Le monde des rêves


DIVERSITÉ INDÉFINIE DES SONGES

PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALE

RÊVES PSYCHIQUES : MANIFESTATIONS DE MOURANTS RESSENTIES PENDANT LE SOMMEIL

LA TÉLÉPATHIE DANS LES RÊVES

Les phénomènes psychiques dont nous venons de nous entretenir peuvent se produire pendant le sommeil aussi bien que dans l’état éveillé. Jusqu’à présent, le sommeil et les rêves ont été beaucoup étudiés, il est vrai, et par un grand nombre d’observateurs perspicaces82, mais il faut avouer qu’ils ne sont encore que bien incomplètement élucidés. Le sommeil n’est pas un état exceptionnel dans notre vie ; c’est, au contraire, une fonction normale de notre existence organique, dont il représente le tiers, en moyenne. L’homme ou la femme qui a vécu soixante ans en a dormi vingt, ou à peu près. Les heures de sommeil (trois mille par an !) sont, sans contredit, des heures de repos, de réparation vitale, pour le cerveau comme pour les membres assoupis ; mais ce ne sont pas des heures de mort. Nos facultés intellectuelles restent en activité, avec cette différence essentielle et capitale que c’est l’inconscient qui agit, et non pas notre logique consciente et raisonnable de l’état éveillé.

De même que l’on pense constamment à une chose ou à une autre, de même, pendant le sommeil, on rêve constamment. Le rêve est l’image de la vie. Ceux dont les idées sont fortes, dont les pensées sont puissantes, ont des rêves intenses. Ceux qui pensent peu rêvent faiblement. Il y a autant de rêves que d’idées, et toutes les classifications tentées ont été à peu près vaines et illusoires.

On ne se souvient pas toujours des rêves. Pour saisir un rêve au vol, il faut être réveillé assez brusquement et y porter une vive attention, car rien ne s’efface plus vite que le souvenir d’un rêve. En général, c’est l’affaire d’une seconde ou deux, et si on ne le fixe immédiatement, il s’évanouit... comme un songe. Un grand nombre d’auteurs assurent qu’on ne rêve que le matin, avant de se réveiller, ou le soir en s’endormant. C’est là une erreur. Il suffit de se réveiller — ou de réveiller quelqu’un — à une heure quelconque de la nuit pour constater que l’on rêve toujours, ou presque toujours. Mais on ne se souvient pas toujours ; on ne se souvient même pas souvent, de même que, d’ailleurs, nous ne nous souvenons pas des trois quarts des pensées qui ont traversé notre cerveau pendant le jour.

En général, on rêve aux choses dont on s’occupe et aux personnes que l’on connaît. Cependant, il y a des exceptions bizarres, et les pensées les plus intenses du jour n’ont parfois aucun retentissement durant le sommeil suivant. Les cellules cérébrales qui y ont été associées sont épuisées et se reposent, et souvent c’est fort heureux. D’autre part, le temps et l’espace sont annihilés. Des événements de plusieurs heures et même plusieurs jours peuvent se dérouler en une seconde. Vous pouvez vous retrouver d’un grand nombre d’années en arrière et dans votre enfance, avec des personnes mortes depuis longtemps, sans que ces lointains souvenirs paraissent affaiblis. Vous rencontrez sans étonnement en songe des personnes d’un autre siècle. On peut rêver aussi à des choses qui ne sont jamais arrivées et qui seraient d’ailleurs impossibles. Les images saugrenues et burlesques les plus disparates et les plus incohérentes s’associent, sans la moindre vraisemblance et sans la moindre logique.

Certains rêves proviennent même d’une transmission héréditaire.

Mille causes diverses agissent sur les rêves, en dehors de l’esprit lui-même : une digestion difficile, une respiration contrariée, une position du corps, le frôlement du drap, de la chemise, une couverture trop lourde, un refroidissement, un bruit, une lumière, une odeur, le toucher de la main, la faim, la soif, la plénitude des tissus, tout agit sur les rêves.

On peut remarquer, par exemple, à ce propos, une hallucination hypnagogique assez fréquente, c’est celle qui nous fait tomber dans un trou, manquer une marche d’escalier, glisser au fond d’un précipice. Elle arrive généralement un peu après le commencement de notre sommeil, à l’instant où les membres s’assouplissant entièrement font, me semble-t-il, changer de place tout d’un coup le centre de gravité de notre corps. C’est sans doute ce déplacement subit de notre centre de gravité qui donne naissance à ce genre de rêves. Lorsque nous nous occuperons du Temps, nous aurons lieu de revenir sur l’étonnante rapidité des songes.

Les attitudes du sommeil tendent à un équilibre passif. Toutes les activités sensorielles s’obscurcissent par degrés et l’oubli du monde extérieur arrive par transitions insensibles, comme si l’âme se retirait lentement vers ses derniers refuges. Les paupières se ferment et l’œil s’endort le premier. Le toucher perd ses facultés de perception et s’endort ensuite. L’odorat s’assoupit à son tour. L’oreille reste la dernière, sentinelle vigilante, pour nous avertir en cas de danger, mais elle finit aussi par s’assoupir. Alors le sommeil est complet et le monde des rêves s’ouvre devant la pensée avec sa diversité indéfinie.

Vers ma vingtième année (19 à 25 ans), je m’étais amusé à observer mes rêves et à les écrire au réveil, avec les commentaires qui pouvaient les expliquer. J’ai continué, depuis, mais assez rarement, à prendre de nouvelles notes sur ce sujet. Je viens de retrouver ce registre, assez volumineux, intitulé : Ονειροι et écrit quelquefois en grec et en latin — comme diversion, je suppose. Il a pour sous-titres γνωστε σεαυτον et εμπερια. J’en avais tiré certaines conclusions qui ne sont pas sans intérêt.

J’extrairai de ce registre inédit quelques rêves et quelques réflexions qui me paraissent tout à fait à leur place ici.

J’avais quitté l’Observatoire de Paris, à la suite de dissentiments avec son directeur, Le Verrier, et j’avais été chargé, au Bureau des Longitudes, des calculs relatifs aux positions futures de la lune. Je rêve que je suis au Palais-Royal, dans la galerie d’Orléans, chez le libraire Ledoyen, et que M. Le Verrier entre et achète mon premier ouvrage, La Pluralité des mondes habités.

Me voyant là : « C’est de lui ? fit-il en me regardant : — Oui, monsieur le sénateur, répond le libraire, et c’est notre plus grand succès de librairie. »

Il y avait plusieurs personnes au magasin. Elles disparaissent toutes comme par enchantement, et je me trouve seul avec Le Verrier, dans un immense salon d’hôtel.

« Est-ce que vous vous plaisez au Bureau des Longitudes, me demande-t-il, avec ces Mathieu, ces Laugier, ces Delaunay ? Vous feriez mieux de rentrer à l’Observatoire.

— J’y suis fort bien, répliquai-je. Ces calculs sont plus intéressants que vos réductions d’observations.

— Pas d’avenir là ! continua-t-il. À votre place, j’entrerais dans un ministère.

— M. Rouland a reçu une invitation pour m’admettre aux Travaux publics, à la statistique de la France.

— Rouland ? Non : Legoix.

— Vous avez raison. Mais j’ai refusé. L’astronomie est au-dessus de tout.

— Cependant, le principal, dans la vie, est d’avoir une bonne place.

— Nous ne sommes pas sur la terre pour manger, mais pour nourrir notre esprit des aliments qu’il préfère.

— Vous êtes bien désintéressé ! Vous n’arriverez à rien.

— Nous ne comprenons pas la science de la même façon. Pour moi, elle n’est pas un moyen, elle est en elle-même son propre but.

— Je pourrais vous confier à l’Observatoire un poste important, mais il faudrait pour cela que vous quittiez d’abord le Bureau des Longitudes et que j’aie la garantie que vous ne quitterez plus l’Observatoire.

— Et pourquoi quitterais-je une situation qui réaliserait une partie de mes espérances ?

— Ce que vous appelez la philosophie astronomique est une chimère. L’astronomie, c’est le calcul.

— Le calcul en est la base, rien de plus.

— Nous aviserons », ajouta-t-il en tournant sur sa jambe droite, et en se dirigeant vers une porte en tapisserie qui conduisait, me parut-il alors, à l’appartement qu’il occupait dans l’hôtel, et en me laissant seul avec mes réflexions.

Je me réveillai : 7 heures sonnaient.

Ce rêve s’explique très facilement par mes préoccupations à cette époque. L’illustre astronome y garde absolument le caractère sous lequel je le connaissais. Le nom de Rouland, ministre de l’instruction publique, mis à la place de Rouher, ministre des travaux publics, a pu avoir pour cause la similitude des deux noms et le fait que je voyais plus souvent ce nom que le second. M. Legoix était alors chef du bureau de la Statistique, et il avait été question pour moi d’y entrer, en effet. Le Verrier témoignait, en toute occasion, un profond dédain pour le Bureau des Longitudes. Ce rêve est donc tout simplement le reflet, l’écho de pensées réelles.

Il est assez raisonnable. Nous en faisons tous d’autres qui le sont beaucoup moins. En voici un qui se termine d’une manière bien baroque.

Je rencontre mon ami le docteur Édouard Fournié, qui me reproche de n’être pas allé le voir depuis longtemps et qui ajoute : « Ces reproches ne viennent pas seulement de moi, mais aussi de Mlle A... qui se plaint de votre indifférence. Elle ne vous a pas eu pour danser avec elle au bal de Mme F... ; elle s’est monté la tête, parce qu’on lui a dit que vous étiez allé à une autre soirée, et son chagrin, dont elle ne pouvait parler à personne, a amené chez cette pauvre enfant une fièvre cérébrale.

« Un étudiant en médecine, jeune chirurgien, l’a soignée et est parvenu à la sauver. Il l’a guérie non seulement de cette fièvre, mais même de la cause de cette maladie, car, dès qu’il eut vu la fève conjugale, il devint passionnément amoureux, elle répondit à son amour, et maintenant c’est lui qu’elle aime. Elle est en pleine convalescence. »

Je lis dans la note ajoutée à ce rêve : « Je connaissais Mlle A..., j’avais pour elle une vive admiration, et je lui avais dédié ma romance Si tu savais ; mais je n’avais pas cru à une réciprocité de sa part. J’avais rencontré chez le Dr Fournié, un jeune chirurgien du Val-de-Grâce en costume assez élégant, qui m’avait paru faire la cour à cette demoiselle. J’en avais eu du dépit et je m’étais retiré. Le rêve n’est donc encore ici qu’une association d’idées habituelles. Mais l’expression fève conjugale est curieuse en ce sens qu’elle paraît être une déformation de l’assonance fièvre cérébrale. Elle est bien extravagante, quoiqu’elle rappelle un peu la métamorphose, dans le rêve précédent, de Rouher en Rouland. On sent que les cellules de l’encéphale travaillent là obscurément dans l’inconscience. Peut-être même, en se reportant à la situation du rêve, pourrait-on trouver un autre rapprochement d’images qui aura pu donner naissance, en cérébration inconsciente rapide, à cette expression singulière.... »

Dans un autre rêve, je me trouve vers les derniers rangs d’une armée en bataille. Des balles viennent à passer auprès de moi, d’énormes boulets se succèdent, mais aucun bruit. Je regardais les boulets venir et me détournais, soit à gauche, soit à droite, suivant leur direction. Mais ils se succédèrent bientôt à de si courts intervalles que je pensai que le mieux à faire était de ne pas me déranger, car en évitant l’un je pouvais me trouver sous la visée de l’autre.

Je me dis alors : « Que les hommes sont bêtes de s’amuser comme ça ! N’ont-ils donc rien autre chose à faire ? »

L’explication de ce rêve est également fort simple. J’avais tiré à la conscription, quinze jours auparavant, un mauvais numéro. Ce qu’il y a de plus curieux peut-être, ce sont ces boulets inoffensifs arrivant sans bruit, et que l’on voit venir.

Autre songe :

— Nous étions plusieurs sur une place publique. Dans les airs, au-dessus de nos têtes, un immense ballon semble lutter désespérément contre le vent. Tout à coup, il se retourne complètement, la nacelle en haut. La foule s’amasse, s’attendant à voir tomber l’aéronaute. Mais un parachute est lancé dans l’espace et l’aéronaute descend.

Ce rêve est bizarre. Il est difficile de penser qu’un ballon puisse se retourner ainsi. On voit en rêve des choses irrationnelles et qui ne peuvent pas arriver. Depuis plusieurs semaines, M. de la Landelle annonçait le départ d’un ballon monstrueux.

— Je rêve que plusieurs femmes m’accostent dans la rue. La dernière étant remarquablement jeune et gracieuse, je me retourne pour la regarder. Mais voilà que j’entends des personnes disant : « C’est le président ! c’est le président ! » J’eus honte et je continuai mon chemin.

J’étais alors président d’une petite société de jeunes gens qui consacraient leurs loisirs à la littérature. J’ai agi en rêve comme j’aurais agi éveillé.

— Aujourd’hui, 5 octobre 1863, Mlle K. D... me raconte quelle a rêvé me voir dans le ciel, de l’autre côté de la lune, avec un compas d’or en main, mesurant des grandeurs inconnues. Tout à coup, je redescends rapidement vers elle, lui dire qu’une nouvelle planète était là, que l’on ne connaissait pas encore.

Aujourd’hui, je reçois le n° 1439 des Astronomische Nachrichten qui m’apprend qu’une nouvelle planète vient d’être découverte. On ne le sait pas encore en France, et je l’annoncerai demain dans le Cosmos.

Il n’y a sans doute là qu’une simple coïncidence. Vers cette même date, je lis dans ce registre la note suivante :

Le docteur Hoefer, directeur de la Biographie générale publiée chez Didot, me disait hier que les rêves représentent des opérations de l’âme complexes et difficiles à déterminer. À l’article HUMBOLDT il avait écrit que l’Allemagne pouvait être fière de deux grands hommes, bien différents dans leur génie, Frédéric le Grand et Alexandre de Humboldt. Celui-ci, auquel il avait envoyé une épreuve, lui écrivit pour le supplier, à genoux, de retrancher cette comparaison, se croyant trop petit pour être appelé génie dans le pays de Leibniz, et trop attaché aux idées de liberté pour être mis en accolade avec Frédéric.

Le docteur Hoefer avait remis de jour en jour sa réponse à cette lettre, quand il apprit la mort de l’illustre savant.

Environ deux mois après, il rêva se trouver dans un immense et splendide salon, brillamment décoré, dans lequel un auditoire attentif écoutait un orateur. Cet orateur, c’était lui-même. Mais voilà qu’en promenant ses regards sur l’auditoire, il reconnaît son ami Humboldt. « Tiens ! s’écria-t-il soudain, en s’interrompant dans son discours, comment, c’est vous ? On m’avait dit que vous étiez mort.

— Non, mon cher, répondit Humboldt avec son sourire habituel, c’était une plaisanterie. J’ai fait courir le bruit que j’étais mort, mais vous voyez bien que ce n’est pas. »

Ce rêve est encore le résultat des préoccupations habituelles, et Humboldt mort n’y est certainement pour rien.

— J’assiste à une séance de spiritisme dans laquelle M. Mathieu, doyen du Bureau des Longitudes et de l’Académie des sciences (beau-frère d’Arago), était médium. On m’apporte la tête de mon père, très belle, comme en ivoire ou en cire. Je ne suis pas du tout impressionné de ce tableau, d’autant plus que mon père, bien vivant dans ce rêve comme il l’était en réalité, assistait à cette exhibition et n’en voulait rien croire.

À classer parmi les absurdités les plus stupéfiantes.

— Je pars de l’Observatoire, où se trouvait le Bureau des calculs du Bureau des Longitudes (faux : c’était alors rue Notre-Dame-des-Champs) et où je venais de porter un toast « à la chute de M. Le Verrier », je traverse une cour gothique moyen âge, qui n’existe pas, et vais à Montrouge : là, ce sont les remparts de la ville de Langres et leur paysage étendu.

Associations d’idées et d’images contradictoires.

— Vu en rêve des hommes volants qui passaient au-dessus de la rue de Rivoli. Parmi eux était mon oncle Charles, qui arrivait d’Amérique en leur compagnie.

Je préparais alors (1864) mon second ouvrage : Les Mondes imaginaires, où il est question des hommes volants, et dans les séances de spiritisme, des communications étaient signées de cet oncle Charles (qui n’était pas mort du tout).

— Après le bal de l’Opéra. L’orchestre continue de jouer, les danses n’ont pas cessé, les aventures et les intrigues marchent comme en réalité.

Sensations de la veille continuées.

— Magnifique journée passée à Athènes. Je faisais un petit voyage, et j’arrivai là fortuitement avant le lever du soleil. J’étais sur l’Acropole, en vue d’un magnifique panorama. J’errai parmi des tombeaux, des monuments de marbre blanc, des statues couchées.

Imagination pure.

— M. Le Verrier se montre souvent dans mes rêves. Décidément, il m’occupe plus la nuit que le jour. Cette nuit, j’étais dans le pavillon du gardien de l’Observatoire. Il était tard. Mme Le Verrier vint me trouver et me causa avec toute l’amabilité du monde. Nous nous promenâmes dans les jardins. Elle m’assura que son mari serait très heureux de me revoir, que j’aurais un instrument à moi pour observer quand je voudrais, que je serais indépendant, toutes choses invraisemblables et impossibles.

Je copie textuellement. Dix ans après, c’est précisément là ce qui arrivait : M. Le Verrier mettait à ma disposition le grand équatorial pour mes mesures d’étoiles doubles. Mais ce n’est pas pour cela un rêve prémonitoire. Des associations de pensées l’expliquent complètement.

Voici un fragment de lettre que j’hésitais à imprimer (bien des rêves, assurément, ne peuvent pas l’être), mais qui pourtant, me semble-t-il, peut être lu. J’avais un camarade nommé Sazin.

« Revenant hier soir de chez toi, m’écrit-il, avec Laurent, Deflandre et Gonet, je ne fis aucune rencontre qui ait pu donner naissance au rêve que je fis cette nuit. Vers une heure et demie je m’endormis. Je rêvai que je me trouvais avec toi sur le boulevard. Une femme de mœurs légères, que je connais, passa, et fut accostée par un homme qui partit avec elle. Je les suivis (dans mon rêve) et restai dans la chambre, spectateur invisible. L’homme était grand et blond, l’air d’un Anglais. Je ne le connais pas. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce matin, en passant, je vis sortir du n° 68 de la rue de la Victoire cette même femme avec ce même homme ! »

Ce cas est intéressant, sans être probant. Il n’est pas impossible que, sans le remarquer, l’auteur eût déjà rencontré ce monsieur blond dans son quartier, ou peut-être ce soir-là même, non loin de la femme. Le rêve peut les avoir associés. Ce n’en est pas moins curieux comme coïncidence.

— Je rencontre au jardin du Luxembourg M. Desains, membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, physicien de l’Observatoire (ce qui m’est arrivé assez souvent), qui me dit écrire un ouvrage sur les hommes des planètes, lequel serait une restauration de la théorie de Wolff, d’après laquelle la taille des êtres est en proportion de la dimension des yeux, et les yeux en proportion de la dilatation de la rétine, celle-ci étant inversement proportionnelle de l’intensité de la lumière, si bien que dans notre système solaire les habitants de Mercure seraient les plus petits et ceux de Neptune les plus gigantesques.

Je lui réponds que cette hypothèse n’est pas fondée, que les éléphants ont de petits yeux, relativement à leur taille, que les chouettes en ont de grands et ne sont pas gigantesques.

« C’est pour vous que je travaille, ajoute-t-il, vous en ferez ce que vous voudrez. »

L’explication de ce rêve est également dans mes recherches astronomiques et physiologiques de cette époque.

Si je rappelle un certain nombre de ces rêves, c’est que leur étude est loin d’être étrangère à la psychologie et aux problèmes qui nous occupent. Peut-être même nos conclusions offriront-elles plus d’une application lorsque nous arriverons au spiritisme.

— Rêvé être sur une haute montagne. Une nuée de corbeaux passe en croassant. Ils se dépouillent comme des chenilles de leurs peaux et des papillons de leurs chrysalides, et laissent tomber autour de moi leurs enveloppes qui, à ma stupéfaction, ne ressemblaient pas à des corbeaux, mais à des têtes parcheminées d’orangs-outangs. L’astronome Babinet, qui était là, en emplit ses poches.

Explication : la veille, j’avais beaucoup remarqué, dans l’atlas céleste de Flamsteed, la constellation du Corbeau. Le savant Babinet n’était pas beau, et son visage, comme celui de Littré, faisait penser à l’origine simienne de l’humanité.

— À mon réveil, ce matin, j’ai entendu prononcer ce nom : « Mlle d’Arquier ». Or, hier, j’ai écrit dans le Cosmos que la nébuleuse perforée a été trouvée par d’Arquier en 1779.

Je trouve aussi dans le même cahier les réflexions suivantes :

— Presque tous mes rêves ont en ce moment pour objet la plus belle des jeunes femmes que j’aie rencontrées en ce monde, Mme S. M.

Celui qui connaîtrait les rêves d’une personne connaîtrait ses sentiments.

Cependant, s’il arrive souvent que les pensées dominantes de la veille entrent pour une bonne part dans les songes, elles ne les remplissent pourtant pas autant que pendant le jour : il s’y mêle d’autres impressions bien inattendues, et nous sommes même quelquefois en rêve l’opposé de ce que nous sommes en réalité. Il y a du vrai et du faux. En jugeant d’après certains rêves, on s’exposerait donc à juger mal.

M. Didier, l’éditeur, m’apprend qu’ordinairement il a conscience de ses rêves et sait parfaitement que ce qu’il y fait n’est pas vrai.

« Il y a longtemps de cela, me dit-il, je me trouve en rêve dans un salon, à côté d’une femme élégante et très désirable. Je la prends dans mes bras, je l’embrasse, elle se laisse faire, et malgré tout ce monde qui me regardait, je me dis : « Cela m’est bien égal, puisque je rêve ». Et, en effet, j’ai agi en dédaignant tous ces regards inexistants et comme si j’avais été seul. »

Un jour, dans un rêve, étant poursuivi par un malfaiteur et sur le point d’être atteint, il se dit à lui-même : « Pour lui échapper, je n’ai qu’à finir ce rêve en me réveillant ». Et il se réveilla.

Autre extrait du même cahier :

— Je m’étais rendu au château de Compiègne où M. Fidon précepteur du prince impérial, m’a entretenu de Home, que je ne connais pas encore. J’ai dîné et couché au collège. Le principal, M. Paradis, m’a fait part d’un rêve méritant d’être consigné. Il dormait profondément et rêva qu’une grosse et hideuse araignée grimpait sur lui et arrivait sur sa poitrine. Son horreur fut telle qu’il se réveilla en sursaut. Sa femme s’en étant aperçue, lui demanda la cause de son réveil subit, et il lui raconta cette espèce de cauchemar. Mme Paradis étendant la main sur la couverture trouva une grosse araignée.

Il est probable que le dormeur aura reçu, tout en dormant, l’impression du passage de cette vilaine bête sur sa main ou sur son cou, et que cette impression aura déterminé le rêve.

— J’ai fait un rêve dans lequel je saignais du nez, ce qui ne m’arrive jamais, ou presque jamais. Ce matin, en m’éveillant, je me suis aperçu que j’avais un peu de sang dans les fosses nasales.

Impression causée par une sensation physique également.

— J’étais dans la caverne d’un volcan à Paris ou dans les environs. Je ne sais ce qui m’était arrivé, auprès d’un passant, mais je lui parlais avec fierté, le chapeau sur la tête, et le priais de passer son chemin sans me dire un mot. Tout à coup, au fond de la caverne, une douce et resplendissante lumière inonde les entrailles du volcan ; puis je vois s’ouvrir de ravissantes mines de cristal qui se développaient en brillantes stalactites. Le sol ne tremblait pas. Des ombres, couvertes de capuchons de moines, sortirent de ce sol remué, vêtues de robes de bure. Un léger mouvement de frayeur s’empara de moi, mais je pus bientôt me maîtriser et attendre avec calme que l’un de ces revenants fût près de moi. J’étais seul du monde des vivants, et je n’eus pas peur, car j’étais en ce moment dominé par le plus ardent désir d’interroger ces ombres sur l’autre monde, afin d’avoir enfin la certitude à laquelle j’aspirais. Dès qu’un de ces morts fut assez rapproché de moi, je m’avançai vers lui et lui demandai avec supplication s’il revenait réellement du séjour des morts, si tous les hommes y revivaient, si c’était là un monde positif et défini comme celui des vivants. Il allait me répondre lorsque la scène changea de face, et au lieu des colonnes irrégulières de cristal naturel qui s’étaient laissé voir dans le fond, des substances inconnues, limpides, transparentes et décorées des nuances les plus riches se mirent en mouvement de bas en haut et de haut en bas. C’était splendide. Une belle lumière éclairait ces diverses couleurs. Les ombres continuaient à se promener tranquillement. La terre ne tremblait pas et la majesté de ce spectacle n’était troublée par rien d’affreux. Cependant l’idée de la fin du monde s’empara de moi, je sentis les paroles expirer sur mes lèvres, et bientôt même je n’eus plus le désir de faire les questions précédentes, car je pensais d’un instant à l’autre passer sans trouble de l’état de vie où j’étais encore, à l’état d’outre-tombe où étaient ceux qui m’entouraient.

Une note ajoutée à ce rêve paraît l’expliquer : « Je pense beaucoup à l’au-delà depuis quelque temps, et aux possibilités de créations différentes de celle au milieu de laquelle nous vivons. »

— Je suis à la librairie académique Didier, où j’ai publié mes premiers ouvrages, La Pluralité des Mondes habités, Les Mondes imaginaires, Dieu dans la Nature, etc. J’y trouve MM. Cousin, Guizot, de Barante, de Montalembert, Lamartine, Maury, Mignet, Thiers, Caro, que j’y ai, en effet, quelquefois rencontrés. MM. Jean Reynaud, Henri Martin et Charton, que je connaissais plus particulièrement, m’avaient arrêté un instant, à la porte d’entrée, sur le quai, et m’avaient prié de ne pas rester longtemps parce qu’il y avait réunion à côté, au Magasin pittoresque. M. Didier, un instant après mon arrivée, me dit : « Venez donc avec moi aux Tuileries, c’est la musique de la garde qui joue ». Nous laissons tout le monde à la librairie et nous partons. « Vous n’avez donc plus votre employé Maindron ? lui demandai-je sur la route. — Non. — Ne le remplacerez-vous pas ? — Si j’étais sûr d’un bon sujet, d’un garçon laborieux et intelligent ! — J’en ai un à vous proposer. — Vraiment ? — Oui : mon frère. Il est tout jeune, il a quatre ans de moins que moi, il aime le commerce, et je suis sûr que la librairie lui irait parfaitement. — Eh bien, qu’il vienne. »

Nous arrivons aux Tuileries, les chaises sont pleines de monde ; nous essayons de nous faufiler. L’empereur, qui était assis sur une chaise, se lève et l’offre à M. Didier en lui disant : « Qu’est-ce que fait Maury, qu’on ne le voit plus ? — Sire, répond l’éditeur, ils sont tous en ce moment à ma librairie, préparant un coup d’État. » Sur ce, la scène change devant mes yeux pour faire place à une vallée de la Haute-Marne, en face Bourmont, et à un ruisseau sur les bords duquel je jouais étant petit avec mon frère.

Ce rêve s’explique par des associations d’idées fort simples. J’avais, en effet, fait entrer mon frère comme employé à la librairie Didier. Quelques jours avant ce rêve, j’avais dîné et couché chez l’historien Henri Martin, où il avait été question du coup d’État, et les souvenirs des auteurs que j’avais rencontrés plus d’une fois sur le quai des Augustins avaient réveillé toutes ces réminiscences. M. Maury était bibliothécaire de l’empereur et déjeunait assez souvent avec lui. L’idée que tous ces auteurs se soient trouvés à la librairie le même jour à la même heure, est tout à fait invraisemblable ; celle que l’empereur ait été assis sur une chaise à la musique des Tuileries est absurde. Mais tout paraît naturel dans les rêves.

— M. Didier n’était pas mort, et en entrant à la librairie dans la journée, je le vis comme d’habitude, et nous nous donnions la main sans paraître nous étonner. Je songeai alors qu’on l’avait enterré en léthargie il y a trois jours (5 décembre 1865) et qu’il s’était réveillé dans son caveau. Mais je ne crus pas devoir lui demander une explication là-dessus et nous parlâmes d’affaires de librairie.

Après avoir causé, nous sortîmes ensemble comme d’habitude, et nous descendîmes les quais, vers les Tuiluries. Sa personne, quoique ne différant pas de celle que j’ai connue, était étrange et sacrée. Il était cependant alerte et je lui dis qu’il avait l’air d’un ressuscité. « Je puis bien en avoir l’air, me répondit-il, puisque je le suis. » Il voulait à toute force me prendre la main, mais une horreur invincible me le défendait.

« Pardonnez-moi, lui dis-je, de vous refuser ; mais, je ne sais pourquoi, je ne puis faire comme je voudrais. »

Cette réponse commença de l’indisposer contre moi. Je fis alors un effort suprême et je pris son bras dans le mien ; mais bientôt je tremblai, et force me fut de le retirer. « Causons, lui dis-je, l’un à côté de l’autre. »

Cet homme me semblait un mort marchant et je vis par ses réponses qu’il n’avait plus son intelligence ni son jugement et parlait comme un automate. M’étant même par hasard un peu approché de ses lèvres, je sentis une mauvaise odeur qui acheva mon horreur. Et je ne sais alors quelle altercation survint entre nous ; mais je me disputai avec ce mort qui finit par me donner un soufflet.

Au même moment, une troupe de gendarmes et de sergents de ville parurent, et au lieu de nous trouver à l’Institut, devant lequel nous étions alors, nous nous trouvâmes sur le penchant d’une colline. Je le regardai alors fixement. « Ne savez-vous pas, lui dis-je, que je suis Camille Flammarion, votre auteur favori ? » Il parut se souvenir. « Oui, dit-il, grand auteur. Mais pourquoi ne voulez-vous pas de moi, Sylvie ? Vous avez horreur de moi, Sylvie. — Je ne suis pas Sylvie, lui dis-je, mais Camille. » Il me prit la main. Alors ce contact fut si horrible que je me réveillai.

Ce cauchemar peut avoir été causé par la mort de cet ami, arrivée trois jours auparavant. Il était mort subitement en s’asseyant au bureau des omnibus de la place Saint-Michel, et en le voyant le lendemain sur son lit, je m’étais demandé s’il n’était pas en léthargie. Cette mort m’avait beaucoup impressionné, et prié de prononcer un discours sur sa tombe, je l’avais fait sans pouvoir vaincre mon émotion. La forme agressive de ce cauchemar est inexplicable. La substitution de la fin est assez singulière. Il y a pourtant encore des songes plus incohérents. Ainsi, dans un autre rêve, la mer était à Montmartre, et un bateau à vapeur m’amenait dans la Haute-Marne, tout à côté.

Voici un rêve plus récent qui montre avec évidence l’action d’une cause étrangère au cerveau se superposant à un rêve et déterminant une image nouvelle.

— Ce matin (6 juin 1897), j’ai vu en rêve quelqu’un frappant fortement du talon sur une marche d’escalier en bois. Ce coup m’a réveillé. Il provenait d’une « boîte » d’artifice, par laquelle on annonce, à 6 heures du matin, l’une des fêtes annuelles de Juvisy (Pentecôte). Ce coup était tiré à 200 mètres de l’Observatoire, en haut de la rue Camille-Flammarion. On en a tiré deux autres ensuite.

Ainsi, le bruit qui m’a réveillé a été la cause déterminante d’une image qui m’a paru antérieure à mon réveil.

C’est-à-dire que cette image s’est produite pendant le temps très court nécessaire au réveil, peut-être un dixième de seconde.

Quand j’ai vu l’homme frappant du pied sur une marche d’escalier, je rêvais que j’étais complètement nu, et que j’étais obligé, pour sortir de la pièce où je me trouvais et aller chercher mes vêtements, de traverser le salon, où causaient une trentaine de personnes. Il y avait très longtemps que mon inquiétude durait, et que je cherchais les moyens de sortir, quand je me suis réveillé. Or, en me réveillant, j’ai senti que j’avais froid, ayant rejeté ma couverture. C’est sans doute aussi cette sensation de froid qui a déterminé ce rêve, comme l’explosion a déterminé l’image d’un homme frappant du talon.

On voit par ces descriptions sommaires, prises sur nature, combien les rêves sont multiples et variés et combien de causes diverses les produisent.

C’est une erreur physiologique de penser que les éléments des rêves soient uniquement empruntés à la réalité. Pour ma part, par exemple (et je ne suis pas seul dans ce cas), j’ai très souvent rêvé voler dans les airs, à une faible distance au-dessus d’une vallée ou d’un gracieux paysage, et c’est même l’agréable sensation ressentie dans ces songes enchanteurs qui m’a inspiré le désir de monter en ballon et de faire des voyages aériens. Je dois dire, à ce propos, que la sensation d’un voyage en ballon, quelque splendide qu’elle soit par l’étendue des panoramas développés sous les yeux du contemplateur et par le solennel silence des hauteurs de l’azur, n’équivaut pas au point de vue du mouvement à celle de ces rêves, car dans la nacelle de l’aérostat on se sent immobile — molécule d’air immergée dans l’air qui marche — et c’est une désillusion.

On ne voit pas bien quels sont les faits de la vie organique qui peuvent donner la sensation du vol en rêve. Le vertige n’est certainement pas en jeu, comme on l’a supposé. Serait-ce le regret d’être inférieur aux oiseaux ? Mais la sensation ?

J’ai aussi, assez souvent, rêvé causer avec Napoléon. Assurément, j’ai beaucoup entendu parler de ce conquérant dans mon enfance, par des hommes qui l’avaient vu, et mon esprit a pu en être frappé. Mais la relation de cause à effet reste assez lointaine.

Je me vois quelquefois enfermé dans une tour, avec une belle prairie verte devant moi. Où en est la cause ?

Je suis quelquefois condamné à mort, et je n’ai plus que deux heures, une heure, une demi-heure, quelques minutes à vivre. Est-ce un souvenir passé ?

Parfois, j’ai voyagé en rêve sur les autres mondes, dans les profondeurs infinies. Mais ici il peut y avoir associations de pensées qui me sont familières.

En général, dans l’état normal des choses, les rêves sont si nombreux, si variés, si incohérents, qu’il est presque superflu d’en chercher les causes, en dehors d’associations d’idées latentes dans l’esprit ou d’images endormies dans le cerveau. On rêve comme en pense, à toutes sortes de choses et de situations, seulement, au lieu de pensées, comme dans l’état éveillé, on s’imagine que l’on agit vraiment, que l’on vit les choses pensées, et les idées deviennent des actes apparents ; toute la différence est là, et comme la raison est absente de ces actes inconscients, les situations les plus extravagantes se trouvent réalisées, très simplement, sans aucune surprise, comme si elles étaient naturelles.

On peut donc remarquer dans le rêve trois phases caractéristiques. Tandis que dans l’état éveillé une idée reste une idée, dans le rêve elle devient image, puis être réel, personne ou chose.

Nous personnifions nos idées, nous attribuons en songe à des personnages différents des pensées, des paroles qui ne sont autres que les nôtres.

Dans un des rêves les plus clairs, les plus nets, les plus raisonnables que j’aie jamais eus, écrit A. Maury, je soutenais avec un interlocuteur une discussion sur l’immortalité de l’âme, et tous deux nous faisions valoir des arguments opposés, qui n’étaient autres que les objections que je me faisais moi-même. Cette scission qui s’opère dans l’esprit, et où le docteur Wigan voit une des preuves de sa thèse paradoxale, the duality of the mind, n’est la plupart du temps qu’un phénomène de mémoire ; nous nous rappelons le pour et le contre d’une question et, en rêve, nous reportons à deux êtres différents les deux ordres opposés d’idées. Jadis, le mot de Mussidan me vint soudain à l’esprit ; je savais bien alors que c’était le nom d’une ville de France, mais où était-elle située, je l’ignorais ; pour mieux dire, je l’avais oublié. Quelque temps après, je vis en songe un certain personnage qui me dit qu’il arrivait de Mussidan ; je lui demandai où se trouvait cette ville. Il me répondit que c’était un chef-lieu de canton du département de la Dordogne. Je me réveille à l’issue de ce rêve : c’était le matin, le songe me restait parfaitement présent, mais j’étais dans le doute sur l’exactitude de ce qu’avait avancé mon personnage. Le nom de Mussidan s’offrait alors encore à mon esprit dans les conditions des jours précédents, c’est-à-dire sans que je susse où est placée la ville ainsi dénommée. Je me hâte de consulter un dictionnaire géographique et à mon grand étonnement, je constate que l’interlocuteur de mon rêve savait mieux la géographie que moi, c’est-à-dire, bien entendu, que je m’étais rappelé en rêve un fait oublié à l’état de veille et que j’avais mis dans la bouche d’autrui ce qui n’était qu’une mienne réminiscence.

Il y a bien des années, à une époque où j’étudiais l’anglais et où je m’attachais surtout à connaître le sens des verbes suivis de prépositions, j’eus le rêve que voici : Je parlais anglais, et voulant dire à une personne que je lui avais rendu visite la veille, j’employai cette expression : I called for you yesterday. « Vous vous exprimez mal, me fut-il répondu, il faut dire : I called on you yesterday. » Le lendemain à mon réveil, le souvenir de cette circonstance de mon rêve m’était présent. Je prends une grammaire placée sur une table voisine, je fais la vérification : la personne imaginaire avait raison.

Le souvenir d’une chose oubliée à l’état de veille était revenu en songe, et l’observateur avait attribué à une autre personne ce qui n’était qu’une opération de son esprit.

La plus grande majorité des rêves peuvent s’expliquer, tout naturellement, par la concentration de la pensée durant le sommeil.

Il n’est personne ayant l’habitude des travaux intellectuels, dirons-nous avec Max Simon et Alfred Maury, qui n’ait constaté que le travail du cerveau s’accomplit souvent à notre insu, sans que la volonté intervienne. Les faits qui nous montrent cette action s’offrent à nous à chaque instant. Lorsque les écoliers ont une leçon à apprendre, nous les voyons l’étudier de préférence le soir, assurant avec raison que cette façon d’agir les aide singulièrement. La leçon qu’ils ont apprise, ils la savent le lendemain mieux et plus sûrement que la veille. Les personnes qui ont eu à lutter avec les difficultés que l’on rencontre toujours à s’assimiler une langue étrangère ont pu faire également la remarque suivante : si des occupations journalières, des devoirs de situation les ont forcées d’interrompre pendant quelque temps l’étude de cette langue, revenant plus tard à cette étude, elles s’aperçoivent parfois, non sans étonnement, qu’elles ont de l’idiome étranger, momentanément délaissé, une connaissance plus complète que lorsqu’elles ont cessé de l’étudier. Une constatation analogue peut être faite à propos de travaux originaux, de compositions littéraires ou de problèmes scientifiques. Si quelque difficulté arrête le travailleur et que celui-ci cesse de s’occuper du sujet qu’il étudie, après quelques jours de repos, l’esprit ayant pendant ce temps fait pour ainsi dire tout seul son travail, il franchira avec la plus grande facilité et comme en se jouant l’obstacle qui lui avait tout d’abord paru presque insurmontable. Mais il est un fait qu’il faut noter parce qu’il a une certaine importance, c’est que très fréquemment, dans ces cas de cérébration inconsciente, une impulsion a été primitivement donnée, une direction a été imprimée à la pensée, et c’est après cette impulsion, cette direction donnée, que s’est continuée l’action cérébrale ayant abouti finalement à un travail plus avancé83.

Il est facile de comprendre que le travail mental, résultat d’une impulsion cérébrale donnée pendant la veille et s’achevant pendant le sommeil, pourra engendrer des rêves qui seront, en quelque sorte, l’expression imagée du problème poursuivi par le dormeur, de la préoccupation qui l’obsédait.

Condillac raconte qu’à l’époque où il rédigeait son cours d’étude, s’il se voyait obligé de quitter, pour se livrer au sommeil, un travail préparé, mais incomplet, il lui est arrivé souvent de trouver à son réveil ce travail achevé dans son esprit.

Voltaire rapporte également qu’il rêva une nuit un chant complet de sa Henriade autrement qu’il l’avait écrit.

On a souvent signalé à ce propos un rêve resté célèbre, où une scène des plus curieuses et des plus fantastiques accompagne le travail intellectuel inconscient du rêveur, qui n’est autre que Tartini. Ce célèbre compositeur s’était endormi après avoir essayé en vain de terminer une sonate ; cette préoccupation le suivit dans le sommeil. Au moment où, dans un rêve, il se croyait de nouveau livré à son travail et qu’il se désespérait de composer avec si peu de verve et de succès, il voit tout à coup le diable lui apparaître et lui proposer d’achever sa sonate, s’il veut lui abandonner son âme. Entièrement subjugué par cette apparition, il accepte le marché proposé par le diable et l’entend alors très distinctement exécuter sur le violon cette sonate tant désirée, avec un charme inexprimable d’exécution. Il se réveille, et dans le transport de sa joie, court à son bureau et écrit de mémoire le morceau qu’il avait terminé en croyant l’entendre.

Comment des images semblables à celles que nous venons de voir dans le songe de Tartini se produisent-elles ? Par quel mécanisme apparaissent-elles ? C’est ce qu’il est impossible de dire, non pas que la question soit insoluble, mais parce que, ordinairement, dans les faits qui ne nous sont pas personnels, quelques détails, qui nous donneraient la clef de certaines particularités du rêve, sont omis par le narrateur qui les regarde comme de peu d’importance. Il est possible que cette image du diable, venant s’associer au travail mental du grand compositeur, ait sa raison d’être et son explication dans quelques pensées ayant traversé l’esprit du musicien, dans quelque représentation artistique, dessin ou peinture de l’Esprit du mal s’étant offerte à sa vue. Mais ce point est secondaire dans la question. Ce que nous constaterons une fois de plus, c’est la manière dont le rêve s’est produit, c’est la genèse du rêve ; la pensée de Tartini avait été fortement occupée de la composition musicale à laquelle il se livrait, et comme il arrive bien souvent dans les œuvres de l’esprit, l’idée n’étant pas mûre, aucun effet n’avait été produit tout d’abord ; mais pendant et malgré le sommeil, le travail commencé s’était achevé, et la mélodie merveilleuse avait comme jailli des profondeurs du cerveau du musicien.

Supprimez cet effort, cette tension d’esprit antérieure, et le rêve ne se montrera pas. Cela est si vrai que ce n’est guère que sur l’objet le plus spécial des études du rêveur, sur la science ou l’art qu’il cultive avec passion que nous voyons se produire ce singulier travail cérébral.

Gratiolet raconte le rêve que voici, passablement macabre.

Il y a quelques années, occupé par mon illustre maître M. de Blainville, à l’étude de l’organisation du cerveau, j’en préparais un fort grand nombre, soit d’hommes, soit d’animaux. Je les dépouillais avec soin de leurs membranes, et je les plaçais dans l’alcool. Tels furent, d’une manière sommaire, les antécédents du rêve que je vais raconter.

Il me sembla, une nuit, que j’avais extrait mon propre cerveau. Je le dépouillais de ses membranes. Après avoir achevé cette préparation, je le suspendis dans l’alcool ; puis, au bout de quelque temps, je l’en retirai et le replaçai dans mon crâne. Alors il me sembla que mon cerveau condensé par l’action du liquide avait subi une grande réduction. Il ne remplissait plus qu’incomplètement la cavité crânienne, en sorte que je le sentais ballotter dans ma tête ; cette sensation me jeta dans une si étrange perplexité que je m’éveillai en sursaut, et je sortis de ce rêve comme d’un cauchemar.

Voilà, à coup sûr, une imagination bizarre et des plus absurdes ; mais elle n’était pas sans cause, et en effet, il y avait une relation bien évidente de ce rêve avec des choses qui m’occupaient plus particulièrement alors. Il est probable qu’au moment où je m’imaginais dépouiller un cerveau étranger, quelque cause me rendit le sentiment de ma tête plus distinct. Songeant à la fois à ma tête et à mon cerveau, ces deux idées durent s’associer, d’où s’ensuivit naturellement et logiquement toute la fin du rêve84.

Le physiologiste Abercrombie cite dans cet ordre d’études un rêve fort curieux qui n’est aussi qu’une suite des préoccupations de l’esprit.

Un de mes amis, dit-il, employé dans une des principales banques de Glasgow en qualité de caissier, était à son bureau, lorsqu’un individu se présente, réclamant le paiement d’une somme de six livres (150 francs). Il y avait plusieurs personnes avant lui qui attendaient leur tour ; mais il était si impatient, si bruyant et surtout si insupportable par son bégaiement, qu’un des assistants pria le caissier de le payer pour qu’on en fût débarrassé. Celui-ci fit droit à la demande, avec un geste d’impatience et sans prendre note de cette affaire. À la fin de l’année, qui eut lieu huit ou neuf mois après, la balance des livres ne put être établie ; il s’y trouvait toujours une erreur de six livres. Mon ami passa inutilement plusieurs nuits et plusieurs jours à chercher ce déficit ; vaincu par la fatigue, il revint chez lui, se mit au lit et rêva qu’il était à son bureau, que le bègue se présentait, et bientôt tous les détails de cette affaire se retracèrent fidèlement à son esprit. Il se réveille, la pensée pleine de son rêve, et avec l’espérance qu’il allait découvrir ce qu’il cherchait. Après avoir examiné ses livres, il reconnut, en effet, que cette somme n’avait point été portée sur son journal et qu’elle répondait exactement à l’erreur85.

On voit que dans ce rêve, ce qui est découvert au dormeur était en somme connu de lui, mais que la volonté était demeurée longtemps impuissante à réveiller le souvenir enseveli dans les profondeurs de la mémoire. Cependant la préoccupation ayant été vive, l’esprit étant longtemps demeuré fortement tendu dans la même direction, il a dû arriver que, dans cet effort de la pensée, dans ce travail d’abord improductif, les cellules cérébrales où s’était conservée la série d’images sont entrées en action et ont finalement apporté une perception nette du fait inutilement cherché pendant la veille.

Plusieurs songes d’apparence télépathique sont dans ce cas, et nous pourrons expliquer par là plus d’une apparition de mort.

Les influences physiques et la cérébration inconsciente d’idées et d’images latentes dans le cerveau expliquent la plupart des songes. Il importait de bien nous rendre compte de cette action physiologique pour juger scientifiquement les faits que nous avons à analyser. Les résultats de mon enquête m’ont transmis un grand nombre de ces rêves qui s’expliquent physiologiquement et que nous ne reproduirons pas.

Mais des forces psychiques extérieures à nous peuvent influencer notre esprit pendant le sommeil aussi bien que dans l’état éveillé. Nous arrivons maintenant à l’examen de ces genres de rêves. Les phénomènes psychiques rapportés au chapitre III ont été observés par des personnes éveillées, dans leur état normal et en pleine possession de leurs facultés. Nous n’y avons pas compris ceux qui appartiennent aux rêves, parce qu’ils nous semblent d’un caractère différent et former un autre ordre. Ils nous paraissent moine sûrs, les rêves étant nombreux et les coïncidences qui peuvent se produire ayant comme opposition contradictoire des quantités innombrables de non-coïncidences. D’autre part, également, ils sont toujours un peu vagues et soumis aux fluctuations de la mémoire. Je ne crois pas, cependant, qu’il soit logique de les rejeter sans examen. Plusieurs de ces visions dans le rêve présentent à l’observateur un intérêt particulier et peuvent certainement nous apprendre quelque chose de plus sur les facultés de l’esprit humain.

Maintenant que la démonstration est faite, que l’action psychique d’un esprit sur un autre est prouvée par le chapitre précédent, nous pouvons entrer dans le monde un peu plus compliqué des rêves.

Déjà on a pu remarquer plus haut (p. ***) un cas bien curieux observé en rêve : une jeune fille voyant, de Paris, sa mère mourant en province et l’appelant pour l’embrasser une dernière fois. Ce songe avait été classé par Brierre de Boismont au nombre des hallucinations, avec une réserve indiquant toutefois son caractère psychique. On a vu également plus haut (p. ***) un rêve télépathique du même ordre. Je présenterai maintenant à nos lecteurs quelques extraits des lettres que j’ai reçues en réponse à mon enquête, de celles qui concernent les apparitions et manifestations de mourants vues en rêve. Elles ne sont ni moins intéressantes ni moins probantes que les premières et doivent, me semble-t-il, être acceptées au même titre.

I. — Dans la nuit du 25 juillet 1894, je vis, en rêve, tel qu’autrefois je l’avais connu, de 1883 à 1885, alors qu’il faisait son service militaire, un jeune homme avec lequel je devais me marier.

Pour des raisons inutiles à raconter ici, j’avais brisé toutes relations et le mariage n’avait pas eu lieu. À partir de ce moment, je n’avais plus entendu parler de lui (il habitait Pau, moi Paris), lorsque dans cette nuit du 25 juillet 1894, en rêve, je le revis tel que je l’avais connu, vêtu de son uniforme de sergent-major. Il me regardait d’un air bien triste en me montrant un paquet de lettres. Puis l’apparition s’évanouit, comme au matin le rayon de soleil dissipe peu à peu la rosée.

Je m’éveillai, troublée, et, longtemps, je vécus avec ce rêve, me demandant pourquoi, pourquoi, moi qui jamais ne rêvais à lui, quoique lui gardant une amitié sincère.

Le 20 janvier 1895, j’apprenais sa mort arrivée dans la nuit du 25 juillet 1894 : une de ses dernières paroles avait été pour moi.

LUCIE LABADIE,
à Rochefort. [Lettre 3.]

II. — C’était pendant la guerre de 1870-1871 ; une de mes amies intimes, femme d’un officier, enfermée dans Metz, rêva que mon père, habitant le Nord, son médecin, qu’elle vénérait et aimait profondément, venait la trouver au pied de son lit et lui disait : Voyez, je viens de mourir.

Lorsqu’il fut possible de communiquer avec le dehors, mon amie m’écrivit en larmes, me demandant des nouvelles exactes de toute ma famille, et me suppliant de lui faire savoir si, le 18 septembre, il n’était pas arrivé une catastrophe chez mes parents, qu’elle avait, à cette date, fait un rêve qui la préoccupait, au sujet de mon père. Hélas ! le 18 septembre, à 5 heures du matin, mon père était mort sans avoir été malade.

Lorsque je revis cette dame l’été suivant, elle me dit que ce rêve l’avait impressionnée d’autant plus vivement, que peu de temps auparavant elle avait fait un rêve identique, concernant un autre de ses amis habitant Metz ; qu’un matin, elle avait fait prendre de ses nouvelles, et qu’on était venu lui dire qu’il venait de mourir.

L. BOUTHORS,
Directeur des Contributions directes, à Chartres. [Lettre 28.]

III. — A. J’avais sept ans ; mon père habitait Paris ; j’étais depuis quelques années à Niort, chez des parents qui s’étaient chargés de mon éducation. Un jour, ou plutôt une nuit, je fis un rêve. Je montais un escalier interminable, et j’arrivais dans une chambre sombre ; à côté il y en avait une autre faiblement éclairée ; j’entre dans cette seconde pièce et je vois un cercueil sur deux tréteaux ; un cierge allumé se trouvait à côté. J’eus peur et je m’enfuis ; arrivée dans la première pièce, je sentis quelqu’un qui me posait la main sur l’épaule ; je me retournai tremblante de frayeur, et je reconnus mon père que je n’avais pas vu depuis deux ans et qui me dit d’une voix très douce : « N’aie pas peur, embrasse-moi, petite ».

Le lendemain nous recevions une dépêche : mon pauvre père était mort, non pas dans la nuit, mais dans la soirée précédente.

J’étais tout à fait orpheline, ma mère était inerte depuis plusieurs années. Ce rêve m’a tellement frappée que je le refais souvent.

B. À treize ans, la tante qui m’élevait et que j’aimais comme ma mère, mourut de la variole noire. On ne m’avait pas dit qu’elle était morte et, naturellement, on ne me permettait pas d’entrer dans sa chambre. Elle m’avait souvent dit en plaisantant : « Oh ! si je mourais et que tu ne sois pas auprès de moi, j’irais te dire adieu. » Au milieu de la nuit, je vis s’avancer auprès de moi une forme blanche que je ne reconnus pas tout d’abord ; je me réveillai, il faisait comme un demi-jour dans ma chambre, et je vis se refléter le fantôme dans l’armoire à glace placée en face de mon lit. Le fantôme me dit d’une voix à peine distincte : « Adieu ! » Je tendais les bras pour l’embrasser, mais elle disparut.

Ma pauvre tante était morte depuis plusieurs heures quand j’ai eu cette hallucination.

V. BONIFACE,
Directrice d’école maternelle, à Étampes (Seine-et-Oise). [Lettre 35.]

V. — Ma femme a perçu l’image de son frère à l’instant précis de sa mort.

Mon beau-frère, professeur au collège de Luxeuil, était malade de la poitrine. Il fut soigné par sa sœur avec le plus grand dévouement pendant sa dernière maladie et il préférait ses soins à ceux de toute autre personne. Cependant les parents de ma femme, venus à Luxeuil, la voyant très fatiguée, décidèrent mon beau-frère à venir avec eux et se faire soigner à l’établissement des diaconesses de Strasbourg. Trois semaines environ après son départ, ma femme fut réveillée par une sorte de cauchemar et vit, dans un demi-sommeil, son frère couché et serré dans un cercueil en pierre, pareil aux pierres tombales romaines que l’on voit exposées à l’établissement thermal d’ici. Le cercueil se rétrécissait de plus en plus, rendant la respiration de son frère presque impossible ; lui, la regardait avec des yeux suppliants, la priant de lui venir en aide et de le tirer de là ; puis elle le vit prendre un air résigné et il sembla lui dire : « Tout est fini, tu ne peux plus rien ». Elle se réveilla alors complètement et regarda l’heure : 3 h. 20 du matin.

Le lendemain nous apprenions la mort de mon beau-frère. L’heure de son décès coïncidait exactement avec celle du rêve.

Prière de ne pas citer nos noms.

A. S.,
à Luxeuil (Haute-Saône). [Lettre 60.]

VI. — Ma grand’mère est morte l’année dernière, le 6 janvier, à minuit moins deux ou trois minutes ; elle habitait une campagne des environs de Rochefort-sur-Mer et moi j’étais alors à Auxerre. Nous avions, le soir du 6 janvier, tiré les Rois très joyeusement, et je m’étais couchée sans penser à elle, que je savais cependant plus souffrante depuis une quinzaine.

Je me réveillai à minuit, très exactement, péniblement impressionnée. Je venais de voir en rêve ma mère et mon plus jeune frère en grand deuil. Je demeurai persuadée que le matin ne se passerait pas sans que j’apprenne la confirmation de mon rêve. N’y a-t-il pas une relation étrange entre la réalité et le rêve, puisque ma grand’mère est morte à minuit, et que je m’éveillai à la même heure ?

M. B.,
à Versailles. [Lettre 64.]

VII. — Mon oncle était sergent au 2e régiment d’infanterie quand la guerre fut déclarée en 1870. Il assista aux premiers combats, fut enfermé dans Metz, fait prisonnier, emmené en captivité à Mayence, puis à Torgau où il resta neuf ou dix mois.

Le dimanche de Quasimodo 1871, il fut invité, dans l’après-midi, à aller en ville, par un de ses camarades. Il préfère rester au camp dans sa casemate, disant à son ami qu’il n’était pas en train, ne sachant lui-même à quoi attribuer cette tristesse. Resté seul ou presque seul, il se jeta tout habillé sur son lit (c’était deux heures et quart environ) et s’endormit d’un profond sommeil. Aussitôt qu’il fut endormi, il lui sembla qu’il était dans la maison paternelle, sa mère mourante était au lit. Il voyait ses tantes la soigner, enfin sa mère mourut vers les trois heures. Il se réveilla alors et s’aperçut qu’il n’avait fait qu’un rêve.

Quand son ami rentra, à six heures du soir, il lui raconta ce qu’il avait vu durant son sommeil et il ajouta : « Je suis convaincu qu’aujourd’hui à trois heures ma mère est morte ».

On se moqua de lui, mais une lettre de son frère vint lui confirmer la triste nouvelle.

Je crois devoir ajouter que la morte était dans un état maladif depuis trois ans environ.

CAMILLE MASSOT,
Pharmacien de 1re classe, Banyuls-sur-Mer (Pyr.-Or.), [Lettre 66.]

VIII. — Ma mère m’a raconte bien souvent un rêve étrange.

Un de ses beaux-frères était malade. Un soir, elle rêva qu’elle le voyait mort ; elle voyait aussi ma grand’mère emmenant ses enfants, elle ne connaissait pas le chemin, mais traversait un grand pré. À ce moment elle se réveille, réveille également mon père pour lui faire part du rêve qui venait de l’émouvoir. Il était 2 heures du matin.

Le lendemain on vint annoncer à mes parents que mon oncle était mort dans la nuit à 2 heures ; alors maman ne put s’empêcher de répondre qu’elle le savait. Elle questionne ensuite ma grand’mère pour savoir si elle avait emmené les enfants, elle répondit que oui, et, qu’elle avait précisément traversé le pré où maman l’avait vue en rêve.

M. ODÉON,
Institutrice, à Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie). [Lettre 68.]

IX. — En 1895, dans une nuit d’hiver, j’ai rêvé d’une façon très nette que le sieur Crouzier, octogénaire de mon village situé à 10 kilomètres du poste où j’exerçais, se mourait par suite du froid.

Le lendemain je me rends dans ma famille et ma mère me dit : « Tu sais, le vieux Crouzier est mort la nuit dernière ; il a voulu se lever, vers minuit, a été surpris par le froid et a succombé presque instantanément ».

Cette impression m’est toujours restée et je suis heureux en cette circonstance de répondre à votre enquête.

ALPHONSE VIDAL,
Instituteur, à Aramon (Gard). [Lettre 77.]

X. — Étant en France, ma mère vit en rêve, son frère alors en Amérique, mourir dans ses bras. Un mois après, elle reçut la nouvelle de la mort de ce frère, lequel avait précisément expiré dans les bras de ma grand’mère. Les dates coïncidaient.

A. D.,
à Arles. [Lettre 118.]

XI. — J’avais un frère qui habitait Pétersbourg depuis vingt-cinq ans ; notre correspondance n’avait jamais été interrompue.

Il y a trois ans, je reçus au mois de juillet une lettre de lui : sa santé était satisfaisante. Le 8 septembre suivant, je rêvai que le facteur me remettait une lettre de Pétersbourg et, qu’en ouvrant l’enveloppe, je trouvais deux images : l’une représentant un mort étendu sur son lit, et habillé selon l’usage que j’avais moi-même constaté, dans mon voyage en Russie, en 1867.

Je ne regardai pas bien d’abord le visage du mort ; je vis autour du lit plusieurs personnes à genoux, entre autres un garçon et une fillette, à peu près de l’âge des enfants de mon frère. Sur l’autre image, il y avait comme une assistance à une cérémonie funèbre. Je revins alors examiner de plus près le visage du mort, que je reconnus aussitôt, et je m’éveillai en m’écriant : Ah ! mais c’est Lucien ! (c’était le nom de mon frère).

Quelques jours après, j’apprenais en effet que celui-ci était mort dans les jours (je n’ai pu vérifier exactement lequel) où j’avais eu ce rêve, qui est toujours présent à ma mémoire, et que j’ai raconté à plusieurs personnes.

L. CARRAU,
46, rue de Bel-Air, à Angers. [Lettre 125.]

XII. — Mon grand-père quitta, à l’âge de quatorze ans, sa famille qui habitait près de Strasbourg ; je crois qu’il ne retourna jamais au pays, et ne revit jamais ses parents. À vingt-quatre ans, il se mariait à Nancy ; sa jeune femme ne vit jamais ses beaux-parents.

Une nuit, ma grand’mère vit défiler devant son lit un interminable convoi mortuaire. Le lendemain ou le surlendemain, une lettre lui annonçait le décès de son père ; l’enterrement avait eu lieu, la population de trois gros villages y avait assisté, ainsi que le maire et le curé de l’endroit (Bischeim), quoiqu’il se fût agi d’un juif.

JENLEND,
55, rue de Provence, Paris. [Lettre 130.]

XIII. — J’ai à signaler des faits éprouvés en rêve, avec coïncidence de mort.

A. Le premier est arrivé à mon père, Pierre Dutant, mort en 1880 et ayant été pharmacien à Bordeaux pendant cinquante ans.

C’était un homme d’un caractère absolument honnête, scrupuleux, d’une intelligence très fine, et aucune des nombreuses personnes qui l’ont connu ne mettrait jamais sa parole en doute.

Voici le fait qu’il m’a narré maintes fois et que je rapporte à peu près textuellement.

« Une nuit, je rêvai que mon frère, alors notaire à Léagnan et âgé de trente-trois ans, était enfant comme moi et que nous jouions tous deux dans la maison paternelle. Tout à coup, il tombe d’une fenêtre dans la rue en me criant : « Adieu ! » Je me réveille, très frappé par l’intensité de ce rêve, je regarde l’heure : 3 heures. Je ne me rendormis pas. Je savais mon frère malade, mais je ne le croyais pas en danger de mort.

« Mon frère était mort dans la nuit à 3 heures précises. »

B. Le second fait me concerne personnellement. Une nuit je rêvai qu’une vieille cousine, qui m’aimait beaucoup, mourait. Le lendemain matin, je le dis à mes parents, qui se souviennent tous très bien de mon récit.

Dans la même semaine, deux ou trois jours après ce rêve (je ne l’ai pas écrit et ne puis préciser exactement), la vieille cousine mourait d’une attaque d’apoplexie. Elle était bien portante la nuit du rêve, elle n’est morte que deux ou trois jours après, et j’ai regardé ce rêve comme un pressentiment avertisseur. Ma famille en fut frappée et s’en souvient encore parfaitement.

C. Je puis vous citer encore un fait personnel qui me frappa beaucoup quand il m’arriva, mais comme cette fois il s’agit d’un chien, peut-être ai-je tort d’abuser de votre temps. Je m’excuse en me demandant où s’arrêtent les problèmes.

J’étais alors jeune fille, et j’avais souvent en rêve une lucidité surprenante. Nous avions une chienne d’une intelligence peu commune ; elle m’était particulièrement attachée, quoique je la caressasse fort peu. Une nuit je rêve qu’elle meurt, et elle me regardait avec des yeux humains. En me réveillent, je dis à ma sœur : « Lionne est morte, je l’ai rêvé, c’est certain. » Ma sœur riait et ne le croyait pas. Nous sonnons la bonne et lui disons d’appeler la chienne. On l’appelle, elle ne vient pas. On la cherche partout, et enfin on la trouve morte dans un coin. Or la veille, elle n’était point malade, et mon rêve n’avait été provoqué par rien.

M. R. LACASSAGNE, née DUTANT,
à Castres. [Lettre 139.]

XVI. — J’étais étudiant en médecine à Paris, en 1862. Un matin, mon concierge, qui m’apportait, en me réveillant pour aller à l’hôpital, mon petit déjeuner dans mon lit, me trouva tout en pleurs. Il me demanda ce que j’avais, et je lui répondis : « Je viens d’avoir un horrible cauchemar : mon oncle, qui m’avait élevé (car j’avais perdu mon père et ma mère tout jeune) et que j’aimais tendrement, était en train de mourir, quand vous m’avez réveillé, et je suis sûr que par le premier bateau qui arrivera de la Havane, mon pays de naissance, j’aurai la triste nouvelle de sa mort ».

C’est ce qui arriva. Vous affirmer que c’était à la même heure de mon rêve, je ne me souviens plus maintenant ; mais la coïncidence du jour était exacte.

P.-S. Je vous prie de ne pas imprimer mon nom. Quant à l’observation, vous pourrez l’insérer, si elle le mérite.

Dr F. DE M.,
à L. [Lettre 153.]

XVII. — De 1870 à 1874, j’avais un frère employé à l’arsenal de Fou-Tchéou en Chine, comme monteur mécanicien. Un de ses amis, mécanicien et compatriote de la même ville (Brest), également à l’arsenal de Fou-Tchéou, vint un matin voir mon frère à son logement et lui raconta ce qui suit : « Mon cher ami, je suis navré, j’ai rêvé cette nuit que mon jeune enfant était mort du croup, sur un édredon rouge ». Mon frère se moqua de sa crédulité, parla de cauchemar, et pour dissiper cette impression, invita son ami à déjeuner. Mais rien ne put distraire celui-ci : pour lui, son enfant était mort.

La première lettre qu’il reçut de France après ce récit, et qui était de sa femme, lui annonçait la mort de son enfant, mort du croup, dans de grandes souffrances, et, coïncidence bizarre, sur un édredon rouge, la même nuit du rêve.

À la réception de cette lettre, il vint tout en larmes la montrer à mon frère, duquel je tiens ce récit.

H. V.,
à Brest. [Lettre 162.]

XVIII. — Une de mes cousines habitait Nyon, en Suisse, et sa mère Clairveaux, dans le Jura. C’était pendant un hiver rigoureux, toutes les communications étaient impraticables à cause des neiges. Ma tante était malade depuis longtemps ; sa fille ne la savait pas plus fatiguée que d’habitude, lorsqu’une nuit, elle voit en rêve sa mère morte ; elle s’éveille épouvantée et dit à son mari : « Ma mère est morte, je viens de la voir ! » Elle aurait voulu partir aussitôt à Clairveaux, mais on l’en dissuada, lui montrant l’imprudence d’entreprendre un voyage dans les neiges, sur un simple pressentiment. Les courriers ne fonctionnant pas, on ne recevait point de lettres.

Le soir ou le lendemain, je ne sais, ma cousine voit un cavalier entrer dans le parc, alors elle s’écrie : « On vient m’annoncer la mort de ma mère ». En effet, ne pouvant communiquer autrement, on avait envoyé un cavalier qui apprit que sa mère était morte dans la nuit. C’était au moment où ma cousine avait fait ce rêve.

Ma cousine existe encore et pourrait me donner des détails plus précis, si vous le désirez.

G. BELBENAT,
à Lons-le-Saunier (Jura). [Lettre 286.]

XIX. — Fait signalé par un de mes amis auquel j’avais communiqué vos études. C’est un ancien entrepreneur de voies ferrées en France et à l’étranger, actuellement retiré des affaires à Saint-Pierre-lès-Nemours. Son honorabilité et sa bonne foi ne peuvent pas être suspectées.

Voici le fait tel qu’il me l’a raconté :

« J’étais allé voir un fermier de mes amis, très malade, et sur la porte de la ferme j’avais rencontré sa belle-mère qui m’avait dit que son gendre avait reçu plusieurs visites qui l’avaient beaucoup fatigué, mais elle m’avait néanmoins engagé à entrer pour le voir quelques instants, en ajoutant que cela lui ferait beaucoup de plaisir. J’ai prié alors cette dame de lui souhaiter le bonjour de ma part et de lui annoncer ma visite pour le lendemain.

« Dans la nuit suivante, vers 7 heures du matin, alors que je sommeillais, me disposant à me lever, il m’a pris tout à coup un cauchemar. Je croyais voir le malade, grand comme un enfant et comme enfoncé dans un trou sur le talus de la route, à quelques mètres de la ferme, et je faisais tous mes efforts pour l’arracher de ce trou sans y parvenir.

« Au bout de quelques instants, je sautai à bas du lit pour secouer ce cauchemar, et dans la matinée j’appris la mort du fermier survenue à l’heure même où j’avais eu cette vision. »

La distance de Saint-Pierre-lès-Nemours à la ferme est de deux lieues environ.

Ce fait s’est passé il y a une dizaine d’années.

J. BOIREAU,
Pharmacien, à Nemours (Seine-et-Marne). [Lettre 298.]

XX. — Mon grand-oncle, M. Henri Horst, qui était professeur de musique à Strasbourg, vit, une nuit, en rêve, cinq cercueils sortir de sa maison : la même nuit, une fuite de gaz eut lieu dans sa maison et cinq personnes furent asphyxiées.

On raconte, dans notre famille, plusieurs cas d’apparitions télépathiques. Je m’en informerai exactement et vous les communiquerai, dès que j’en aurai pris connaissance.

GEORGES HORET,
Lycéen, Bouxwiller (Basse-Alsace). [Lettre 330.]

XXI. — Je n’ai jamais éprouvé ce que vous demandez par votre questionnaire. Mais en rêve, au contraire, j’ai eu, quelquefois, certains avertissements. Entre autres, la nuit de l’assassinat du regretté M. Carnot, je l’ai vu mort dans mes rêves. La veille au soir, j’étais allée me coucher de bonne heure. Ne demeurant pas dans la ville même de Lyon, mais à la Croix-Rousse, je n’avais eu écho d’aucun des faits s’étant passés dans cette mémorable soirée. Le matin, la bonne entre dans ma chambre et je lui dis aussitôt : « Je viens de rêver que M. Carnot était mort ! » Elle me répondit que cela se pourrait bien. « Mais non, lui dis-je, il faut rire de mon rêve, puisqu’il va passer à dix heures sous mes fenêtres ». (Il devait, en effet, passer sur le boulevard.)

Dix minutes après, elle revient dans ma chambre et me dit tout impressionnée : « Le rêve de mademoiselle est réalisé, le laitier vient de me dire que M. Carnot avait été assassiné dans la soirée d’hier ». Malgré le rêve que j’avais fait, il me fut difficile d’y croire au premier moment.

A. M.,
à Lyon. [Lettre 340.]

XXII. — Voici un fait personnel :

Dans la nuit du 13 au 15 juin 1887, je rêvai que ma mère était morte. En arrivant au restaurant, le lendemain, je faisais part de ce fait à un collègue, lorsque je reçus une dépêche m’annonçant le malheur pressenti. Voilà le fait dont j’ai le souvenir précis.

A. CARAYON,
Directeur de l’École de la Croix-de-Fer (Nîmes). [Lettre 353.]

XXIII. — Le père de mon mari, se trouvant éloigné de la maison où il avait laissé sa femme malade, fut réveillé une nuit par la voix de sa femme qui l’appela trois fois distinctement par son nom : Pierre ! — Pierre ! — Pierre ! — Croyant avoir rêvé, il se rendormit. Deux jours plus tard, il reçut la nouvelle que cette même nuit sa femme était morte.

MARIE PAUVREL,
à Vedrôd. [Lettre 358.]

XXIV. — Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1898, je vis en songe ma mère, morte depuis deux ans et demi. Elle s’avança gravement vers mon lit, m’embrassa sur le front et sortit sans me rien dire. Le lendemain, je reçus une lettre m’annonçant la mort subite de ma sœur dans la soirée du 1er janvier à 10 heures du soir. Comme je ne m’éveillai pas, il me fut impossible de savoir s’il y avait coïncidence parfaite entre l’heure du rêve et celle de la mort de ma sœur.

M. RAZOUS,
Instituteur, à Trélons (H.-Gar.). [Lettre 360.]

XXV. — Mme V... habitait Genève, et avait un frère dentiste dans le canton de Vaud. Ce frère mourut subitement. La nuit de sa mort, Mme V... vit en rêve, contre la muraille, le nom de son frère et la date de sa naissance, ou de sa mort, je ne me souviens pas laquelle des deux. À son réveil elle craignit un malheur, qui lui fut bientôt confirmé.

JEANNE BLANC,
Le Cannet (Alp.-Mar.) [Lettre 365.]

XXVI. — C’était au couvent. Une nuit, nous fûmes éveillées par des cris et des pleurs. La religieuse de garde s’approche du lit de l’enfant, qui au milieu de ses larmes lui dit que sa grand’mère se mourait, qu’elle l’appelait et qu’elle voulait aller vers elle.

On la calme, on nous fait prier, la religieuse récite le chapelet ; nous répondions de nos lits et le sommeil nous reprend.

De nouveau nous sommes réveillées. — La jeune fille avait retrouvé son rêve, — elle nous dit que sa grand’mère était morte, qu’elle lui avait fait des adieux déchirants et que, entre autres choses, elle avait désigné un coffret dans lequel elle avait enfermé des bijoux qu’elle voulait donner à sa petite-fille de prédilection.

La nuit s’acheva.

Le lendemain matin à 8 heures, nous étions réunies dans la classe, à genoux pour la courte prière qui précédait les études, — lorsqu’un violent coup de cloche déchire l’air, nous faisant tressaillir sans savoir pourquoi, nous toutes qui n’étions pas intéressées à l’événement et la sœur aînée de notre compagne entre.

Elle venait chercher sa jeune sœur, — la grand’mère était morte dans la nuit — et tout ce que la jeune fille avait vu s’était absolument passé ainsi qu’elle nous l’avait raconté.

Vous pensez l’émotion qui se produisit dans le couvent, — on y vit l’intervention divine, et la journée se passa en prières.

J. G.,
à Paris. [Lettre 374.]

XXVII. — Il y a environ deux ans, à Jarnac, un matin à 7 heures, une dame amie de ma famille, dormant encore d’un sommeil léger, fut éveillée par une voix l’appelant très distinctement, et reconnaissable pour celle de son beau-frère, dont les dernières nouvelles reçues étaient très bonnes.

À ce moment, personne ne se trouvait dans sa chambre, ni dans les appartements voisins, et il était impossible de rapporter cette impression à une cause connue.

Quelques heures après, vers 10 heures, cette dame apprenait par un télégramme que son beau-frère, habitant Auzances, venait de mourir subitement ; le lendemain, une lettre lui annonçait que le décès était survenu à 7 heures, c’est-à-dire au moment même où la voix avait été entendue.

BRÉAUD,
à Jarnac. [Lettre 377.]

XXVIII. — J’ai été pendant quatorze ans liée par une affection à une personne, puis, la séparation survenue, nous ne nous vîmes plus qu’à de rares intervalles. Enfin plus d’une année s’écoula sans nous revoir ; mon ami malade fut contraint de partir pour le Tyrol : nous étions donc à une distance de 58 heures de chemin de chemin de fer. J’avais des nouvelles indirectement ; elles étaient relativement bonnes et le projet de retour était prochain. Le 2 mars, dans la nuit, je vis mon ami, pendant un demi-sommeil ; il était assis sur un lit en costume de nuit et il me disait : « Oh que je souffre ! ». Il était alors 2 heures du matin. Deux jours après, une dépêche m’annonçait la mort de cette personne, décédée à 2 heures 20 minutes.

J’étais et je suis encore frappée par cette coïncidence, et il me paraît important pour vos recherches de vous en fait part.

C. COUESNON,
23, strada Romana, Jassy (Roumanie). [Lettre 397.]

XXIX. — A. Un oncle de ma femme, capitaine marin, m’a souvent raconté que la nuit qui a coïncidé avec la date de la mort de sa mère, étant alors en voyage, elle lui est apparue en rêve avec une figure très triste. Impressionné, il marqua au crayon la date de ce rêve sur la planche de sa couchette, ayant un pressentiment de malheur.

Il ne fut que très peu surpris à son arrivée quand il apprit cette mort : la date était bien celle qu’il avait inscrite sur sa couchette.

B. Le même fait arriva à ma belle-mère lors de la mort de son frère. Elle rêva, la nuit précédente, qu’elle rencontrait sa mère, morte, dans les escaliers de la maison et que, sans lui adresser la parole, elle la regardait d’un air de grande tristesse. Le lendemain, on trouva le frère mort d’une attaque d’apoplexie.

C. Lors de mon mariage, un fait à peu près semblable arriva. Ma belle-mère, très impressionnée de l’apparition de sa mère dans le fait que je viens de rapporter, avait dit à une de ses amies, que si un jour elle revoyait encore sa mère de cette façon, elle serait certaine d’être à la veille d’un grand malheur. Cette amie, quelques jours avant mon mariage, eut elle-même une apparition en rêve de la même personne, qui lui disait qu’elle ne voulait pas voir sa fille de crainte de la rendre malade et qu’elle était venue la voir, elle. Cette même personne rêva dans la même nuit, je crois, que la porte de la maison de ma femme était parée de deuil le jour même de mon mariage. C’est ce qui arriva, alors que rien ne me le faisait prévoir : la veille, mon beau-frère mourait de la rupture d’un anévrisme et on l’enterra le jour où nous devions nous marier.

Voilà des faits dont je puis vous garantir l’authenticité.

L. COUTANT,
à La Ciotat. [Lettre 401.]

XXXII. — Mon père était élève de sixième, je crois, au petit séminaire de Guérande. Une nuit, il vit, dans son rêve, sa mère couchée ne donnant plus signe de vie, dans sa chambre, à elle, au Croisic, où elle habitait. Il se réveilla le visage baigné de larmes.

Le lendemain, une lettre lui apprenait que sa mère, à l’heure où il l’avait vue ainsi, avait eu une crise soudaine et avait failli mourir dans les bras de ses filles accourues à ses gémissements. Ceci, comme vous voyez, s’éloigne un peu des observations par vous publiées, puisqu’il n’y a eu qu’un rêve et pas de mort. Mais c’est assurément un fait d’ordre psychique, c’est pourquoi j’ai cru bon de vous en faire part.

POLUEC,
à Ploermel. [Lettre 431.]

XXXIII. Une de vos lectrices rêva, une nuit, qu’elle se trouvait chez une de ses amies, malade de la poitrine depuis longtemps. Elle ignorait qu’elle fût à ce moment plus souffrante que d’ordinaire. L’amie était couchée ; elle lui tendit la main, lui dit adieu, et mourut dans ses bras. Le lendemain, la personne dont je vous parle dit à sa mère : « Une telle est morte ; je l’ai vue cette nuit.... » On apprit dans la journée la mort de la malade.

La vision ayant eu lieu en l’état de rêve, on ne saurait indiquer si l’heure de la mort a coïncidé avec celle de l’apparition.

JEAN SURYA,
37, rue Raynouard, Paris. [Lettre 438.]

XXXIV. — Je n’ai que vingt-deux ans et par trois fois déjà, avec coïncidence de mort, j’ai éprouvé en rêve les phénomènes que vous étudiez.

A. La première fois, il y a cinq ans. Je m’étais réveillée en riant, racontant à ma sœur que je venais de rêver du père un tel (vieux bourru avec lequel ma famille était brouillée). Je ne me rappelle plus aujourd’hui en quoi consistait ce rêve, mais j’en avais été très frappée.

Le jour même, on nous apprit qu’il venait de se suicider.

B. La seconde fois, un an après. J’ai rêvé qu’un de mes cousins, veuf, habitant la même ville, mais que je voyais très rarement, m’apprenait son désir de se remarier (fait que j’ignorais absolument). Je racontai ce rêve à ma famille le lendemain matin, et vers 10 heures, nous rencontrions en larmes une tante de ce jeune homme, qui nous apprenait sa mort survenue dans la nuit, après une maladie de trois jours, et déplorait que sa mort si brusque l’eût empêché de réaliser son projet de donner une mère à ses orphelins.

C. Une troisième fois, il y a un an. J’avais l’influenza, et plusieurs locataires de la maison étaient malades. Une nuit je rêvai d’un enterrement partant de la maison, dont le cercueil avait des proportions énormes. J’avais l’intuition que c’était M. Durand, l’un des locataires malades, dont la corpulence était remarquable. Aussi, au réveil, ma première parole fut pour demander de ses nouvelles. Je fus péniblement impressionnée en apprenant qu’il était mort dans la nuit.

JEANNE ABOUT,
à Nancy. [Lettre 441.]

XXXVII. — Une de nos amies eut pendant la nuit un rêve qui lui montra un de ses frères qu’elle aimait beaucoup et qu’elle n’avait pu voir depuis longtemps ; il était vêtu de blanc, avait le teint frais et paraissait heureux ; la salle où il se trouvait était également tendue de blanc et remplie de monde ; le frère et la sœur s’embrassaient affectueusement. Son rêve achevé, mon amie s’éveilla et eut le pressentiment que son frère était mort. Au même instant, minuit sonna. Le lendemain, cette demoiselle apprenait par lettre que son frère avait expiré dans la nuit à minuit précis.

G. P.,
à Arles. [Lettre 450.]

XXXVIII. — En rêve, au mois de juillet 1890, voulant ouvrir une porte de communication de ma chambre avec une autre pièce, je n’y pus parvenir, malgré de vigoureux efforts ; on vint alors à mon aide et, par une autre porte, très rapprochée de la première, nous finîmes par repousser l’obstacle : c’était le corps de mon oncle, étendu à terre, les jambes repliées.

Je n’ajoutai aucune importance à ce rêve, mais il me revint à la mémoire lorsque j’appris la mort subite de mon parent, survenue à la campagne le 10 juillet 1890.

Je n’ai, malheureusement, pas noté la date de ce rêve, mais je crois pouvoir affirmer qu’il eut lieu dans les premières nuits de la semaine, sinon le 10 même, qui était un jeudi.

J. C.,
à Lyon. [Lettre 466.]

XXXIX. — À la fin de 1838, j’étais malade à Carthagène. Dans la nuit de Noël, j’eus un rêve pénible dont j’abrège le récit. J’étais au bourg de Rezè-les-Nantes, regardant venir le convoi d’une jeune fille. Je ne connaissais ni le nom ni la famille de la morte, et pourtant, me sentais envahir par une grande tristesse. Je me mêlai au cortège ; dans l’église, je me plaçai au premier rang derrière le cercueil, sans me rendre compte des personnes qui étaient près de moi. J’étais tout en larmes et une voix me disait : « Là est ta meilleure amie ». Dans le cimetière, il y eut un orage épouvantable et une pluie diluvienne. Je m’éveillai, croyant entendre le tonnerre.

À mon retour dans ma famille, j’appris qu’une proche parente, amie d’enfance, âgée, comme moi, de quinze ans, était morte cette nuit de Noël.

E. ORIEUX,
à Nantes, agent voyer en chef honoraire du département. [Lettre 468.]

XL. — Mon oncle était capitaine marin. Il revenait en France après une absence de plusieurs mois. Une après-midi de grande chaleur, il était dans sa cabine, voulant noter quelques observations sur son livre de bord. Il s’endormit et rêva qu’il voyait sa mère assise, ayant sur ses genoux un drap maculé de sang, sur lequel reposait la tête de son frère. Impressionné péniblement, il se réveilla, et voulut reprendre ses notes, mais il se rendormit et fit encore le même rêve. À son réveil, frappé de ces deux rêves, il l’inscrivit sur son livre de bord, avec la date et l’heure.

Son navire signalé à son arrivée dans le port de Marseille, un ami vint le trouver et lui dit : « Je t’accompagne chez toi ». Mon oncle se rendit à la consigne ; pendant ce temps, l’ami avait fait mettre le navire en deuil. Au sortir de la consigne, mon oncle, à cette vue, saisi, s’écria : « Mon frère est mort. — Oui, lui dit son ami, mais comment le sais-tu ? » Alors mon oncle raconta son rêve en plein Océan. Son frère s’était tué le jour indiqué sur le livre de bord.

J. S.,
à Marseille. [Lettre 476.]

XLI. — Je connais une personne dont l’impression a été très violente après une apparition d’une amie qu’elle aimait beaucoup et dont une dépêche est venue lui annoncer la mort dès le lendemain. Plus tard une lettre lui apprit que la mourante avait prononcé exactement les mêmes mots qu’elle avait entendus dans son rêve.

JEANNE DELAMAIN,
Jarnac (Charente). [Lettre 513.]

XLII. — Il y a quelques mois, j’ai été avertie en rêve de la mort d’une de mes connaissances, la nuit même de cette mort, que personne n’attendait. — Le matin je racontai ce rêve à mon amie. En rentrant chez elle, elle trouva une dépêche lui annonçant cette mort survenue dans la nuit.

H. BARDEL,
à Yverdon (Suisse). [Lettre 515.]

XLIII. — En rêve, apparition de ma grand’mère dans la nuit du 8 au 9 juillet 1895. Cette dernière est morte le 9 juillet à huit heures du matin. J’étais à 120 kilomètres de l’endroit où a eu lieu le décès.

ALLIER,
Instituteur à Florac (Lozère). [Lettre 518.]

XLIV. — Dernièrement, étant chez des personnes de connaissance, j’y rencontrai une dame qui vous a vu à Paris. Nous parlions de vous et de vos études nouvelles et l’une des personnes présentes me dit à ce propos : « Oh ! si vous saviez quel rêve étrange j’ai fait cette nuit !... Vous vous souvenez de Gabrielle T... ? » Je répondis affirmativement. « Eh bien, j’ai rêvé qu’elle était morte et que je la voyais couchée dans son cercueil !.. Ce matin je descendis pour faire une course, et la personne chez qui je vais me dit : « Savez-vous que Mlle T... est morte ? je viens de l’apprendre à l’instant. » Mon rêve de la nuit et cette nouvelle me frappèrent si vivement que je restai saisie et bouleversée de cette bizarre coïncidence, car je ne la connaissais pas particulièrement, je ne la savais pas malade, et je n’avais pas parlé d’elle depuis quelque temps.

Voilà le fait curieux que je viens d’apprendre. Dans le cas où vous le citeriez, je vous serais obligée de ne donner que mes initiales.

J. A,
à Bourges. [Lettre 534.]

XLV. — J’étais très épris d’une jeune fille honnête et de très bonne famille. Elle tomba malade.

Un soir, vers 9 heures à la turque, j’étais à demi endormi et je me voyais dans une grande salle où tout le monde dansait. Ma bien-aimée était présente, vêtue en blanc, d’une physionomie à la fois pâle et triste. Je m’approche d’elle et lui propose de danser. Elle me refuse avec brusquerie en me disant tout bas : « C’est impossible, on nous voit ».

Je me suis réveillé avec une grande palpitation du cœur et des larmes aux yeux. Quand le matin arriva, je me suis habillé à la hâte et courus vers la demeure de la malade. J’ai rencontré dans la rue le domestique de leur maison qui m’annonça qu’elle était morte cette même nuit.

M. T.,
à Constantinople. [Lettre 535.]

XLVI. — Mon père avait un ami d’enfance, le général Charpentier de Cossigny, qui m’avait toujours témoigné beaucoup d’affection. Comme il était atteint d’une maladie nerveuse qui rendait son humeur assez bizarre, nous ne nous étonnions jamais qu’il nous fit quelquefois trois ou quatre visites coup sur coup, puis qu’il restât des mois sans se montrer. En novembre 1892 (il y avait près de trois mois que nous n’avions pas vu le général), comme je souffrais d’une forte migraine, j’étais allé me coucher de bonne heure. J’étais au lit depuis un temps assez long, et je commençais à m’endormir, quand j’entendis mon nom, prononcé d’abord à voix basse, puis un peu plus haut. Je prêtai l’oreille, pensant que c’était mon père qui m’appelait, mais je l’entendis dormir dans la pièce voisine et son souffle était très égal, comme celui de quelqu’un endormi depuis longtemps. Je m’assoupis de nouveau et j’eus un rêve. Je vis l’escalier de la maison que le général habitait (7, cité Vaneau). Il m’apparut lui-même accoudé à la rampe du palier du premier étage ; puis il descendit, vint à moi et m’embrassa au front. Ses lèvres étaient si froides que le contact me réveilla. Je vis alors distinctement, au milieu de ma chambre, éclairée par le reflet du gaz de la rue, la silhouette haute et fine du général qui s’éloignait. Je ne dormais pas, puisque j’entendis 11 heures sonner au lycée Henri IV et que je comptai les coups. Je ne pus me rendormir, et l’impression froide des lèvres de notre vieil ami me resta au front toute la nuit. Au matin, ma première parole à ma mère fut : « Nous aurons des nouvelles du général de Cossigny, je l’ai vu cette nuit ».

Quelques instants après, mon père trouvait dans son journal la nouvelle de la mort de son vieux camarade, arrivée la veille au soir à la suite d’une chute dans l’escalier.

JEAN DREUILHE,
36, rue des Boulangers, Paris. [Lettre 543.]

XLVII. — Une nuit, étant endormi chez moi, ici, je vis mon frère qui se trouvait à Alger, agonisant et mourant. L’impression que j’éprouvai fut si vive que je me réveillai subitement. Il devait être environ 4 heures du matin.

Mon frère était souffrant depuis deux ans environ, mais je n’attachai aucune importance à ce rêve, sachant que son état de santé était assez bon, puisqu’il m’avait donné de ses nouvelles quelques jours auparavant.

Dans la matinée, je reçus un télégramme m’annonçant qu’il était décédé le matin à 6 heures.

Je n’ai jamais parlé de cela à qui que ce soit, attribuant ce fait à une pure coïncidence, et je n’en aurais certainement point parlé, s’il ne s’agissait du témoignage de statistique scientifique que vous désirez.

LEHEMBRE,
Interprète du tribunal, à Sousse (Tunisie). [Lettre 562.]

XLVIII. — C’était pendant la grande guerre de 1870-1871 ; mon fiancé était soldat dans l’armée du Rhin, — si je ne me trompe, — et depuis des jours et des jours on n’avait pas de ses nouvelles. Dans la nuit du 23 août 1870, j’eus un rêve singulier qui me tourmenta, mais auquel je n’attachai pas grande importance. Je me trouvais dans une chambre d’hôpital, au milieu de laquelle était une espèce de table où mon fiancé était couché. Son bras droit était nu, et on apercevait une grave blessure près de l’épaule droite ; deux médecins, une sœur de charité et moi, nous étions auprès de lui. Tout à coup, il me regarde de ses grands yeux et me dit : « M’aimes-tu encore ? » Quelques jours après, j’appris par la mère de mon fiancé, qu’il avait été blessé mortellement à l’épaule droite le 18 août près de Gravelotte et qu’il était mort le 23 août 1870. Une sœur de charité qui l’avait soigné nous annonça, la première, sa mort. L’image est encore présente à mon esprit, comme si je l’avais rêvé et vécu hier.

SUZANNE KUBLER,
Institutrice, Heidelberg. [Lettre 583.]

XLIX. — Dans la nuit du 30 au 31 juillet 1897, je rêvai que je traversais la place des Quinconces où des ouvriers menuisiers travaillaient. L’un d’eux me prit la main gauche et me scia le petit doigt : mon sang coulait en abondance et j’appelais au secours.

À ce moment, je me réveillai dans un état impossible à décrire, je me levai, et ma femme, étonnée, me demanda ce que je faisais. La pendule sonna 3 heures.

Quelques instants après, je me recouchai. Je fis un nouveau rêve dans lequel je voyais un navire traverser un canal ; au bout de ce canal, une embarcation se détachait du navire et abordait au rivage. Des hommes descendirent, creusèrent un trou, enfouirent quelque chose, et après l’avoir recouvert se retirèrent.

En arrivant à mon bureau, je racontai à mes camarades les deux rêves que j’avais faits dans la nuit. Ils en furent très étonnés. L’un deux déclara que lorsqu’on voyait en rêve son sang couler, c’était présage de malheur dans la famille.

J’avais alors mon fils aîné soldat au 11e régiment de marine à Saïgon. Tombé malade, il rentrait en France. Le 11 août, j’apprenais par le commissaire de police de mon quartier la mort de mon fils. Il était décédé dans le canal de Suez le 31 juillet. Quelque temps après, je recevais un extrait de l’acte de décès d’après lequel mon fils était, en effet, mort le 31 juillet à 3 heures du matin et avait été inhumé à Port-Saïd.

R. DUBOS,
Commis principal des Douanes, à Bordeaux. [Lettre 587.]

L. — Étant étudiant en médecine et sur le point de terminer mes études, j’étais allé passer dans ma famille les congés de Pâques 1895. Un soir (le jour exact m’échappe), nous nous couchâmes comme à l’ordinaire ; le repas avait été très gai et tous mes parents étaient en parfaite santé. Vers 2 heures du matin, je fis un rêve pénible : mon père était mort, je pleurais à chaudes larmes en l’accompagnant au cimetière. Ce cauchemar finit par me réveiller et je pus constater que mon traversin était mouillé de larmes. Ne croyant pas aux songes et n’étant pas encore très initié aux questions de télépathie, je me rendormis paisiblement, en pensant que ce n’était qu’un rêve. À 7 heures du matin, je dormais encore, lorsque ma mère entra dans ma chambre pour me dire d’aller voir mon père tout de suite, car il était paralysé. Je courus vers lui et vis, en effet, qu’il ne pouvait plus remuer le bras et la jambe gauche devenus inertes.

Étant donné que les attaques de paralysie se produisent souvent pendant le sommeil des malades, qui se réveillent hémiplégiques, je soupçonne que l’hémorragie cérébrale de mon père s’est déclarée vers 2 heures du matin, au moment de mon cauchemar !

(Mon père vit encore, mais il est infirme.)

Est-ce là un cas de télépathie ? Peut-être ! Je vous le livre pour ce qu’il vaut.

Dr DURAND,
à Saint-Pourçain (Allier). [Lettre 591.]

LI. — A. Il y a une quinzaine d’années, Mme T. C... donnait à quelques jeunes demoiselles un garden-party dans sa villa située à Dourbali Déré, sur la rive asiatique de la mer de Marmara. On y servit entre autres choses des sandwichs au jambon.

Cinq ou six ans après ce petit festival, l’une des invitées, qu’elle connaissait à peine et dont elle n’avait plus entendu parler, lui apparut en rêve, la priant de lui donner un peu de ce jambon qu’elle avait mangé à son garden-party.

Mme T. C... raconte à son mari le rêve qu’elle a fait, et celui-ci y prête tout juste l’attention que d’ordinaire on accorde aux rêves. Mais quel est l’étonnement de M. C... en arrivant à son bureau d’y trouver le père de la demoiselle que Mme T. C... a vue en rêve, et qui lui apprend que sa fille se meurt de la poitrine et qu’elle l’envoie vers lui pour le prier de lui procurer un peu de cet excellent jambon qu’elle a goûté au garden-party d’il y a quelques années !

M. C... satisfait au désir de la jeune fille, et en rentrant chez lui raconte à sa femme ce qui s’était passé, et tout est oublié.

Quelques jours plus tard, Mme T. C... revoit en rêve la même jeune fille, qui cette fois lui demande des fleurs de son jardin. À son réveil, Mme T. C... raconte son rêve à son mari en lui disant : « Je suis sûre que mademoiselle une telle est morte ». En effet, le jour même, M. C... reçoit le billet mortuaire : la jeune fille était morte dans la nuit.

B. Mme T. C..., à la suite d’un jugement rendu dans un procès en séparation, part pour l’Égypte. Sa fille, âgée de 14 ans, est confiée à un établissement scolaire religieux de cette ville (Constantinople). Le 18 mars 1880, Mme T. C... est assise à son balcon, à Alexandrie. C’était après le coucher du soleil, au moment où il commence à faire sombre. Tout à coup, elle entend comme le bruissement d’une traîne de robe en soie dans le hall derrière elle. Elle se retourne et voit le fantôme d’une jeune fille vêtue de blanc ressemblant à sa fille, qui traverse le hall et disparaît.

Quelques jours après, un ami vient faire visite à Mme T. C... Il est porteur de nouvelles de Constantinople. Cet ami n’a pas fini de prononcer le nom de sa fille que Mme T. C... l’arrête en lui disant : « Ma fille est morte, je le sais ; elle est morte le 18 mars vers 5 heures du soir ». La lettre donnait la date et l’heure du décès ; c’était précisément celles de l’apparition.

ALPOURONI,
à Constantinople. [Lettre 524.]

LIII. — A. Le 23 mars 1884, dans la nuit, je rêve que mon amie faisait sa partie d’échecs avec le docteur D..., en famille, chez moi ; je m’aperçois qu’elle avait un voile noir très épais et je lui dis : « Tu vas perdre en restant ainsi voilée. — C’est que je suis morte, regarde ! » Elle soulève son voile de crêpe, et je vois une tête de mort sans dents, les yeux creusés ! ! !

C’était horrible. Cette amie était chez moi depuis huit jours, âgée de quarante-neuf ans, en pleine santé et ne m’avait quittée qu’à l’occasion des vacances de Pâques, pour rentrer à Paris y chercher son fils au collège, puis revenir avec lui finir son petit stage de plaisir en ma maison, et la chambre qu’elle avait occupée était restée telle et l’attendait. Donc, aucune supposition de mort, et pourtant, le matin même après cet affreux rêve que je racontais encore toute émue au docteur, le facteur apporte un télégramme ainsi conçu : « Venez vite, Maria est morte dans la nuit... » et cela était !...

B. De même à la mort de mon père, âgé de soixante dix-neuf ans. Il nous quitte en bonne santé, et nous nous étonnions même de sa vivacité.... Dans la nuit du 17 octobre 1879, je rêve que l’on a changé le bassin du jardin ; l’on y a mis des fleurs et la terre est soulevée ; je m’approche, me penche, regarde... jette un cri ! Car j’aperçois le cercueil de mon fils !.... Une dépêche vient le matin même : « Votre père est mort cette nuit.... » Et sa bière est maintenant placée dans le même caveau, sur celle de mon enfant chéri.

Mme H. D.,
rue Du Couédie, Paris. [Lettre 599.]

LIV. — Un matin, à 9 heures, mon mari était sorti pour aller vaquer à ses affaires, et moi je me suis rendormie pour quelques minutes. Dans le bref espace de temps qu’a duré mon sommeil, j’ai fait un songe qui m’a vivement impressionnée. J’ai rêvé être sortie en compagnie de mon mari. Il me quitta pendant quelques moments pour entrer dans un passage afin de causer avec quelqu’un, et moi j’étais restée dehors à l’attendre. Quelques instants après, je le vois sortir tout pâle et tenant sa main gauche appuyée sur son cœur. Je lui demande anxieusement ce qu’il avait, il me répond : « Ne t’effraye pas, ce n’est rien. En sortant du passage quelqu’un a tiré sur moi un coup de revolver par accident, je suppose, mais je n’ai qu’une légère blessure à la main. »

Je me suis réveillée en sursaut, et en m’habillant je racontais mon rêve à ma femme de chambre, lorsqu’un violent coup de sonnette me fit tressaillir. Mon mari entra dans ma chambre aussi pâle que je l’avais vu en songe et, tenant sa main gauche enveloppée, me dit : « Ne t’alarme pas, ce n’est rien. En allant à mon bureau avec un ami, quelqu’un m’a tiré un coup de revolver et la balle, en passant dans mon bras, ne m’a fait qu’une légère blessure au poignet. » Était-ce rêve, vision, ou un cas de télépathie ?

Mme KRANSKOFT,
à Constantinople. [Lettre 606.]

LVI. — En 1866, j’étais dans un pensionnat situé dans une petite localité de la Forêt-Noire. Un matin, au moment où le professeur allait commencer sa leçon, un élève se présenta devant lui et lui demanda s’il avait de bonnes nouvelles de son frère (également professeur dans le même pensionnat, et qui était depuis quelque temps en séjour dans sa famille, en Suisse).

Le professeur ayant répondu qu’il n’avait aucune nouvelle, l’élève lui raconta, à haute voix, qu’il avait fait un rêve effrayant la nuit précédente, et que, pendant ce rêve, il avait vu le professeur absent, étendu sur l’herbe, avec un trou noir au milieu du front.

Afin de dissiper l’émotion légitime ressentie par tous ceux qui assistaient à ce récit, le maître commença immédiatement la leçon, et il ne fut plus question du rêve de toute la journée.

Le lendemain, ou le surlendemain (ma mémoire est indécise sur le jour précis), le professeur reçut une lettre lui annonçant que son frère était mort par suite d’un accident de chasse : en voulant traverser un fossé, son fusil était parti, et la charge tout entière lui avait pénétré dans la tête.

A. H.,
à Genève. [Lettre 611.]

LVII. — Ma mère habitait Lille et avait en Alsace un oncle qu’elle aimait beaucoup. Cet oncle avait des doigts très fins et longs : or, un jour que ma mère dormait, elle vit en rêve cette main longue planer lentement au-dessus d’elle, cherchant à saisir un objet quelconque. Le lendemain, ma mère recevait la nouvelle de la mort de l’oncle et, renseignements pris dans l’entourage, le défunt avait, en effet, avant de mourir, fait tous les mouvements vus par ma mère.

A. P.,
rue des Plantes, Paris. [Lettre 616.]

LVIII. — Il m’est arrivé, bien des fois, de constater une coïncidence frappante entre mes rêves et des événements survenus au même moment.

Je me permets de vous citer, comme exemple, le dernier, celui qui est le plus présent à mon esprit. Toute une nuit, il m’arriva de rêver d’une religieuse que j’ai eue autrefois, comme institutrice.

Je la voyais bien malade, j’en éprouvais de l’angoisse et cherchais, mais en vain, à la soulager.

Le lendemain, j’apprends que les sœurs de l’école communale sont à Mirecourt afin d’assister aux obsèques d’une de leurs collègues.

Encore sous l’impression de mon rêve, je dis aussitôt : « Sœur Saint-Joseph ! »

Et, en effet, c’était bien elle.

Pourtant je n’y avais pas songé, les jours précédents, personne ne m’en avait parlé, j’ignorais qu’elle fût malade.

G. COLLIN,
à Vittel. [Lettre 631.]

LIX. — C’était le 13 juin 1894. J’habitais à ce moment-là Barbezieux (Charente). Je fis un rêve dans lequel je voyais en toute occasion un employé des postes et télégraphes porteur d’un télégramme. Le lendemain, et malgré mes occupations, la vision de cet employé, papier bleu en main, ne quitta pas ma pensée.

Pendant sept jours et sept nuits consécutives, ce cauchemar me tyrannisa à tel point, que le 20 au matin j’en étais véritablement malade. À midi, ce même jour, mon malaise disparut comme par enchantement et j’en étais tout heureux ; mais à 3 heures après-midi, on m’apporta la nouvelle de la mort de mon père, décédé d’une attaque d’apoplexie à Castillon-sur-Dordogne, à midi, heure à laquelle je m’étais trouvé subitement soulagé.

Je vis alors devant moi l’employé des postes tel que mon imagination me l’avait représenté — et que je n’avais jamais vu.

J’ignorais absolument que mon père fût malade, et nous étions séparés par une distance de cent kilomètres.

ULYSSE LACOSTE,
cours Saint-Louis, 48, à Bordeaux. [Lettre 649.]

LX. — Je suis bien portant et de nerfs solides. En 1894, le 20 avril, à 7 h. 1/2, est morte ma mère Olga Nikadlevna Arbousova. Elle avait 58 ans. La veille de sa mort, c’était à Pâques, je suis allé voir des amis qui demeurent à 15 verstes de ma propriété. En général, on reste pour la nuit, mais moi, par je ne sais quel pressentiment, je ne voulus pas rester, et pendant tout le chemin que je fis pour rentrer, je n’étais pas dans mon état habituel. Rentré, je vis ma mère jouer aux cartes avec un monsieur, et je fus tranquillisé. Je me suis couché. Le matin, 20 avril, je me suis réveillé avec un frisson glacé sur tout le corps, d’un rêve terrible, et je regardai l’heure : il était 7 h. 1/2 du matin. J’ai vu ma mère s’approcher de mon lit, m’embrasser et me dire : « Adieu, je meurs ». Ces mots m’ont complètement réveillé.

Je n’ai pu me rendormir. Dix minutes après, je vois que tout le monde court dans ma maison. Entre ma femme de chambre qui me dit : « Maître, madame est morte ».

D’après le récit des domestiques, ma mère s’est levée à 7 heures, a été à la chambre à coucher de sa petite-fille pour l’embrasser, puis est rentrée dans sa chambre pour lire des prières matinales ; ensuite elle s’est mise à genoux devant des icônes, et aussitôt elle est morte d’anévrisme. D’après ce qu’on m’a dit, il était 7 h. 1/2 du matin (juste le moment de ma vision).

ALEXIS ARBONSOFF,
à Pskoff (Russie). [Lettre 670.]

LXI. — En 1881, j’avais quitté la France pour aller à Sumatra, où m’appelaient des amis. Je laissai en France ma mère, d’une santé peu robuste, mais non inquiétante, et une sœur de vingt ans, fortement atteinte d’une maladie incurable. La santé de cette dernière exigeait chaque année un voyage aux eaux du Mont-Dore. De même chaque année, je recevais régulièrement la nouvelle de leur départ pour cette station.

Or en 1884, dans la nuit du 3 au 4 août, dans un rêve, je recevais une lettre de ma sœur, m’informant que ma mère était morte subitement dans les Pyrénées.

Je me réveillai, très frappé de ce rêve, et j’en parlai à deux Européens qui habitaient l’un avec moi, l’autre dans mon voisinage. Le souvenir m’en poursuivit sans relâche, c’était une véritable obsession, me faisant désirer et redouter en même temps la réception de la poste pouvant m’apporter des nouvelles correspondant à l’époque de ce rêve. Elle arriva enfin, et je reçus une lettre de ma sœur m’apprenant que le médecin l’avait envoyée à Luchon et que ma mère, atteinte d’un refroidissement, n’avait dû son salut qu’aux soins énergiques du docteur. Celui-ci avait déclaré, dans la soirée du 3 août, que si ma mère vivait encore le lendemain, il pouvait répondre d’elle, mais qu’il attendait le lendemain pour se prononcer.

Ce rêve n’était pas exact dans le dénouement annoncé par lui : la mort de ma mère.

Mais il n’en est pas moins remarquable :

1° Que le rêve signalait un danger concernant ma mère et non ma sœur dont la santé préoccupait mon esprit bien davantage ;

2° Que le rêve relatait une station balnéaire différente de celles où elles allaient ordinairement, ce qui s’est trouvé parfaitement exact ;

3° Que si le rêve a induit en erreur quant à la mort elle-même, l’imminence de la mort a parfaitement existé et le rêve a coïncidé avec cette imminence, comme j’ai pu le vérifier par les dates et par les détails que j’ai demandés à ma sœur pour contrôler la coïncidence.

Enfin, n’est-il pas étrange qu’un rêve préoccupe l’esprit à tel point que je l’ai encore présent à la mémoire après quinze ans écoulés ? Je vous fais cette relation sans le secours d’aucune note et je pense m’en souvenir toute ma vie, tant l’empreinte en est demeurée pour ainsi dire ineffaçable en moi. Tout le monde convient qu’il n’en est pas de même de tous les rêves. Autant en emporte le vent.

J. BOUCHARD,
Mocara Enim, Palembang (Sumatra). [Lettre 678.]

LXII. — Le 16 juin 1870, je dormais profondément quand quelqu’un m’a réveillé en me touchant le dos. J’ouvre les yeux et je vois ma sœur, âgée de quinze ans, assise sur mon lit. « Adieu Nadia », me dit-elle. Puis elle disparut.

Le même jour, j’appris qu’elle était morte à cette même heure où j’ai eu ce réveil et cette vision (5 heures).

H.-N. UBANENKO,
à Moscou. [Lettre 822.]

Voilà une série de rêves relatifs à des manifestations de mourants, et devant, nous semble-t-il, être classés dans la même catégorie que les cas de télépathie qui ont fait l’objet du chapitre III. Ils indiquent une action psychique du mourant sur l’esprit du dormeur, ou, dans tous les cas, des courants psychiques entre les êtres ; mais j’ai cru ne devoir leur donner qu’une seconde place, parce que l’on est moins sûr de ce que l’on rêve que de ce que l’on voit à l’état normal, et que les rêves étant innombrables et étant souvent dus à des préoccupations, les cas de coïncidences fortuites ne peuvent pas être éliminés par le calcul des probabilités, comme dans les faits observés à l’état éveillé avec la plénitude de la raison.

Il n’en est pas moins vrai qu’un grand nombre de ces rêves doivent être acceptés comme témoignant aussi d’une relation certaine de cause à effet entre l’esprit du mourant et celui du percipient. Quelques-uns sont d’une précision de détails absolument probants, notamment les cas VIII, IX, XI, XVII, XX, XXVI, XLVIII, LVI. Au moment même où je rédige ces pages, le récit suivant vient de m’être apporté par M. Daniel Beylard, architecte, élève distingué de l’École des Beaux-Arts, fils du statuaire bien connu. L’impression télépathique n’a pas été ressentie en rêve, mais dans un état mental qui offre avec le sommeil une certaine analogie, l’état d’enfance assez souvent observé dans l’extrême vieillesse.

LXIII. — Mes deux grands’mères vivent ensemble à Bordeaux depuis de longues années : l’une a quatre-vingts ans ; l’autre, ma grand-mère paternelle, en a quatre-vingt-sept. Cette dernière ne jouit plus, depuis longtemps, de ses facultés intellectuelles : depuis deux ans surtout elle a perdu la mémoire, à ce point qu’elle ne se souvient pas du nom des objets les plus usuels et qu’elle ne nous reconnaît pas.

Le 10 octobre dernier, selon son habitude, ma grand-mère passa la matinée dans sa chambre. La domestique qui la surveille la voyait très occupée à couper du carton et à s’arranger les cheveux : satisfaite de sa tranquillité, elle la laissa faire jusqu’à l’heure du déjeuner. En se mettant à table, on s’aperçut que ma grand’mère avait attaché sur ses cheveux, derrière la tête, à l’aide de fils et d’épingles, une photographie : c’était le portrait, carte album, de son unique neveu, habitant Madrid. On en rit d’abord, et ensuite on voulut la lui enlever : elle s’y opposa, résista, et alla jusqu’à pleurer quand on fit mine d’employer la force : on la laissa donc tranquille.

À quatre heures de l’après-midi de ce même jour, nous recevions un télégramme de Madrid, nous annonçant la mort de ce neveu, décédé le matin même. Cette nouvelle nous surprit d’autant plus que personne à Bordeaux ne le savait malade.

Je dois ajouter que ma grand’mère avait élevé ce neveu jusqu’à l’âge de cinq ans et qu’ils avaient l’un pour l’autre une profonde affection.

Voilà, cher maître, les faits tels qu’ils se sont produits en ma présence, et tels que pourraient vous les certifier ma grand’-mère maternelle, mes parents et la domestique.

DANIEL BEVLARD,
rue Denfert-Rochereau, 77, à Paris [Lettre 845.]

J’ai prié le narrateur de ce très intéressant cas de télépathie de demander aux témoins de vouloir bien le certifier et le signer aussi, et ils se sont empressés de le faire.

Quoique ce soient là des témoignages aussi nombreux qu’irrécusables, nous leur en adjoindrons quelques-uns encore. Il faut qu’aucune place ne reste au doute.

Le maréchal Serrano est mort en 1885. Sa femme a écrit la relation suivante d’un curieux incident relatif à cette mort.

LXIV. — Depuis douze longs mois, une maladie bien grave, hélas ! puisqu’elle devait l’emporter, minait la vie de mon mari. Sentant que sa fin approchait à grands pas, son neveu, le général Lopez Dominguez, se rendit auprès du président du conseil des ministres, M. Canovas, pour obtenir qu’à son décès Serrano fût enterré, comme les autres maréchaux, dans une église.

Le roi, alors au Prado, repoussa la demande du général Lopez Dominguez. Il ajouta pourtant qu’il prolongerait son séjour dans le domaine royal, afin que sa présence à Madrid n’empêchât pas que l’on pût rendre au maréchal les honneurs militaires dus au rang et à la haute situation qu’il occupait dans l’armée.

Les souffrances du maréchal augmentaient chaque jour ; il ne pouvait plus se coucher et restait constamment dans un fauteuil. Un matin, à l’aube, mon mari, qu’un état de complet anéantissement, causé par l’usage de la morphine, paralysait entièrement, et qui ne pouvait faire un seul mouvement sans l’aide de plusieurs aides, se leva tout à coup, seul, droit et ferme, et d’une voix plus sonore qu’il ne l’avait jamais eue de sa vie, il cria dans le grand silence de la nuit :

« Vite, qu’un officier d’ordonnance monte à cheval et coure au Prado : le roi est mort ! »

Il retombe épuisé dans son fauteuil. Nous crûmes tous au délire, et nous nous empressâmes de lui donner un calmant.

Il s’assoupit, mais quelques minutes après, de nouveau, il se leva. D’une voix affaiblie, presque sépulcrale, il dit :

« Mon uniforme, mon épée : le roi est mort ! »

Ce fut sa dernière lueur de vie. Après avoir reçu, avec les derniers sacrements, la bénédiction du pape, il expira. Alphonse XII mourut sans ces consolations.

Cette soudaine vision de la mort du roi par un mourant était vraie. Le lendemain, tout Madrid apprit avec stupeur la mort du roi, qui se trouvait presque seul au Prado.

Le corps royal fut transporté à Madrid. Par ce fait, Serrano ne put recevoir l’hommage qui avait été promis.

On sait que, lorsque le roi est au palais de Madrid, les honneurs sont seulement pour lui, même s’il est mort, tant que son corps s’y trouve.

Est-ce le roi lui-même qui apparut à Serrano ? Le Prado est loin ; tout dormait à Madrid ; personne, si ce n’est mon mari, ne savait rien. Comment apprit-il la nouvelle ?

Voilà un sujet de méditation.

Comtesse de SERRANO, duchesse de la TORRE.

M. G. J. Romanes, membre de la Société royale de Londres, a consigné le fait suivant qui lui a été rapporté par un de ses amis :

LXV. — Pendant la nuit du 26 octobre 1872, je me sentis tout à coup mal à l’aise, et j’allai me coucher à 9 heures 1/2, environ une heure plus tôt que d’habitude ; je m’endormis presque aussitôt. J’eus, alors, un rêve très intense, qui me fit une grande impression, si bien que j’en parlai à ma femme à mon réveil ; je craignais qu’il m’annonçât un malheur.

Je m’imaginai que j’étais assis dans le salon près d’une table, en train de lire, quand une vieille dame parut tout à coup, assise de l’autre côté, tout près de la table. Elle ne parla, ni ne remua, mais me regarda fixement, et je la regardai de même pendant vingt minutes au moins. Je fus très frappé de son aspect ; elle avait des cheveux blancs, des sourcils très noirs et un regard pénétrant. Je ne la reconnus pas du tout, et je pensai que c’était une étrangère. Mon attention fut attirée du côté de la porte, qui s’ouvrit, et, toujours dans mon rêve, ma tante entra. En voyant cette vieille dame, elle s’écria fort surprise, et sur un ton de reproche : « John, ne sais-tu donc pas qui c’est ? » et sans me laisser le temps de répondre, ajouta : « C’est ta grand’mère. »

Là-dessus l’esprit qui était venu me visiter se leva de sa chaise et disparut. À ce moment-là je m’éveillai. L’impression fut telle que je pris mon carnet et notai ce rêve étrange, persuadé que c’était un présage de mauvaises nouvelles. Cependant quelques jours se passèrent sans en apporter. Un soir, je reçus une lettre de mon père, m’annonçant la mort subite de ma grand’mère, qui a eu lieu la nuit même de mon rêve et à la même heure, 10 heures 1/2 86.

Le Dr Oscar Giacchi a publié les trois cas suivants dans les Annales des sciences psychiques (1893, p. 302).

LXVI — 1er CAS (personnel). En 1853, j’étais étudiant à Pise, j’avais dix-huit ans, tout me souriait alors, et je n’étais troublé par aucun souci de l’avenir.

Une nuit, le 19 avril (je ne peux pas préciser si c’était dans un rêve ou dans un demi-sommeil), je vis mon père étendu sur son lit, pâle, livide, et qui me dit d’une voix à demi éteinte : « Mon fils, donne-moi le dernier baiser, car je vais bientôt te quitter pour toujours » ; et je sentis le froid contact de ses lèvres sur ma bouche, et je me rappelle si bien ce triste épisode que je pourrais répéter avec le divin poète : « che la memoria il sangue ancor mi scipa ».

Depuis quelques jours j’en avais reçu d’excellentes nouvelles et, pour cette raison, je n’attachai pas d’importance à ce fantôme de mon esprit ; mais un tourment terrible s’empara de mon âme et grandit avec tant de persistance que le matin suivant, résistant au raisonnement et aux prières de mes amis, je pris la route de Florence, abattu comme un condamné que l’on conduit au supplice. Mes angoisses étaient fondées, car à peine avais-je franchi le seuil de la maison que ma mère, courant à ma rencontre, m’annonça, désespérée, au milieu de ses baisers et de ses larmes, que la nuit précédente, à l’heure même de ma vision, mon père nous avait été ravi par une subite maladie de cœur.

2e CAS (dans ma clientèle). — J’ai ici, dans ma maison d’aliénés, depuis plus de trois ans, une vieille femme affectée de délire sénile qui lui laisse pourtant de longues périodes de calme, durant lesquelles elle est intelligente et tranquille, de manière à laisser croire à ses assertions. C’est une pauvre veuve qui, lorsqu’elle était en liberté, était généreusement secourue par le curé de Saint-Jean de Racconigi, qui avait pitié de sa misère. Dans la nuit du 17 novembre 1892, cette femme qui, généralement, — elle était alors sans agitation, — dort d’un sommeil ininterrompu, à minuit commença à hurler, à se désespérer et à alarmer, le dortoir entier, sans en excepter les sœurs de la section des tranquilles, en assurant à ces religieuses, qui voulaient la calmer, qu’elle avait vu le prieur tomber par terre, jeter une écume sanglante par la bouche et mourir en peu d’instants. Le rapport du médecin de tournée mentionnait cet épisode de la nuit tandis qu’en même temps se répandait dans le pays la douloureuse nouvelle que le curé de Saint-Jean était vraiment mort d’apoplexie foudroyante, à l’heure même où la vieille femme avait eu son cauchemar.

3e CAS (idem). — Un nommé G. C..., de Gottasecca, commune de Monesillio, avait été reçu depuis deux mois dans une maison de santé. Son état s’était amélioré et tout faisait espérer la guérison avec cette promptitude qui se vérifie dans les maladies mentales sans éléments héréditaires ni marche dégénérative. La santé physique était parfaite, bien qu’il eût des signes d’athérome vasculaire. Mais, dans la nuit du 14 septembre 1892, il fut frappé d’une hémorragie cérébrale qui l’enleva le lendemain. Le 16, je reçus de sa femme, qui jusqu’alors avait gardé le silence, une carte postale par laquelle elle me demandait, par des phrases anxieuses, des nouvelles de son mari, me priant de lui répondre tout de suite parce qu’elle craignait un malheur.

Une telle coïncidence de faits et de date ne pouvait passer inobservée ni me laisser indifférent. J’écrivis donc aussitôt à l’éminent Dr Dhiavarino, médecin soignant cette famille, en le priant de rechercher la raison qui avait poussé cette femme à m’écrire d’une manière si alarmante. Le docteur me répondit qu’il avait fait les recherches nécessaires et avait recueilli les détails suivants : « Dans la nuit du 14, et précisément à l’heure à laquelle C... fut frappé d’apoplexie, sa femme (qui est douée d’un tempérament éminemment nerveux et était alors enceinte de 7 mois), après avoir éprouvé un malaise moral pendant toute la soirée, se réveilla en sursaut, désespérée du sort de son mari ; et telle fut l’émotion qu’elle en éprouva qu’elle fut obligée de réveiller son père pour lui raconter le triste pressentiment et le conjurer de l’accompagner aussitôt à Racconigi, persuadée que quelque malheur était arrivé. »

Ces trois cas me semblent dignes d’être pris en considération. Les attribuer uniquement à une coïncidence fortuite me paraîtrait d’un scepticisme méprisable, et ce serait même, selon moi, un faux orgueil de persister à nier qu’ils puissent être l’effet d’une loi biologique, par la raison que nous ignorons cette loi, comme malheureusement nous ignorons tant d’autres mystères de la psychologie.

L’hypothèse d’une transmission mystérieuse du cerveau de celui qui souffre, ou se trouve en grand danger, à celui de la personne aimée est séduisante, car dans un moment de péril suprême ou d’affreux malheur, la pensée, pourrait faire un effort assez puissant pour vaincre les distances ; mais dans mon 2e cas et dans le 3e, cette théorie ne peut être admise, par la raison que ni le prieur de Saint-Jean, ni G. C., frappés comme ils le furent tout à coup par l’apoplexie, ne purent avoir la force de penser à leurs chers absents, et certainement la vieille femme ne pouvait être aimée à ce point par son curé que ce fût vers elle que se tournât la suprême invocation du mourant.

Je signalerai encore ici, à propos de ce genre de rêves, un cas bien remarquable, observé par M. Frédéric Wingfield, à Belle-Isle-en-Terre (Côtes-du-Nord), déjà publié dans les Hallucinations télépathiques (p. 101) :

LXIX. — Ce que je vais écrire est le compte rendu précis de ce qui s’est passé, et je dois faire remarquer, à ce propos, que je suis on ne peut moins disposé à croire au merveilleux et que, bien au contraire, j’ai été accusé, à juste titre, d’un scepticisme exagéré à l’égard des choses que je ne puis expliquer.

Dans la nuit du jeudi 25 mars 1880, j’allai me coucher après avoir lu assez tard, comme c’était mon habitude. Je rêvai que j’étais étendu sur mon sofa et que je lisais, lorsque levant mes yeux, je vis distinctement mon frère, Richard Wingfield-Baker, assis sur une chaise devant moi. Je rêvai que je lui parlais, mais qu’il inclinait simplement la tête, en guise de réponse, puis se levait et quittait la chambre. Lorsque je me réveillai, je constatai que j’étais debout, un pied posé par terre près de mon lit et l’autre sur mon lit, et que j’essayais de parler et de prononcer le nom de mon frère. L’impression qu’il était réellement présent était si forte, et toute la scène que j’avais rêvée était si vivante, que je quittai la chambre à coucher pour chercher mon frère dans le salon. J’examinai la chaise où je l’avais vu assis, je revins à mon lit et j’essayai de m’endormir, parce que j’espérais que l’apparition se produirait de nouveau, mais j’avais l’esprit trop excité. Je dois cependant m’être endormi le matin. Lorsque je me réveillai, l’impression de mon rêve était aussi vive, et je dois ajouter qu’elle est toujours restée ainsi dans mon esprit. Le sentiment que j’avais d’un malheur imminent était si fort que je notai cette « apparition » dans mon journal de chaque jour, en l’annotant ainsi : « Que Dieu l’empêche ! »

Trois jours après, je reçus la nouvelle que mon frère, Richard Wingfield-Baker, était mort le jeudi soir, 25 mars 1880, à 8 heures 1/2, des suites de blessures terribles qu’il s’était faites dans une chute en chassant.

M. Wingfield a envoyé avec cette lettre son carnet dans lequel, parmi bon nombre de notes d’affaires, on lit cette mention : « Apparition, nuit du jeudi 25 mars 1880. R. B. W. B. Que Dieu l’empêche ! »

La lettre suivante était jointe à cette note :

Coat-an-nos, 2 février 1884.

Mon cher ami, je n’ai aucun effort de mémoire à faire pour me rappeler le fait dont vous parlez, car j’en ai conservé un souvenir très net et très précis. Je me souviens parfaitement que le dimanche 4 avril 1880, étant arrivé de Paris le matin même pour passer ici quelques jours, j’ai été déjeuner avec vous. Je me souviens aussi parfaitement que je vous ai trouvé fort ému de la douloureuse nouvelle qui vous était parvenue de la mort de l’un de vos frères. Je me rappelle aussi, comme si le fait s’était passé hier, tant j’en ai été frappé, que quelques jours avant d’apprendre la triste nouvelle, vous aviez un soir, étant déjà couché, vu ou cru voir, mais en tout cas très distinctement, votre frère, celui dont vous veniez d’apprendre la mort subite, tout près de votre lit et que, dans la conviction où vous étiez que c’était bien lui, vous vous étiez levé et lui aviez adressé la parole, et qu’à ce moment vous aviez cessé de le voir comme s’il s’était évanoui ainsi qu’un spectre. Je me souviens que sous l’impression bien naturelle qui avait été la suite de cet événement, vous l’aviez inscrit dans un petit carnet où vous avez l’habitude de noter les faits saillants de votre très paisible existence et que vous m’avez fait voir ce carnet.

J’ai été d’autant moins surpris de ce que vous me disiez alors, et j’en ai conservé un souvenir d’autant plus net et précis, comme je vous le disais en commençant, que j’ai dans ma famille des faits similaires auxquels je crois absolument.

Des faits semblables arrivent, croyez-le bien, bien plus souvent qu’on ne le croit généralement. Seulement, on ne veut pas toujours les dire, parce que l’on se méfie de soi ou des autres.

Au revoir, cher ami ; à bientôt, je l’espère, et croyez bien à l’expression des plus sincères sentiments de

Votre tout dévoué,

FAUCIGNY, prince de LUCINGE.

M. Wingfield ajoute en réponse aux questions :

Je n’ai jamais eu d’autre rêve effrayant de la même espèce, ni d’autre rêve d’où je me sois réveillé avec une pareille impression de réalité et d’inquiétude, et dont l’effet ait duré longtemps après mon réveil ; je n’ai jamais eu d’hallucinations.

Il faut remarquer que ce rêve n’a eu lieu que plusieurs heures après la mort.

Les documents de ce genre sont si nombreux que le difficile est de s’arrêter. Nous ne pouvons pourtant nous empêcher de signaler encore un rêve non moins remarquable, qui a été publié récemment, avec tous les documents susceptibles d’en garantir l’absolue véracité, dans l’excellente revue spéciale les Annales des Sciences psychiques, de M. le docteur Dariex :

LXX. — Dans les premiers jours de novembre 1869, je partis de Perpignan, ma ville natale, pour aller continuer mes études de pharmacie à Montpellier. Ma famille se composait, à cette époque, de ma mère et de mes quatre sœurs. Je la laissai très heureuse et en parfaite santé.

Le 22 du même mois, ma sœur Hélène, une superbe fille de dix-huit ans, la plus jeune et ma préférée, réunissait à la maison maternelle quelques-unes de ses jeunes amies. Vers trois heures de l’après-dîner, elles se dirigèrent, en compagnie de ma mère, vers la promenade des Platanes. Le temps était très beau. Au bout d’une demi-heure, ma sœur fut prise d’un malaise subit : « Mère, dit-elle, je sens un frisson étrange courir par tout mon corps ; j’ai froid, et ma gorge me fait grand mal. Rentrons. »

Douze heures après, ma bien-aimée sœur expirait dans les bras de ma mère, asphyxiée, terrassée par une angine couenneuse que deux docteurs furent impuissants à dompter.

Ma famille, — j’étais le seul homme pour la représenter aux obsèques, — m’envoya télégramme sur télégramme à Montpellier. Par une terrible fatalité, que je déplore encore aujourd’hui, aucun ne me fut remis à temps.

Or, dans la nuit du 23 au 24, dix-huit heures après la mort de la pauvre enfant, je fus en proie à une épouvantable hallucination.

J’étais rentré chez moi à deux heures du matin, l’esprit libre et encore tout plein du bonheur que j’avais éprouvé dans les journées des 22 et 23, consacrées à une partie de plaisir. Je me mis au lit très gai. Cinq minutes après, j’étais endormi.

Sur les quatre heures du matin, je vis apparaître devant moi la figure de ma sœur, pâle, sanglante, inanimée, et un cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fais-tu mon Louis ? mais viens donc, mais viens donc ! »

Dans mon sommeil nerveux et agité, je pris une voiture ; mais hélas malgré des efforts surhumains, je ne pouvais pas la faire avancer.

Et je voyais toujours ma sœur pâle, sanglante, inanimée, et le même cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fais-tu, mon Louis ? mais viens donc, mais viens donc ! »

Je me réveillai brusquement, la face congestionnée, la tête en feu, la gorge sèche, la respiration courte et saccadée, tandis que mon corps ruisselait de sueur.

Je bondis hors de mon lit, cherchant à me ressaisir.... Une heure après, je me remis au lit ; mais je ne pus retrouver le repos.

À onze heures du matin, j’arrivai à la pension, en proie à une insurmontable tristesse. Questionné par mes camarades, je leur racontai le fait brutal tel que je l’avais ressenti. Il me valut quelques railleries. À deux heures, je me rendis à la Faculté, espérant trouver dans l’étude quelque repos.

En sortant du cours, à quatre heures, je vis une femme en grand deuil s’avancer vers moi. À deux pas de moi, elle souleva son voile. Je reconnus ma sœur aînée qui, inquiète sur moi, venait, malgré son extrême douleur, demander ce que j’étais devenu.

Elle me fit part du fatal événement que rien ne pouvait me faire prévoir, puisque j’avais reçu des nouvelles excellentes de ma famille le 22 novembre au matin.

Tel est le récit que je vous livre, sur l’honneur, absolument vrai. Je n’exprime aucune opinion, je me borne à raconter.

Vingt ans se sont écoulés depuis lors, l’impression est toujours aussi profonde — maintenant surtout — et si les traits de mon Hélène ne m’apparaissent pas avec la même netteté, j’entends toujours ce même appel plaintif, multiplié, désespéré : « Que fais-tu donc, mon Louis ? Mais viens donc, mais viens donc ! »

LOUIS NOELL,
Pharmacien, à Cette.

Ce récit est accompagné de documents destinés à en confirmer l’authenticité. Nous citerons de ces documents la lettre suivante de la sœur de l’observateur :

Mon frère m’a priée, sur votre demande ; de vous envoyer le récit de l’entrevue que j’eus avec lui, à Montpellier, après la mort de notre sœur Hélène. Selon votre désir et le sien, je viens, malgré l’amertume de souvenirs aussi douloureux, vous apporter mon témoignage.

En voyant dans la rue mon frère, qui fut le premier à me reconnaître, malgré mes vêtements de deuil, je compris qu’il ignorait encore la mort d’Hélène. « Quel malheur nous frappe encore ? » s’écria-t-il. Apprenant de ma bouche la mort d’Hélène, il me serra les bras avec une telle violence que je faillis tomber à la renverse. Rentrée à la maison, j’eus à supporter une scène terrible. Fou de colère, mon frère, très nerveux, très ardent, mais très bon aussi, me maltraita presque. « Quelle fatalité, s’écriait-il, quel malheur ! Oh ! les dépêches, pourquoi ne les ai-je donc pas reçues ? » Et il frappait violemment la table avec les deux mains.... Coup sur coup il avala trois grandes carafes d’eau. Un moment, je le crus fou, tellement son regard était égaré....

Quand il eut repris ses esprits, quelques heures après, il dit : « Oh ! j’en étais sûr, un grand malheur devait fondre sur moi. » Il me raconta alors l’hallucination qu’il avait éprouvée dans la nuit du 23 au 24.

THÉRÈSE NOELL.

Ce rêve, comme le précédent, a été éprouvé après la mort du sujet qui paraît l’avoir déterminé. Nous n’analyserons pas ici les causes immédiates de ces sensations, car plus tard nous aurons à distinguer les manifestations de morts de celles des mourants, des vivants ; mais ce que nous devons retenir, c’est le rêve lui-même, quelle que soit la nature de l’action psychique. Plusieurs explications pourront être proposées. L’esprit de l’auteur s’est-il transporté vers sa sœur et n’a-t-il trouvé qu’une morte ? Sa sœur, au contraire, l’a-t-elle cherché avant de mourir, et cet appel aurait-il mis dix-huit heures à amener la sensation ? N’y a-t-il pas eu simplement un courant psychique de nature inconnue entre le frère et la sœur ? Autant de questions à étudier. Nous entrons dans un nouveau monde qui n’est pas près d’être exploré.

Mais déjà, en lisant ces rêves, on s’aperçoit, on sent, que la force en action ne va pas toujours du mourant au percipient, mais plutôt parfois du rêveur au mourant, ressemblant à une vue à distance.

Les cas nos VIII (grand’mère emmenant ses enfants à travers un pré), XI (frère mourant à Saint-Pétersbourg, avec ses enfants à genoux près du lit), XII (long convoi mortuaire), XV (mort d’un chien), XVII (enfant mourant sur un édredon rouge), XX (cinq cercueils), XXI (mort de Carnot), XXXIX (vue du convoi d’une jeune fille, de Carthagène à Nantes), XLVI (le général de Cossigny tombant dans un escalier), XLVIII (blessure à l’épaule droite), LV (coup de revolver reçu dans la main), LVI (élève voyant le frère d’un professeur tué d’une charge de plomb dans la tête), LXIV (le maréchal Serrano annonçant la mort du roi), LXVII (vieille femme voyant la mort de son curé), etc., donnent cette impression. Il semble qu’ici l’esprit du dormeur ait vraiment vu, perçu, senti des choses se passant au loin.

Cette constatation de la vue à distance, en rêve, fera l’objet de notre prochain chapitres.

Mais nous tenons comme autant de documents absolument démonstratifs les 70 cas qui viennent d’être rapportés et qui confirment, sous un autre aspect, les 186 manifestations de mourants exposées plus haut. Pour nous, ces phénomènes psychiques sont certains et incontestables. Ils doivent désormais, constituer une nouvelle branche de la Science.

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