans un pensionnat ; j’avais dix-huit ans. Le climat ne convenait pas à mon tempérament, j’étais dans un état maladif et mes pensées retournaient toujours en France.

J’étais allée en Angleterre pour y rester deux ans, le temps nécessaire pour apprendre l’anglais ; j’y étais depuis le mois de janvier, lorsque tout à fait à la fin de juillet, je rêvai qu’il me fallait étudier rapidement, que je ne devais pas rester longtemps encore dans ce pays, mais sans connaître le motif qui m’obligerait à partir. Ce rêve me préoccupa et je le chassai de ma pensée, me disant que tout songe est mensonge.

Le 13 août suivant, ma mère mourut, et je dus, en effet, revenir en France.

LÉONIE SERRES, née FABRE,
à Deaux, canton de Vézénabres (Gard). [Lettre 406.]

XXXV. — Dans un rêve, j’ai vu et visité en détail un pays qui m’était inconnu. J’ai, depuis, contrôlé cette... vision qui était exacte et précise. Si vous le désirez, je détaillerai.

ABDON GRAU,
à Aïn-Beïda (Constantine). [Lettre 486.]

XXXVI. — Il y a juste deux ans que j’occupais une place en Amérique, nous étions en villégiature dans le Maryland, lorsqu’une nuit je vis en rêve une grande porte monumentale qui fermait l’entrée d’une vaste forêt, et à deux pas de cette porte la maisonnette d’un garde-chasse. Je racontai mon rêve le lendemain matin à Mlle S..., chez laquelle j’étais institutrice, en lui disant que sans doute je retournerais bientôt en Europe.

Mais quelle ne fut pas ma surprise, lorsque l’année passée, étant de retour véritablement, et ayant été nommée à Cracovie, nous partîmes pour la campagne au mois de juin. Quelques jours après notre arrivée, mon élève, jeune fille de quatorze ans, me dit : « Venez, Mad, il faut que je vous montre la belle forêt de T..., appartenant au comte P.... » Nous y allons et, à l’entrée de la forêt, je reconnais cette porte qui m’avait tant frappée lors du rêve, juste un an auparavant. « Marie, dis-je à mon élève, j’ai vu cette porte il y a un an, bien loin d’ici, et c’était en rêve. » Elle s’en amusa beaucoup.

Prière de ne pas imprimer mon nom.

L. R.
Moravie (Autriche). [Lettre 496.]

XXXVII. — Je crois utile de vous signaler deux faits bien caractéristiques relatifs au pressentiment éprouvé en rêve par deux personnes que je connais parfaitement.

A. La première personne rêve que son père est mort. Un mois après, son père meurt dans les mêmes circonstances qui ont accompagné le rêve.

B. La seconde rêve (une dame) que son jeune enfant vient de mourir, la veille du jour où il trépasse réellement et toujours dans les mêmes circonstances du rêve.

G. VIAN,
ancien secrétaire de la Société scientifique Flammarion, de Marseille. [Lettre 499.]

XXXIX. — J’eus une année, en février ou mars, en rêve, la vision d’une amie intime en très grand deuil d’un de ses proches. J’assistai cette nuit-là à toutes les péripéties que l’on peut éprouver à un retour de voyage au milieu de la nuit, la voyant dans mon rêve avec son enfant errant, au milieu d’une gare, en pleine nuit, à la recherche de véhicules ou moyens de transport pour arriver dans sa maison avant la cérémonie funèbre.

Cinq mois après, j’apprenais la complète réalisation de mon rêve. Cette personne, que j’affectionne au plus haut point, a éprouvé dans les circonstances relatées, tous les soucis, les tourments et les angoisses dont je l’avais vue accablée avec son enfant. Le membre de sa famille qu’elle a perdu était d’ailleurs assez malade, mais on était loin cependant de soupçonner un aussi prompt dénouement.

La réalisation pour n’être pas très rapide ne s’en est cependant pas moins produite à peu de mois de distance.

D’où vient donc cette prescience de l’avenir manifestée dans nos songes ?

M. P. H. D. M.,
à Romans. [Lettre 509.]

XL. — J’allais au collège comme externe et, dans mon rêve, je me vis traversant la place de la République, à Paris, une serviette sous le bras, quand exactement en face les magasins du Pauvre-Jacques, un chien passa poursuivi par une bande de gamins qui le maltraitaient. J’en vis exactement le nombre, huit. Les employés commençaient à faire leur éventaire, une marchande des quatre saisons passait avec sa voiture pleine de fruits et de fleurs.

Le lendemain matin, me rendant au collège, je vis dans le même cadre, à la même place, la scène que j’avais vue en rêve. Rien n’y manquait : le chien courait dans le ruisseau, les huit gamins le poursuivaient, la marchande des quatre saisons remontait avec sa voiture, gagnant le boulevard Voltaire, et les employés du Pauvre-Jacques disposaient leurs tissus à la porte de leur magasin.

ED. HANNAIS,
10, av. Lagache, à Villemomble (Seine). [Lettre 527.]

XLI. — Vers 1827 ou 1828, mon père se trouvait à Nancy. À ce moment avait lieu une de ces loteries, interdites depuis, et dans lesquelles il importait de déterminer en les prenant les numéros que l’on désirait avoir. Mon père était fortement tenté de courir la chance, mais il hésitait encore quand une nuit il vit, durant son sommeil, deux numéros se détacher en caractères phosphorescents sur l’un des murs de sa chambre. Vivement frappé, il résolut d’aller dès l’ouverture des guichets demander les numéros rêvés. Des scrupules de délicatesse le retinrent sur le seuil ! Mais il ne put s’empêcher, après le tirage de la loterie, d’aller s’informer des résultats du tirage. Les numéros qu’il avait rêvés étaient sortis dans l’ordre où ils lui étaient apparus, donnant un gain de 75 000 francs.

MLLE MEYER.,
à Niort (Deux-Sèvres). [Lettre 549.]

XLII. — Nous allâmes à Paris, ma femme et moi, en mai 1897, passer quelques jours, et nous nous sommes arrêtés à Angers chez des parents. Le matin du jour fixé pour notre départ pour Paris, j’étais dans cet état de délicieux engourdissement dans lequel on se complaît, lorsqu’on a la vague idée que la vie renaît autour de soi, et qu’on repose bien confortablement couché dans un bon lit. Je n’étais pas éveillé, je somnolais. Tout à coup, j’entendis une voix fraîche et bien timbrée, chanter une romance délicieuse qui me charma ; cet air me parut si joli que je regrettai de m’être éveillé. J’étais dans le ravissement.

Dans mon imagination, j’attribuai ce chant à un jeune apprenti qui se serait arrêté sur le quai, juste sous mes fenêtres, pour chanter.

Arrivés à Paris le jour même, nous fûmes passer la soirée dans un café-concert des Champs-Élysées. Jugez de mon étonnement, lorsque à moitié spectacle, j’entendis une artiste chanter le même air que j’avais entendu en rêve le matin. J’affirme que c’était absolument les mêmes notes.

Cet air m’était complètement inconnu la veille et je ne l’ai plus entendu depuis.

ÉMILE SOUX,
6, rue Victor Hugo, à Carcassonne. [Lettre 554.]

XLIII. — J’avais, en 1871, un grand frère de vingt ans, médecin militaire à l’hôpital de Montpellier. Mon malheureux frère vint à tomber malade. On mande mon père par dépêche, mon frère avait la fièvre typhoïde. Épuisé par les émotions et les fatigues de la guerre, il devint vite plus mal malgré les soins dont il fut entouré.

Le 1er décembre, il dit à mon père qui ne quittait pas son chevet : « Je vois trois cercueils dans la chambre. » Père lui dit : « Tu te trompes, mon bon ami, tu vois des berceaux. » Il faut vous dire que j’avais une sœur aînée, mariée depuis trois ans, qui avait un gentil garçon de treize mois, très bien portant, et un autre de huit jours.

Le lendemain mon frère est plus mal, il expire entre les bras de mon père.

Celui-ci revient à Douai après l’enterrement, et il trouve mon plus petit neveu mourant du croup ; le second, superbe de santé, succomba à son tour. Voilà donc les trois cercueils vus par mon malheureux frère.

Voilà textuellement comment les faits se sont passés.

BERTHE DUBRULLE,
3, rue de l’Abbaye-des-Prés, à Douai. [Lettre 558.]

XLIV. — A. En 1889, j’étais agent voyer d’arrondissement dans le département de la Lozère. Étant en tournée à Saint-Urcize (Cantal), j’eus, vers minuit, l’impression d’une voix qui me dit : « Ton père est mort. » Je rentrai le surlendemain, assez frappé, chez moi ; il n’y avait aucune fâcheuse nouvelle de mon père, habitant une commune éloignée ; mais le surlendemain (je crois), je reçus une dépêche m’appelant auprès de lui, gravement malade d’une fluxion de poitrine. Je partis immédiatement, mais je n’arrivai que dix à douze heures après le décès. Si j’étais parti à la suite de l’avertissement reçu en rêve, j’aurais pu passer près de trente-six heures avec mon père avant sa mort. Je n’ai pas besoin de vous dire combien j‘ai regretté de ne l’avoir pas fait.

B. J’avais vingt et un ans ; j’allais tirer au sort ; la veille j’ai rêvé le numéro 45 que j’ai apporté le lendemain. Cela me semble indiquer que les opérations qu’on croit abandonnées au pur hasard sont soumises à d’autres lois. D’autre part, entre le moment du rêve et le moment où j’ai extrait le numéro de l’urne, il s’est passé beaucoup d’opérations dans le but de bien remettre au hasard l’attribution des numéros. Comment se fait-il qu’elles n’aient pas modifié ce qui semblait arrêté la veille ?

GUIBAL,
agent voyer d’arrondissement à Belizane (Algérie). [Lettre 573]

XLVI. — En 1893, j’avais ma fille à Paris, à l’École dentaire. Quoique âgée de vingt ans, elle n’avait aucun goût pour le mariage. Le 2 janvier, je fis un rêve assez étrange. Je voyais ma fille qui arrivait en vacances, à cinq heures du matin (elle ne venait jamais par ce train), je la vis entrer dans ma chambre, couverte d’un grand manteau à rayures que je ne lui connaissais pas. Elle s’approcha de mon lit, m’embrassa, et me dit :

« Mère, je veux me marier ; j’aime, je suis aimée, et, si je ne l’épouse pas, j’en mourrai. »

Je lui fis toutes mes remontrances, lui disant qu’il serait plus sage d’attendre la fin de ses études, pour ne pas interrompre ses cours. Rien n’y fit ; elle insista tellement que, dans mon rêve, j’acquiesçai à son désir.

Le lendemain, en me réveillant, mon rêve me revint à la mémoire. Je le racontai aussitôt à ma domestique et à une ouvrière que j’avais chez moi et j’ajoutai :

« Tout songe, tout mensonge. Mais, n’importe, je ne vais pas écrire mon rêve à ma fille, de crainte de lui donner l’idée du mariage. »

La même année, fin juillet, je reçus une lettre de ma fille, m’annonçant qu’elle avait passé, avec succès, ses examens de seconde année, et qu’elle me revenait, le soir même, par le train qu’elle prenait habituellement et qui arrivait à Saint-Amand à minuit quarante-neuf. Nous l’attendons, mais en vain.

À cinq heures du matin, nous sommes réveillées par un grand coup de sonnette. Ma bonne va ouvrir, et ma fille entre dans ma chambre, couverte d’un cache-poussière à rayures, qu’elle avait acheté quelques jours auparavant. Elle m’embrasse et me répète, mot à mot, les paroles qu’elle était venue me dire, le 2 janvier, en rêve. J’étais à peine éveillée et je lui fis cette réponse :

« Mais tu me l’as déjà dit !

— Comment aurais-je pu te le dire ? Il y a huit jours à peine que j’ai pris cette décision ! »

Aussitôt, je me souviens de mon rêve ; ma domestique lui en fit le récit. Mais ma fille n’a pas été étonnée, me disant que j’avais déjà vu en rêve ce qui devait arriver longtemps après. Effectivement, j’avais vu Saint-Amand, que je ne connaissais pas, ainsi que les appartements que j’occupe actuellement, deux ans avant de venir les habiter.

MME BOVOLIN,
à Saint-Amand (Cher). [Lettre 584.]

XLVII. — A. Il y a quelques années, nous avions une petite amie que sa mère venait de conduire en pension à Écouen. Je rêvai à cette époque, que je voyais l’enfant passer dans la rue. Je m’étonnais de sa présence, la sachant partie et (toujours dans le rêve) sa mère vint nous dire : « Je n’ai pu prendre sur moi de laisser ma fille en pension, j’ai été la chercher. » Un jour ou deux jours après ce rêve, nous recevons la visite de cette dame. Je lui dis : « Marguerite se plaît-elle en pension ? » Elle nous répondit : « Vous ne savez pas ce que je viens de faire, je ne pouvais m’habituer à l’y laisser et j’ai été la chercher. »

B. À Toul, où nous habitions, il y avait un mendiant qui m’impressionnait étrangement, il m’inspirait une grande répulsion, car il était repoussant au physique et au moral. Une nuit, je rêvai qu’on sonnait à la porte, c’était le soir, et dans l’obscurité, il me sembla reconnaître la silhouette de ce mendiant qui me dit : « Mademoiselle, je suis sans abri, voulez-vous me donner un gîte pour la nuit ? » Le lendemain soir, plus en rêve, mais en réalité, j’étais dans la salle à manger avec ma sœur et une petite cousine lorsque j’entendis du bruit du côté de la porte de la cuisine. J’allai voir. Le mendiant était là qui me dit : « Je suis sans abri, voulez-vous me donner un gîte pour la nuit ? »

MLLE HUBERT,
à Nancy. [Lettre 607.]

XLIX. — A. Vers l’âge de 11 ans, j’ai rêvé que j’étais près d’un bois, le soir, à la tombée de la nuit, ayant devant moi un mur. J’étais seul et j’avais envie de pleurer. Je me suis trouvé quelques mois plus tard dans ce même cadre et dans ces mêmes dispositions.

B. En 1882, venant de passer sous-officier au 119e (Havre), j’ai rêvé que j’étais instituteur ; j’en ai ri, car c’était la dernière corde à mon arc. Deux ans après, je me trouvais à Stains, dans la classe et avec les enfants que j’avais vus.

C. En 1893, je frappais à la porte de la chambre de mon père (Faux-la-Montagne, canton de Gentioux, Creuse), revenant de la Martinique, après neuf ans d’absence. Il me demande, sans me reconnaître, qui je suis et ce que je veux : « Je suis un voyageur et je vous porte des nouvelles de votre fils qui est en Normandie. — Et celui de la Martinique ? — Je n’en ai pas de nouvelles, pourquoi me demandez-vous cela ? — C’est que cette nuit, j’ai rêvé que je le voyais là, près de la porte, comme vous êtes maintenant. » Et il est parti en pleurs. Il faut remarquer qu’il avait parlé de ce rêve à son réveil et avant de m’avoir vu. Mon retour n’avait été annoncé en aucune façon.

LEGROS,
directeur d’école, à Gros-Morne (Martinique). [Lettre 608.]

LII. — Quelques jours après mon mariage, ma femme me dit : « C’est extraordinaire, mais voilà environ six mois, j’ai rêvé que je me mariais avec toi. J’en ai même fait la réflexion à ma mère le lendemain matin et nous en avons ri, ma mère ayant ajouté : « Oh ! il est probable que ce jeune homme ne pense pas à toi ! »

Or, notez que nous ne nous étions, jusqu’à cette époque, jamais parlé, que nous ne nous connaissions pas, bien qu’habitant la même localité, que nous nous étions seulement vus de loin, par hasard, et que nous ne fréquentions aucun ami commun.

Il est donc assez extraordinaire que cette jeune fille ait rêvé d’une prochaine union avec moi. Ce rêve a pourtant eu sa réalisation100.

T.,
à Villeneuve-sur-Yonne. [Lettre 619.]

LIII. — Vous avez demandé qu’on vous signale les faits inexpliqués dont on est sûr concernant les rêves et autres observations du même ordre ; peut-être, ce que je vais vous dire n’aura-t-il pour vous aucune importance, aucun intérêt, mais si tout le monde pensait ainsi, ne disait rien, votre appel serait inutile et la science n’avancerait pas. Je vais donc vous écrire ce que je sais, vous priant seulement de ne pas citer mon nom, si par hasard vous faites usage de ma lettre : j’habite une petite ville et je préfère le silence.

A. Au mois de janvier 1888, j’étais enceinte depuis un temps absolument inconnu pour des raisons spéciales. Me trouvant très fatiguée, mon mari fit venir la sage-femme qui me dit : « Je crois que ce sera pour bientôt. » C’est une femme fort instruite. Le lendemain, j’allais bien. Le 1er février, même incident, et ma sœur, d’un an plus jeune que moi et non mariée, me dit le matin (elle ignorait que j’eusse encore souffert et habitait un autre quartier) : « Cette nuit, ce n’était pas comme un rêve, mais je n’étais pas éveillée pourtant et quelqu’un me dit : « Votre sœur n’a pas à s’inquiéter de ces malaises, l’enfant naîtra le 22 juin. » Et elle ajouta : « Je répliquai à la voix : « Mais puisque vous êtes si bien renseigné, sera-ce un garçon ou une fille ? » On répondit : « Je n’en sais rien, mais vous ne serez guère contents. » Nous avions deux fils et adorions les filles.

Naturellement, nous nous moquâmes tous de ma sœur, et mes malaises durant toujours, je faisais mes préparatifs.

Mais les mois de février, de mars, d’avril passant, nous finîmes peu à peu par moins rire d’elle, qui supportait nos moqueries sans qu’elles ébranlassent sa certitude ; même nous conclûmes que ce serait encore un garçon, puisque nous ne devions pas être contents, et nous crûmes si bien à sa prédiction, que le 21 juin je montai le berceau et préparai tout pour le lendemain. Le 22 juin, à dix heures du matin, l’enfant vint au monde. C’était une fille, qui eut été acclamée, mais j’eus tout de suite après une hémorragie qui me mit aux portes du tombeau. Deux jours après, mon fils aîné eut une bronchite ; ma sœur, pour la première fois de sa vie fut malade ; ensuite, mon second fils eut le croup et subit l’opération, ma sœur sortie trop tôt pour le voir eut une angine couenneuse très grave, et enfin mon père, trois mois après, eut un accident dont il mourut : nous n’étions donc certes pas heureux.

B. Ma fille avait trois semaines, je ne pouvais plus la nourrir, ayant des abcès, mon mari devait aller à Manosque voir une nourrice qu’on nous recommandait et la ramener le même jour. C’était le vendredi 13 juillet. En m’éveillant, je fus tracassée d’un rêve bizarre. Mes fils allaient bien, l’aîné était en convalescence et le second, enfant superbe, se portait comme un charme. Je dis à mon mari : « C’est étrange, cette nuit j’ai rêvé que j’étais dans une ville inconnue, je cherchais la bonne de René et on me dit : « Comme c’est samedi, elle est allée laver. » Je la cherchais, inquiète, et la rencontrant seule je lui demandai : « Et René, qu’en avez-vous fait ? » Clotilde répondit : « Madame, je l’ai laissé derrière ce mur. » J’allai en courant le chercher, il était couché contre le mur, tout nu, le corps noir comme de la suie, et un trou à la gorge d’où sortait la trachée artère : il n’était pas mort cependant. »

Mon mari se moqua de mon rêve et de l’inquiétude qu’il me donnait. Vers quatre heures de l’après-midi, René, qui n’était pas sorti, jouant avec son père, fut pris d’une quinte de toux bizarre qui l’étouffait ; j’envoyai en hâte appeler un médecin : bientôt le croup se déclara.

À deux heures du matin, le samedi 14 juillet, les quatre médecins se préparaient à faire l’opération de la trachéotomie : c’était avant la découverte du sérum. L’enfant tout nu fut couché sur une table, il eut le cou percé et une canule d’argent dans la trachée artère, et, l’opération presque faite, la trachée s’étant déchirée du crochet qui la tenait, l’enfant fut étouffé par le sang, son corps devint tout noir. Heureusement, une forte dose d’ipéca amena une toux qui fit remonter la trachée qu’on saisit. Pendant l’opération, mon mari se penchant vers moi, me dit : « Valentine, ton rêve d’hier dont je m’étais moqué !... »

L’enfant est grand maintenant et se porte très bien.

Mme X.,
à Forcalquier. [Lettre 623.]

LV. — M. A... juge au tribunal raconta un matin à sa femme et à sa fille (Mme M..., dont je tiens le récit) le rêve suivant :

« J’entrais en voiture dans le bourg, lorsque je vis devant la maison D... deux cercueils et un convoi funèbre qui se formait derrière ; je reconnus à peu près tous les assistants : le préfet, les juges, les autorités municipales, les parents ; je demandai à un passant : Qui donc est mort dans la famille D... ? Ne le savez-vous donc pas, me fut-il répondu. Mme D... et son fils sont morts le même jour et c’est aujourd’hui l’enterrement. »

Le jour même, en arrivant au bourg, M. A. vit, en effet, deux cercueils devant la maison D... et les assistants exactement tels qu’ils les avait reconnus en rêve. Il n’osait presque pas demander quelles étaient les personnes décédées, tant il était sûr d’avance d’entendre les paroles de son rêve. Il se décida à arrêter un passant et à lui poser la question : « Ne le savez-vous donc pas, lui fut-il répondu, Mme D... et son fils sont morts le même jour et c’est aujourd’hui l’enterrement. »

Ce qui m’a paru intéressant dans ce rêve, c’est que les paroles entendues en rêve ont été exactement les mêmes que dans la réalité ; il y a eu donc tout à la fois vision et audition prémonitoires.

Vous pouvez être assuré de la parfaite authenticité du fait : la famille A... a été si frappée de la chose qu’elle en a conservé un souvenir absolument précis.

H. BESSON,
pasteur, à Orvin-près-Bienne (Suisse). [Lettre 632.]

LVI. — Je rêvai que faisant une course à bicyclette, un chien venait se jeter au travers de la route et que je tombais à terre, brisant la pédale de ma machine.

Le matin, je racontai la chose et ma mère qui, sachant combien d’habitude mes rêves sont exacts, m’engagea à rester à la maison. Je résolus, en effet, de ne pas sortir, mais, vers 11 heures, au moment de nous mettre à table, le facteur apporta une lettre nous informant que ma sœur, qui demeurait à environ 8 kilomètres, était malade. Oubliant tout à coup mon rêve, pour ne songer qu’à prendre des nouvelles de ma sœur, je déjeunai au galop et partis à bicyclette. Mon voyage s’accomplit sans encombre jusqu’à l’endroit où je m’étais vu, la nuit précédente, roulant dans la poussière et brisant ma machine. À peine mon rêve avait-il traversé mon esprit qu’un énorme chien débouche tout à coup d’une ferme voisine, cherchant à me mordre la jambe. Sans réfléchir, je voulus lui envoyer un coup de pied, mais au même moment, je perdis l’équilibre et tombai sur ma machine, dont je brisai la pédale, réalisant ainsi mon rêve dans ses moindres détails. Or, remarquez, je vous prie, que c’était bien la centième fois pour le moins que je faisais ce trajet, sans que jamais j’eusse eu à déplorer le moindre accident.

AMÉDÉE BASSET,
notaire à Vitrac (Charente). [Lettre 640.]

LVII — Le maréchal Vaillant, qui n’était ni un visionnaire, ni un petit esprit, a affirmé à un de mes amis, qui me l’a plus d’une fois raconté, que, partant pour le siège de Rome, dont il était chargé de diriger les opérations, et ignorant complètement les travaux exécutés pour fortifier la place, avait vu très distinctement en songe, avant d’aborder en Italie, l’endroit précis par où il fallait commencer l’attaque. C’était, en effet, comme il le reconnut ensuite, le point le plus faible de la défense. Je vous livre le fait sans commentaires ; vous le rangerez sans doute dans la catégorie des autosuggestions101.

B. KIRSCH,
proviseur en retraite, à Semur (Côte-d’Or). [Lettre 643.]

LVIII. — A. Ma mère, née en 1800, morte en 1886, eut la fièvre en 1811, étant en pension, à Aire-sur-la-Lys. Dans un accès de délire, elle se vit chez sa mère, Mme Campagne, née Marie-Louise De Lannoy de Linghem, à Estrée-Blanche (Pas-de-Calais), et demanda à grands cris qu’on l’emmenât, parce que la maison était en feu.

Or, un an après, en 1812, la maison d’Estrée brûlait bien réellement, et ma mère revoyait l’incendie exactement comme elle l’avait vu dans sa fièvre en 1811.

Le corps de logis et une aile furent réduits en cendres ; l’autre aile fut préservée et ce fut là que ma grand’mère se logea provisoirement, malgré sa nombreuse famille. Ma mère n’a jamais menti, à ma connaissance ; elle m’a raconté la chose un nombre incalculable de fois, et non seulement elle, mais aussi mes oncles et mes tantes. Le bâtiment préservé du feu existe encore.

B. Vers juillet 1887, je pense (on pourrait savoir la date exacte à la mairie de Saint-Omer), — j’habitais alors Tatinghem, village situé à 4 kilomètres de cette ville ; — une personne, Mlle Estelle Poulain, qui demeure chez moi depuis 1873, vit en rêve sa tante, Mme Leprêtre, née Honorine Hochart, qui lui parlait. Mlle Poulain ne pouvait distinguer ses traits, mais elle savait que c’était bien sa tante. Elle se réveilla en sursaut, et, presque aussitôt, trois heures (du matin) sonnèrent à la pendule de sa chambre.

Vers midi ou une heure, l’oncle de Mlle Poulain, M. Noël Leprêtre, arriva chez moi, pour lui annoncer que sa femme, la tante de celle-ci, Honorine Hochart, était morte le matin un peu avant 3 heures et avait dit à la sœur de Saint-Vincent de Paul qui la soignait :

« Quel malheur ! je ne verrai plus ma nièce Estelle ! »

Or, Mlle Estelle Poulain, je l’affirme sur l’honneur, m’avait raconté son rêve longtemps avant l’arrivée de son oncle....

LÉON LECONTE,
rédacteur en chef de l’Étudiant, à Paris. [Lettre 667.]

LX. — J’ai été en 1882 séparée brusquement d’une personne qui m’était très chère, et tandis que j’étais depuis plusieurs semaines plongée dans le plus profond chagrin, j’entendis une voix inconnue me disant : « Dans un an, jour pour jour, cette personne te reviendra ». C’était au mois de mai, et l’année suivante, à la même époque, je rencontre dans la rue cette même personne qui, à ma vue, éprouve une émotion aussi vive que celle que j’éprouvais moi-même. Explications, regrets, remords, réconciliation, et depuis je n’ai pas eu d’ami plus dévoué ni dont le repentir fût plus sincère.

J’ai eu à l’état de sommeil des vues, à distance, de villes où je suis allée ensuite (très surprise de voir des rues et des monuments déjà vus en dormant), comme Bruxelles par exemple, que j’ai visité un an avant d’y être allée.

H. PONCER,
457, rue Paradis, à Marseille. [Lettre 725.]

LXI. — A. Ma pauvre mère mourut dans la nuit du 17 septembre 1860, à 3 heures du matin, ayant conservé toute sa mémoire et ayant bien conscience de ce qui se passait autour d’elle. Un peu avant de mourir, elle me cherchait du regard et sa douleur était navrante ; de grosses larmes lui coulaient sur la figure (ceci m’a été raconté plus tard).

Or, cette même nuit, 17 septembre 1860, à 3 heures du matin, je m’éveillai en sursaut, croyant entendre ma mère m’appelant — et cela, à diverses reprises ; je me levai sur mon lit, criant : « Maman, maman ! » ce qui éveilla mon compagnon de lit — puis, comme une masse, je tombai à terre. Il fallut me faire revenir d’une syncope qui ne dura pas moins de vingt minutes.

B. C’était en 1869, au moment du plébiscite, une nuit j’ai eu un rêve, pour mieux dire : un cauchemar terrible. Dans ce cauchemar, je me voyais soldat, nous avions la guerre, je ressentais tous les besoins de la vie militaire : la marche, la faim, la soif ; j’entendais les commandements, la fusillade, le bruit du canon ; je voyais tomber des morts et des blessés à mes côtés, entendant leurs cris.

Tout à coup, je me trouvai dans un pays, dans un village où nous dûmes soutenir une attaque terrible de l’ennemi, et c’étaient des Prussiens, des Bavarois et des cavaliers (dragons badois) — notez bien que jamais je n’avais vu de ces uniformes, qu’il n’était nullement question de guerre. — À un certain moment, je vis un de nos officiers monter dans le clocher du village, muni d’une jumelle, pour se rendre compte des mouvements de l’ennemi, puis, redescendre, nous former en colonne d’attaque, faire sonner la charge et nous lancer en avant au pas de course, à la baïonnette, sur une batterie prussienne.

À ce moment de mon rêve, étant aux prises corps à corps avec les artilleurs de cette batterie, je vis l’un d’eux me porter un coup de sabre sur la tête, tellement formidable, qu’il me la sépara en deux. C’est alors que je m’éveillai, sur ma descente de lit : je ressentais une forte douleur à la tête. En tombant de mon lit, je m’étais heurté la tête sur un petit poêle qui me servait de table.

Le 6 octobre 1870, ce rêve a été réalisé : village, école, mairie, église ; notre commandant montant au clocher pour se rendre compte des positions de l’ennemi, redescendant et, au son de la charge, nous jetant à la baïonnette sur les pièces prussiennes. Dans mon rêve, à ce même moment, j’avais eu la tête fendue d’un coup de sabre ! Ici, dans la réalité, je l’attendais ; mais je n’ai reçu qu’un coup d’écouvillon (peut-être destiné à la tête) qui, par suite d’une parade, vint me frapper à la cuisse droite.

A. RÉGNIER,
ancien sergent-major de la compagnie des francs-tireurs de Neuilly-sur-Seine,
23, rue Jeanne-Hachette, au Havre. [Lettre 748.]

LXIII. — En 1867, j’étais à Bordeaux, à la tête d’une pharmacie que je venais d’ouvrir depuis quelques mois. Une nuit, je vis en songe le chiffre de 76 fr. 30 inscrit sur le livre de recette à la place où devait s’inscrire celle du lendemain. Le lendemain, dans la matinée, je voyais ce chiffre si bien gravé dans mon esprit que je ne pus m’empêcher d’en parler à mon aide. La recette ordinaire étant en moyenne de 15 francs, nous pensions que le chiffre 76 fr. 30 représenterait deux journées. Le travail dans la journée fut ce qu’il était les jours précédents, mais le soir nous fûmes débordés de monde. Enfin, à 10 heures et demie, après le dernier client (le centième au moins), je fis la caisse et j’y trouvai exactement 76 fr. 30.

M. Jaubert, de Carcassonne, à qui je racontai le fait, me fit remarquer qu’il avait fallu un concours d’esprits très nombreux : amener des clients, empêcher d’autres d’arriver, un caissier sûrement devait figurer dans les opérateurs102. Je me souviens d’une circonstance. Une jeune dame, que je savais payant très mal, achetait, achetait, articles sur articles, elle semblait obéir à une inspiration. Enfin elle régla ! Cet acheteur était le dernier, sûrement il fallait son argent au caissier spirituel.

A. COMÉRA,
à Toulouse. [Lettre 782.]

LXIV. — J’ai perdu mon père en 1865 et suis resté chef de famille, avec deux frères moins âgés.

Le cadet, Aristide, né en 1853, faisait partie de la classe 1873, tirant au sort en 1874. Il n’avait point voulu préparer son volontariat, et s’en rapportait au hasard, pour faire soit six mois, soit cinq ans de service militaire actif.

Cette alternative préoccupait beaucoup ma pauvre mère, qui m’en entretenait chaque fois que je me rendais auprès d’elle, à Nieuil-sur-l’Autise (Vendée), tous les dimanches, faisant alors mon notariat à Niort.

Tenant à assister mon frère — comme père — lors de son tirage au sort, le mardi, 10 février 1874, je partis de Niort, le lundi, pour Nieuil. Après le dîner, où la conversation roula sur les chances du tirage au sort, j’allai me coucher vers dix heures.

La préoccupation sans doute me fit rêver, et je vis distinctement mon frère Aristide mettant sa main dans l’urne, retirant un numéro, et me montrant le chiffre considérablement agrandi de 67.

Réveillé en sursaut, j’allume ma bougie et regardant l’heure, je constate 3 heures du matin.

En me levant à 8 heures, je fis part de mon rêve à ma mère, à mon frère, au garde-champêtre et aux conscrits de la commune, qui en rirent fort.

Mais à 3 heures de l’après-midi exactement, le même jour, au chef-lieu de canton Saint-Hilaire-des-Loges (Vendée), mon frère tirait de l’urne le fameux numéro 67, et me le montrait du même geste que dans le rêve de douze heures auparavant ; et chose, également bizarre, le numéro 66 fut le dernier pris du contingent, et fit cinq ans de service actif ; tandis que mon frère s’en tira avec six mois dans l’artillerie à Brest.

ALFRED CAIL,
à Paris, 154, avenue de Wagram. [Lettre 788.]

LXV. — A. Une de mes grand’tantes aujourd’hui défunte eut, durant sa vie, de fréquents pressentiments qui se sont réalisés. Dans le mois de février 1871, elle eut un rêve lui annonçant la mort prochaine de deux de ses sœurs, qui jouissaient alors d’une parfaite santé. Ce rêve fut transcrit, dans un livre de mémoires où elle avait coutume de noter tous les événements de sa vie, et il fut malheureusement bientôt réalisé d’une manière terrible. Un mois après, comme on peut le contrôler dans les journaux de l’époque, la fièvre jaune éclatait à Buenos-Ayres et les deux sœurs furent emportées par l’épidémie.

B. Une autre fois, en 1868, la même parente vit en songe une scène d’intérieur qui était toute une révélation. Ce tableau représentait un appartement où une de ses amies, Mme B..., assise dans son fauteuil près d’une cheminée, dans laquelle flambait un grand feu, caressait un petit enfant qu’elle tenait dans ses bras, pendant qu’une servante séchait ses langes devant les flammes. Ce rêve fut raconté à plusieurs personnes sans qu’aucune y prêtât grande attention, car Mme B., mère d’une nombreuse famille, ayant passé la quarantaine, et n’ayant pas eu d’enfants depuis sept ans, ne paraissait plus susceptible d’en avoir d’autres. Cependant, ce qui paraissait d’abord impossible se réalisait un an après, et un soir que ma grand’tante allait visiter l’accouchée, pour la féliciter de la naissance de son dernier-né, elle revit en réalité son rêve précédent. L’appartement, la disposition des objets, la cheminée allumée, la femme de service occupée à sécher les langes devant le feu, enfin tous les détails du songe étaient reproduits fidèlement. La divination s’était réalisée avec une exactitude complète.

EMILIO BECHER,
à Rosario de Santa-Fé (République argentine). [Lettre 802.]

LXVII. — J’ai été élevé à Paris où mes parents étaient établis marchands de vins-crémiers, 7, rue Saint-Ambroise. Mon père est décédé en 1867. Ma mère et moi nous avons quitté Paris en 1872. J’avais aussi un oncle, frère de mon père, qui est décédé depuis, et qui était établi épicier, 32, rue Saint-Roch.

A. En 1868, j’avais alors 17 ans, j’étais employé chez cet oncle comme commis. Un matin, et après lui avoir souhaité le bonjour, encore sous l’impression d’un rêve qu’il avait eu dans la nuit, il me raconta que dans ce rêve il était sur le pas de sa porte lorsque ses regards se portant dans la direction de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il en voit déboucher un omnibus de ville de la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui s’arrête devant la porte de son magasin. Sa mère en descend et l’omnibus continue sa route, emportant une autre dame qui était dans la voiture avec ma grand’mère, laquelle dame, vêtue de noir, tenait un panier sur ses genoux.

Tous les deux, nous nous amusions de ce rêve si peu en rapport avec la réalité, car jamais ma grand’mère ne s’était aventurée à venir de la gare du Nord jusqu’à la rue Saint-Roch. Habitant près de Bauvais, lorsqu’elle voulait venir passer quelque temps chez ses enfants, à Paris, elle écrivait de préférence à mon oncle qui était celui qu’elle affectionnait le plus, et il allait la chercher à la gare, d’où il la ramenait en fiacre, invariablement.

Or, ce jour-là, dans l’après-midi, comme mon oncle regardait les passants sur le pas de sa porte, ses yeux se portant machinalement vers le coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il voit tourner un omnibus du chemin de fer du Nord qui vient s’arrêter devant son magasin.

Dans cet omnibus il y avait deux dames, dont l’une était ma grand’mère qui en descend, et la voiture continue sa route emportant l’autre dame telle qu’il l’avait vue en rêve, c’est-à-dire vêtue de noir et tenant son panier sur ses genoux.

Jugez de la stupéfaction générale ! Ma grand’mère, croyant nous faire une surprise, et mon oncle lui racontant son rêve !

B. Pendant le siège de Paris, j’étais mobile au 10e bataillon de la Seine. Un jour que j’étais à dîner chez ma mère, il y avait à notre table un de mes cousins, alors étudiant en pharmacie, actuellement propriétaire aux environs de Dieppe ; un de mes amis, sergent de mobiles ; un autre, dessinateur, qui habite maintenant, 1, boulevard Beaumarchais ; et enfin, un client de la maison, comptable de profession et remarquablement intelligent, sergent-major au 192e bataillon de marche. Je ne me souviens ; plus de son nom ; appelons-le M. X...

À la fin du dîner, et comme nous parlions de la guerre et des Allemands qui nous cernaient, M. X... se mit à examiner les lignes de nos mains, nous disant qu’il s’occupait sérieusement de chiromancie et prétendant nous annoncer s’il nous surviendrait quelque chose de grave pendant les événements présents. Naturellement, nous lui demandâmes si nous serions blessés ? La réponse fut négative pour trois d’entre nous : M. Lucas l’étudiant, M. François le dessinateur, et moi-même. Quant au quatrième, le sergent de mobiles, M. Lallier, M. X... lui dit après lui avoir minutieusement examiné l’intérieur de la main : « C’est étrange, vous serez blessé sérieusement, avant qu’il soit longtemps, mais pas par une arme, vous serez brûlé. — Comment cela ? lui demanda Lallier. — Je ne saurais vous le dire ; accidentellement, sans doute, » lui répondit M. X... — Et l’on parla d’autres choses.

Ceci se passait vers la fin de 1870.

Dans le courant de l’année 1871, j’étais parti à Bordeaux, d’où je rentrais en novembre, lorsqu’en passant à Tours, je m’y arrêtai pour voir mon ami Lallier qui y était placé depuis la fin de la guerre. À sa vue, je restai saisi du changement opéré dans sa physionomie, sans pouvoir bien me rendre compte de ce qui le changeait ainsi, lorsqu’il me dit — « Te souviens-tu des prédictions de X... ? Ce qu’il m’a prédit est malheureusement arrivé ! Il y a deux mois, l’apprenti du magasin a commis l’imprudence d’aller avec une chandelle allumée dans une pièce où il y avait deux touries de pétrole ; par sa maladresse, l’une a pris feu ; j’ai voulu, pour éviter un plus grand danger, enlever la seconde dont le liquide s’est enflammé. J’ai eu tout le côté gauche brûlé, et voilà à peine quinze jours que j’ai repris mon service. »

Je vous cite ces deux faits, comme rigoureusement vrais, puisque tous les deux se sont passés en ma présence et que j’ai pu les contrôler. J’en ai souvent parlé aux miens et à mes amis sans pouvoir en trouver une explication qui me satisfasse, sauf cependant pour une partie du rêve de mon oncle, depuis que j’ai lu vos intéressants articles sur les rêves.

Je suppose que ma grand’mère, dans un moment d’insomnie, aura pris la détermination subite de partir pour Paris le jour même, avec la résolution de ne prévenir personne, et une fois arrivée à la gare du Nord de prendre une voiture comme elle l’avait vu faire si souvent, et cela, pour jouir de la surprise de son fils. C’est, sans doute, à ce moment précis que mon oncle aura eu son rêve.

PAUL LEROUX,
Le Neubourg (Eure). [Lettre 825.]

LXIX. — En 1879, mon oncle Jacques Théodore Hoffmann était instituteur à Heerenveen (Hollande). Mon père étant allé le voir au commencement de juillet, sa belle-sœur, ma tante Marguerite, lui raconta, avant son départ, qu’elle avait vu en rêve la femme de mon oncle Jacques et ses deux enfants habillés en grand deuil, qu’elle craignait un malheur, qu’il fasse bien attention s’ils allaient en bateau, etc.

Mon père et son frère Jacques firent le 7 juillet une longue course à la voile, aucun accident n’arriva, et l’on ria un peu du rêve de ma tante Marguerite.

Deux jours après, le 9 juillet, on reconduisit mon père à la gare. Une partie de la famille était là. Mon oncle Jacques, traversant les voies, ne prit pas garde à un train qui venait se garer, fut renversé, et guillotiné, la tête alla rouler loin de son corps.

Mes deux tantes et les deux enfants vivent encore et peuvent certifier comme moi la réalisation de ce rêve.

A. C. A. HOFFMANN,
étudiant en médecine à l’Université d’Amsterdam, rue de France, 25. [Lettre 850.]

LXX. — Je fus brusquement réveillé dans la nuit à la suite du rêve suivant : l’apparition de la moitié d’un cercueil, isolée dans l’espace.

La précision de ce rêve me troubla et me jeta toute la matinée dans une certaine mélancolie. Toutefois, les nombreuses affaires que j’avais à régler, les nombreuses courses que je fis, chassèrent un peu les idées tristes, je déjeunai comme d’habitude et retournai à mes occupations.

Après quatre heures, arrivant, dans une course, à l’angle de la rue Saint-Pierre et de la rue du Plâtre (à Lyon) et regardant devant moi à cause des voitures qui encombraient le passage, je vis, à environ vingt-cinq mètres, et dans l’espace, la moitié d’un cercueil.

Ce cercueil venait d’être tiré de la voiture de l’entrepreneur des pompes funèbres par un porteur, et la première moitié m’était masquée par l’encadrement de l’entrée de la maison.

P. C. REVEL,
rue Thomassin, 39, à Lyon. [Lettre 862.]

J’allais clore ces exemples lorsqu’en parcourant d’anciennes lettres sur ces problèmes, je viens d’en rencontrer une de la regrettée princesse Emma Carolath, du 5 mars 1870, me racontant un rêve du même ordre et remarquablement explicite. Le voici encore, très abrégé :

LXXI. — Je venais de m’endormir, très anxieuse sur la santé d’une personne aimée, et je me trouvai transportée en rêve dans un château inconnu, dans un cabinet octogone tendu en damas rouge. Il y avait un lit, où dormait la personne dont la santé m’inquiétait. Une lampe suspendue à la voûte inondait de lumière la face pâle, mais souriante, encadrée d’une opulente chevelure noire. Au chevet du lit, je vis un tableau dont le sujet se grava si étrangement dans ma pensée qu’à mon réveil j’aurais pu le dessiner : c’était un Christ couronné de roses par un génie céleste, avec des versets de Schiller que je lus.

Deux ans après, appelée en villégiature dans un château du fond de la Hongrie, je m’arrêtai en tressaillant en pénétrant dans l’appartement qui nous était destiné : j’étais dans le cabinet octogone tendu en damas rouge, devant le lit, et devant le tableau du Christ couronné de roses avec les versets de Schiller. Jamais ce tableau n’a été copié ou reproduit, et il était impossible que je l’eusse vu autrement que dans le rêve, pas plus, du reste, que le cabinet octogone.

EMMA, princesse CAROLATH,
à Wiesbaden.

Après avoir lu et comparé cet ensemble de faits, il est impossible de douter que l’on ait vu parfois en rêve les choses à venir.

Plusieurs de ces rêves peuvent s’expliquer naturellement. Nous l’avons déjà fait remarquer. Par exemple, il n’est pas plus extraordinaire de rêver à un numéro de tirage qui sortira qu’à un autre, et comme ces cas sont très rares, la coïncidence fortuite les explique peut-être. Il faudrait en connaître le nombre pour savoir s’il surpasse notablement celui qui serait donné par le calcul des probabilités. Mais la plupart des prémonitions qui viennent d’être exposées ne s’expliquent pas.

Ce sont là des rêves, des songes, qui paraissent s’être produits à l’état normal de santé, ou à peu près, et non dans des cas pathologiques exceptionnels. Cette même prévision de l’avenir a été observée dans l’état somnambulique et magnétique. Les exemples en sont même très nombreux. Nous en signalerons seulement quelques-uns.

Le Dr Liébeault cite le fait suivant dans sa Thérapeutique suggestive :

LXXII. — Dans une famille des environs de Nancy, l’on endormait souvent une fille de dix-huit ans, nommée Julie. Cette fille, une fois mise en état de somnambulisme, était portée d’elle-même, comme si elle en recevait l’inspiration, à répéter à chaque nouvelle séance qu’une proche parente de cette famille, qu’elle nommait, mourrait bientôt et n’atteindrait pas le 1er janvier. On était alors en novembre 1883. Une telle persistance dans les affirmations de la dormeuse conduisit le chef de cette famille, qui flairait là une bonne affaire, à contracter une assurance à vie de 10 000 francs sur la tête de la dame en question, laquelle n’étant nullement malade, obtiendrait facilement un certificat de médecin. Pour trouver cette somme, il s’adressa à M. L..., lui écrivit plusieurs lettres, dans l’une desquelles il racontait le motif qui le portait à emprunter. Et ces lettres, que M. L... m’a montrées, il les garde comme des preuves irréfragables de l’événement futur annoncé. Bref, on finit par ne pas s’entendre sur la question des intérêts, et l’affaire entamée en resta là. Mais quelque temps après, grande fut la déception de l’emprunteur. La dame X..., qui devait mourir avant le 1er janvier, succomba en effet, et tout d’un coup, le 31 décembre, ce dont fait foi une dernière lettre du 2 janvier, adressée à M. L..., lettre que ce monsieur garde aussi avec celles qu’il avait reçues précédemment à propos de la même personne.

Le même auteur cite également le cas suivant, extrait textuellement de son agenda journalier. On sait à quel point M. Liébeault est un scrupuleux et méthodique observateur.

LXXIII. — 7 janvier 1886. — Est venu me consulter aujourd’hui, à quatre heures après-midi, M. S. de Ch... pour un état nerveux sans gravité. M. de Ch... a des préoccupations d’esprit à propos d’un procès pendant et des choses qui suivent. En 1879, le 26 décembre, se promenant dans une rue de Paris, il vit écrit sur une porte : Mme Lenormand, nécromancienne. Piqué par une curiosité irréfléchie, il entra.

Mme Lenormand regardant la face palmaire de l’une de ses mains, lui dit : « Vous perdrez votre père, dans un an, jour pour jour. Bientôt vous serez soldat (il avait alors dix-neuf ans), mais vous n’y resterez pas longtemps. Vous vous marierez jeune ; il vous naîtra deux enfants, et vous mourrez à vingt-six ans. »

Cette stupéfiante prophétie, que M. de Ch... confia à des amis et à quelques-uns des siens, il ne la prit pas d’abord au sérieux ; mais son père étant mort le 27 décembre 1880, après une courte maladie et juste un an après l’entrevue avec la nécromancienne, ce malheur refroidit quelque peu son incrédulité. Et lorsqu’il devint soldat — seulement sept mois — lorsque marié peu après il fut devenu père de deux enfants et qu’il fut sur le point d’atteindre vingt-six ans, ébranlé définitivement par la peur, il crut qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. Ce fut alors qu’il vint me demander s’il ne me serait pas possible de conjurer le sort. Car, pensait-il, les quatre premiers événements de la prédiction s’étant accomplis, le cinquième devait fatalement se réaliser.

Le jour même et les jours suivants, je tentai de mettre M. de Ch... dans le sommeil profond, afin de dissiper la noire obsession gravée dans son esprit : celle de sa mort prochaine, mort qu’il s’imaginait devoir arriver le 4 février, jour anniversaire de sa naissance, bien que Mme Lenormand ne lui eût rien précisé sous ce rapport. Je ne pus produire sur ce jeune homme, même le sommeil le plus léger, tant il était fortement agité. Cependant, comme il était urgent de lui enlever la conviction qu’il devait bientôt succomber, conviction dangereuse, car on a souvent vu des prévisions de ce genre s’accomplir à la lettre par autosuggestion, je changeai de manière d’agir, et je lui proposai de consulter l’un de mes somnambules, un vieillard appelé le prophète, parce qu’il avait annoncé l’époque précise de sa guérison pour des rhumatismes articulaires remontant à quatre années, et l’époque même de la guérison de sa fille.

M. de Ch... accepta ma proposition avec avidité et ne manqua pas de se rendre exactement au rendez-vous. Entré en rapport avec ce somnambule, ses premières paroles furent : « Quand mourrai-je ? » Le dormeur expérimenté soupçonnant le trouble de ce jeune homme, lui répondit, après l’avoir fait attendre : « Vous mourrez... vous mourrez... dans quarante et un ans. » L’effet causé par ces paroles fut merveilleux. Immédiatement le consultant redevint gai, expansif et plein d’espoir ; et quand il eut franchi le 4 février, ce jour tant redouté par lui, il se crut sauvé.

Ce fut alors que quelques-uns de ceux qui avaient entendu parler de cette poignante histoire s’accordèrent pour conclure qu’il n’y avait eu rien là de vrai ; que c’était par une suggestion post-hypnotique que ce jeune homme avait conçu ce récit imaginaire. Paroles en l’air ! le sort en était jeté, il devait mourir.

Je ne pensais plus à rien de cela lorsque, au commencement d’octobre, je reçus une lettre de faire part, par laquelle j’appris que mon malheureux client venait de succomber le 30 septembre 1886, dans sa vingt-septième année ; c’est-à-dire à l’âge de vingt-six ans, ainsi que Mme Lenormand l’avait prédit. Et pour qu’il ne soit pas supposé qu’il y eût là quelque erreur de ma part, je conserve cette lettre comme mon registre ; ce sont là deux témoignages écrits indéniables.

Voici un autre fait du même ordre, non moins curieux, rapporté à M. A. Erny par Mme Lecomte de Lisle, belle-sœur du poète et cousine d’un de ses amis.

LXXIV. — Un M. X... avait eu l’idée de consulter une tireuse de cartes. Celle-ci lui prédit qu’il mourrait de la piqûre d’un serpent.

Ce M. X..., employé dans l’administration, avait toujours refusé un poste à la Martinique, île réputée pour ses serpents, qui sont des plus dangereux.

Enfin M. B..., directeur de l’Intérieur à la Guadeloupe, le décida à accepter une bonne position sous ses ordres, dans l’administration de cette colonie, qui, quoique proche de la Martinique, n’a jamais eu de serpents.

Nul n’échappe à sa destinée, dit un proverbe, qui, une fois de plus, s’est trouvé vrai.

Ayant terminé son temps de séjour à la Guadeloupe, M. X... rentrait en France. Le bateau ayant fait, comme toujours, escale à la Martinique, il n’osa même pas descendre à terre pendant quelques heures.

Comme d’habitude, des négresses étaient venues à bord du navire pour vendre des fruits. M. X... ayant très grand soif prit une orange dans le panier d’une des négresses, mais aussitôt il poussa un cri et se dit piqué. La négresse renversa son panier, et on vit un serpent qui s’était caché non sous les fruits mais sous les feuilles garnissant le panier. On tua le serpent, mais le malheureux M. X. mourut quelques heures après103.

Le cas extraordinaire de clairvoyance et de prévision que voici a été publié par le même recueil (1896, p. 205).

LXXV. — Une dame de mes amies, lady A..., habitait aux Champs-Élysées. Un soir d’octobre 1883, j’avais dîné chez elle. Malgré sa grande fortune, c’était une femme d’ordre. Très active, elle ne s’accordait que peu d’heures de sommeil. Tous les soirs, ses hôtes partis, elle faisait ses comptes.

Quel fut ce soir-là son étonnement en constatant qu’une somme de 3500 francs manquait dans la poche intérieure de l’immense sac de voyage où elle avait l’habitude de garder ses bijoux et son argent !

Cependant la serrure n’était point forcée ; seuls les bords du sac semblaient avoir été un peu écartés... Et, pourtant, Lady A... était certaine que, vers deux heures de l’après-midi, devant sa femme de chambre, elle avait ouvert son sac, payé une note, et sûrement remis l’argent à sa place ordinaire. Dans son trouble, elle sonna sa femme de chambre qui ne put rien lui apprendre, mais qui eut le temps d’avertir tout le personnel. De sorte que, le coupable ou les coupables, — s’ils se trouvaient parmi les domestiques, — purent mettre en lieu sûr le fruit de leur larcin.

Le lendemain, dès l’aurore, le commissaire de police de la rue Berryer fut averti. On fouilla maîtres et domestiques, armoires, placards, tous les meubles enfin.

Naturellement, on ne trouva rien.

Le commissaire, ayant terminé ses recherches infructueuses, causa un moment avec Lady A... Il lui demanda quelles étaient ses impressions au sujet de la manière dont s’était accompli le vol, ... lesquels parmi ses domestiques étaient moins dignes de confiance, etc.

Lady A..., en énumérant ses serviteurs, pria le commissaire d’exclure de ses soupçons son second valet de chambre, un jeune homme de dix-neuf ou vingt-ans, fort bien de sa personne, très respectueux, très au courant du service, qu’on avait surnommé « le Petit », non à cause de sa taille, car, il était plutôt grand, — mais par un sentiment de gentille familiarité protectrice que lui avaient acquis ses bonnes qualités.

La matinée s’était presque écoulée dans ces formalités sans résultat, lorsque, vers onze heures, Lady A... m’envoya Mlle C..., l’institutrice de sa plus jeune fille, pour me raconter ce qui lui arrivait et pour me prier d’accompagner cette dame chez une clairvoyante dont j’avais, — quelques jours auparavant, — vanté la lucidité.

Je ne connaissais pas moi-même cette clairvoyante : mais une dame de mes relations m’avait raconté une de ses consultations où elle s’était montrée étonnante comme prédiction de l’avenir. Nous y allâmes.

Mme E..., notre clairvoyante, apporta un bol rempli de marc de café, pria Mlle C... de souffler dessus par trois fois ; après quoi, ce marc fut versé dans un autre bol, le premier s’abouchant sur le second afin que son contenu passât en partie dans le nouveau récipient, ne retenant sur la surface de ses côtés intérieurs que quelques parcelles plus solides de la poudre de café qui devait, en laissant échapper sa partie liquide, former d’étranges dessins dans lesquels la pythonisse semblait lire.

Pendant cette préparation occulte, il fallait nous occuper, Mme E... avait étalé ses cartes et commençait :

« Ah !... mais... c’est un vol, et un vol commis par une des personnes de la maison et non par quelqu’un s’introduisant subrepticement. »

Ceci promettait bien.... Nous reconnûmes que ce qu’elle avançait était vrai.... Quant au voleur, il nous était malheureusement inconnu.

« Attendez, nous dit-elle, je vais maintenant voir les détails dans le marc qui doit avoir formé son dépôt. »

Elle saisit le bol renversé, y fit encore souffler par trois fois Mlle C..., prit son lorgnon.

. . . . . . .

Alors, comme si elle avait assisté à la scène, elle nous dépeignit pièce par pièce la topographie de l’appartement de Lady A..., sans jamais se tromper d’une chambre ou d’un salon. Elle vit défiler devant ses yeux, comme dans une lanterne magique, sept domestiques dont elle nous dit exactement le sexe et les attributions. Puis, pénétrant de nouveau dans la chambre de Lady A..., elle aperçut une armoire104 qui lui parut bien étrange.

« Elle a, nous répétait-elle, avec étonnement, un placard au centre, dont la porte est recouverte d’une glace ; et, de chaque côté de cette armoire principale, il y en a encore deux autres sans glace, et tout cela se tient...

« Pourquoi cette armoire n’est-elle jamais fermée ? Pourtant elle contient toujours l’argent qui est... dans.... Quel objet bizarre !... il s’ouvre comme un porte-monnaie, forme pochette... pas comme un coffret.... Ah ! j’y suis !... c’est un sac de voyage.... Quelle idée de mettre son argent là ! et surtout, quelle imprudence de laisser ce placard ouvert !...

« Les voleurs connaissaient bien le sac.... Ils n’ont point forcé la serrure. Ils ont introduit un objet assez large, pour en écarter les deux côtés ; puis, à l’aide d’un ciseau ou d’une pince, ils ont attiré l’argent qui était en billets de banque.... »

. . . . . . .

Nous l’avions laissée parler. Tout ce que nous avait dit cette femme nous confondait, dans la vérité des détails, même les plus infimes.

Elle s’arrêta fatiguée. Nous, nous désirions en savoir davantage. Nous la priâmes, nous la suppliâmes de nous dire lequel ou lesquels des domestiques avaient commis le larcin, puisqu’elle nous assurait que c’était quelqu’un du personnel.

Elle avoua qu’il lui était impossible de le faire sans encourir les rigueurs de la loi française qui ne peut et ne doit admettre qu’un coupable soit reconnu comme tel, sans preuves, par des moyens occultes.

À force d’être pressée, elle nous assura pourtant que l’argent de Lady A... ne serait jamais trouvé ; ce qui était très probable, puisque le coupable ne serait point pris pour ce vol, et enfin, ce qui était plus étonnant, que « deux ans plus tard, il subirait la peine capitale ».

Toutes les fois que son regard, parcourant les dessins du marc, s’était porté sur « le Petit », elle l’avait vu près des chevaux. Nous lui avions certifié que jamais il n’avait servi de valet de pied, étant consacré exclusivement au service de la maison, et les valets de pied demeurant avec les cochers ; Mme E... s’était entêtée dans son dire. Plus nous l’avions contredite, plus elle avait affirmé.

Nous avions fini par abandonner ce petit rien, qui nous choquait cependant comme une tache dans un ensemble surprenant d’exactitude.

Lady A..., au bout de quinze jours, renvoya son maître d’hôtel et sa femme de chambre. « Le Petit », sans qu’on en sût alors la raison, quitta Lady A... trois ou quatre semaines plus tard. L’argent ne fut pas retrouvé ; et, un an plus tard, Lady A... partait pour l’Égypte.

Deux ans après cet événement, Lady A... recevait, venant du Tribunal de la Seine, l’avis de se rendre, comme témoin, à Paris.

On avait trouvé l’auteur du vol. Il venait de se faire prendre : « Le Petit », doué de tant de qualités, n’était autre que Marchandon, l’assassin de Mme Cornet.

Comme on le sait, il subit la peine capitale, ainsi que l’avait annoncé la clairvoyante de la rue Notre-Dame-de-Lorette, et, dans le procès, il fut constaté que « le Petit » avait, aux Champs-Élysées, tout près de la résidence de Lady A..., un frère cocher dans une grande maison.

« Le Petit », ou Marchandon puisqu’ils ne font qu’un, profitait alors de tous ses moments de liberté pour aller vers son frère, car il était grand amateur de chevaux. C’est donc là la raison pour laquelle Mme E... nous avait affirmé, malgré nos contradictions, qu’elle le voyait sans cesse près des chevaux.

Elle avait encore vu vrai, dans ce petit détail que les péripéties du procès nous ont livré.

L. D’ERVIEUX,

Certifié conforme à la vérité,
C. DESLIONS,
ayant assisté à la consultation.

REMARQUE. — Ce cas de clairvoyance est absolument extraordinaire. Nous avons vu Lady A... qui nous a confirmé l’exactitude du récit qui précède.

Il ne faut évidemment, voir dans l’emploi des cartes et du marc de café qu’un moyen employé, sans doute inconsciemment par le sujet, pour se mettre en auto-somnambulisme, c’est-à-dire dans un état second où la conscience normale devient inactive au profit de l’inconscient. Dans cet état second, les facultés inconscientes peuvent prendre tout leur essor et il est possible d’admettre que la faculté de clairvoyance, que nous possédons peut-être tous à un état plus ou moins rudimentaire, puisse s’exercer plus librement et acquérir, chez des sujets prédisposés, un certain degré de précision.

DARIEX.

M. Myers cite dans le même recueil (1899, p. 170), le cas suivant de répétition d’un rêve prémonitoire :

LXXVI. — Il y a soixante ans, une Mme Carleton mourut dans le comté de Leitrim. Elle était l’intime amie de ma mère, et peu de jours après sa mort elle lui apparut en rêve et lui dit que jamais plus ma mère ne la verrait en rêve, sauf une fois, qui aurait lieu vingt-quatre heures avant sa mort.

En mars 1864, ma mère habitait avec mon beau-fils et ma fille, le docteur et Mme Lyon, à Dalkey. Le 2 mars au soir, ma mère monta dans sa chambre, très en train, riant et plaisantant avec Mme Lyon. Cette même nuit, ou plutôt le matin suivant, le docteur Lyon entendant du bruit dans la chambre de ma mère réveilla Mme Lyon et l’envoya voir ce qui se passait. Elle trouva ma mère le corps à moitié sorti de son lit avec une expression d’horreur peinte sur ses traits. On lui donna les meilleurs soins, et le lendemain matin, elle paraissait rétablie en son état ordinaire. Elle déjeuna comme d’habitude, dans son lit et très gaiement. Elle pria ma fille de dire à la servante de lui préparer un bain qu’elle prit. Elle envoya ensuite chercher Mme Lyon et lui dit que Mme Carleton était enfin, après un intervalle de cinquante-six ans, venue lui parler de sa mort très prochaine, et qu’elle mourrait le lendemain matin à la même heure que celle où ils l’avaient trouvée comme je viens de le dire. Elle ajouta qu’elle avait par précaution pris un bain pour éviter le lavage de son corps. Elle commença alors à décliner peu à peu et mourut le matin du 4 mars à l’heure qu’elle avait dite.

Le docteur et Mme Lyon peuvent corroborer ce récit. Ma mère m’avait toujours dit qu’elle reverrait Mme Carleton juste avant sa mort.

THOMAS JAMES NORRIS.
Dalkey, Irlande.

Suivent des attestations.

M. Myers écrit à ce propos :

Il y a, dit-il, trois explications possibles à ces faits :

Je suis, quant à moi, tout disposé à admettre que la défunte Mme Carleton connaissait réellement la maladie qui menaçait son amie, et que les deux rêves furent produits télépathiquement par un esprit désincarné chez un esprit incarné. Mais nous pouvons aussi supposer que le premier rêve, quoique purement accidentel, fit une si profonde impression que quand il se reproduisit, aussi par hasard, il fut l’équivalent d’une autosuggestion de mort. Ou bien nous pouvons supposer que le premier rêve fut accidentel, mais que le second fut symbolique, et produit par quelque sensation organique qui préludait à la mort imminente mais fut perceptible pendant le sommeil avant de l’être à l’état de veille.

Il y a cependant des cas où ces prédictions de mort en rêve sont faites si longtemps à l’avance et avec tant de latitude pour la date fixée pour le décès qu’il est difficile de concevoir que ce soit l’autosuggestion qui amène le résultat.

Nous ne commencerons pas ici la discussion du grand problème des communications de morts, qui demandera, à lui seul, des développements indispensables à son élucidation, si même nous pouvons y arriver. On a déjà pu en remarquer plusieurs dans la variété des exemples consignés ici. Nous en possédons un nombre considérable, dont l’analyse exige un travail encore plus attentif que celui qui a présidé aux recherches précédentes, dans lesquelles nous ne sommes pas sorti du cadre des êtres vivants.

Ce que nous avons voulu établir ici par la publication de ces rêves prémonitoires, c’est que réellement des songes ont PRÉVU ET ANNONCÉ L’AVENIR, et cela avec précision. Il ne s’agit pas de pressentiments vagues ou de prédictions alambiquées à double et triple sens, dans le genre de celles de Nostradamus, qui peuvent s’appliquer après coup à plusieurs événements différents, mais de la vue réelle et exacte de ce qui est ensuite arrivé.

Pour le moment, nous n’irons pas plus loin. L’être humain est doué de facultés encore inconnues qui permettent de voir de loin, dans l’espace et dans le temps. C’est ce que nous voulions démontrer par un ensemble de témoignages satisfaisants.

Quant à en chercher les lois, l’heure n’en est pas venue. On a pu remarquer que ces rêves concernent souvent les choses les plus banales, celles de la vie quotidienne. Mais on peut avouer, du reste, que la vie humaine terrestre est, en général, ainsi composée.

De ce que l’avenir a été vu en certains rêves exceptionnels, il ne faudrait pas en conclure à l’interprétation générale des songes. Ce serait là une erreur complète. Je ne conseillerais pas davantage de consulter qui que ce soit sur l’avenir.

La place nous manque pour traiter dans ce volume la question des pressentiments, ainsi que celle de la divination de l’avenir à l’état éveillé, et nous sommes obligé de remettre à plus tard ces intéressantes recherches. Le fait est également résolue pour nous dans le sens de l’affirmative. La curieuse impression du déjà vu sera ensuite examinée. Puis nous arriverons à l’éternel problème du libre arbitre et de la destinée, et nous constaterons que l’avenir existe aussi sûrement que le passé et le présent, déterminé par les causes qui l’amèneront, en vertu de ce principe absolu qu’il n’y a pas d’effets sans causes, l’âme humaine, avec toutes ses facultés, étant d’ailleurs l’une de ces causes.

On ne peut tout faire à la fois, et je m’excuse plutôt, en lisant le chiffre *** au-dessus de cette page, de la longue attention à laquelle j’ai soumis mes lecteurs et mes lectrices. Mais ce qu’il importait de faire avant tout, c’était une classification méthodique des phénomènes, c’était de commencer par les plus sûrs, de les étudier successivement et complètement et d’admettre d’abord ce qui paraît démontré à notre raison comme certitude morale.

Les manifestations télépathiques de mourants, la transmission de pensée, l’action psychique d’un être humain sur un autre à distance, sans l’intermédiaire des sens, la vue à distance et la prévision de l’avenir en rêve et en somnambulisme, sont pour nous des faits certains. Il nous a paru logique de commencer par là notre investigation du monde invisible.

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