L’action psychique d’un esprit sur un autre


TRANSMISSION DE PENSÉES — SUGGESTION MENTALE

COMMUNICATIONS À DISTANCE ENTRE VIVANTS


Celui qui, en dehors des mathématiques pures, prononce le motimpossible, manque de prudence.

ARAGO.

Nous avons pris soin de ne commencer ces études que par l’examen de faits d’un même ordre : les manifestations de mourants, à distance, afin d’en trouver plus facilement l’explication. Nous arriverons bientôt aux manifestations de morts, réelles ou apparentes, et aux autres phénomènes, avançant graduellement, lentement, mais sûrement. Le but de ces recherches est de savoir si l’observation scientifique positive possède des bases suffisantes pour prouver l’existence de l’âme, comme entité réelle indépendante, et sa survivance à la destruction de l’organisme corporel. Les faits examinés dans les chapitres précédents ont déjà placé la première proposition sur un bon terrain. L’hypothèse du hasard et de la coïncidence fortuite étant éliminée pour la télépathie par le calcul des probabilités, nous sommes forcés d’admettre l’existence d’une force psychique 58 inconnue émanée de l’être humain et pouvant agir à de grandes distances.

Il paraît difficile, devant l’ensemble si éloquent et si démonstratif de ces témoignages, de nous refuser à cette première conclusion.

Ce ne sont pas les observateurs, ceux qui ont ressenti ces impressions, dont l’esprit s’est transporté vers le mourant. C’est celui-ci qui les a frappés. La plupart des exemples indiquent que la cause est là, et non dans une clairvoyance, une seconde vue des sujets impressionnés.

Il n’est pas non plus nécessaire de supposer que l’âme du mourant se déplace et se transporte vers le sujet impressionné. Il peut n’y avoir là qu’une radiation, un mode d’énergie encore inconnu, une vibration de l’éther, une onde allant frapper un cerveau et lui donnant l’illusion d’une réalité externe. Tous les objets que nous voyons, d’ailleurs, ne nous sont sensibles, n’arrivent à notre esprit que par des images cérébrales.

Cette hypothèse explicative me paraît nécessaire et suffisante, du moins en ce qui concerne le plus grand nombre des faits qui viennent d’être exposés.

Ces faits, qui représentent, en réalité, un ordre de choses beaucoup plus répandu qu’on ne l’a pensé jusqu’à ce jour, n’ont rien de surnaturel. Le rôle de la science est : 1° de ne pas les rejeter aveuglément, et 2° de chercher à les expliquer. Or, de toutes les explications qui peuvent être imaginées, la plus simple, et, en même temps, celle qui semble s’imposer avec le plus de force, c’est d’admettre que l’esprit du mourant a agi à distance sur celui ou ceux des personnes qui ont été impressionnées. Les apparitions, les auditions, les spectres, les fantômes, les déplacements d’objets, les bruits, tout paraît fictif ; rien, par exemple, ne pourrait être photographié. À part certains cas sur lesquels nous aurons à revenir, c’est dans le cerveau des personnes impressionnées que tout se passe. Mais ce n’est pas moins réel pour cela.

Nous poserons donc comme conclusion des observations précédentes, qu’UN ESPRIT PEUT AGIR À DISTANCE SUR UN AUTRE, sans l’intermédiaire habituel de la parole, ni d’aucun autre signe sensible. Il nous paraît tout à fait impossible de se refuser à cette conclusion, si l’on accepte les faits.

Cette conclusion va être surabondamment démontrée.

Il n’y a rien d’antiscientifique, rien de romanesque à admettre qu’une pensée agisse à distance sur un cerveau.

Faites vibrer une corde de violon ou de piano : à une certaine distance, une autre corde de violon, de piano vibrera et émettra un son. L’ondulation de l’air se transmet invisiblement.

Mettez en mouvement une aiguille aimantée. A une certaine distance, et sans contact, par simple induction, une autre aiguille aimantée oscillera synchroniquement avec la première.

Parlez, à Paris, sur une lame de téléphone : la communication électrique ira faire vibrer l’autre lame sonore à Marseille. Le fil matériel n’est pas indispensable. Ce n’est pas une substance qui se transporte ; c’est une onde qui se propage.

Voilà une étoile, à des millions de milliards de kilomètres, dans l’immensité des cieux, de la distance de laquelle la Terre n’est qu’un point absolument invisible. J’expose à cette étoile, au foyer d’une lentille, une plaque photographique : le rayon de lumière va travailler sur cette plaque, mordre, désagréger la couche sensible, et imprimer son image. Ce fait n’est-il pas beaucoup plus étonnant en lui-même que l’onde cérébrale qui va à quelques mètres, quelques kilomètres, quelques milliers de kilomètres, frapper un autre cerveau en rapport harmonique avec celui d’où elle est partie ?

À 149 millions de kilomètres de distance, à travers ce qu’on appelle « le vide », une commotion solaire produit sur la Terre une aurore boréale et une perturbation magnétique.

Tout être vivant est un foyer dynamique. La pensée elle-même est un acte dynamique. Il n’y a aucune pensée sans vibration corrélative du cerveau. Qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce que ce mouvement se transmette à une certaine distance, comme dans le cas du téléphone, ou, mieux encore, du photophone (transport de la parole par la lumière) et de la télégraphie sans fils ?

Vraiment, dans l’état actuel de nos connaissances physiques, cette hypothèse n’est même pas une hardiesse. Elle ne sort pas du cadre de nos opérations habituelles.

Toutes nos sensations, de plaisir, de douleur, ou indifférentes, toutes, sans exception, ont lieu dans notre cerveau. Pourtant, nous les localisons toujours ailleurs, jamais au cerveau. Je me brûle le pied, je me pique le doigt, je me heurte le coude, je respire un parfum agréable, je mange d’un mets savoureux, je bois une liqueur exquise : toutes ces sensations sont instinctivement placées au pied, au doigt, au coude, dans le nez, dans la bouche, etc. En réalité, pourtant, les nerfs les ont toutes sans exception, transmises au cerveau, et c’est là seulement que nous les percevons. Nous pourrions nous brûler le pied jusqu’à l’os, nous n’éprouverions aucune sensation, si les nerfs qui vont du pied au cerveau étaient coupés en un point quelconque de leur parcours.

Le fait est démontré par l’anatomie et la physiologie. Ce qu’il y a peut-être de plus curieux encore, c’est qu’il n’est pas nécessaire qu’un membre existe pour qu’on le sente. Les amputés éprouvent les mêmes sensations que s’ils avaient encore le membre dont on les a privés. On a coutume de dire que l’illusion dure quelque temps, jusqu’à ce que, la plaie étant cicatrisée, le malade cesse de recevoir les soins de l’homme de l’art. Mais la vérité est que ces illusions persistent toujours, et qu’elles conservent la même intensité pendant toute la vie. Il reste une sensation de formication et de douleur ayant en apparence son siège dans les parties extérieures qui, cependant, n’existent plus. Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou du fourmillement dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. Un homme amputé de la cuisse éprouvait encore, au bout de douze années, les mêmes sensations que s’il eût possédé les orteils et la plante du pied. Un autre avait le bras amputé depuis treize ans et les sensations dans les doigts n’avaient jamais cessé chez lui ; il croyait toujours sentir sa main dans une situation courbée. Un autre, qui avait eu le bras droit écrasé par un boulet de canon et ensuite amputé, éprouvait encore, vingt ans après, des douleurs rhumatismales dans ce membre toutes les fois que le temps changeait. Le bras qu’il avait perdu lui paraissait sensible au moindre courant d’air !

C’est surtout pendant la nuit que l’illusion des amputés est plus forte ; ils sont parfois obligés de porter la main à l’endroit où devrait être leur membre pour se convaincre qu’ils ne l’ont plus. Quand les nerfs subsistants deviennent douloureux, ils ont plus de peine encore à redresser leur erreur ; tel, au bout de huit mois, avait besoin, pour se détromper, de tâter pendant la nuit et de regarder pendant le jour la place laissée vide par l’amputation de son bras gauche. La sensation d’élancement, d’engourdissement, de fourmillement, de douleur n’est pas située dans le membre absent ; donc la même sensation n’y est pas située non plus lorsque le membre est présent ; ainsi dans les deux cas, à l’état normal et à l’état anormal, la sensation n’a pas l’emplacement que nous lui attribuons ; elle est ailleurs ; ce n’est pas elle, c’est un ébranlement nerveux, qui, à l’état normal, occupe l’endroit où elle semble être. Le nerf est un simple conducteur ; de quelque point que parte son ébranlement pour aller éveiller l’action des centres sensitifs, la même sensation se produit et amène le même résultat : l’attribution de la sensation à tel endroit qui n’est pas le centre sensitif59.

Lorsque, dans une opération de rhinoplastie, on retourne un lambeau de la peau du front, taillé à la racine du nez, pour l’accoler au moignon du nez, le nez factice conserve, tant que le front n’a pas été coupé, les mêmes sensations que l’on éprouve lorsque la peau du front est excitée par un stimulant quelconque, c’est-à-dire que l’individu sent au front les attouchements qu’on exerce sur son nez.

La conséquence est que, lorsqu’une sensation aura pour condition ordinaire la présence d’un objet plus ou moins éloigné de notre corps et que l’expérience nous aura fait connaître cette distance, c’est à cette distance que nous situerons notre sensation. Tel est le cas en effet pour les sensations de l’ouïe et de la vue. Le nerf acoustique a sa terminaison extérieure dans la chambre profonde de l’oreille. Le nerf optique a la sienne dans la logette la plus interne de l’œil. Et cependant, dans l’état actuel, ce n’est jamais là que nous situons nos sensations de son ou de couleur, mais hors de nous et souvent à une très grande distance. Les sons vibrants d’une grosse cloche nous semblent trembler bien loin et bien haut dans l’air ; un coup de sifflet de locomotive nous semble percer l’air et cinquante pas, à gauche. L’emplacement, même lointain, est bien plus net encore pour les sensations visuelles. Cela va si loin que nos sensations de couleur nous semblent détachées de nous ; nous ne remarquons plus qu’elles nous appartiennent, elles nous semblent faire partie des objets. Nous croyons que la couleur verte, qui nous semble étendue à trois pieds de nous sur ce fauteuil, est une de ses propriétés ; nous oublions qu’elle n’existe que dans notre rétine ou plutôt dans les centres sensitifs qu’ébranle l’ébranlement de notre rétine. Si nous l’y cherchons, nous ne l’y trouvons pas ; les physiologistes ont beau nous prouver que l’ébranlement nerveux qui aboutit à la sensation de couleur commence dans la rétine comme l’ébranlement nerveux qui aboutit à la sensation de contact commence dans les extrémités nerveuses de la main ou du pied ; ils ont beau nous montrer que l’éther vibrant choque l’extrémité de notre nerf optique comme un diapason vibrant choque la superficie de notre main ; nous n’avons pas la moindre conscience de cet attouchement de notre rétine, même quand nous dirigeons de ce côté tout l’effort de notre attention. Toutes nos sensations de couleur sont ainsi projetées hors de notre corps et revêtent les objets plus ou moins distants, meubles, murs, maisons, arbres, ciel et le reste. C’est pourquoi, quand ensuite nous réfléchissons sur elles, nous cessons de nous les attribuer ; elles se sont aliénées, détachées de nous jusqu’à nous paraître étrangères à nous.

La couleur n’est point dans l’objet ni dans les rayons lumineux qui en jaillissent ; car, en beaucoup de cas, nous la voyons lorsque l’objet est absent et lorsque les rayons lumineux manquent. La présence de l’objet et des rayons lumineux ne contribue qu’indirectement à la faire naître ; sa condition directe, nécessaire, et suffisante est l’excitation de la rétine, mieux encore, des centres optiques de l’encéphale. Peu importe que cette excitation soit produite par un jet de rayons lumineux ou autrement. Peu importe qu’elle soit ou non spontanée.

Quelle que soit sa cause, sitôt qu’elle naît, la couleur naît et, en même temps, ce que nous appelons la figure visible. Partout, la couleur et la figure visible ne sont que des événements intérieurs, en apparence extérieurs. Toute l’optique physiologique repose sur ce principe. Il résulte donc de notre organisation que la vision, l’audition, l’observation quelconque que nous faisons d’un objet ou d’un être, est due à une impression cérébrale et que, par conséquent, pour que nous croyions voir, entendre, toucher un être, il faut et il suffit que notre cerveau soit impressionné par un mouvement vibratoire qui lui donne une sensation adéquate au résultat obtenu60.

Le cerveau, auquel aboutissent toute les sensations, possède plusieurs centaines, plusieurs milliers de nerfs afférents, de nerfs efférents, de cellules et de nerfs intercellulaires, dans lesquels le courant nerveux se propage par plusieurs centaines et plusieurs milliers de chemins distincts et indépendants. Ces communications si compliquées sont établies par des milliers et des myriades de cellules et de nerfs. C’est ce qui est constaté par le microscope, les vivisections et les observations pathologiques. L’axe de la moelle épinière, long cordon de substance grise, contient notamment soixante-deux groupes principaux de centres nerveux distribués en trente et un couples, qui peuvent même agir, sans la tête, par actions réflexes. Sur un homme décapité dont l’électricité avait ranimé la moelle épinière, le docteur Robin, ayant gratté avec un scalpel la paroi droite de la poitrine, vit le bras du même côté se lever et diriger la main vers l’endroit irrité, comme pour exécuter un mouvement de défense. Le Dr Kuss, ayant amputé la tête d’un lapin avec des ciseaux mal effilés qui hachèrent les parties molles de façon à prévenir l’hémorragie, vit l’animal s’élancer sans sa tête et parcourir toute la salle avec un mouvement de locomotion parfaitement régulier61. Les mécanismes vitaux sont reliés entre eux et subordonnés les uns aux autres ; leur ensemble ne représente pas une république d’égaux, mais une hiérarchie de fonctionnaires, et le système des centres nerveux dans la moelle et dans l’encéphale ressemble au système des pouvoirs administratifs dans un État. On peut le comparer au réseau télégraphique qui met en communication tous les départements avec Paris, tous les préfets avec les ministres, transmet les faits, reçoit les ordres. Une onde de changement moléculaire se propage le long d’un filet nerveux avec une vitesse qu’on évalue à 34 mètres par seconde pour les nerfs sensitifs, à 27 mètres pour les nerfs moteurs. Arrivée à la cellule cérébrale, cette onde y provoque un changement moléculaire encore plus grand ; nulle part il ne se produit un si grand dégagement de force. Nous pouvons comparer, avec Taine, la cellule à un petit magasin de poudre qui, à chaque excitation du nerf afférent, prend feu, fait explosion et transmet multiplié au nerf efférent l’impulsion qu’il a reçue du nerf afférent. Tel est l’ébranlement nerveux au point de vue mécanique. Au point de vue physique, il est une combustion de la substance nerveuse qui en brûlant dégage de la chaleur. Au point de vue chimique, il est une décomposition de la substance nerveuse qui perd sa graisse phosphorée et sa neurine. Au point de vue physiologique, il est le jeu d’un organe qui, comme tous les organes, s’altère par son propre jeu et, pour fonctionner de nouveau, a besoin d’une réparation sanguine. Mais, par tous ces points de vue, nous n’atteignons dans l’événement que des caractères abstraits et des effets d’ensemble ; nous ne le saisissons point en lui-même et dans ses détails, tel que nous le verrions si, avec des yeux ou des microscopes plus perçants, nous pouvions le suivre, du commencement à la fin, à travers tous ses éléments et d’un bout à l’autre de son histoire. À ce point de vue historique et graphique, l’ébranlement de la cellule est certainement un mouvement intérieur de ses molécules et ce mouvement peut être comparé très exactement à une figure de danse où les molécules très diverses et très nombreuses, après avoir décrit chacune avec une certaine vitesse une ligne d’une certaine longueur et d’une certaine forme, reviennent chacune à sa place primitive, sauf quelques danseurs fatigués qui défaillent, sont incapables de recommencer et cèdent leur place à d’autres recrues toutes fraîches pour que la figure puisse être exécutée de nouveau.

Voilà, autant qu’on peut le conjecturer, l’acte physiologique dont la sensation est le correspondant mental62.

Tous les faits relatifs à la production et à l’association des idées peuvent s’expliquer par les vibrations du cerveau, et celles du système nerveux qui y prend son origine, comme David Hartley l’a démontré dès le siècle dernier63. L’acoustique nous a, depuis, éclairés à cet égard. Une expérience bien connue de Sauveur montre qu’une corde sonore ne vibre pas seulement dans toute sa longueur, mais que chacune de ses moitiés, chacun de ses tiers, chacun de ses quarts, de ses cinquièmes et de ses sixièmes, etc., vibre séparément64. Un phénomène d’un ordre analogue peut se produire dans les vibrations des fibres encéphaliques, et celles-ci seraient alors dans une relation analogue à celle des sons harmoniques. Une vibration déterminée par une idée65 serait accompagnée des vibrations correspondantes aux idées connexes ; et la connexité résulterait, soit du voisinage des fibres qu’elles affectent, soit de courants du même genre que l’induction électro-dynamique.

Quoi qu’il en soit du mode de production et de répartition, toute pensée et toute association d’idées représentent un mouvement cérébral, une vibration d’ordre physique.

Les vibrations, l’action psychique à distance, quelle qu’elle soit, d’ailleurs, expliquent donc les faits de télépathie. Il n’y a pas là hallucination, mais impression physique réelle.

Vous lancez dans l’air d’un salon une note déterminée, soit par la voix, soit par le violon, soit de toute autre façon, par exemple un si bémol. La corde d’un piano voisin donnant ce si bémol vibrera et résonnera, tandis que les 84 autres cordes resteront sourdes et muettes. Si elles pouvaient penser, en remarquant l’agitation du si bémol, les autres cordes prendraient évidemment celle-ci pour une hallucinée, une nerveuse, une imaginative, parce qu’elles ont été insensibles au mouvement transmis et qu’elles l’ignorent.

Chaque sensation, comme chaque idée, correspond à une vibration dans le cerveau, à un mouvement des molécules cérébrales. Réciproquement, toute vibration cérébrale donne naissance à une sensation, à une idée, dans l’état éveillé aussi bien qu’en rêve. Il est naturel d’admettre qu’une vibration transmise et reçue donne naissance à une sensation psychique.

Une idée, tout intérieure, une impression, une commotion mentale peut, à l’inverse, produire des effets physiologiques plus ou moins intenses, et même amener la mort. Il ne manque pas d’exemples de personnes mortes subitement à la suite d’une émotion. La preuve est donnée depuis longtemps des effets de la puissance de l’imagination sur la vie elle-même. Personne n’a oublié l’expérience faite à Copenhague en 1750 sur un condamné, livré à des médecins pour une étude de ce genre, et qui fut observé jusqu’à la mort inclusivement. Ce malheureux avait été solidement attaché à une table avec de fortes courroies ; on lui avait bandé les yeux ; puis on lui avait annoncé qu’il allait être saigné au cou et qu’on laisserait couler son sang jusqu’à épuisement complet ; après quoi une piqûre insignifiante fut pratiquée à son épiderme avec la pointe d’une aiguille, et un siphon déposé près de sa tête, de manière à faire couler sur son cou un filet d’eau qui tombait sans interruption avec un bruit léger, dans un bassin placé à terre. Le supplicié convaincu qu’il avait dû perdre au moins sept à huit litres de sang, mourut de peur.

Un autre exemple est celui d’un portier de collège qui s’était attiré la haine des élèves soumis à sa surveillance. Quelques-uns de ces jeunes gens s’emparèrent de sa personne, l’enfermèrent dans une chambre obscure et procédèrent devant lui à un simulacre d’enquête et de jugement. On récapitula tous ses crimes et on conclut que la mort seule pouvant les expier, cette peine serait appliquée par décapitation. En conséquence, on alla chercher une hache et un billot qu’on déposa au milieu de la salle, on annonça au condamné qu’il avait trois minutes pour se repentir de ses fautes et faire sa paix avec le ciel ; enfin, les trois minutes écoulées, on lui banda les yeux et on le força de s’agenouiller, le col découvert, devant le billot, après quoi les tortionnaires lui donnèrent sur la nuque un grand coup de serviette mouillée et lui dirent, en riant de se relever. À leur extrême surprise, l’homme ne bougea pas. On le secoua, on lui tata le pouls : il était mort66.

Enfin, plus récemment, un journal anglais, La Lancette, a raconté qu’une jeune femme, voulant en finir avec la vie, avait avalé une certaine quantité de poudre insecticide, après quoi elle s’était étendue sur son lit où on la trouva morte. Il y eut enquête et autopsie. L’analyse de la poudre trouvée dans l’estomac démontra que cette poudre était absolument inoffensive, au moins pour un être humain, et pourtant la jeune femme était bel et bien morte66.

Mon savant ami, Ch. Richet, rapporte (Revue des Deux-Mondes, LXXVI, 1886, p. 79) que son père ayant eu un jour l’opération de la pierre à faire subir à un malade à l’Hôtel-Dieu, celui-ci mourut de peur au moment où le chirurgien venait simplement de tracer avec l’ongle sur la peau la ligne que l’incision devait suivre.

Tous ces faits psychiques et physiologiques nous aident à comprendre la télépathie.

Assurément, cette recherche d’explication de phénomènes aussi bizarres ne marche pas sans soulever devant elle de nombreuses objections. La première c’est que ces manifestations de mourants, non seulement n’ont pas toujours lieu, non seulement ne sont pas fréquentes, non seulement sont exceptionnelles, mais encore n’arrivent pas dans des circonstances où il semble qu’elles devraient justement se produire, lors d’une mort tragique qui sépare brusquement deux cœurs tendrement unis, lors d’un drame qui brise tout d’un coup plusieurs existences, lors même que l’être qui meurt a absolument promis, espéré, désiré lui-même se manifester et donner à celui qui reste une preuve de son existence posthume. Sans doute, nous pouvons répondre que nous ignorons de quelle façon ces manifestations peuvent se produire, qu’il y a des lois inconnues, des difficultés, des impossibilités, qu’il est nécessaire que deux cerveaux soient en harmonie, en synchronisme, pour vibrer sous la même influence, que l’union intime de deux cœurs ne prouve pas l’égalité synchronique de deux cerveaux, etc., etc. Mais, puisque ces événements ont lieu quelquefois, et dans des cas assez ordinaires, l’objection n’en subsiste pas moins, très grave.

Oui : très grave. Pour ma part, je me suis trouvé plusieurs fois, pendant cette vie, l’âme déchirée par la séparation brusque d’un être aimé. Dans mon adolescence, un ami intime, un camarade de classe, est mort en me promettant de me prouver sa survivance, si c’était possible. Nous avions si souvent discuté la question ensemble ! Plus tard, l’un de mes plus chers collègues de la presse scientifique me proposa le même pacte, accepté mutuellement. Plus tard encore, une personne qui m’était particulièrement attachée disparut de la vie au moment même où ce problème de la survivance nous passionnait tous les deux, et en me donnant l’assurance convaincue que son seul et unique désir était de voir sa mort prématurée servir à la démonstration de cette vérité. Et jamais, jamais, malgré mes attentes, malgré mes désirs, malgré mes vœux, je n’ai eu aucune manifestation. Rien ! RIEN ! RIEN !

J’ai perdu mon père il y a quelques années. Il est vrai que j’étais à ses côtés et que je n’avais pas à être averti. Mais, depuis, rien non plus.

J’avais pour mon grand-père et ma grand’mère une adoration déraisonnée ; ils m’adoraient eux-mêmes follement, et je les aimais tant qu’il m’a toujours été impossible, absolument impossible, d’aller à la tombe où ils reposent : longtemps avant d’arriver à ce petit cimetière de campagne, des sanglots m’étouffent, m’aveuglent et me cassent les jambes. Ils ne se sont jamais manifestés à moi d’aucune façon, ni au moment de leur mort, ni depuis leur départ de cette terre.

Mon cerveau n’est sans doute pas apte à percevoir ces sortes d’ondes éthérées, ni de sources vivantes, ni de sources posthumes. Rien, aucune sensation ne m’a prévenu de ces morts, et, depuis, aucune communication ne m’est parvenue.

Mais le rôle du chercheur, comme celui de l’historien, est de rester impersonnel, et nos propres impressions ne doivent pas nous influencer. Toutefois, la vérité, la loyauté, la franchise avant tout.

Une autre objection, c’est la bizarrerie de certaines manifestations, comme déjà nous l’avons remarqué. S’il y a action à distance d’un esprit sur un autre, pourquoi cette action donne-t-elle naissance à des illusions pareilles : ouvrir ou fermer une fenêtre, soulever un lit, frapper dans un meuble, rouler une boule sur le parquet, faire crier des gonds, etc. ? Il semble que cette action devrait être intellectuelle, donner l’audition d’une voix aimée, montrer l’image de l’être qui nous quitte, rester dans l’ordre psychique et moral.

Cette objection est moins grave que la précédente. Un grand nombre de manifestations consistent, d’une part, en visions ou auditions. Pour les autres cas, nous pouvons supposer que la commotion qui se produit dans le cerveau du mourant se transmet à certaines cellules, à certaines fibres d’un autre cerveau, et détermine, dans cette zone cérébrale, une illusion, une impression quelconque. Une ondulation lumineuse, calorifique, électrique, magnétique, qui vient frapper, traverser un objet, soit, par exemple, une éponge, rencontre des résistances différentes, selon la nature de l’éponge, ses différences de densité, les substances minérales qu’elle peut tenir en suspension, etc., et chaque partie de l’éponge est différemment impressionnée. Les caprices apparents de la foudre nous offrent des bizarreries non moins étranges. Ici, la foudre brûle une personne qui flambe comme une botte de paille ; là, elle réduit les mains en cendres en laissant les gants intacts, elle soude les anneaux d’une chaîne de fer comme dans le feu d’une forge, et, à côté, elle tue un chasseur sans faire partir le fusil qu’il tenait à la main ; ou elle fond une boucle d’oreille sans brûler la peau ; elle dévêtit entièrement une personne sans lui faire aucun mal, ou bien elle se contente de lui ôter ses chaussures ou son chapeau ; elle photographie, sur la poitrine d’un enfant, le nid qu’il saisissait au sommet d’un arbre foudroyé ; elle dore les pièces d’argent d’un porte-monnaie, en faisant de la galvanoplastie d’un compartiment à l’autre, sans que le porteur soit atteint ; elle démolit instantanément un mur de six pieds d’épaisseur et renverse un château séculaire, ou frappe une poudrière sans la faire éclater. Il y a beaucoup plus de bizarreries inexpliquées dans les faits et gestes de la foudre que dans les manifestations télépathiques67.

Dans la recherche de la vérité, notre devoir est de ne nous dissimuler aucune objection. Celles que je viens de présenter n’empêchent pas les faits d’exister, et la seule explication de ces faits me paraît être l’action, à distance, d’un esprit sur un autre.

Maintenant, allons un peu plus loin. Existe-t-il, en dehors de l’ordre de choses que nous venons d’examiner, des exemples conduisant à admettre la probabilité, la réalité de cette action ? Avons-nous des preuves expérimentales, incontestables, de la transmission de pensée sans le concours des sens ?

OUI. Nous allons les passer en revue, les constater, les démontrer, car, dans cet ordre de choses, pour être sûr, il faut être dix fois sûr.

Et, tout d’abord, dans les phénomènes du magnétisme humain.

Je ne parlerai pas d’un grand nombre d’expériences de suggestions hypnotiques auxquelles j’ai assisté, notamment chez le Dr Puel, chez le Dr Charcot, chez le Dr Baréty, chez le Dr Luys, chez le Dr Dumontpallier, etc., non pas que je doute de la réalité de la suggestion et de l’autosuggestion, mais parce qu’elles sont tellement connues qu’il est superflu de les rapporter ici.

Il y a aussi, dans cet ordre d’études, des expériences fort incertaines et même frauduleuses, les sujets eux-mêmes me l’ayant prouvé par leurs accusations réciproques et leurs aveux. La simulation est très fréquente dans ces genres d’expériences. Je ne citerai qu’un exemple. Le Dr Luys avait l’habitude de présenter au sujet soi-disant endormi des flacons qu’il posait sur sa nuque et qui contenaient des produits différents : eau pure, cognac, absinthe, huile de ricin, essence de thym, eau de laurier-cerise, ammoniaque, éther, essence de violette, etc. Le sujet devinait toujours de quoi il s’agissait et, souvent, en manifestait les symptômes. Malheureusement pour la valeur de l’expérience, le docteur présentait toujours les flacons dans le même ordre, du moins dans les séances auxquelles j’ai assisté. Un jour, je le priai d’intervertir l’ordre sans en rien dire. Il n’accepta pas, et me répondit que nous ne devions pas mettre en doute la bonne foi des sujets. Ce sujet était une jeune fille hystérique, actrice dans un théâtre de Paris. Je revins d’Ivry avec elle, et je ne tardai pas à être complètement édifié sur sa sincérité, ainsi que sur celle de ses compagnes d’expérimentation.

Pour être sûr de ces expériences, il est nécessaire qu’elles soient à l’abri de tout soupçon : que l’odeur ne puisse pas traverser la fermeture des flacons, surtout pour des odorats hyperestésiés ; que le sujet ne puisse rien deviner ; que l’expérimentateur même ne puisse pas le suggestionner, et ignore lui-même le contenu des flacons68.

Il est indispensable de ne pas perdre notre temps à l’examen de cas douteux, car rien n’est plus absurde que le temps perdu. La vie est courte. Ne choisissons, n’admettons, n’examinons que des observations bien faites. Et puis, ne sortons pas de notre sujet : démontrer l’action psychique, mentale d’un esprit sur un autre.

C’est le somnambulisme qui nous fournira les premières. Voici, d’abord, un procès-verbal relatant trois faits de suggestion mentale, obtenus par MM. de Guaita et Liébault, au domicile de ce dernier (à Nancy, le 9 janvier 1886)69 :

Nous soussignés, Liébault (Ambroise), docteur en médecine, et de Guaita (Stanislas), homme de lettres, tous deux demeurant actuellement à Nancy, attestons et certifions avoir obtenu les résultats suivants :

1° Mlle Louise L..., endormie du sommeil magnétique, fut informée qu’elle allait avoir à répondre à une question qui lui serait faite mentalement, sans l’intervention d’aucune parole ni d’aucun signe. Le Dr Liébault, la main appuyée au front du sujet, se recueillit un instant, concentrant sa propre attention sur la demande : « Quand serez-vous guérie ? » qu’il avait la volonté de faire.

Les lèvres de la somnambule remuèrent soudain :

« Bientôt », murmura-t-elle distinctement.

On l’invita alors à répéter, devant toutes les personnes présentes, la question qu’elle avait instinctivement perçue. Elle la redit dans les termes où elle avait été formulée dans l’esprit de l’expérimentateur.

2° M. de Guaita, s’étant mis en rapport avec la magnétisée, lui posa mentalement une autre question : « Reviendrez-vous la semaine prochaine ?

Peut-être », fut la réponse du sujet.

Invitée à communiquer aux personnes présentes la question mentale, la magnétisée répondit :

« Vous m’avez demandé si vous reviendriez la semaine prochaine. »

Cette confusion portant sur un mot de la phrase est très significative. On dirait que la jeune fille a bronché en lisant dans le cerveau du magnétiseur.

3° Le Dr Liébault, afin qu’aucune phrase indicative ne fut prononcée, même à voix basse, écrivit sur un billet :

« Mademoiselle, en se réveillant, verra son chapeau noir transformé en chapeau rouge. »

Le billet fut passé, d’avance, à tous les témoins ; puis MM. Liébault et de Guaita posèrent en silence leurs mains sur le front du sujet, en formulant mentalement la phrase convenue. Alors, la jeune fille, instruite qu’elle verrait dans la pièce quelque chose d’insolite, fut réveillée. Sans une hésitation, elle fixa aussitôt son chapeau et, avec un grand éclat de rire, se récria. Ce n’était pas son chapeau ; elle n’en voulait pas. Il avait bien la même forme ; mais cette plaisanterie avait assez duré ; il fallait lui rendre son bien.

« Mais, enfin, qu’y voyez-vous de changé ?

— Vous le savez ; du reste, vous avez des yeux comme moi.

— Mais encore ?.... »

On dut insister très longtemps pour qu’elle consentît à dire en quoi son chapeau était changé ; on voulait se moquer d’elle. Pressée de questions, elle dit enfin :

« Vous voyez bien qu’il est tout rouge. »

Comme elle refusait de le reprendre, force fut de mettre fin à son hallucination, en lui affirmant qu’il allait revenir à sa couleur première. Le Dr Liébault souffla sur le chapeau, et, redevenu le sien à ses yeux, elle consentit à le reprendre.

Tels sont les résultats que nous certifions avoir obtenus de concert. En foi de quoi, nous avons rédigé le présent procès-verbal.

          STANISLAS DE GUAITA.           A.-A. LIÉBAULT.

La suggestion mentale a fait, depuis plusieurs années, l’objet d’études fort importantes, à la tête desquelles il convient de placer l’ouvrage spécial du Dr Ochorowicz. Nous extrairons de cet ouvrage quelques expériences caractéristiques :

M. de la Souchère, ancien élève de l’École polytechnique, savant chimiste résidant à Marseille, avait pour domestique une femme de la campagne, chez laquelle se produisaient, avec la plus grande facilité, le somnambulisme et plusieurs de ses phénomènes remarquables. En somnambulisme magnétique, dit-il, Lazarine entrait avec moi en parfaite communication de pensée, et elle était tellement insensible que je lui enfonçais des aiguilles dans la chair, dans les ongles, sans qu’elle éprouvât la moindre douleur et sans qu’il sortît une goutte de sang.

En présence de l’ingénieur Gabriel et de quelques amis, j’ai répété les expériences suivantes : je lui faisais boire de l’eau pure, et elle me disait qu’elle avait le goût que je me représentais : limonade, sirop, vin, etc. On m’indiqua de lui faire boire du sable. Elle ne put deviner. Alors, je mis du sable dans ma bouche, et, immédiatement, elle se mit à cracher, en disant que je lui donnais du sable. J’étais alors derrière elle, et il lui était impossible de me voir.

Une expérience analogue, mais encore plus avancée, est citée par le comte de Maricourt. Le sujet ayant bu, à l’état de veille, un verre d’eau, avec suggestion mentale d’un verre de kirsch, manifesta tous les signes de l’ivresse pendant plusieurs jours. Ce sont les phénomènes de ce genre qui ont fait croire aux magnétiseurs qu’ils peuvent, en magnétisant un verre d’eau ou un autre objet, imprégner leur fluide de différentes qualités physiques ou chimiques. La magnétisation est ici inutile, puisque c’est la pensée qui agit sur le cerveau du sujet et non sur l’objet.

Quelqu’un me remet un livre : Robinson Crusoé. Je l’ouvre et j’examine une gravure qui représentait Robinson dans un canot. Lazarine, interrogée sur ce que je fais, répond :

« Vous avez un livre, vous ne lisez pas ; vous regardez une image ; il y a un bateau et un homme dedans. »

Je lui dis de me décrire l’ameublement d’une chambre qu’elle ne connaissait pas, et elle indiqua les meubles au fur et a mesure que je me les représentais. Je n’ai pas vu, chez ma domestique, la transposition des sens. On lui avait appliqué sur l’épigastre divers objets ; si je les connaissais, elle les indiquait ; si j’ignorais ce qu’ils étaient, elle ne pouvait les nommer. Ce n’était donc que la transmission de la pensée qui se produisait en elle. Il est possible que, dans certains cas, ce que l’on a attribué à la transposition des sens n’ait été qu’un effet de la transmission de la pensée.

Le Dr Texte a, plusieurs fois, constaté que la somnambule peut suivre la pensée du magnétiseur.

Mlle Diana, dit-il, suivait une conversation pendant laquelle je ne parlais que mentalement. Elle répondait aux questions que je lui adressais de cette manière.

Il cite encore une expérience remarquable dans laquelle la suggestion mentale se manifeste comme une hallucination :

J’imaginai, un jour, une barrière en bois autour de moi ; sans rien dire, je mis en somnambulisme Mlle H..., jeune personne très nerveuse, et je la priai de m’apporter mes livres. Arrivée à l’endroit où j’avais imaginé la barrière, elle s’arrête, disant qu’elle ne peut plus avancer.

« Quelle singulière idée, dit-elle, d’avoir mis là une barrière ! »

Si on la prend par la main pour la faire passer, ses pieds sont collés au parquet, le haut du corps se porte seul en avant, et elle dit qu’on lui presse l’estomac sur l’obstacle.

En général, si le somnambule croit voir quelque chose en dehors des conditions ordinaires, il faut se demander tout d’abord si ce n’est pas une simple suggestion involontaire de notre part.

Un étudiant en médecine demanda à une de mes somnambules quels malades le jury lui donnera à examiner pour une épreuve du doctorat. Elle décrivit très nettement trois malades à l’Hôtel-Dieu, qui avaient attiré plus spécialement l’attention de l’étudiant et que celui-ci aurait désirés comme sujets de son examen. Elle ajouta même (détail caractéristique) sur un de ces sujets :

« Oh ! comme cette femme à l’œil brillant... et fixe !... Il me fait peur... cet œil !

— Voit-elle de cet œil brillant ? demanda l’étudiant.

— Attendez... je ne sais pas... cet œil est dur.... Il n’est pas naturel.

— En quoi est-il, cet œil ?

— En quelque chose... qui se casse... et qui brille.... Oh !... elle le sort... elle le met dans l’eau..., etc., etc. »

Cette malade avait un œil de verre : ce fait, ignoré absolument de moi, puisque je ne connaissais pas les malades en question, mais connu de l’étudiant qui posait des interrogations à la somnambule, a été parfaitement décrit par celle-ci. Où en puisait-elle l’image ? Dans le psychisme de l’interrogateur, qui, par l’intermédiaire du mien, se reflétait en elle.

Il est juste d’ajouter que les prédictions de la somnambule ne se réalisèrent pas ; qu’au jour de son épreuve l’étudiant eut à examiner d’autres malades, et qu’il n’y fut pas même question des malades décrits par la somnambule.

Ordinairement, dit le Dr Charpignon, la vision à distance est confondue avec le phénomène de la transmission de pensée. Ainsi, la plupart des expériences que l’on cite consistent à prier le somnambule d’aller chez vous ou dans un endroit que vous connaissez. Vous êtes en rapport avec lui, et il vous décrit le plus souvent les lieux, les objets, avec la précision, la plus exacte. Eh bien, il n’y a pas là, le plus souvent, vision réelle ; le somnambule voit, dans votre pensée, les images que vous y tracez70.

Un prestidigitateur bien connu, Robert Houdin, s’intéressait à ces questions. Il imitait la double vue et la transmission de pensée à l’aide d’un truc ingénieux. Incrédule en fait de somnambulisme, habitué à produire des prodiges, il faisait très peu de cas du merveilleux et croyait en posséder le secret ; il regardait, lui aussi, tous les hauts faits attribués à la lucidité comme des tours d’adresse, de même nature que ceux dont il amusait le public. Dans plusieurs villes où les somnambules avaient quelques succès, il se faisait un jeu de contrefaire leurs exercices, et même de les surpasser. M. de Mirville, le célèbre démonologue, qui, dans son système, a besoin de somnambulisme pour en faire honneur aux esprits infernaux, eut l’ambition de convertir un adversaire aussi redoutable ; il pensait avec raison que, s’il parvenait à lui démontrer que la lucidité appartient à un ordre de choses entièrement étranger à ses études et à sa pratique, le témoignage d’un juge aussi expert serait d’un très grand poids pour servir la cause du somnambulisme. Il le conduisit chez le somnambule Alexis. M. de Mirville rend compte, dans son livre des Esprits, de la scène qui eut lieu.

Morin, auteur d’un livre spirituel, mais sceptique, sur le magnétisme, affirme que Robert Houdin lui confirma l’exactitude de la narration de M. de Mirville :

J’étais confondu, dit le magicien ; il n’y avait plus là ni adresse, ni escamotage. J’étais témoin de l’exercice d’une faculté supérieure, inconcevable, dont je n’avais pas la moindre idée, et à laquelle j’aurais refusé de croire si les faits ne se fussent pas passés sous mes yeux. J’étais tellement ému que la sueur me ruisselait sur le visage.

Le prestidigitateur cite, entre autres, l’expérience suivante :

Alexis, prenant les mains de ma femme, qui m’avait accompagné, lui parla d’événements passés et notamment de la perte bien douloureuse d’un de nos enfants ; toutes les circonstances étaient parfaitement exactes.

Dans ce cas, le somnambule lisait dans la pensée de Mme Houdin ses souvenirs et ses sentiments plus ou moins réveillés dans sa conscience.

Un autre fait montre en même temps la vision et la clairvoyance, également par la transmission des souvenirs.

Un médecin fort incrédule, le Dr Chomel, voulant aussi s’éclairer par lui-même, présenta une petite boîte à Alexis. Celui-ci la palpa sans l’ouvrir, et dit :

« C’est une médaille ; elle vous a été donnée dans des circonstances bien singulières. Vous étiez alors un pauvre étudiant. Vous demeuriez à Lyon, dans une mansarde. Un ouvrier, auquel vous aviez rendu des services, trouva cette médaille dans des décombres, pensa qu’elle pourrait vous être agréable, et grimpa vos six étages pour vous l’offrir. »

Tout cela était vrai. Certes, ce sont là de ces choses qu’on ne peut ni deviner ni rencontrer par hasard. Le docteur partagea notre admiration.

Il y a des faits de vue à distance indépendants de la transmission de pensée. Nous nous en occuperons plus tard. Il importe d’établir les distinctions nécessaires et d’éloigner des confusions très fréquentes. Ce que nous voulons ici, c’est démontrer la réalité scientifique de la TRANSMISSION DE PENSÉE et de la suggestion mentale. Nous n’avons pas non plus à parler des suggestions verbales, des ordres donnés par la voix et exécutés après tel ou tel délai fixe. Ne sortons pas de notre sujet spécial. Continuons notre étude.

Au mois de novembre 1885, M. Paul Janet, de l’Institut, a lu à la Société de psychologie une communication de son neveu, M. Pierre Janet, professeur de philosophie au lycée du Havre : « Sur quelques phénomènes de somnambulisme ». Ce titre, prudemment vague, cachait des révélations tout à fait extraordinaires. Il s’agissait d’une série d’essais faits par MM. Gibert et Janet, et qui paraissaient prouver non seulement la suggestion mentale en général, mais encore la suggestion mentale à une distance de plusieurs kilomètres et à l’insu du sujet.

Ce sujet, nommé Léonie B., était une brave femme de la campagne, une Bretonne, âgée d’une cinquantaine d’années bien portante, honnête, fort timide, intelligente quoique sans aucune instruction (ne sachant même pas écrire et épelant à peine quelques lettres). Elle est d’une forte et robuste constitution ; elle a été hystérique étant jeune, mais fut guérie par un magnétiseur inconnu. Depuis, ce n’est qu’en somnambulisme que se manifestent quelques traces d’hystérie, sous l’influence d’une contrariété. Elle a un mari et des enfants qui jouissent d’une bonne santé. Plusieurs médecins ont déjà, paraît-il, voulu faire sur elle des expériences, mais elle a toujours refusé leurs propositions. Ce n’est que sur la demande de M. Gibert qu’elle a consenti à venir passer quelque temps au Havre. On l’endort très facilement ; il suffit pour cela de lui tenir la main en la serrant légèrement, pendant quelques instants, avec l’intention de l’endormir. Autrement, rien ne se produit. Après un temps plus ou moins long (2 à 5 minutes, suivant la personne qui l’endort) le regard devient vague, les paupières sont agitées de petits mouvements souvent très rapides, jusqu’à ce que le globe oculaire se cache sous la paupière. En même temps, la poitrine se soulève avec effort ; un état de malaise évident semble envahir le sujet. Très souvent, le corps est agité de frissonnements fugaces ; elle pousse un soupir et se renverse en arrière, plongée dans un sommeil profond.

Le Dr Ochorowicz fit le voyage du Havre pour se rendre compte de ces faits.

Le 24 août, dit-il, j’arrive au Havre et je trouve MM. Gibert et Janet tellement convaincus de la réalité de l’action à distance qu’ils se prêtent volontiers aux minutieuses précautions que je leur impose pour me permettre de vérifier le phénomène.

MM. F. Myers, le Dr Myers, membres de la Society for psychical Researches, M. Marillier, de la Société de psychologie, et moi, nous formons une sorte de commission, et les détails de toutes les expériences sont réglés par nous d’un commun accord.

Voici les précautions qui nous ont guidés dans ces essais :

1° L’heure exacte de l’action à distance est tirée au sort.

2° Elle n’est communiquée à M. Gibert que quelques minutes avant le terme, et aussitôt les membres de la commission se rendent au pavillon où habite le sujet.

3° Ni le sujet, ni aucun habitant du pavillon situé à près d’un kilomètre de distance, n’a connaissance de l’heure exacte, ni même du genre de l’expérience qui doit avoir lieu.

Pour éviter la suggestion involontaire, ni nous, ni aucun de ces messieurs n’entrent dans le pavillon que pour vérifier le sommeil.

On décide de faire l’expérience de Cagliostro : endormir le sujet de loin et le faire venir à travers la ville.

Il était huit heures et demie du soir. M. Gibert consent. On tire l’heure exacte au sort. L’action mentale devait commencer à 9 heures moins 5 et durer jusqu’à 9 h. 10. En ce moment, il n’y avait personne au pavillon, sauf Mme B... et la cuisinière, qui ne s’attendaient à aucune tentative de notre part. Personne n’est allé au pavillon. Profitant de cette absence, les deux femmes étaient entrées dans le salon et s’amusaient à « jouer au piano. »

Nous arrivons dans les environs du pavillon à 9 heures passées. Silence.

La rue est déserte. Sans faire le moindre bruit, nous nous divisons en deux parties pour surveiller la maison à distance.

À 9 h. 25, je vois une ombre apparaître à la porte du jardin. C’était elle. Je m’enfonce dans un coin pour entendre sans être remarqué.

Mais je n’entends plus rien : la somnambule après être restée une minute à la porte s’était retirée dans le jardin. (À ce moment M. Gibert n’agissait plus ; à force de concentrer sa pensée, il a eu une sorte de syncope ou d’assoupissement qui dura jusqu’à 9 h. 35.)

À 9 h. 30, la somnambule reparaît de nouveau sur le seuil de la porte, et cette fois-ci elle se précipite sans hésiter dans la rue, avec l’empressement d’une personne qui est en retard et qui doit absolument atteindre son but. Ces messieurs qui se trouvaient sur sa route n’ont pas eu le temps de nous prévenir, M. le Dr Myers et moi. Mais ayant entendu des pas précipités, nous nous mîmes à suivre la somnambule qui ne voyait rien autour d’elle, ou au moins ne nous a pas reconnus.

Arrivée rue du Bard, elle commença à chanceler, s’arrêta un moment et faillit tomber.

Tout à coup, elle reprend vivement sa marche. Il était 9 h. 35 (En ce moment M. Gibert, revenu a lui, recommença l’action.) La somnambule marchait vite, sans s’inquiéter de l’entourage.

En dix minutes, nous étions tout près de la maison de M. Gibert, lorsque celui-ci, croyant l’expérience manquée et étonné de ne pas nous voir de retour, sort à notre rencontre et se croise avec la somnambule, qui garde toujours les yeux fermés.

Elle ne le reconnaît pas. Absorbée dans sa monomanie hypnotique, elle se précipite dans l’escalier, suivie par nous tous. M. Gibert voulut entrer dans son cabinet, mais je le prends par la main et je le mène dans une chambre opposée à la sienne.

La somnambule, très agitée, cherche partout, elle se heurte contre nous, ne sentant rien ; elle entre dans le cabinet, tâte les meubles en répétant d’un ton désolé : « Où est-il ? Où est-il, M. Gibert ? »

Pendant ce temps, le magnétiseur reste assis et courbé sans faire le moindre mouvement. Elle entre dans la chambre, elle le touche presque en passant, mais son excitation l’empêche de le reconnaître. Elle s’élance encore une fois dans d’autres chambres. C’est alors que M. Gibert a eu l’idée de l’attirer mentalement, et, à la suite de cette volonté ou par une simple coïncidence, elle revient sur ses pas et l’attrape par les mains.

À ce moment, une joie folle s’empare d’elle. Elle saute sur le canapé comme une enfant et frappe des mains en criant : « Vous voilà ! Vous voilà enfin ! Ah ! comme je suis contente !

« J’avais enfin, déclare le Dr Ochorowicz, constaté le phénomène extraordinaire de l’action à distance, qui bouleverse toutes les opinions actuellement admises. »

Citons aussi l’expérience suivante :

Le 10 octobre 1885, écrit M. Janet, nous convenons, M. Gibert et moi, de faire la suggestion suivante : « Demain, à midi, fermer à clef les portes de la maison. » J’inscrivis la suggestion sur un papier que je gardai sur moi et que je ne voulus communiquer à personne. M. Gibert fit la suggestion en rapprochant son front de celui de Mme B... pendant le sommeil léthargique, et pendant quelques instants concentra sa pensée sur l’ordre qu’il lui donnait mentalement. Le lendemain, quand j’arrivai à midi moins un quart, je trouvai la maison barricadée, et la porte fermée à clef. Renseignement pris, c’était Mme B... qui venait de la fermer ; quand je lui demandai pourquoi elle avait fait cet acte singulier, elle me répondit : « Je me sentais très fatiguée et je ne voulais pas que vous puissiez entrer pour m’endormir. » Mme B... était à ce moment très agitée ; elle continua à errer dans le jardin et je la vis cueillir une rose et aller visiter la boîte aux lettres placée près de la porte d’entrée. Ces actes sont sans importance, mais il est curieux de remarquer que c’étaient précisément les actes que nous avions un moment songé à lui commander la veille. Nous nous étions décidés à en ordonner un autre, celui de fermer les portes, mais la pensée des premiers avait sans doute occupé l’esprit de M. Gibert pendant qu’il commandait et elle avait eu aussi son influence. »

Le 13 octobre, M. Gibert lui ordonna, toujours par la pensée, d’ouvrir un parapluie le lendemain à midi et de faire deux fois le tour du jardin. Le lendemain elle fut très agitée à midi, fit deux fois le tour du jardin, mais n’ouvrit pas de parapluie. Je l’endormis peu de temps après pour calmer une agitation qui devenait de plus en plus grande. Ses premiers mots furent ceux-ci : « Pourquoi m’avez-vous fait marcher tout autour du jardin... j’avais l’air bête... encore s’il avait fait le temps d’hier, par exemple, mais aujourd’hui j’aurai été tout à fait ridicule. » Ce jour-là il faisait fort beau, et la veille il pleuvait beaucoup : elle n’avait pas voulu ouvrir un parapluie de peur de paraître ridicule.

Autre expérience encore.

Le Dr Dussart rapporte qu’il donnait chaque jour à sa magnétisée, avant de la quitter, l’ordre de dormir jusqu’au lendemain à une heure fixée.

Un jour, dit-il, j’oubliai cette précaution, et j’étais déjà à 700 mètres de distance, lorsque je m’en aperçus. Ne pouvant retourner sur mes pas, je me dis que peut-être mon ordre serait entendu malgré la distance, puisque à 1 ou 2 mètres un ordre mental était exécuté. En conséquence, je formule l’ordre de dormir jusqu’au lendemain huit heures et je poursuis mon chemin. Le lendemain, j’arrive à sept heures et demie, la malade dormait. « Comment se fait-il que vous dormiez encore ? — Mais, monsieur, je vous obéis. — Vous vous trompez, je suis parti sans vous donner aucun ordre. — C’était vrai ; mais, cinq minutes après, je vous ai parfaitement entendu me dire de dormir jusqu’à 8 heures. » Cette dernière heure était celle que j’indiquais ordinairement. Il était possible que l’habitude fût la cause d’une illusion et qu’il n’y eût ici qu’une simple coïncidence. Pour en avoir le cœur net et ne laisser prise à aucun doute, je commandai à la malade de dormir jusqu’à ce qu’elle reçut l’ordre de s’éveiller. — Dans la journée, ayant trouvé un intervalle libre, je résolus de compléter l’expérience. Je pars de chez moi (7 kilomètres de distance), en donnant l‘ordre du réveil. Je constate qu’il est 2 heures. J’arrive et trouve la malade éveillée, les parents sur ma recommandation avaient noté l’heure exacte du réveil. C’était rigoureusement celle à laquelle j’avais donné l’ordre. Cette expérience, plusieurs fois renouvelée à des heures différentes, eut toujours le même résultat.

Voici qui paraîtra plus extraordinaire encore :

Le 1er janvier, je suspendis mes visites et cessai toute relation avec la famille. Je n’en avais plus entendu parler, lorsque le 12, faisant des courses dans une direction opposée et me trouvant à dix kilomètres de la malade, je me demandai si, malgré la distance, la cessation de tous rapports et l’intervention d’une tierce personne (le père magnétisant désormais sa fille), il me serait encore possible de me faire obéir. Je défends à la malade de se laisser endormir, puis, une demi-heure après, réfléchissant que si par extraordinaire j’étais obéi, cela pourrait porter préjudice à cette malheureuse fille, je lève la défense et cesse d’y penser. Je fus fort surpris, lorsque, le lendemain, à six heures du matin, je vis arriver chez moi un exprès portant une lettre du père de Mlle J... Celui-ci me disait que la veille, 12, à 10 heures du matin, il n’était arrivé à endormir sa fille qu’après une lutte prolongée et très douloureuse. La malade, une fois endormie, avait déclaré que si elle avait résisté, c’était sur mon ordre, et qu’elle ne s’était endormie que quand je l’avais permis. Ces déclarations avaient été faites vis-à-vis des témoins auxquels le père avait fait signer les notes qui les contenaient.

Il devient donc probable qu’avec une connaissance exacte des conditions du phénomène, on pourra arriver à communiquer à distance des pensées entières, comme on le fait aujourd’hui par téléphone71.

Le Dr Charles Richet rapporte qu’étant avec ses collègues à la salle de garde, à déjeuner, son confrère Landouzy, alors interne comme lui à l’hôpital Beaujon, étant présent, il affirma qu’il pouvait endormir une malade à distance, et la ferait venir à la salle de garde uniquement par un acte de sa volonté. Au bout de dix minutes, personne n’étant venu, l’expérience fut considérée comme échouée. — « En réalité, écrit l’expérimentateur, elle n’avait pas échoué, car, quelque temps après, on vint me prévenir que la malade se promenait dans les couloirs endormie, cherchant à me parler et ne me trouvant pas ; et, en effet, il en était ainsi sans que je puisse de sa part obtenir d’autre réponse pour expliquer son sommeil et cette promenade vagabonde, sinon qu’elle désirait me parler ».

Toutes ces expériences démontrent l’action psychique à distance.

Ces faits si curieux de l’action de la volonté dans les expériences de magnétisme ont été observés des centaines, des milliers de fois.

Voici, par exemple, un cas de sommeil somnambulique provoqué par M. E. Boirac, recteur de l’Académie de Grenoble.

En septembre 1892, écrit-il, j’étais installé avec tous les miens, pour y passer les vacances, dans la petite Ville d’Amélie-les-Bains.

On parlait beaucoup des séances données par un jeune homme du pays qui se faisait appeler Dockman. J’eus la curiosité d’y assister. Ce jeune homme, âgé d’environ vingt ans, brun et sec, très nerveux, avait, trois ans auparavant, été magnétisé par un médecin de marine, et avait senti s’éveiller en lui la vocation de liseur de pensées. Tout le monde connaît ce genre de spectacle ou un assistant réussit plus ou moins heureusement à transmettre sa volonté sans paroles, sans gestes, et même sans contact, par un simple effort mental.

La pénétration du jeune montagnard me parut souvent mise en défaut, et lui-même m’avoua qu’il essayait de deviner à toutes sortes d’indices les intentions de son conducteur. « Vous auriez besoin, lui dis-je en riant, de vous faire endormir à nouveau pour recouvrer votre ancienne lucidité ; si le cœur vous en dit, je suis tout prêt à vous rendre ce service. » Dockman parut surpris et quelque peu choqué de ma proposition : « C’est moi qui endors les gens, dit-il ; on ne m’endort plus. »

Pourtant quelques jours plus tard, probablement pour complaire au maire de la ville qui semblait avoir le désir d’assister à une séance d’hypnotisme, Dockman consentit à se laisser faire. Donc un soir, vers dix heures, devant un cercle de quatre à cinq personnes, je lui saisis les pouces et le regardai fixement dans les yeux : au bout de quelques minutes, le voilà endormi, si toutefois on peut appeler sommeil l’état comateux cataleptique où il paraît plongé. Tout son corps est raidi : ses mâchoires sont crochetées, et j’obtiens à grand’peine de brèves réponses à mes questions ? Le réveil se produit avec une extrême lenteur, et un second sommeil présente les mêmes caractères. Bref, le sujet ne semble guère intéressant, et je ne vois pas grand’chose à en tirer.

Le lendemain, selon mon habitude, je me rendis au casino vers une heure de l’après-midi pour y prendre le café.

Je m’assois sur la terrasse, et tout en dégustant le café qu’on vient de me servir, je laisse errer mes regards au-dessous de moi. Dockman est assis dans le jardin, avec un ami qui parcourt un journal : il me tourne presque le dos et s’occupe à rouler une cigarette. Comment l’idée me vint-elle d’essayer l’expérience dont on va lire le récit ? Je ne sais, mais enfin cette idée me vint, et de toutes les forces de ma volonté je la mis immédiatement à exécution. Concentré, isolé dans cette seule pensée, regardant fixement dans la direction de Dockman, je lui ordonnai de cesser tout mouvement et de s’endormir. À aucun moment il ne parut s’apercevoir de mon regard, mais, assez rapidement, je vis ses gestes se ralentir, ses yeux devenir fixes. La cigarette inachevée entre les mains, il abaissa tout à coup ses paupières et resta immobile, pareil à une statue. Son ami lève la tête, l’aperçoit en cet état, l’interpelle et n’obtient pas de réponse. Une chanteuse, assise à la table voisine, s’effraie, jette déjà des cris. Je me hâte de descendre, et, en quelques secondes, lui soufflant vivement sur les yeux, je réveille mon sujet improvisé qui ne semble même pas savoir ce qui vient de lui arriver.

J’avais tenté cette expérience à tout hasard, ne comptant nullement sur un succès, et j’étais moi-même stupéfait du résultat. Le lendemain, l’occasion s’offre à moi de la renouveler. J’arrive au Casino vers 1 heure et demie. Cette fois, Dockman était assis à la terrasse, seul, à une table où il écrivait une lettre, courbé en deux, le nez presque sur son buvard. Ma table était à 5 ou 6 mètres de la sienne ; entre lui et moi se trouvait un quadrille de joueurs de cartes. Je me concentrai de nouveau dans une tension nerveuse qui me faisait en quelque sorte vibrer de la tête aux pieds, et j’ordonnai de toutes mes forces à Dockman, tout en le couvant des yeux, de cesser d’écrire et de s’endormir. L’action fut moins rapide que la veille. On eût dit que le sujet luttait contre ma volonté. Après une ou deux minutes, il donna des signes visibles de crispation. La plume restait en suspens, comme s’il cherchait en vain les mots ; il faisait avec la main le geste de quelqu’un qui écarte une influence obsédante ; puis il déchira la lettre commencée et se mit à en écrire une autre ; mais bientôt sa plume resta clouée sur le papier et il s’endormit dans cette position. Je m’approchai de lui avec plusieurs des assistants qui avaient interrompu leur jeu : tout son corps était contracturé, dur comme un morceau de bois, on essaya inutilement de fléchir un de ses bras ; il ne perdit sa raideur que sous l’action de mes passes. Quand il eut repris l’usage de ses sens, Dockman me pria de ne plus renouveler ces expériences, il se plaignait d’avoir été très fatigué par celle de la veille. Il m’assura d’ailleurs s’être endormi les deux fois sans avoir eu le moindre soupçon que ce brusque sommeil lui fut envoyer par moi ni personne.

Cette expérience est très significative, et ne peut laisser aucun doute, non plus, sur l’action à distance.

Le docteur Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques, a publié les expériences suivantes sur la transmission mentale, faites par un de ses amis, qui désire ne pas être nommé « en raison de la situation importante qu’il occupe », ce que nous regrettons.

Du 7 janvier 1887 au 11 novembre, Marie est endormie très souvent, afin d’être débarrassée, par suggestion, de maux de tête intolérables, et d’une sensation de boule qui occupe tout l’œsophage. Elle est affligée de malaises hystériformes, véritable Protée, qu’il faut chasser sans cesse par des suggestions appropriées. À part cela, la santé générale est excellente, puisque depuis dix-sept ans que j’ai cette jeune femme sous les yeux elle n’a jamais abandonné ses occupations un seul jour, pour cause de maladie.

Pendant les nombreuses séances de sommeil, j’avais essayé en vain la transmission mentale ; jusqu’au 11 novembre je n’obtins pas même trace d’exécution des ordres donnés : Marie avait la pensée sans cesse en éveil, rêvait, et n’obéissait qu’à des ordres verbaux.

Un soir, pendant que j’écrivais mes notes sur elle que j’avais laissée endormie derrière moi, elle eut une hallucination spontanée très pénible, et se mit à fondre en larmes : je la calmai avec peine, et, afin de couper court à ces rêves, lui défendis de penser à quoi que ce fut, quand je la laissais dormir. Puis, réfléchissant que tous mes insuccès, à propos de la transmission mentale, pouvaient bien tenir à cet état polyidéique du cerveau, j’insiste dans ma suggestion et la formule ainsi :

« Quand vous dormez et que je ne vous parle pas, vous ne pensez absolument à rien : votre cerveau reste vide de pensées, afin que rien ne s’oppose à l’entrée de la mienne. »

Je répète cette suggestion quatre fois, du 11 novembre au 6 décembre, jour où je pus constater pour la première fois la transmission de la pensée.

Marie est endormie, depuis un instant, en somnambulisme idéique profond ; je lui tourne le dos, et, sans un geste ou bruit quelconque, lui donne l’ordre mental suivant :

« Quand vous vous éveillerez, vous irez chercher un verre, y mettrez quelques gouttes d’eau de Cologne, et me l’apporterez. »

Au réveil, elle est visiblement préoccupée, ne peut tenir en place, et vient enfin se placer devant moi et me dit :

« Ah ça ! à quoi pensez-vous ! et quelle idée avez-vous mise dans ma tête !

— Pourquoi me parlez-vous ainsi ?

— Parce que l’idée que j’ai ne peut venir que de vous, et je ne veux pas obéir !

— N’obéissez pas si vous voulez ; mais j’exige que vous me disiez immédiatement ce que vous pensez.

— Eh bien ! il me faut aller chercher un verre, y mettre de l’eau, avec quelques gouttes d’eau de Cologne, et vous l’apporter : c’est réellement ridicule ! »

Mon ordre avait donc été parfaitement compris, pour la première fois. À partir de ce moment, 6 décembre 1887, jusqu’à aujourd’hui (1893), sauf dans de très rares journées, la transmission mentale, à l’état de veille ou de sommeil, est des plus nettes. Elle n’est troublée qu’à certaines époques, ou quand Marie a des soucis très vifs. Le 10 décembre 1887, j’ai caché, à l’insu de Marie, une montre arrêtée, derrière des livres, dans ma bibliothèque. Quand elle arrive, je l’endors et lui donne l’ordre mental suivant :

« Allez me chercher la montre qui est cachée derrière des livres dans la bibliothèque. »

Je suis dans mon fauteuil, Marie derrière moi, et j’ai soin de ne pas regarder du côté où est l’objet caché.

Elle quitte brusquement son fauteuil, va droit à la bibliothèque, mais ne peut pas l’ouvrir, des mouvements réguliers énergiques se manifestant toutes les fois qu’elle touche la porte, et surtout la glace.

« C’est là ! c’est là ! j’en suis sure : mais ce verre me brûle ! »

Je me décide à aller ouvrir moi-même ; elle se précipite sur mes livres, les sort, et saisit la montre qu’elle est toute joyeuse d’avoir trouvée.

Des essais analogues ont été faits, avec des ordres que me passait un de nos amis, écrits à l’avance et hors de la présence du sujet, et la réussite a été complète : mais si la personne qui me passe l’ordre lui est inconnue, elle refuse d’obéir, disant que ce n’est pas moi qui commande.

Un ami commun arrive un jour dans mon cabinet, pendant que Marie est endormie, et me passe le petit billet suivant :

« Donnez-lui l’ordre mental d’aller me chercher une cigarette dans l’antichambre, de l’allumer et de me la présenter. »

Elle est assise derrière moi ; sans quitter mon fauteuil, lui tournant toujours le dos, j’envoie l’ordre mental. Mon ami a pris un livre et fait semblant de lire, tout en la surveillant.

« Vous m’embêtez ! comment voulez-vous que je me lève ?

— (Ordre mental.) Vous pouvez très bien vous lever ; décroisez les pieds. »

Après des efforts, elle parvient à décroiser les pieds (qu’elle croise toujours sous son siège), se lève et va, lentement et en tâtonnant, vers une boîte de cigares, les touche, puis se met à rire.

« Ah ! non ! je me trompe, ce n’est pas « mon vrai ».

Et elle va droit dans la pièce à côté, n’hésitant plus, prend une cigarette et la présente à notre ami.

« (Ordre mental.) Il y a autre chose à faire : allumez-la, tout de suite. »

Marie saisit une allumette, mais ne peut l’allumer facilement, je l’arrête et la renvoie dans son fauteuil.

Il y a là, également, preuve certaine de transmission de pensée.

J’ai eu l’occasion de faire quelques expériences personnelles de transmission de pensée ou suggestion mentale, au mois de janvier 1899, avec Ninof, « le liseur de pensées », chez M. Clovis Hugues, et j’ai constaté que : 1° pour qu’il devine quelque chose il faut que la personne qui l’interroge connaisse cette chose ; que 2° il faut que cette personne lui ordonne mentalement mais énergiquement ; il obéit parfois, rigoureusement, dans les moindres détails, à l’ordre mental donné, si cet ordre est simple et précis ; que 3° cette transmission de pensée s’opère de cerveau à cerveau, sans aucun contact, sans aucun signe, à un mètre ou deux de distance, par la seule concentration de la pensée de l’ordonnateur et sans aucun compère ; que 4° des insuccès ne sont pas rares et paraissent dus à des manques de rapport parfait entre le cerveau de l’ordonnateur et celui de l’opérateur, à la fatigue de celui-ci, à des courants contraires.

Exemple : Je pense que Ninof doit aller prendre une photographie qui se trouve à côté de plusieurs autres, au bout du salon, et aller la porter à un monsieur que je ne connais pas, et que je choisis comme étant la sixième personne assise, à partir de là, sur une trentaine d’assistants. Cet ordre mental est exécuté ponctuellement et sans aucune hésitation. M. Clovis Hugues pense qu’il doit aller chercher une petite gravure représentant Michelet, posée sur le piano, près de plusieurs autres objets, et aller la placer devant une statuette de Jeanne d’Arc à l’opposé du salon. L’ordre est exécuté sans hésitation.

C’est la première fois que Ninof venait dans cette maison, et il y est venu seul, sans compagnon. Il a les yeux bandés par une serviette qu’on lui noue autour de la tête, pour s’isoler de toute distraction, dit-il.

Quatre cheveux pris par M. Ad. Brisson à quatre personnes différentes ont été trouvés où ils avaient été cachés, et portés par l’opérateur aux têtes sur lesquelles ils avaient été pris, et à l’endroit même.

Jusqu’à cette expérience, je n’avais guère vu que des compérages. Dans les lectures de pensées et recherches d’objets faites sérieusement, j’avais constaté que ce sont des mouvements inconscients de la main qui guident le devin. Ici, on ne le touche pas, et lors même qu’il pourrait voir par-dessous son bandeau cette supposition n’expliquerait rien, car on reste derrière lui.

Parmi les 1130 faits psychiques reçus et admis à la discussion lors de mon enquête dont j’ai parlé plus haut et dont j’ai déjà cité les principaux cas relatifs aux manifestations de mourants, je dois signaler plusieurs lettres fort intéressantes concernant le sujet spécial de ce chapitre : communications psychiques, transmissions mentales entre vivants. J’en détacherai quelques-unes de ce dossier qui est vraiment une mine très variée. Elles sont instructives.

I. — Voulez-vous permettre à l’un de vos lecteurs les plus assidus, et j’ajoute les plus sympathiques, de vous demander votre sentiment sur un fait dont vous avez certainement connaissance ?

Vous êtes dans une rue.

Tout à coup vous apercevez, à distance, quelqu’un dont l’allure, la démarche, les traits mêmes vous sont familiers. Et vous dites : « Tiens, tiens, voilà M. X.... »

Vous vous approchez, mais ce n’est pas lui. Et pourtant ?

Vous continuez à marcher ; à quelques minutes de là, vous voyez, vous rencontrez, à ne pas vous y tromper cette fois, le personnage que vous aviez cru voir au début.

Ce fait là m’est arrivé, combien souvent ! et sans doute à vous aussi ? Quelle en est la cause ?

Je l’ai longtemps cherchée, et j’ai fini par me convaincre que c’est par rayonnement émané du personnage que l’on devait voir à la fin qu’il convenait peut-être d’attribuer cette curieuse sensation.

On dira ici comme pour la télépathie : « Mais c’est une absurdité, cela n’a pas le sens commun. Le rayonnement ? comment l’admettre d’une rue à l’autre où il a eu le temps de se briser cent fois par les gens qui passent, les voitures qui roulent, etc., etc. »

Cependant, même physiquement, il n’y a pas d’impossibilité à croire que chaque individu projette au-devant ou autour de soi un rayonnement, et que ce rayonnement soit susceptible d’échapper aux causes d’altération ou de réfraction que je viens d’indiquer, etc.

Dans tous les cas, il est extrêmement curieux que l’on arrive fréquemment à se trouver face à face avec un homme auquel on ne pensait pas, et qu’on avait cru distinguer, alors qu’à ce moment c’en était un autre.

L. DE LEIRIS.
Juge au Tribunal civil, à Lyon. [Lettre 7.]

II. — Souvent il m’arrive qu’étant dans la rue, la silhouette d’un passant vu au loin me fait songer à une personne qui lui ressemblerait un peu soit comme habits, soit comme démarche, etc. Une heure ou deux après, je croise la personne évoquée ainsi dans mon esprit, mais ce n’est que lorsque la rencontre a eu lieu que je me rappelle y avoir pensé.

BERGER.
Instituteur, à Roanne. [Lettre 39.]

III. — Mariée depuis plusieurs années en province, je suis restée en correspondance quotidienne avec mon père, qui habite Paris. Lui aussi m’écrit tous les jours, et nous faisons habituellement cette correspondance vers la fin de l’après-midi.

Il nous arrive souvent de faire : l’un, une question ; l’autre, la réponse à cette question, le même jour, à la même heure. Cette question se rapportant souvent à des amis ou des personnes étrangères que l’un ou l’autre au moins, n’a pas vus depuis longtemps, puisque nous n’habitons pas la même ville.

Et, s’il m’arrive d’être souffrante et de n’en pas parler à mon père, lui, le devine presque toujours, et me demande avec insistance des nouvelles de ma santé, au moment même ou elle est un peu ébranlée.

L. R. R. [Lettre 58.]

IV. — Si je passe dans une rue, et qu’une personne me regarde, serait-elle à un cinquième étage, mes yeux se portent involontairement et se confondent avec les siens. Je serais heureux d’apprendre de vous le pourquoi de ce phénomène.

J. C.
À Pezenas. [Lettre 152.]

V. — Ma mère, il y a très peu de temps, avant d’entrer dans un magasin (elle en était distante d’encore une vingtaine de mètres), me dit tout d’un coup : « Tiens, je viens de voir un tel, que Dieu me préserve de le rencontrer ! » Elle ne l’avait sans doute vu que par intuition, que moralement. Mais, fait extraordinaire, en entrant dans le magasin, elle se trouve justement en présence avec lui.

J. B. VINCENT.
À Lyon. [Lettre 189.]

VI. — Comment expliquer que, fréquemment, 9 fois sur 10, après avoir songé à une personne ayant une vague ressemblance avec une autre personne rencontrée dans la rue, je me trouve précisément en présence de cette même personne, un instant après, ou tout au moins dans la journée, bien que rien n’amène la personne à me voir ?

J. RENIER.
À Verdun (Meuse). [Lettre 199.]

VII. — Un matin, il y a environ deux mois, j’étais encore couchée, mais parfaitement éveillée, et je songeais à appeler ma mère pour lui dire bonjour dès que j’entendrais ses pas s’approcher de ma chambre ; je pensais sur quel ton je crierais : « Maman ! » mais je suis sûre de n’avoir pas prononcé ce mot, car je ne dormais pas, j’étais éveillée depuis longtemps et j’avais parfaitement conscience de ce que je faisais ou non. À ce moment, maman entra dans ma chambre ; je lui dis en riant : « Tiens, je pensais justement t’appeler. » Elle me répondit : « Mais tu m’as appelée, je t’ai entendue de l’autre bout de l’appartement, c’est pour cela que je suis venue ! » Moi, je suis sûre de n’avoir rien dit, et ma mère est sûre de m’avoir entendue. Cela nous a fait rire, car c’est assez extraordinaire.

Y. DUBOIS.
8, rue de la Monnaie, Nancy. [Lettre 207.]

VIII. — Il arrive assez souvent de voir inopinément une personne à laquelle on vient de penser ou dont on vient de parler ; et cela a été remarqué depuis longtemps, puisqu’une expression proverbiale y est consacrée : « En parlant du loup, on en voit la queue. »

ALPHONSE RABELLE.
Pharmacien à Ribemont (Aisne). [Lettre 222.]

IX. — Vous avez peut-être entendu parler d’une croyance assez répandue dans certaines régions, celle du bourdonnement dans les oreilles ; il indiquerait, dit-on, qu’on s’occupe de vous quelque part. J’ai plaisanté souvent les personnes qui ajoutaient foi à cette croyance, mais il m’est arrivé, dans des circonstances pénibles, un fait de cette nature qui a modifié mon incrédulité. N’y aurait-il pas, dans ces cas, une transmission du genre de celles dont vous vous occupez ? Si vous le pensez, je me tiendrai à votre disposition pour vous faire part de ce qui m’est arrivé, avec preuves à l’appui, lettres, dépêche, heures de réception, d’envoi qu’il sera facile de contrôler, heure du phénomène, etc. ; peut-être même mon affirmation pourra être certifiée par une des personnes cause de la transmission, que j’ai vue en décembre et à qui j’ai parlé de ce qui m’était arrivé.

A. L. R. [Lettre 232.]

X. — Je suis instituteur et marié depuis neuf ans. Nous avons, ma femme et moi, à peu près les mêmes goûts et la même éducation, et nous constatons — cela depuis le début de notre mariage — une similitude de pensées qui nous paraît étrange. Bien souvent, l’un de nous formule tout haut une opinion, une idée quelconque, au moment précis où l’autre allait s’exprimer exactement de la même façon. Des termes identiques, pour juger d’une personne ou d’une chose, nous viennent à la bouche au même instant à tous les deux, et les paroles de l’un se trouvent, pour ainsi dire, doublées par celles que l’autre allait prononcer.

Est-ce là un phénomène commun qui se reproduit quand il y a sympathie entre deux natures, ou nous est-il personnel ?... En tout cas, s’il a quelque importance, quelle est sa cause, sa nature, et pourquoi se produit-il ?

F. DALIDET.
Instituteur, secrétaire de mairie, à Saint-Florent, près Niort (Deux-Sèvres). [Lettre 299.]

Vu pour la légalisation de la signature de M. Dalidet, instituteur à Saint-Florent.

Mairie de Saint-Florent, le 28 mars 1899.

Le maire : A. FAVRION.

XI. — Ma mère, femme de capitaine de vaisseau, était toujours avertie par quelques signes insolites toutes les fois que mon père courait un danger. C’était si fréquent qu’elle avait pris l’habitude d’en prendre note. Et le lendemain elle apprenait, en effet, qu’à l’heure remarquée son mari en danger de naufrage lui envoyait sa pensée, qu’il croyait être la dernière. Ces cas se multiplient à l’infini chez presque toutes les femmes de marins. Je me rappelle très bien que les conversations des visites que maman recevait avaient très souvent la télépathie pour sujet.

Une de mes amies, femme de marin également, vit, le jour même de la mort de son mari, qui périt tragiquement dans un naufrage, la main de son époux se dessiner sur un des carreaux d’une fenêtre : ce qui la frappa, c’est l’anneau conjugal qui ressortait très bien de sa main. Une autre de mes amies ayant sa sœur malade — je dois vous dire préalablement que celle-ci avait promis à sa sœur, dont elle était séparée, de lui faire savoir par un signe quelconque sa mort, si celle-ci arrivait — sentit à l’heure même ou sa sœur rendait le dernier soupir une tendre étreinte qu’elle reconnut être l’étreinte de sa sœur chérie qui se mourait en effet. Moi-même, en compagnie de deux de mes élèves, avons entendu toutes les trois prononcer distinctement « Fräulein », voix que je reconnus immédiatement pour être celle d’une de mes connaissances qui s’était très mal conduite à mon égard. Je notai le fait et l’heure à laquelle il s’était accompli ; j’appris plus tard que cette personne était morte à l’instant même où le son de sa voix était parvenu à mon oreille.

MARIA STRIEFFERT.
(Née à Stralsund, en Poméranie.) À Calais. [Lettre 319.]

XII. — Lectrice passionnée de vos récents articles, c’est avec bonheur que je constate la puissance de la pensée humaine. Je n’ai personnellement à signaler qu’un fait. Pendant mon séjour en Allemagne, j’ai entendu distinctement mon père m’appeler par mon petit nom. Et le lendemain j’appris qu’il m’écrivait à l’instant même où le son de cette chère voix vint frapper mes oreilles.

MADELEINE FONTAINE.
Pensionnat de Mlle Bertrand, Calais. [Lettre 320.]

P.-S. — Plusieurs confidences m’ont été faites au sujet de la télépathie ; si elles peuvent vous intéresser, je vous les communiquerai avec empressement.

XIII. — Je n’ai jamais été averti de la mort de qui que ce soit par une apparitions ; il en est de même chez les douze ou quinze membres de ma famille que je connais bien.

Mais j’ai eu, un jour, un pressentiment qui, bien que différant dans ces circonstances des phénomènes que vous étudiez, relève peut-être du même ordre.

Me rendant un matin à l’hôpital Lariboisière, où j’étais externe, j’eus un instant l’idée que j’allais rencontrer, à la porte de l’hôpital, M. P..., que je n’avais vu qu’une fois, huit mois auparavant, dans une maison amie, et qui, depuis lors, n’avait jamais occupé ma pensée. Ce monsieur, docteur en médecine, serait venu là pour voir un certain chirurgien de Lariboisière.

Je ne m’étais pas trompé de beaucoup : à la porte de l’hôpital, je rencontrai M. P..., qui venait dans l’intention de voir, non pas le chirurgien en question, mais le chef du service d’accouchements.

Remarquez dans tout ceci que je n’avais pu voir de loin, ni reconnaître subconsciemment M. P..., car ce pressentiment m’était venu boulevard Magenta, au droit de la rue de Saint-Quentin, et que M. P..., quand je l’ai vu, attendait devant la grille depuis près de vingt minutes. (Je lui ai demandé depuis combien de temps il était là avant de lui parler de mon pressentiment, afin, de ne pas influencer sa réponse.)

J’ajoute à cela que je ne suis nullement porté à la superstition, plutôt sceptique, et mon premier soin, en présence de ce cas, fut d’en chercher une explication physique, avant de penser à l’intervention d’un facteur encore indéterminé. Mais je n’ai pas trouvé cette explication physique.

G. MESLEY.
Étudiant en médecine, 27, rue de l’Entrepôt. [Lettre 331.]

XIV. — Une jeune femme de mes amies, qui habitait Paris tandis que j’étais en province, fut atteinte d’un mal qui la conduisit en quelques heures aux portes du tombeau. Rien absolument ne m’avait avertie de sa maladie, cependant j’eus à ce moment exact un rêve, véritable cauchemar, pendant lequel j’assistais au mariage de cette amie. Parents et amis, tout le monde y était vêtu d’étoffes de couleur brune et pleurait à chaudes larmes ! L’impression devint si douloureuse que je m’éveillai. Quinze jours après, je sus le danger auquel avait échappé cette personne.

Il m’arrive aussi, fréquemment, de penser, sans motif apparent, à une personne dont je contrôle la coïncidence de pensée par la réception d’une lettre que rien ne rendait nécessaire. Cela arrive si souvent que j’ai l’habitude d’attendre des nouvelles des personnes auxquelles j’ai pensé involontairement. Cependant le fait n’est pas sans exceptions.

A. B.
à Chagny. [Lettre 382.]

XV. — Le fait suivant m’a été rapporté par un de mes amis, professeur dans une faculté de médecine de France, et présentant par sa situation des garanties toutes spéciales. Je ne puis, sans son autorisation, vous donner son nom au sujet d’un événement qu’il m’a raconté dans l’intimité et qu’il ne voudrait peut-être pas voir publier. Nous le désignerons donc sous l’initiale Z.

M. Z., qui se trouvait alors à Saint-Louis du Sénégal, fut piqué à un orteil par un insecte du pays très dangereux, connu parmi les Européens sous le nom de chique. À la suite de cette piqûre, il fut pris d’une fièvre intense qui le mit à deux pas du tombeau, et le laissa pendant une vingtaine de jours, je crois, absolument sans connaissance. Or, quelques heures après qu’il eût perdu tout sentiment, on lui apporta un télégramme de sa mère, qui était en France, demandant ce qui lui était arrivé. L’heure à laquelle avait été lancé ce télégramme, en tenant compte du temps nécessaire pour aller le porter au bureau, coïncidait avec celle de l’évanouissement de M. Z. Lorsque ce dernier, heureusement rétabli ; rentra en France, sa mère lui raconta que, sans motif apparent, elle avait soudain éprouvé une sorte de secousse et qu’elle avait eu immédiatement l’intuition que son fils courait un grand danger ; cette impression était si puissante, qu’elle avait immédiatement fait lancer un télégramme pour avoir de ses nouvelles.

Pour donner plus d’authenticité à mon récit, je préfère signer ma lettre ; mais je suis fonctionnaire de l’État, comme vous voyez, et je vous serais reconnaissant, si par hasard vous jugiez bon de reproduire les faits que je cite, de ne pas publier mon nom et mon adresse.

R.
Algérie. [Lettre 398.]

XVI. — J’avais autrefois un ami que les circonstances (c’était un explorateur) obligeaient à vivre fort loin de chez nous. Nous avions pris la douce habitude de correspondre très régulièrement et, petit à petit, nos âmes avaient acquis une telle affinité qu’il nous arrivait constamment de nous écrire à la même heure, de nous dire identiquement les mêmes choses, ou encore de répondre à la même minute à une question posée dans la lettre. Ainsi, un jour, inquiet de n’avoir pas reçu de nouvelles, je saisis la plume et traçai deux mots : « Es-tu malade ? » Au même moment, nous l’avons vérifié plus tard, il m’écrivait : « Sois sans inquiétude, le mal a passé. » Je ne dis pas que ce soit là une vision, mais certes, dans les moments tragiques de l’existence, deux âmes unies par la plus profonde tendresse doivent se « confondre », s’unifier à distance.

E. ASINELLI.
À Genève. [Lettre 443.]

XVII. — Un jour, ma femme s’est trouvée, vers midi, prise d’un malaise indéfinissable qu’elle n’a jamais ressenti depuis ; elle était oppressée et ne pouvait rester en place. Invitée à une collation, elle s’y rendit, mais ne put rester ; elle alla se promener dans le jardin, chercha à causer. Cette contrainte la suivait toujours, et ce n’est qu’à 9 heures au soir qu’elle s’est trouvée subitement soulagée, comme si elle n’avait rien éprouvé.

Le lendemain, on est venu lui apprendre que son père était décédé ce jour-là à 9 heures du soir juste. Elle n’avait pas pensé à son père du tout.

BUSIN.
À Neuville, par Poix-du-Nord. [Lettre 449.]

Le village que nous habitions était à 24 kilomètres de celui de mon beau-père.

XVIII. — Il m’est arrivé souvent de chanter mentalement un air connu, et quelques instants après mon mari chantait à haute voix l’air que j’avais dans la tête. Cela nous occasionnait quelques discussions qui finissaient toujours par nous amuser.

M. C.
À Grenoble. [Lettre 467.]

XIX. — Ma tante (mère adoptive) m’aimait extrêmement, si je puis m’exprimer ainsi, et était très nerveuse. Moi-même je le suis assez. Notre correspondance était très fréquente, surtout dans les premiers temps de notre séparation, et j’ai remarqué que, chaque fois que je devais recevoir une lettre d’elle, ma pensée se reportait avec une grande intensité vers elle, la veille de l’arrivée de sa correspondance dont la date n’avait rien de fixe. Ces observations m’ont souvent préoccupé.

O.
Commandant retraité, à Riversé. [Lettre 507.]

XX. — Une nuit, il y a plusieurs années de cela, je suis réveillé brusquement, ayant conscience qu’un de mes clients, M. X..., demeurant à trois kilomètres de chez moi, allait venir me chercher. Je saute de mon lit, je me mets à la fenêtre, et... je le vois arriver quelques minutes plus tard. Sa femme était malade et il me priait de venir la voir.

Il m’est arrivé plusieurs faits de ce genre.

Dr N.... [Lettre 517.]

XXI. — Dans cet ordre d’idées, voici la seule remarque que j’aie faite, intéressante seulement à cause de sa régularité : j’ai deux amies à l’étranger, qui m’écrivent assez fréquemment, mais non à date fixe. Quand je rêve à l’une ou à l’autre, il est rare que le courrier du matin ne m’apporte pas une lettre de celle à laquelle j’ai rêvé. Tout d’abord je n’y ai pas pris garde, mais la remarque s’est imposée et, depuis, j’ai vérifié le fait très souvent. De plus, le rêve n’est généralement pas précédé d’une pensée plus particulière qui pourrait en quelque sorte le préparer et l’expliquer.

CL. CHARPOY.
À Tournus. [Lettre 551.]

XXII. — Mon amie intime a souffert pendant une journée d’une angoisse physique intense et qu’aucune cause connue ne lui expliquait, le jour où j’étais, moi, frappée du plus grand chagrin, sans qu’elle pût d’ailleurs se douter de ce qui se passait : j’étais à Nantes, elle à Genève.

CH. CHAMPURY.
À Genève. [Lettre 589.]

XXIII. — En 1845 et 1846, j’étais élève (classe de français) au collège d’Alais ; quoique protestant, j’étais dans les meilleurs termes avec M. Barély, abbé du collège, et, lors des fêtes religieuses, j’étais, avec quelques camarades, chargé des décors de la chapelle.

Nous profitions de notre liberté momentanée pour descendre dans le caveau funéraire qui se trouve sous la sacristie et où l’on accède par une trappe et un escalier, placés sous la stalle des professeurs, dans la chapelle. Ce caveau renfermait les restes de trois ou quatre anciens abbés du collège, dont les cercueils découverts et à moitié brisés étaient déposés sur le sol ; la voûte basse était constellée de noms d’anciens élèves tracés à la fumée des bougies ; j’avais gardé, de ce caveau, un souvenir ineffaçable.

Plus tard, en 1849 et 1850, j’habitais Nîmes. M. Maulins Salles, libraire, s’occupait de magnétisme, nous en causions souvent ; il aurait voulu m’enrôler dans sa compagnie, disant qu’étant dans l’architecture je pourrais, magnétisé, détailler les monuments des villes où l’on me conduirait par la pensée. J’acceptai, mais il eut beau faire, il ne put parvenir à m’endormir.

Un jour, j’assistai à une séance fort intéressante à laquelle il m’avait invité ; je trouvai là une femme d’une soixantaine d’années, domestique probablement.

Il la magnétisa, me mit en communication avec elle, les mains dans les mains, et on nous laissa seuls.

Le souvenir du caveau de la chapelle me revint à la mémoire et je me décidai d’y conduire le sujet. Je lui dis que nous prenions le train d’Alais : elle balança le haut du corps pendant tout le trajet.

En arrivant, et jusqu’à notre entrée dans le collège, elle me détailla parfaitement tout ce qui se trouvait sur notre passage ; nous entrons dans le vestibule, ensuite dans la chapelle ; elle se signa en voyant l’autel ; nous allons vers la stalle de gauche, elle fait des efforts pour la déplacer et m’aide aussi à soulever la dalle de la trappe ; j’allume une bougie, je lui donne la main pour descendre le petit escalier, et nous voilà dans le caveau ; elle tremblait de peur et voulait s’en aller.

Je la tranquillisai, et l’amenant devant les cercueils je la priai de me les dépeindre.

« Il y a de la neige sur celui-là, me dit-elle !... » La bière avait été remplie de fleur de chaux.

« Quelle belle chevelure a celui-ci ! » Le crâne, en effet, était entouré d’une forêt de cheveux.

« Soulevez le vêtement de celui d’à côté, lui dis-je....

— Oh ! exclama-t-elle, que c’est beau ! c’est de la soie et de l’or !... » C’était un des abbés enseveli en habits sacerdotaux !

« Regardez la voûte, je vais vous éclairer ; que voyez-vous ?... — Des noms, me dit-elle. — Lisez-les. » Elle en lut cinq ou six dont je me souvenais fort biens.

Nous regagnâmes la chapelle et je lui dis que nous allions aller à pied à Anduze.

En chemin, elle me donna une masse de détails sur le pays que nous parcourions, et tous parfaitement véridiques.

Arrivés à Anduze, je l’introduisis dans une maison amie ; il est huit heures du soir ; elle me dépeint la maison, l’escalier, le salon.... Je lui demande alors de me désigner les personnes présentes. Elle me répond qu’elle ne le sait pas.... Je réfléchis alors que je l’ignorais moi-même et qu’il m’était impossible de lui transmettre ma pensée.

MELVIL ROUX.
Architecte, à Tornac, par Anduze (Gard). [Lettre 650.]

XXIV. — Dernièrement, j’ai soigné et guéri, par le magnétisme, la femme d’un de mes amis qui souffrait d’une pénible affection depuis près de dix-huit ans. Le traitement qu’elle suivit journellement avec moi dura environ six mois et, comme cela arrive en pareil cas entre magnétiseur et sujet, elle était tombée sous ma dépendance absolue. Je ne veux point vous rapporter ici tous les phénomènes que je pouvais faire naître chez elle, tels que aberrations du goût, sensation de chaud et de froid, etc., ils sont trop connus et trop facilement imputés à l’imagination. Mais outre cela elle percevait, involontairement de ma part, toutes mes sensations, même à distance, et ici l’imagination ne peut être invoquée comme entrant en jeu. C’est ainsi qu’il lui arrivait de me dire : « Hier vous vous êtes querellé à telle heure » ou bien : « Vous étiez triste, que vous est-il arrivé ? » Bref, j’ai pu m’assurer qu’elle sentait toutes mes impressions à une très grande distance ; j’ai pu le vérifier du moins pour un espace de 15 kilomètres.

J’ai eu aussi un autre sujet, un homme celui-là, que je faisais venir à volonté chez moi. Il suffisait pour cela que j’y pense fortement. « Pourquoi, lui dis-je un jour, êtes-vous venu par un temps si affreux ? — Eh bien, je n’en sais rien, cela m’a pris tout d’un coup, j’ai eu envie de vous voir, et me voici. » Où est l’imagination dans tout cela ?

De même qu’il y a un somnambulisme naturel et un somnambulisme provoqué, il y a le magnétisme volontaire et l’involontaire, ce qui explique les sympathies et les antipathies naturelles.

Dr X....
À Valparaiso. [Lettre 675.]

Ces cas ne peuvent raisonnablement pas plus être attribués au hasard que les précédents. (Quelques-unes des rencontres devinées peuvent l’avoir été par une ressemblance fortuite des rencontres qui les ont précédées, mais c’est évidemment l’exception). Ils prouvent la communication des pensées. Nous en présenterons encore quelques autres à l’attention de nos lecteurs. Le suivant est extrait de l’ouvrage Phantasms of the Living.

M. A. Skirving, maître maçon à la cathédrale de Winchester, écrit aux rédacteurs de ce recueil :

XXV. — Je ne suis pas savant. J’ai quitté l’école à l’âge de douze ans, et j’espère que vous pardonnerez mes fautes contre la grammaire. Je suis maître maçon à la cathédrale de Winchester et je demeure dans cette ville depuis neuf ans. Il y a plus de trente ans, j’habitais à Londres, tout près de l’endroit occupé à présent par le Great Western Railway. Je travaillais à Regent’s Park pour MM. Mowlem, Burt et Freeman. La distance de ma maison étant trop grande pour rentrer pour les repas, j’emportais mon déjeuner et je ne quittais pas mon travail dans la journée.

Un certain jour, cependant, je sentis brusquement un désir intense de rentrer chez moi. Comme je n’avais rien à faire chez moi, je tâchai de me débarrasser de cette obsession, mais il me fut impossible d’y réussir. Le désir de rentrer chez moi augmenta de minute en minute. Il était 10 heures du matin, et il n’y avait rien qui pût me rappeler de mon travail à cette heure-là. Je devins inquiet et mal à l’aise ; je sentis que je devais m’en aller, même au risque d’être ridiculisé par ma femme ; je ne pouvais donner aucune raison de quitter mon travail et de perdre six pences l’heure pour une bêtise. Toutefois je ne pus rester ; je partis pour la maison.

Lorsque j’arrivai devant la porte de ma maison, je frappai ; la sœur de ma femme m’ouvrit. Elle parut surprise et me dit : « Eh bien, Skirving, comment est-ce que vous le savez ? — Savez quoi ? lui dis-je. — Eh bien, à propos de Mary Anne. » Je lui dis : « Je ne sais rien sur Mary Anne (ma femme). — Alors, qu’est-ce qui vous ramène à cette heure-ci ? » Je lui répondis : « Je n’en sais rien. Il me semblait que l’on avait besoin de moi ici. Mais qu’est-ce qui est arrivé ? »

Elle me raconta qu’un fiacre avait renversé ma femme, il y avait peut-être une heure, et qu’elle était gravement blessée. Elle n’avait cessé de m’appeler depuis son accident. Elle me tendit les bras, les enlaça autour de mon cou et posa ma tête sur sa poitrine. Les crises passèrent immédiatement et ma présence la calma ; elle s’endormit et reposa. Sa sœur me raconta qu’elle avait poussé des cris à faire pitié pour m’appeler, bien qu’il n’y eût pas la moindre probabilité que je viendrais.

Ce court récit n’a qu’un mérite : il est strictement vrai.

ALEXANDRE SKIRVING.

P.-S. — L’accident avait eu lieu une heure et demie avant mon arrivée. Cette heure coïncidait exactement avec celle où j’éprouvai l’obsession de quitter mon travail. Il me fallait une heure pour arriver chez moi, et avant de partir j’avais bien lutté une demi-heure pour vaincre le désir de m’en aller.

Tous ces exemples montrent qu’il y a comme des courants entre les cerveaux, entre les esprits, entre les cœurs, courants dus à une force encore inconnue. En voici d’autres non moins évidents.

Le professeur Silvio Venturi, directeur de l’asile d’aliénés de Girifalco, écrivait le 18 septembre 1892 :

XXVI. — En juillet 1885, j’habitais Nocera. Un jour, j’allai, avec un compagnon, faire une visite à mon frère à Pozzuoli, à trois heures de chemin de fer.

Je laissai chez moi tout le monde en bonne santé. D’habitude je restais deux jours à Pozzuoli, quelquefois un peu plus. Nous arrivâmes à 2 heures après-midi. Après le repas, nous avions l’intention de faire une partie de bateau avec mes parents. Tout d’un coup je m’arrête pensif, prenant une résolution énergique, je déclare ne plus vouloir aller en barque mais au contraire revenir tout de suite à Nocera. On me questionna, disant que j’étais bizarre. Je sentais moi-même toute l’extravagance de ma résolution, mais je n’hésitai pas, car j’éprouvais un besoin irrésistible de retourner chez moi.

En voyant ma résistance, on me laissa partir. Mon compagnon me suivit malgré lui. Je louai une petite voiture avec un cheval maigre et lent qui allait au pas au lieu de trotter. Tout à coup, craignant de manquer le train de 7 heures du soir (c’était le dernier) je pressai le cocher, mais la pauvre bête épuisée n’avançait pas. Finalement nous descendîmes et pûmes trouver une autre voiture à temps pour le train.

Ma maison à Nocera est située à trois cents mètres de la gare, mais je n’eus pas la patience de faire le trajet à pied et montai dans la voiture d’un ami, laissant mon compagnon rentrer à pied. Arrivé chez moi, je pâlis en voyant quatre médecins : MM. Ventre, Canger, Roscioli et celui de la ville ; tout le monde était autour du lit de ma chère enfant atteinte du croup et menacée de mort.

La maladie n’était pas dans la région. Le croup s’était déclaré à 7 heures du matin, peut-être à l’heure même où je subis l’obsession de retourner au plus vite chez moi. J’ai eu la joie d’avoir contribué ainsi à sa guérison. Ma femme avant mon arrivée criait et m’appelait avec angoisse72.

Tous ces faits si nombreux n’indiquent-ils pas l’existence de courants psychiques entre les êtres vivants ? Ces constatations sont de la plus haute importance pour la connaissance que nous cherchons à acquérir, par ces études, de la nature et des facultés de l’âme humaine.

Autre document tout à fait du même ordre : ils se confirment ainsi les uns par les autres.

M. Lasseron, greffier à Châtellerault, écrit, à la date du 31 janvier 189473 :

XXVII. — Un avoué, faisant partie de la garde nationale, se trouvait dans le corps de garde. Tout à coup, il lui prend la fantaisie de sortir, sans prévenir personne. Étant sous les armes, pas même le chef de poste n’aurait pu le lui permettre ; d’ailleurs, il n’avait aucun motif plausible à donner. C’était une lubie qui lui passait par la tête, et malgré la prison qui lui incombait (en effet, il a attrapé, pour ce fait d’indiscipline, huit jours de prison), il dépose son fusil et s’en va chez lui, en courant.

En arrivant, il trouve sa femme en larmes, environnée de médecins qui entouraient le lit de sa fille, âgée de six ans, atteinte du croup et proche de la mort.... Cette maladie n’était pas dans la ville.

La vue inopinée de son père sembla produire une réaction d’autant plus favorable que l’enfant survécut. Elle s’est mariée avec le frère de la femme du juge qui m’a raconté ce fait extraordinaire ; elle est morte avant sa vingt-cinquième année.

Il a fallu employer les plus grandes protections pour lever la punition des huit jours de prison, et c’est plutôt en considération de cet étrange fait de télesthésie.

LASSERON.
Greffier, à Châtellerault.

Le Dr Aimé Guinard, chirurgien des hôpitaux de Paris, habitant à Paris, rue de Rennes, expose le fait suivant (octobre 1891) :

XXVIII. — J’ai habituellement pour dentiste un de mes amis installé loin de chez moi, dans le quartier de l’Opéra. Comme sa clientèle a pris une extension considérable, je n’ai pas le temps de faire de longues stations dans son salon d’attente, et je me suis décidé à demander quelques soins à un de ses collègues qui exerce à quelques pas de chez moi, M. Martial Lagrange.

Je donne ces détails pour bien montrer que je n’étais pas en relations avec ce dernier, car je l’ai vu pour la première fois au début de cette année.

Un soir du mois de septembre, je me couche comme d’ordinaire, vers onze heures et demie : je suis pris vers deux heures du matin d’une rage de dents des plus insupportables, et je reste éveillé toute la nuit. Je souffrais assez pour ne pas pouvoir m’endormir, mais non pas au point d’être dans l’impossibilité de penser à mes affaires courantes. Comme j’étais sur le point de terminer un mémoire sur le traitement chirurgical du cancer de l’estomac, je passai une partie de la nuit à méditer sur ce sujet et à faire le plan de mon dernier chapitre. Souvent mon travail de tête était interrompu par une poussée douloureuse, et je prenais la résolution d’aller dès le lendemain matin trouver mon voisin, M. Martial Lagrange, pour arracher la dent malade.

J’insiste sur ce point : pendant cette longue insomnie, ma pensée a été absolument concentrée sur ces deux sujets (et cela avec d’autant plus d’intensité que tout était dans le calme et l’obscurité autour de moi), d’une part mon mémoire sur le traitement chirurgical du cancer de l’estomac où j’étudie l’extirpation de la tumeur au bistouri, et de l’autre le dentiste en question et l’ablation de ma mauvaise dent.

Dès dix heures du matin, j’arrive dans le salon d’attente, et, dès que M. Martial Lagrange soulève la portière de son cabinet, il s’écrie : « Tiens, comme c’est bizarre, j’ai rêvé de vous toute la nuit. »

Je lui réponds en plaisantant : « J’espère au moins que votre rêve n’a pas été trop désagréable, bien que j’y fusse mêlé. »

Mais, au contraire, reprend-il, c’était un horrible cauchemar ; j’avais un cancer de l’estomac, et j’étais obsédé de l’idée que vous alliez m’ouvrir le ventre pour me guérir.

Or, j’affirme que M. Martial Lagrange ignorait absolument que, cette nuit-là, j’étudiais précisément cette question ; je ne l’avais pas rencontré depuis plus de six mois, et nous n’avons aucun ami commun.

J’ajouterai que c’est un homme de 45 ans environ, névropathe, très émotif.

Voilà le fait dans toute sa simplicité, ce n’est pas un racontar de seconde ou de troisième main, puisque c’est de moi-même qu’il s’agit. Est-ce une simple coïncidence ? Cela me paraît bien improbable.

Ne serait-ce pas plutôt une observation à rapprocher des cas authentiques de télépathie ? Ce qu’il y a de particulier ici, c’est mon état de veille à moi, et c’est la pensée du dentiste influencé ou suggestionné pendant le sommeil.

On dit couramment, probablement depuis des siècles, lorsqu’on s’occupe avec insistance de quelque absent : « Les oreilles ont dû lui tinter. » Ce dicton serait-il basé sur des faits de télépathie analogues au mien ?

Ces observations ne datent pas d’aujourd’hui. Voici une expérience rapportée par mon ami regretté le Dr Macario dans son livre si intéressant sur Le Sommeil 74 :

XXIX. — Un soir, le Dr Grosnier, après avoir endormi par la magnétisation une femme hystérique, demanda au mari de cette femme la permission de faire une expérience, et voici ce qui se passa. Sans mot dire, il la conduisit en pleine mer, mentalement bien entendu. La malade fut tranquille tant que le calme dura sur les eaux ; mais bientôt le magnétiseur souleva dans sa pensée une effroyable tempête, et la malade se mit aussitôt à pousser des cris perçants et à se cramponner aux objets environnants ; sa voix, ses larmes, l’expression de sa physionomie indiquaient une frayeur terrible. Alors il ramena successivement, et toujours par la pensée, les vagues dans les limites raisonnables. Elles cessèrent d’agiter le navire, et, suivant le progrès de leur abaissement, le calme rentra dans l’esprit de la somnambule, quoiqu’elle conservât encore une respiration haletante et un tremblement nerveux dans tous ses membres. « Ne me ramenez jamais en mer, s’écria-t-elle un instant après avec transport, j’ai trop peur ; et ce misérable de capitaine qui ne voulait pas nous laisser monter sur le pont ! » Cette exclamation nous bouleverse d’autant plus, dit M. Grosnier, que je n’avais pas prononcée une seule parole qui put lui indiquer la nature de l’expérience que j’avais l’intention de faire.

Le Dr Macario rapporte aussi les faits suivants :

XXX. — Un terrain était à vendre judiciairement dans une commune des environs de Paris. Personne n’y mettait l’enchère, quoique la mise à prix fut excessivement minime, parce que ce terrain était saisi au père G... qui passe parmi les paysans pour un sorcier dangereux. Après une longue hésitation, un cultivateur nommé L..., séduit par le bon marché, se risqua et devint acquéreur du champ.

Le lendemain matin, notre homme, la bêche sur l’épaule, se rendait en chantant à sa nouvelle propriété, quand un objet sinistre frappa ses regards ; c’était une croix de bois à laquelle était attaché un papier contenant ces mots : « Si tu mets la bêche dans ce champ, un fantôme viendra te tourmenter la nuit. » Le cultivateur renversa la croix et se mit à travailler la terre, mais il n’avait pas grand courage ; il pensait, malgré lui, au fantôme qui lui était annoncé, il quitta l’ouvrage, rentra chez lui et se mit au lit ; mais ses nerfs étaient surexcités, il ne put dormir. À minuit, il vit une longue figure blanche se promener dans sa chambre et s’approcher de lui en murmurant : « Rends-moi mon champ. »

L’apparition se renouvela les nuits suivantes. Le cultivateur fut saisi par la fièvre. Au médecin qui l’interrogea sur la cause de sa maladie, il raconta la vision dont il était obsédé, et déclara que le père G... lui avait jeté un sort. Le médecin fit venir cet homme, et, en présence du maire de la commune, il l’interrogea. Le sorcier avoua que chaque nuit, à minuit, il se promenait chez lui revêtu d’un drap blanc, afin de faire endêver l’acquéreur de son champ. Sur la menace de le faire arrêter s’il continuait, il se tint tranquille. Les apparitions cessèrent et le cultivateur recouvra la santé.

Comment ce sorcier, se promenant chez lui, pouvait-il être vu du paysan dont la demeure est à un kilomètre de distance ? Nous n’expliquerons pas ce phénomène, nous dirons seulement que ce fait n’est pas sans précédents et qu’il s’appuie sur une autorité, irrécusable, celle du célèbre Dr Récamier.

XXXI. — M. Récamier venait de Bordeaux, il traversait en chaise de poste un village ; une des roues de la voiture vint à se briser ; on courut chez le charron dont la demeure était près de là. Mais cet homme était malade au lit, et l’on fut obligé d’aller chercher un de ses confrères qui demeurait dans le village voisin. En attendant que l’accident fût réparé, M. Récamier entra chez le paysan malade, et lui adressa des questions sur l’origine de son mal. Le charron répondit que sa maladie provenait du manque de sommeil : « Il ne pouvait dormir, parce qu’un chaudronnier qui demeurait à l’autre bout du village, à qui il avait refusé de donner sa fille en mariage, l’en empêchait en frappant toute la nuit sur ses chaudrons. »

Le docteur alla trouver le chaudronnier, et sans préambule, il lui dit :

« Pourquoi frappes-tu toute la nuit sur ton chaudron ?

— Pardienne, répondit-il, c’est pour empêcher Nicolas de dormir.

— Comment Nicolas peut-il t’entendre, puisqu’il demeure à une demi-lieue d’ici ?

— Oh ! oh ! reprit le paysan en souriant d’un air malin, je savons ben qu’il entend. »

M. Récamier enjoignit au chaudronnier de cesser son tapage en le menaçant de le faire poursuivre si le malade venait à mourir. La nuit suivante, le charron dormit paisiblement. Quelques jours après, il reprit ses occupations.

Dans les considérations dont il accompagne le récit de ce fait, le Dr Récamier l’attribue au pouvoir de la volonté, dont on ne connaît pas encore toute l’énergie, et qui s’était spontanément révélé à un paysan inculte. Le phénomène, du reste, ne semblera pas extraordinaire à ceux qui connaissent le magnétisme.

Le général Noizet, l’un des auteurs les plus sérieux et les plus précis qui aient écrit sur le magnétisme, rapporte l’histoire suivante75 :

XXXII. — Vers 1842, je fus invité à passer chez un de mes anciens camarades une soirée dans laquelle on devait étaler les merveilles du somnambulisme. Je m’y rendis ; c’était la première fois que j’assistais à ce genre de spectacle, assez commun cependant dans les salons de Paris, et depuis je n’y ai pas assisté de nouveau.

Je trouvai là une quarantaine de personnes, quelques adeptes plus ou moins exaltés, et beaucoup d’incrédules, parmi lesquels on pouvait compter au premier rang le maître de la maison. J’augurais mal de la séance, et, en effet, toutes les expériences de vue à distance, de lecture de billet cacheté, tous les miracles en un mot échouèrent complètement, et il ne resta plus assez de faits saillants pour qu’une réunion aussi nombreuse et dans des dispositions diverses pût sagement les apprécier.

En causant dans un groupe à l’issue de cette déconvenue, je fis observer au maître de la maison que ce n’était pas par de semblables représentations que l’on pouvait se convaincre de la réalité des phénomènes ; que les expériences eussent-elles même réussi, chacun dans une réunion nombreuse de personnes étrangères les unes aux autres pouvait supposer quelque compérage, quelque supercherie, et que, pour bien observer les faits, il fallait les voir en tête-à-tête ou en petit comité, les examiner sous toutes les faces et les répéter souvent.

Un de nos interlocuteurs applaudit à mes paroles, dit qu’il connaissait une excellente somnambule, et nous proposa de tenter quelques essais avec elle, en présence seulement du maître de la maison et chez un ami commun. Nous acceptâmes et prîmes jour à un délai rapproché.

J’arrivai chez mon ami avant le magnétiseur et sa somnambule, et j’appris qu’entre autres facultés extraordinaires qu’on prêtait à cette somnambule était celle de pouvoir dire ce qu’une personne avec qui on la mettait en relation avait fait dans la journée. Il se trouvait justement par hasard que ce jour-là j’avais fait une démarche peu ordinaire. J’étais allé dans les combles de l’hôtel des Invalides, avec le duc de Montpensier, pour lui montrer les plans-reliefs des places fortes. Je proposai de faire sur moi l’essai de la faculté de la somnambule, et cette proposition fut acceptée par mes deux amis.

La somnambule arrivée et endormie, je me mis aussitôt en rapport avec elle et lui demandai si elle pouvait voir ce que j’avais fait dans la journée.

Après quelques détails assez insignifiants et péniblement obtenus sur l’emploi de ma matinée, je lui demandai où j’étais allé après déjeuner. Elle me répondit sans hésitation : aux Tuileries ; ce qui pouvait fort bien s’entendre d’une simple promenade. J’insistai en demandant par où j’étais entré ; et elle répondit fort bien encore : « Par le guichet du quai, auprès du pont Royal. — Puis ensuite ? — Vous êtes monté dans le château. — Par quel escalier ? Est-ce celui du milieu ? — Non, c’est par celui du coin, près du guichet. » Là, elle se perdit dans les escaliers, et il y a lieu en effet de s’y perdre, car il y en a plusieurs : le grand escalier de service du pavillon de Flore, et l’escalier des appartements du roi, avec des paliers et des marches de raccordement menant de l’un à l’autre. Enfin elle me laissa dans une grande salle où il y avait des officiers. C’était une salle d’attente au rez-de-chaussée. « Vous avez attendu, me dit-elle. — Et puis ? — Il est venu un grand jeune homme vous parler. — Quel était ce jeune homme ? — Je ne le connais pas. — Cherchez bien ? Ah ! C’est un fils du roi. — Lequel ? — Je ne le connais pas. — Ce n’est pas bien difficile à savoir, il n’y en a que deux à Paris : le duc de Nemours et le duc de Montpensier ; est-ce le duc de Nemours ? — Je ne le connais pas. » Je lui dis que c’était le duc de Montpensier. « Après ? — Vous êtes monté en voiture. — Tout seul ? — Non, avec le prince, — Comment étais-je placé ? — Au fond, à gauche. — Étions-nous seuls dans la voiture ? — Non, il y avait encore devant un gros monsieur. — Quel était ce monsieur ? — Je ne le connais pas. — Cherchez ? » Après avoir réfléchi : « C’était le roi. — Comment ! lui dis-je, j’étais dans le fond de la voiture et le roi devant, cela n’est pas raisonnable. — Je ne sais pas, je ne connais pas ce monsieur. — Eh bien ! c’était l’aide de camp du prince. — Je ne le connais pas. — Où avons-nous été ? — Vous avez suivi la rivière. — Et puis ? — Vous êtes allés dans un grand château. — Quel était ce château ? — Je ne sais pas, il y a des arbres avant d’y arriver. — Regardez donc bien, vous devez le connaître ? — Non, je ne sais pas. » J’abandonne cette question et je lui dis de continuer. « Vous avez été dans une grande salle. » Là, elle me fait une description imaginaire de la salle où elle voit briller des étoiles sur un fond blanc. Enfin elle me dit : « Il y avait de grandes tables. — Et qu’y avait-il sur ces tables ? — Ce n’était pas haut, ce n’était pas plat tout à fait. » Je ne puis pas l’amener à me dire qu’il y avait des plans-reliefs, objets que sans doute elle n’avait jamais vus. « Qu’avons-nous donc fait devant ces tables ? — Vous montriez. Vous êtes monté sur un siège et avec une baguette vous faisiez voir quelque chose. » Cette particularité remarquable était parfaitement exacte. Enfin, après bien des lenteurs, elle nous fit remonter en voiture et partir. Je lui dis alors : « Mais regardez donc en arrière, vous devez reconnaître l’endroit d’où nous sortons. — Ah ! dit-elle comme étonnée et un peu confuse, c’est l’hôtel des Invalides. » Elle ajouta encore que le prince m’avait laissé à ma porte, ce qui était vrai.

Quelque familiarisé que je fusse avec les phénomènes du somnambulisme, cette scène me frappa néanmoins beaucoup, et je ne pus raisonnablement attribuer qu’à la faculté de lire dans ma pensée ou sur des impressions existantes encore dans mon cerveau l’espèce de divination dont venait de faire preuve la somnambule. C’est encore la seule explication que je puis lui donner aujourd’hui.

Voici un second fait rapporté par le même auteur.

XXXIII. — Il y a deux ans environ, une somnambule me conseilla pour des douleurs de prendre des bains de vapeur sèche sulfureuse, et m’indiqua un établissement de la rue de la Victoire comme le seul de Paris où on les administrât bien. Je suivis ce conseil, qui me parut raisonnable.

Le maître de l’établissement, qui est assez causeur, mais qui est un vieillard à la mine et aux allures franches, me demanda un jour qui m’avait indiqué ces bains. Comme j’évitais de répondre, il me dit : « Ne serait-ce pas une dame D... ? » Là-dessus je lui demandai s’il connaissait cette dame. Il me répondit que non, mais qu’il désirait beaucoup la connaître, et qu’il se proposait d’aller un jour la voir, parce qu’elle lui avait rendu service et d’une manière tout à fait extraordinaire. Voici ce qu’il me rapporta à ce sujet.

Une personne à qui il administrait des bains depuis quelque temps lui dit un jour : « Il vient de m’arriver quelque chose de bien étonnant relativement à vous. Je vais quelquefois consulter une somnambule pour ma maladie, et j’y suis retournée hier après une interruption assez longue. Aussitôt qu’elle m’eut reconnue, elle me dit : « Vous allez beaucoup mieux, qu’avez-vous donc fait pour vous remettre en si bon état ? — Cherchez ! lui répondis-je. — Vous avez pris des bains, mais ce ne sont pas des bains ordinaires, ce sont des bains secs sulfureux. Où donc avez-vous pris ces bains ! — Cherchez ! — Ah ! je vois, c’est de l’autre côté des boulevards. Ce n’est pas dans la rue de Provence, mais dans la rue après. — À quel numéro ? — Cherchez encore ! — C’est au numéro 46, la maison des bains, mais non pas dans l’établissement même : c’est au fond de la troisième cour, au rez-de-chaussée. » Toutes ces indications étaient parfaitement exactes.

Je parlai de ce fait à la somnambule pendant son sommeil, elle le confirma, en le prenant d’ailleurs sur un ton d’une parfaite indifférence ; et, ce qui m’étonna de sa part, c’est que je savais qu’elle répugnait, par habitude sans doute ; à s’occuper de toute autre chose que de ce qui concerne les malades. Dans le cas présent, elle avait lu dans le cerveau de la dame qui la consultait.

Voici un fait encore plus curieux rapporté par le Dr Bertrand :

XXXIV. — Un magnétiseur fort imbu d’idées mystiques avait un somnambule qui, pendant son sommeil, ne voyait que des anges et des esprits de toute espèce : ces visions servaient à confirmer de plus en plus le magnétiseur dans sa croyance religieuse. Comme il citait toujours les rêves de son somnambule à l’appui de son système, un autre magnétiseur de sa connaissance se chargea de le détromper en lui montrant que son somnambule n’avait les visions qu’il rapportait que parce que le type en existait dans sa propre tête. Il proposa, pour prouver ce qu’il avançait, de faire voir au même somnambule la réunion des anges du paradis à table et mangeant un dindon.

Il endormit donc le somnambule, et au bout de quelque temps lui demanda s’il ne voyait rien d’extraordinaire. Celui-ci répondit qu’il apercevait une grande réunion d’anges. « Et que font-ils ? dit le magnétiseur — Ils sont autour d’une table et ils mangent. » Il ne put indiquer cependant quel était le mets qu’ils avaient devant eux.

Indépendamment de ces faits remarquables, et de bien d’autres encore, un grand nombre d’observations générales concourent à prouver que les idées, et principalement les opinions des magnétiseurs, peuvent être perçues par les somnambules.

On a remarqué, par exemple, que tous les somnambules endormis par la même personne ont les mêmes idées sur le magnétisme, et précisément celles de leur magnétiseur. Ainsi, lorsqu’un magnétiseur persuadé de l’existence d’un fluide magnétique demande à son somnambule s’il ressent l’action de ce fluide, celui-ci répond qu’il la sent et assure en outre voir le magnétiseur environné d’une atmosphère lumineuse tantôt brillante, tantôt azurée, etc. Les somnambules, au contraire, endormis par des personnes qui n’admettent aucun fluide particulier, prétendent qu’il n’existe pas de fluide magnétique. Ceux qui sont endormis par des hommes superstitieux voient des démons, des anges qui viennent communiquer avec eux et leur font des révélations ou leur apportent des secrets. Les somnambules observés par la Société swedenborgienne de Stockholm se croyaient tous inspirés par des esprits revenus de l’autre monde, et qui, pendant quelque temps, avaient habité des corps humains. Ces revenants donnaient des nouvelles de ce qui se passait en paradis ou en enfer et répétaient mille contes, qui remplissaient d’une sainte admiration ceux qui les écoutaient. Les catholiques qui croient au purgatoire voient des âmes demandant des messes et des prières et conversent avec elles par le magnétisme et le spiritisme. Les protestants jamais.

Il ne peut donc y avoir de doutes sur la transmission des idées et surtout des opinions les plus prononcées des magnétiseurs. Mais il est assez singulier que ces magnétiseurs ; qui reconnaissaient, depuis l’origine de l’observation du somnambulisme artificiel, l’influence que leur volonté exerce sur les somnambules, aient été si longtemps sans découvrir le phénomène de la transmission des idées, et l’ignorance dans laquelle beaucoup sont restés à cet égard est une des causes qui les ont jetés dans l’exagération et dans l’erreur, car, accordant une confiance sans bornes à leurs somnambules, ils les interrogeaient sur tous les systèmes qu’ils s’étaient forgés, et, les réponses se trouvant toujours d’accord avec ces systèmes, les opinions les plus absurdes devenaient pour eux des certitudes, ce qui les éloignait de plus en plus du chemin de la vérité.

La sympathie a été admise par tous les peuples de toutes les époques. Cependant, ce mot est encore vide de sens pour ceux qui ne croient pas à l’influence réciproque et mystérieuse que deux êtres peuvent exercer l’un sur l’autre. Il est peu de personnes qui n’aient fait dans leur vie quelques remarques sur la sympathie et les affinités. C’est encore là de la transmission de pensée, une communication harmonieuse entre les cerveaux et entre les âmes. Le monde psychique est aussi réel que le monde physique. Seulement, il a été moins étudié jusqu’ici.

Peut-être sommes-nous, vis-à-vis des manifestations de l’énergie psychique, dans l’état des animaux inférieurs qui n’ont pas encore nos sens. Mais quelle difficulté y a-t-il à admettre que cette force, comme toutes les autres, agisse à distance ? Le point le plus curieux, le plus inadmissible, serait que cette force, si elle existe, ne pût agir à distance : ce serait là un paradoxe unique.

Nous avons déjà dit cent fois que c’est une étrange présomption, pour ne pas dire une profonde ignorance, de supposer qu’il n’existe autour de nous en fait de mouvements que ceux que nous sommes capables de percevoir. Nos sens sont évidemment bien grossiers, si l’on compare la somme de ce qu’ils nous transmettent à la masse probable de ce qu’ils sont incapables de recevoir. Nous savons qu’il y a des couleurs, des sons, des courants électriques, des attractions et des répulsions magnétiques qui nous échappent absolument, et dont cependant nous pouvons faire enregistrer l’existence par des appareils délicats. Ne sommes-nous pas autorisés, de par les données actuelles de la science, à considérer tous les corps qui nous environnent comme étant en relations infinies et constantes les uns avec les autres, suivant tous les modes de l’énergie ? Et ne devons-nous pas nous regarder comme étant plongés dans le réseau inextricable et serré de toutes ces actions réciproques calorifiques, électriques, attractives, que chaque corps exerce sur tous ceux qui les entourent — sans parler des influences qui dérivent de forces que nous ne soupçonnons pas — actions dynamiques dont nous percevons seulement, au passage, les plus grossières ?

Mais l’évolution des organismes poursuit son cours, dirons-nous avec M. Héricourt, et sans doute déjà quelques êtres, commencent-ils à être impressionnés par certaines vibrations errantes au milieu de ces tourbillons d’actions et de réactions qui nous laissent insensibles.

Les phénomènes surprenants d’action à distance et de clairvoyance, dit encore cet auteur, observés chez les personnes hypnotisées, c’est-à-dire soumises à une sorte de déséquilibration expérimentale dans laquelle certaines parties du système nerveux paraissent avoir leur sensibilité accrue aux dépens d’autres parties, doivent nous indiquer et le sens et la nature des phénomènes de télépathie. Ce sont eux sans doute qui serviront de pont entre la science positive d’aujourd’hui et ce qui pourrait bien être la science de demain.

D’après tout ce qui précède, la communication entre cerveaux (dans des conditions spéciales, assurément) n’est pas douteuse. Des pensées, des idées, des images, des impressions peuvent être transmises. Les cerveaux sont des centres de radiations. On dit quelquefois que « certaines idées sont dans l’air ». Cette métaphore est une réalité.

Un certain nombre de chercheurs ont essayé de faire des expériences précises sur la transmission mentale. On peut trouver, dans les ouvrages spéciaux, celles de MM. Richet, Héricourt, Guthrie, Lodge, Schmoll, Desbeaux, W.-M. Pickering, etc., dont les premières remontent aux années 1883 et 1884, et qui établissent que des nombres ont été devinés, des dessins reproduits, dans une proportion assez notable pour montrer la réalité de la transmission. Dans les essais de M. Richet, par exemple, 2997 expériences donnèrent 789 succès, tandis que le nombre probable était de 732. M. Marillier a reçu les résultats de 47 séries d’expériences, s’élevant au nombre de 17 653, dans lesquelles le nombre des succès s’élève à 4760, dépassant de 347 le nombre probable. En juin 1886, Mlles Wingfield obtinrent 27 succès complets sur 400 expériences de chiffres : le nombre probable n’était que de 4. Sans être définitives, ces expériences ont leur valeur. Je sais bien que le jeu de la transmission de pensée se joue dans les salons et sur la scène des prestidigitateurs et qu’il y a des trucs aussi simples qu’ingénieux, et j’ai assisté plus d’une fois avec plaisir aux séances des frères Isola, de Cazeneuve et de leurs émules. Mais il s’agit ici d’expériences scientifiques dans lesquelles les expérimentateurs ne trompaient personne.

Je signalerai, par exemple, la suivante.

Mon érudit confrère et ami Émile Desbeaux, auteur d’ouvrages aimés et estimés, a fait entre autres les expériences curieuses que voici, dont il a rédigé lui-même la relation :

XXXV. — Le 23 mai 1891, je fais asseoir dans un coin obscur du salon M. G... agrégé ès sciences physiques, pour qui ces sortes d’expériences étaient absolument inconnues. Il est neuf heures du soir, M. G... a les yeux bandés et la face tournée vers le mur.

Je me place à quatre mètres de lui, devant une petite table où reposent deux lampes.


PREMIÈRE EXPÉRIENCE

Sans bruit et à l’insu de M. G... je prends un objet et je le tiens en pleine lumière. J’y concentre mes regards et je veux que M. G... voie cet objet.

Au bout de 4 minutes et demie M. G... m’annonce qu’il voit un rond métallique.

Or, l’objet était une cuillère d’argent (petite cuillère à café), dont le manche disparaissait dans ma main et dont je ne fixais que la palette, d’un ovale un peu allongé.


DEUXIÈME EXPÉRIENCE

M. G... voit un rectangle brillant.

Je tenais une tabatière en argent.


TROISIÈME EXPÉRIENCE

M. G... voit un triangle.

J’avais dessiné, à gros traits sur un carton, un triangle.


QUATRIÈME EXPÉRIENCE

M. G... voit un carré avec arêtes lumineuses et avec des perles brillantes ; tantôt il voit deux perles seulement, tantôt il en voit plusieurs.

Je tenais un objet dont il n’était guère possible de soupçonner chez moi la présence ; c’était un gros dé en carton blanc, la lumière éclairait vivement ses arêtes et donnait aux points gravés dessus des reflets brillants de perles noires.


CINQUIÈME EXPÉRIENCE

M. G... voit un objet transparent avec filets lumineux formant ovale au fond.

Je tenais une chope à bière en cristal taillé à fond ovale.

Voilà, je pense, cinq expériences (faites dans des conditions excellentes de contrôle et de sincérité) qui peuvent être considérées comme ayant réussi.

Il est également intéressant de reproduire à ce propos quelques-uns des essais réussis par mon ami A. Schmoll, l’un des fondateurs de la Société astronomique de France.

XXXVI. — Il expérimenta avec plusieurs personnes, qui, à leur tour, expérimentèrent entre elles. Le problème était de deviner et de dessiner l’objet auquel pensait l’auteur de l’expérience et qu’il dessinait lui-même à l’abri de la vue du percipient placé dans la même pièce, tournant le dos à la table et ayant les yeux bandés. Je reproduis simplement ici sur une page quelques-unes des expériences, celles qui ont le mieux réussi. La durée de l’essai était en moyenne de 13 minutes. Sur 121 expériences, 30 ont manqué, 22 ont réussi, 69 ont donné des réponses plus ou moins approchées.

Toutes ces études nous montrent que l’esprit peut voir, deviner, sans le concours de la vue matérielle.

Cette théorie des courants psychiques, capables de transmettre à distance, à d’autres cerveaux, des impressions cérébrales et même des pensées, explique un grand nombre de faits observés et restés inexpliqués jusqu’ici. Par exemple, dans un théâtre, dans une soirée musicale, etc., vous avez devant vous une cinquantaine, une centaine de femmes plus ou moins attentives. Fixez votre regard et votre pensée sur l’une d’elles, projetez votre volonté avec insistance, quelques minutes ne se passeront pas sans qu’elle se retourne et vous regarde. On attribue cette coïncidence au hasard. Oui, assez souvent sans doute, mais non toujours ! la réussite dépend des opérateurs et des sujets. Autres faits : vous êtes en correspondance irrégulière avec une personne sympathique ; il n’est pas rare que vos lettres se croisent, parce que vous avez pensé en même temps l’une à l’autre dans une même intention. Vous êtes à table, vous causez, vous posez une question, vous faites une réflexion : « Tiens ! j’allais le dire, » vous répond votre femme, votre mari, votre sœur, votre mère, ayant eu la même idée précisément au même moment. Vous passez dans une rue, vous vous dites : « Pourvu que je ne rencontre pas M. un tel ! » Un instant après, c’est justement lui qui vous croise ; vous l’aviez senti. Ou bien vous croyez reconnaître une personne dans une autre, et cinq minutes après vous rencontrez cette même personne. Vous parlez d’une personne : elle arrive ; d’où le proverbe : « Quand on parle du loup.... » Nous avons cité, tout à l’heure, des exemples nombreux. Jusqu’à présent ; on attribuait toutes ces coïncidences au hasard, explication simple, banale et bourgeoise, qui dispense de toute recherche.

Il y a des cas de lectures de pensées qui ne sont pas dus à la suggestion mentale. Les lecteurs attentifs ont déjà pu en remarquer plusieurs dans ce chapitre. Voici un fort curieux exemple de ce genre observé en 1894 chez un enfant, par le Dr Quintard, et communiqué par ce savant, avec toutes les garanties d’authenticité76, à la Société de médecine d’Angers :

XXXVII. — Ludovic X... est un enfant de moins de 7 ans, vif, gai, robuste et doué d’une excellente santé. Il est absolument indemne de toute tare nerveuse. Ses parents ne présentent également rien de suspect au point de vue neuropathologique. Ce sont gens d’humeur tranquille qui ne savent rien des outrances de la vie.

À l’âge de 5 ans, cependant, cet enfant sembla marcher sur les traces du célèbre Inaudi. Sa mère ayant voulu, à cette époque, lui apprendre la table de multiplication, s’aperçut, non sans surprise, qu’il la récitait aussi bien qu’elle ! Bientôt Bébé, se piquant au jeu, en arrivait à faire, de tête, des multiplications avec un multiplicateur formidable. Actuellement, on n’a qu’à lui lire un problème pris au hasard dans un recueil et il en donne aussitôt la solution. Celui-ci par exemple :

« Si on mettait dans ma poche 25 fr. 50, j’aurais trois fois ce que j’ai, moins 5 fr. 40. Quelle est la somme que j’ai ? »

À peine l’énoncé est-il achevé que Bébé, sans même prendre le temps de réfléchir, répond, ce qui est exact : 15 fr. 45. On va ensuite chercher à la fin du livre, parmi les plus difficiles, cet autre problème :

« Le rayon de la terre est égal à 6366 kilomètres ; trouver la distance de la terre au soleil, sachant qu’elle vaut 24 000 rayons terrestres. Exprimer cette distance en lieues ? »

Le bambin, de sa petite voix bredouillante, donne, également sans hésiter, cette solution qui est celle du recueil : 38 196 000 lieues !

Le père de l’enfant, ayant d’autres préoccupations, n’avait, tout d’abord, apporté aux prouesses de son fils qu’une attention relative. À la fin, il s’en émut pourtant, et, comme il est quelque peu observateur, au moins par profession, il ne tarda pas à remarquer que : 1° l’enfant n’écoutait que peu, et quelquefois pas du tout, la lecture du problème ; 2° la mère, dont la présence est une condition expresse de la réussite de l’expérience, devait toujours avoir, sous les yeux ou dans la pensée, la solution demandée. D’où il déduisit que son fils ne calculait pas, mais devinait, ou, pour mieux dire, pratiquait sur sa mère « la lecture de pensées » ; ce dont il résolut de s’assurer. En conséquence, il pria Mme X... d’ouvrir un dictionnaire et de demander à son fils quelle page elle avait sous les yeux, et le fils de répondre aussitôt : « C’est la page 456. » Ce qui était exact. Dix fois il recommence et dix fois il obtint un résultat identique.

Voilà donc Bébé de mathématicien devenu sorcier, — disons devin pour ne pas l’offenser ! Mais sa remarquable faculté de « double vue » ne s’exerce pas uniquement sur les nombres. Que Mme X... marque de l’ongle un mot quelconque dans un livre ; l’enfant, questionné à ce sujet, nomme le mot souligné. Une phrase est écrite sur un carnet ; si longue soit-elle, il suffit qu’elle passe sous les yeux maternels, pour que l’enfant, interrogé, même par un étranger, répète la phrase mot pour mot, sans avoir l’air de se douter qu’il accomplit un tour de force. Pas n’est besoin même que la phrase, le nombre ou le mot soient fixés sur le papier ; il suffit qu’ils soient bien précis dans l’esprit de la mère pour que le fils en opère la lecture mentale.

Mais le triomphe de Bébé, ce sont les jeux de société. Il devine l’une après l’autre toutes les cartes d’un jeu. Il indique, sans hésiter, quel objet on a caché à son insu, dans un tiroir. Si on lui demande ce que contient une bourse ; il mentionnera jusqu’au millésime des pièces qui s’y trouvent. Où l’enfant est surtout drôle, c’est dans la traduction des langues étrangères. On croirait qu’il entend clairement l’anglais, l’espagnol, le grec. Dernièrement un ami de la maison lui demandait le sens de cette charade latine : Lupus currebat sine pedibus suis. Bébé s’en tira à la satisfaction générale. Le nom de petit prodige était sur toutes les lèvres !

On voit qu’il y a bien des distinctions à établir dans ces études. La lecture de pensées est ici faite sans suggestion. Les phénomènes suggestifs sont produits par la pénétration de l’idée de l’expérimentateur dans le cerveau du sujet. Donc, pour qu’il y ait suggestion dans le cas qui nous occupe, il faudrait constater chez la mère une certaine concentration psychique, un certain degré de vouloir indispensable au succès de l’expérience. Or, la lecture de sa pensée s’accomplit le plus souvent contre son gré. Toute médaille, en effet, à son revers. Quand Bébé fut en âge d’apprendre sérieusement à lire, sa maman, qui s’était dévouée à cette tâche, remarqua, non sans chagrin, que, sous sa direction, son fils ne faisait aucun progrès. Devinant tout, il n’exerçait ni son jugement, ni sa mémoire. Il fallut mille soins ingénieux pour mener la barque à bon port.

Tandis que j’étudiais avec le plus grand soin ces faits de transmission de pensée, j’ai reçu la lettre suivante d’un lecteur des Annales, qui se trouve absolument justifier les réflexions précédentes :

XXXVIII. — Permettez à un lecteur assidu de porter à votre connaissance un fait intéressant de télépathie, dont je fus tout récemment le témoin.

Le mois dernier (décembre 1898), je soignais une dame âgée, arrivée à la dernière période d’une maladie rapide ; elle s’affaiblissait de jour en jour, tout en gardant intacte son intelligence, et c’est la veille même de sa mort qu’est survenu le phénomène suivant.

J’avais vu ma malade le matin. Elle raisonnait parfaitement et ses facultés cérébrales n’étaient en rien amoindries.

Vers onze heures du matin, je rencontre un ami avec lequel je cause de différentes choses. À un moment donné, cet ami me dit : « Je cherche une maison à louer pour le printemps. Pourriez-vous me donner quelques indications à ce sujet ? »

— Ma foi non, lui répondis-je. Vous, entrepreneur de maçonnerie, pouvez être mieux renseigné que moi en cette matière.

À ce moment, nous étions absolument seuls et personne ne pouvait surprendre notre conversation.

— C’est que, ajoute mon ami, la maison qu’habite Mme P... (ma malade) me plairait assez. Que pensez-vous de son état ? On la dit très bas. Peut-elle vivre encore longtemps ?

— Qui sait ? répondis-je évasivement. En tous cas, elle a un bail qui retombe sur ses héritiers, en cas de décès.

— C’est égal, je vais attendre encore quelques jours ; je verrai, ensuite, le propriétaire.

Notre conversation en resta là. Il ne fut plus question, ni de la malade ni de la maison, et je sais que mon ami ne parla à personne de ses projets dans le cours de la journée.

Or, à ma visite du soir, la garde-malade de Mme P... me dit :

— Docteur, notre malade divague, ou, du moins, a divagué vers midi. Elle m’a demandé si personne n’était venu visiter sa maison dans le but de la louer. « D’ailleurs, a-t-elle ajouté plusieurs fois, j’ai un bail : que me veut-on ? »

— Et ce fut tout ?

— Je n’ai absolument rien compris, » ajouta la garde. Ni la bonne, ni personne, dans l’entourage de la malade, n’eut connaissance des projets de mon ami ; par conséquent, la malade elle-même n’a pu les connaître, en avoir l’intuition, par le monde extérieur.

Je fus et je reste convaincu que Mme P... a perçu, par action télépathique seule, notre conversation du matin. C’est à l’heure où j’étais avec mon ami qu’elle a « divagué ». C’est la seule « divagation » qu’elle ait eue, et elle est morte le lendemain soir, avant que personne ait eu vent des projets de location de mon ami.

Ceci se passait le 13 décembre dernier.

J’ai retenu le fait, assez curieux en lui-même. En lisant ce soir votre article des dernières Annales, j’ai pensé qu’il vous intéresserait. Voilà pourquoi j’ai pris la liberté de vous le communiquer aussitôt.

Dr Z....

P.-S. — C’est à vous personnellement que je livre ce document. Dans le cas ou vous auriez l’intention de le publier, je vous serais reconnaissant de me garder l’anonymat.

Voici un autre fait d’observation qui ressemble beaucoup au précédent.

XXXIX. — En avril 1874, à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre), je donnais mes soins, en compagnie de ma femme, à ma mère Mme Foupuray, âgée de 72 ans. Nous passions, ma femme et moi, toutes les nuits dans la chambre de ma mère, et, le matin, nous allions dans la nôtre pendant le temps nécessaire pour y faire notre toilette, et nous revenions aussitôt auprès de ma mère qu’une femme de chambre gardait pendant ce temps-là.

La maison que nous habitions était fort grande et les deux chambres, dont je vous parle, étaient placées l’une et l’autre au premier étage, mais aux deux extrémités de la maison, et séparées l’une de l’autre, par quatre chambres et un grand hall renfermant la cage de l’escalier.

Un matin, ma mère était mourante, nous ne voulions pas la quitter, elle insista pour que nous allions un instant dans notre chambre. Nous étions fort émus, ma femme et moi, et parlions de la mort imminente de ma mère, et des proches que nous avions déjà perdus au nombre desquels était un de mes frères, capitaine d’artillerie, mort deux ans avant cette époque.

Je n’avais aucun souvenir matériel et palpable de ce frère. Ma mère avait recueilli les différents objets venant de lui, épaulettes, croix de la Légion d’honneur, sabre, etc., et entre autres une cravache venant de l’époque où il était à l’École polytechnique ou à Metz, ayant un gros pommeau d’argent avec un trophée d’armes en relief.

Je désirais depuis longtemps cette cravache, mais je n’avais jamais osé la demander à ma mère, sachant combien elle tenait aux reliques de son fils mort. J’en parlai à ma femme qui me dissuada d’en dire quoi que ce soit à ma mère.

Cette conversation n’avait aucun témoin, la porte de notre chambre était fermée, celle de ma mère également ; je vous ai dit la distance séparant nos chambres, j’ajoute que ma mère était mourante, hydropique, dans son lit, incapable de remuer. Elle n’avait pas pu nous entendre, ni elle, ni personne, et personne n’avait pu lui rapporter les propos échangés entre ma femme et moi.

Nous rentrons dans sa chambre. En ouvrant la porte, nous retrouvons ma mère dans son lit où nous l’avions laissée presque agonisante. Avant que j’aie eu le temps de lui demander comment elle se trouvait, elle me dit d’une voix faible : « Louis, tu désires la cravache de ton frère, je te la donne, elle est cachée dans le dernier tiroir de ma commode, prends-la, ce sera un double souvenir de ton frère qui y tenait beaucoup, et de ta mère qui va mourir. »

Elle fit un grand signe de croix et rendit le dernier soupir.

Tel est le fait dont j’ai été le témoin bien ému, comme vous pouvez le croire.

Je vous le livre en vous attestant l’absolue véracité, usez-en comme il vous semblera bon. Ma femme témoin de l’événement signe cette lettre avec moi pour le certifier exact.

FOUPURAY.
Château de Malpeyre, par Brioude, Haute-Loire [Lettre 38.]

J’ai été témoin de tout ce que mon mari vous expose ci-dessus.

C. FOUPURAY.

M. Cromwell Varley, l’électricien célèbre, constructeur du câble transatlantique posé entre l’Angleterre et les États-Unis, raconte77 le fait suivant de communication mentale.

XL. — J’avais, dans des études sur la faïence, respiré des vapeurs d’acide fluorhydrique qui m’avaient causé des spasmes de la glotte. J’étais sérieusement atteint et il m’arrivait fréquemment d’être réveillé par une attaque spasmodique. On m’avait recommandé d’avoir toujours sous la main de l’éther sulfurique, pour le respirer et me procurer un prompt soulagement. J’y eus recours six ou huit fois ; mais son odeur m’était si désagréable, que je finis par me servir de chloroforme, je le plaçais auprès de mon lit et, lorsque j’avais besoin de m’en servir, je me penchais au-dessus, dans une position telle que, dès que l’insensibilité se produisait, je retombais sur le dos en laissant tomber l’éponge. Une nuit, cependant, je retombai dans mon lit, en retenant l’éponge, qui resta appliquée sur ma bouche.

Mme Varley, nourrissant un enfant malade, était dans la chambre au-dessus de la mienne. Au bout de quelques instants je redevins conscient : je voyais ma femme en haut et moi-même couché sur le dos avec l’éponge sur la bouche, dans l’impossibilité absolue de faire aucun mouvement ; par ma volonté, je fis pénétrer dans son esprit la claire notion que je courais un danger. Elle se leva sous le coup d’une vive alarme, descendit et se hâta d’enlever l’éponge. Je fus sauvé.

Toutes ces observations, que je m’excuserais d’avoir tant multipliées s’il ne s’agissait pas d’une démonstration aussi nouvelle, aussi discutée et aussi importante, prouvent, à n’en pas pouvoir douter, la réalité de l’action psychique d’un esprit sur un autre.

Parfois, cette transmission psychique va jusqu’à produire des sensations physiques, matérielles.

Voici, comme exemple, un cas bien curieux rapporté dans l’ouvrage sur les Hallucinations télépathiques (p. 325), auquel nous avons déjà fait tant d’emprunts. Il est dû à Mme Severn, de Brantwood (Angleterre) :

XLI. — Je me réveillai en sursaut, écrit-elle. Je sentis que j’avais reçu un coup violent sur la bouche. J’eus la sensation distincte que j’avais été coupée et que je saignais au-dessous de la lèvre supérieure.

Assise dans mon lit, je saisis mon mouchoir, je le chiffonnai et je le pressai en tampon sur l’endroit blessé. Quelques secondes après, en l’ôtant, je fus étonnée de ne voir aucune trace de sang. Je reconnus seulement alors qu’il était absolument impossible que quelque chose eût pu me frapper, car j’étais dans mon lit et je dormais profondément. Je pensai donc que je venais simplement de rêver. Mais je regardai ma montre et, voyant qu’il était sept heures, et qu’Arthur (mon mari) n’était pas dans la chambre, je conclus qu’il était sorti pour faire de grand matin une partie de bateau sur le lac, car il faisait beau temps.

Puis, je me rendormis. Nous déjeunions à neuf heures et demie. Il rentra en retard, et je remarquai qu’il s’asseyait un peu plus loin de moi que de coutume et que de temps en temps il portait son mouchoir à ses lèvres.

« Arthur, lui dis-je, pourquoi fais-tu cela ? »

Et j’ajoutai, un peu inquiète :

« Je sais que tu t’es blessé, mais je te dirai après comment je le sais.

— Eh bien ! me dit-il, j’étais en bateau tout à l’heure ; j’ai été surpris par un coup de vent, et la barre du gouvernail est venue me frapper sur la bouche ; j’ai reçu un coup violent sur la lèvre supérieure ; j’ai beaucoup saigné et je ne peux arrêter le sang.

— As-tu quelque idée de l’heure à laquelle cela est arrivé ?

— Il devait être à peu près sept heures », me répondit-il.

Je lui racontai alors ce qui m’était arrivé à moi ; il en fut très surpris, et toutes les personnes qui déjeunaient avec nous le furent comme lui. Cela s’est passé à Brantwood, il y a environ trois ans.

JEANNE SEVERN.

Mme Severn écrit, en réponse à quelques questions :

Il est absolument certain que j’étais tout à fait éveillée, puisque j’ai mis mon mouchoir sur ma bouche, et que je l’ai pressé sur ma lèvre supérieure, pendant quelque temps, pour « voir le sang ». Je fus bien étonnée de ne pas en voir. Bientôt après, je me rendormis de nouveau ; je crois que, lorsque je me levai, une heure après, je ressentais encore une impression très vive et, pendant que je m’habillais, je regardais ma lèvre pour voir si elle ne portait aucune marque du coup.

Voici, d’autre part, le récit de M. Severn78 :

Brantwood-Coniston, le 15 novembre 1883.

Par une belle matinée d’été, je me levai de bonne heure, avec l’intention de faire une partie de bateau sur le lac. Je ne sais si ma femme m’a entendu lorsque je sortis de la chambre.

Lorsque je descendis vers l’eau, je la trouvai tranquille comme un miroir, et je me rappelle que j’éprouvai une sorte de regret à troubler l’image charmante du rivage opposé, qui se reflétait dans le lac. Cependant, j’eus bientôt mis à flot mon embarcation et, comme il n’y avait pas de vent, je me contentai de hisser les voiles pour les faire sécher, et de mettre le bateau en ordre. Bientôt, il se leva une petite brise qui me permit d’aller à peu près une lieue en aval de Brantwood. Puis, le vent se leva. Je préparai mon bateau aussi bien que possible pour recevoir le grain ; mais, par une cause quelconque, il fut poussé en arrière, et il semblait vouloir tourner sur lui-même lorsqu’il fut saisi par le vent.

Comme je voulais éviter la vergue, je rejetai la tête en arrière, du côté du gouvernail, mais la barre vint me frapper sur la bouche et me coupa profondément la lèvre. Cependant, je réussis bientôt à rattraper ma barre et, comme j’avais bon vent, je pus revenir à Brantwood. Après avoir amarré mon bateau dans le port, je me dirigeai vers la maison, tâchant de cacher, autant que possible, ce qui m’était arrivé à la bouche. Je pris un autre mouchoir, j’entrai dans la salle à manger, et je réussis à raconter autre chose sur ma sortie matinale. Au bout d’un instant, ma femme me dit :

« Est-ce que tu t’es pas blessé à la bouche ? »

J’expliquai alors ce qui m’était arrivé, et je fus bien surpris de l’intérêt extraordinaire que l’on voyait sur sa figure ; je fus encore plus surpris lorsqu’elle me raconta quelle s’était éveillée en sursaut, croyant qu’elle avait reçu un coup sur la bouche. Cela lui était arrivé vers sept heures et quelques minutes. C’est bien vers cette heure-là que l’accident a dû avoir lieu.

ARTHUR SEVERN.

Nous pourrions encore multiplier indéfiniment ces exemples. Il nous semble que nos lecteurs sont complètement édifiés aussi sur la certitude de la transmission de pensées, d’impressions et de sensations.

La corrélation des forces et leurs transformations mutuelles nous aident à comprendre les cas d’impressions physiques analogues au précédent.

Nous admettrons donc comme démontrée l’action d’un esprit sur un autre, la transmission de pensée, la suggestion mentale, quoique ce fait soit contesté par un grand nombre de savants, même spécialistes. Ainsi, par exemple, le docteur Bottey affirme que « la prétendue transmission de la pensée, la double vue, ne saurait exister, et n’est qu’une jonglerie exploitée par les magnétiseurs 79. » Il nous semble que la fausse monnaie n’empêche pas la bonne d’exister.

Un grand nombre de savants professent la même négation pour ces transmissions psychiques, notamment en Angleterre, où sir William Thomson (lord Kelvin) et Tyndall se sont fait particulièrement remarquer par le profond mépris qu’ils ont affiché pour ces sortes d’études.

L’astronome français Laplace faisait preuve d’un esprit bien supérieur lorsqu’il écrivait80 :

« Les phénomènes singuliers qui résultent de l’extrême sensibilité des nerfs, dans quelques individus, ont donné naissance à diverses opinions sur l’existence d’un nouvel agent, que l’on a nommé magnétisme animal. Il est naturel de penser que la cause de cette action est très faible, et peut être facilement troublée par un grand nombre de circonstances accidentelles ; aussi, de ce que dans plusieurs cas elle ne s’est point manifestée, on ne doit pas conclure qu’elle n’existe jamais. Nous sommes si éloignés de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d’action, qu’il serait peu philosophique de nier l’existence de phénomènes, uniquement parce qu’ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances. »

Ce sont là des paroles à méditer par ceux qui seraient tentés de prononcer ici le mot impossible ; à d’autres, qui craignent surtout le ridicule, elles conseillent au moins la prudence dans la critique.

Il est admis, en physique, que l’éther, ce fluide impondérable considéré comme remplissant l’espace, traverse tous les corps, et que, même dans les minéraux les plus denses, les atomes ne se touchent pas et flottent, en quelque sorte, dans l’éther.

Ce fluide transmet, à travers l’immensité, les mouvements ondulatoires produits dans son sein par les vibrations lumineuses des étoiles : il transmet la lumière, la chaleur, l’attraction à des distances considérables.

Qu’y aurait-il d’inadmissible à ce que, pénétrant, comme il le fait en réalité, nos cerveaux en vibration, il transmette également à distance les courants qui envahissent nos têtes et établisse un véritable échange de sympathies et d’idées entre les êtres pensants, entre les habitants d’un même monde, et peut-être même à travers l’espace, entre la terre et le ciel ?

Nous pouvons concevoir que, dans certains cas, dans certaines conditions, un mouvement vibratoire, un rayonnement, un courant plus ou moins intense, s’élance d’un point du cerveau et aille frapper un autre cerveau, lui communiquer une excitation soudaine, qui se traduise en une sensation d’audition ou de vision. Les nerfs se trouvent ébranlés de telle ou telle façon. Ici, on croira voir, reconnaître l’être cher d’où la commotion est partie ; là, on croira l’entendre ; ailleurs, l’excitation cérébrale se traduira par l’illusion d’un bruit, d’un mouvement d’objets. Mais toutes ces impressions se passent dans le cerveau du sujet, comme dans l’état de rêve. D’ailleurs, dans l’état normal, nous ne percevons également les choses que par une excitation cérébrale, obscurément accomplie dans l’intérieur de nos crânes.

Le cerveau, matériel, localisé dans le crâne, est-il un organe d’où émanent des radiations, un foyer qui rayonne autour de lui, comme une cloche en vibration, comme un centre lumineux ou calorique, et émet des ondes physiques analogues à celles de la lumière ? ou bien l’esprit est-il un foyer d’un autre ordre, plus éthéré, de nature psychique, qui émet des radiations invisibles d’une grande puissance et pouvant se transporter à de vastes distances ? Le fait d’une radiation émanée de l’être pensant paraît nécessaire pour expliquer les faits observés, qu’elle vienne de l’esprit ou du cerveau. S’effectue-t-elle en ondes sphériques ? Se projette-t-elle en jets rectilignes ? L’électricité est-elle en jeu ? (Elle existe sûrement dans l’organisme humain, et j’en ai eu cent fois la preuve.) Nous ne pouvons encore que poser la question. Mais le FAIT de l’action de l’âme à distance est maintenant démontré, et je prie les lecteurs de ne pas me faire dire autre chose que ce que j’écris. Je pose les hypothèses explicatives comme des interrogations, simplement. Il y a cent ans, la théorie de l’émission était admise, enseignée par la science. Aujourd’hui, elle est abandonnée pour celle des ondulations de l’éther. Mais rien ne nous prouve que celle-ci doive tout expliquer, surtout les faits d’ordre psychique. Il n’est pas du tout nécessaire d’expliquer une chose pour l’admettre. Par exemple, vous recevez un violent coup de poing, vous vous retournez, et ne voyez personne : vous n’en avez pas moins reçu le coup inexplicable — et vous êtes forcé de l’enregistrer. L’important, la valeur essentielle de cet ouvrage, c’est de prouver que ces faits existent, qu’il y a un ordre de choses invisible et inconnu à côté du monde visible et connu, et que cet inconnu mérite d’être étudié.

L’action d’un être sur un autre, à distance, est un fait scientifique, aussi certain que l’existence de Paris, de Napoléon, de l’oxygène ou de Sirius.

Les recherches entreprises dans notre travail s’arrêteraient-elles ici et n’auraient-elles servi qu’à affirmer ce fait, qu’elles auraient la plus haute importance et que nous ne regretterions pas de les avoir entreprises. Mais elles conduisent à bien d’autres constatations non moins audacieuses, non moins surprenantes et non moins certaines.

Les occultistes enseignent que l’homme est composé de trois parties : l’âme, le corps astral et le corps physique, et expliquent les manifestations en disant que le corps astral du mourant s’échappe et se transporte vers la personne impressionnée.

Cette explication ne nous paraît pas satisfaisante, à cause de la diversité des impressions. Les uns sont avertis d’une mort par la vision d’un chat, d’un chien, d’un oiseau, par l’ouverture ou la fermeture fictive d’un volet, d’une fenêtre, d’une porte, par des coups frappés, par des pas entendus, par des apparitions d’êtres toujours habillés, par des demandes de prières, lorsqu’il s’agit de morts, pour être délivrés du purgatoire. Ce sont évidemment là des impressions personnelles produites par une cause télépathique, et non des manifestations d’un corps astral qui se serait transporté.

On proclame quelquefois, dans les sciences, comme principe axiomatique, qu’une hypothèse doit tout expliquer. C’est là une erreur. Une hypothèse peut expliquer certains faits et n’en pas expliquer d’autres.

C’est ce qui arrive ici. Mais nous n’en admettons pas moins comme démontrée l’action psychique d’un esprit sur un autre, à distance, et sans l’intermédiaire des sens, quoique cette action n’explique pas tout.

Elle explique les impressions du cerveau, les apparences fictives. Elle n’explique pas les mouvements réels d’objets.

Une théorie qui rendrait compte d’un grand nombre des impressions rapportées serait celle-ci :

Une personne, en mourant, le voulant ou ne le voulant pas (à examiner), produirait dans l’éther un mouvement qui irait frapper un cerveau vibrant synchroniquement et déterminerait dans ce cerveau, vers la région où aboutissent les nerfs optiques et auditifs, une impression variant selon l’état particulier de cette région chez le percipient.

Par exemple (lettre 610, p. ***), un enfant qui avait une passion pour les oiseaux entend un cri d’oiseau qui lui fait chercher cet oiseau. On apprend le lendemain la mort d’un parent.

Mais n’ayons pas la prétention de trouver du premier coup sous quelle forme la transmission s’opère. L’hypothèse de vibrations sphériques ondulatoires de l’éther paraît la plus rationnelle ; mais elle ne suffit pas pour expliquer tous les cas. Une sorte de projection de la pensée semble s’accuser dans les cas de transmission mentale magnétique, que l’on pourrait parfois comparer à un appel de voix silencieux. Cependant dans un appel, dans un cri, lancé même expressément vers une direction déterminée, le son se transmet aussi par ondulations sphériques à travers l’atmosphère, de même que la lumière à travers l’espace. Se produirait-il une projection plus complète de l’esprit, une sorte d’extériorisation de force s’échappant de l’être en danger de mort pour aller toucher l’ami auquel elle s’adresse ? L’hypothèse est soutenable. Il semble même que parfois le « fantôme » constitué par l’être subconscient du sujet — cause de l’effet observé — ait entraîné avec lui quelques éléments matériels de l’organisme81. Une projection de forces psychiques peut se transformer en effets physiques, électriques, mécaniques. La corrélation des forces, leurs transformations mutuelles, ressortent avec certitude des études modernes. Le mouvement, la chaleur, ne se transforment-ils pas journellement en électricité ? Lorsque Crémieux fusillé fait entendre à Clovis Hugues des coups frappés sur sa table, il est possible qu’il n’y ait pas là une influence cérébrale, mais une production réelle de coups. Ces effets peuvent ne pas être toujours fictifs, subjectifs. Les impressions produites sur les animaux, un piano qui joue tout seul, un service de porcelaine jeté à terre, les sensations collectives (Voy. notes, p. *** et ***) indiquent des réalités objectives. Mais nous ne pensons pas que les éléments du problème soient assez étudiés, quant à présent, pour autoriser une conclusion définitive, d’autant plus que très souvent il semble bien que le mourant ait pu ne pas penser du tout à la personne qui a connu télépathiquement sa mort.

Peut-être esprit, force, matière ne sont-ils que les manifestations diverses d’une même entité inconnaissable pour nos sens. Peut-être existe-t-il un principe unique, à la fois intelligence, force et matière, embrassant tout ce qui est et tout ce qui est possible, cause première et cause finale, dont les différenciations ne seraient que des formes diverses de mouvement. Remarquons, à ce propos, en passant, que si la pensée ne doit plus être scientifiquement considérée comme une sécrétion de la matière, mais comme un mode de mouvement du principe unique, il n’est plus logique d’affirmer l’anéantissement de l’intelligence par la mort de l’organisme.

Sans doute, les manifestations de mourants ne représentent pas un fait général, une loi de la nature, une fonction de la vie ou de la mort, et elles ne paraissent qu’une exception sans cause connue et sans raison apparente. La proportion n’est peut-être pas de 1 sur 1000 morts. Cette proportion donnerait encore environ 50 manifestations de mourants à Paris par an. A-t-on même ce nombre ?

L’électricité atmosphérique ne se traduit pas souvent non plus en coups de foudre.

Ce n’est ni l’intelligence, ni le savoir, ni la valeur morale, soit de l’être qui meurt, soit de celui qui reçoit la manifestation, qui causent et amènent ces communications. On n’y distingue pas plus de lois apparentes que dans les effets de la foudre. Un coup électrique va frapper un être vivant, un objet, par suite d’un rapport momentané, sans que la science en découvre les causes.

Cependant ces constatations psychiques diverses nous mettent sur la voie d’un ordre de choses digne de toute notre attention. Le Verrier m’a souvent exprime la pensée que ce qu’il y a de plus intéressant et de plus important dans la science, ce sont les anomalies, les exceptions. Il en savait quelque chose par la découverte de Neptune.

Nous pouvons dire avec Ch. du Prel que tant qu’il y aura progrès possible il y aura des phénomènes inexpliqués, et que plus ces phénomènes nous paraîtront impossibles et plus ils seront de nature à nous porter en avant dans la connaissance de l’énigme de l’univers.

Nous ajouterons avec les auteurs des « Phantasms of the Living » qu’il s’est fait un divorce entre les opinions scientifiques des hommes cultivés et leurs croyances. La vieille orthodoxie religieuse étant trop étroite pour contenir la science de l’homme, la nouvelle orthodoxie matérialiste est devenue trop étroite à son tour pour contenir ses aspirations et ses sentiments. Le moment est venu de s’élever au-dessus du point de vue matérialiste et d’arriver à des conceptions qui nous permettent de considérer comme possibles ces subtiles communications d’esprit à esprit, ces communications même entre les choses visibles et invisibles dont l’idée a fécondé, dans tous les temps, l’art et la littérature :

Star to star vibrates light ; may soul to soul
Strike thro’ some finer element of her own ?

L’amant, le poète, tous ceux qui se sont enthousiasmés pour quelque cause généreuse, ont, dans tous les siècles, inconsciemment répondu à cette question de Tennyson. Chez quelques-uns, comme pour Gœthe en certaines heures de passion, cette subtile communion des esprits est apparue avec une lumineuse clarté. Chez d’autres, comme pour Bacon, cette conviction s’est lentement formée de ces menus indices que révèle l’étude quotidienne de l’homme. Mais pour la première fois, nous savons que ces messages muets voyagent vraiment, que ces impressions se répandent et se communiquent.

Nous disons que cette force est d’ordre psychique et non physique, ou physiologique, ou chimique, ou mécanique, parce qu’elle produit et transmet des idées, des pensées, et qu’elle s’exerce sans le concours de nos sens, d’âme à âme, d’esprit à esprit.

Notre force psychique donne sans doute naissance à un mouvement éthéré, qui se transmet au loin comme toutes les vibrations de l’éther, et devient sensible pour les cerveaux en harmonie avec le notre. La transformation d’une action psychique en mouvement éthéré, et réciproquement, peut être analogue à celle que l’on observe dans le téléphone, où la plaque réceptive, identique à la plaque d’envoi, reconstitue le mouvement sonore transmis, non par le son, mais par l’électricité. Mais ce ne sont là que des comparaisons.

L’action d’un esprit sur un autre, à distance, surtout en des circonstances aussi graves que celle de la mort, et de la mort subite en particulier, la transmission de pensée, la suggestion mentale, la communication à distance, ne sont pas plus extraordinaires que l’action de l’aimant sur le fer, que l’attraction de la lune sur la mer, que le transport de la voix humaine par l’électricité, que la révélation de la constitution chimique d’une étoile par l’analyse de sa lumière, et que toutes les merveilles de la science contemporaine. Seulement, ces transmissions psychiques sont d’un ordre plus élevé et peuvent nous mettre sur la voie de la connaissance de l’être humain.

La suite graduelle de notre examen nous conduira probablement à admettre qu’il y a des apparitions réelles, objectives, substantielles, des doubles de vivants, et peut-être même des manifestations de morts. Mais n’anticipons pas.

Quoi qu’il en soit :

LA TÉLÉPATHIE PEUT ET DOIT ÊTRE INSCRITE DÉSORMAIS DANS LA SCIENCE COMME UNE RÉALITÉ INCONTESTABLE ;

LES ESPRITS PEUVENT AGIR LES UNS SUR LES AUTRES SANS L’INTERMÉDIAIRE DES SENS ;

LA FORCE PSYCHIQUE EXISTE. SA NATURE RESTE INCONNUE.

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