La Vue à distance, en rêve, des faits actuels

Il semble, en effet, d’après les exemples qui viennent déjà d’être rapportés, que dans certains rêves on voie vraiment ce qui se passe à distance. Nous continuerons ici cet examen par d’autres cas spéciaux, observés et relatés avec un grand soin, sans revenir sur les manifestations de mourants que nous tenons désormais pour absolument démontrées.

De plus, dans ces exemples de vue à distance en rêve, nous ne nous occuperons que de la vue d’événements présents, actuels, réservant, dans notre classification méthodique, la divination de l’avenir pour le chapitre suivant, qui sera le dernier de ce volume. Nous remettrons aussi à plus tard la vue à distance à l’état éveillé ; de même que l’analyse des pressentiments. Ces distinctions sont absolument indispensables pour nous reconnaître dans ces recherches, pour nous aider à n’accepter, à n’admettre que ce qui est suffisamment constaté, en ensuite pour vous conduire aux explications, s’il est possible.

Ces questions sont depuis bien des années l’objet de mes études. J’ai publié le rêve suivant dans le Voltaire du 18 février 1889 ; il m’avait été communiqué par mon ami P. Conil, notre sympathique confrère de la presse parisienne.

I. — En 1844, je faisais ma septième au lycée Saint-Louis. À cette époque, un de mes oncles, Joseph Conil, juge d’instruction à l’île Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion), était venu à Paris pour consulter les célébrités médicales d’alors au sujet d’une grosseur qui, s’étant d’abord montrée sur le cou, derrière l’oreille, avait peu à peu envahi toute la joue et gagné la tête.

Il aurait voulu qu’on l’opérât ; mais Velpeau s’y était opposé et avait dit à mon père : « Sans opération, il peut vivre un an ou quinze mois. Si on l’opère, il mourra entre les mains des chirurgiens. »

Ce diagnostic fut toujours ignoré de mon pauvre cher oncle. On inventait chaque jour de nouveaux prétextes pour retarder l’opération.

Un dimanche de sortie, je le trouvai plus affectueux que jamais, et quand je le quittai, il me dit :

« Embrasse-moi ; je ne te reverrai plus. »

Je protestai, bien entendu, contre ces paroles ; je l’embrassai affectueusement, car je l’aimais beaucoup, et rentrai au collège où je repris mon travail et mes jeux.

Dans la nuit du jeudi au vendredi de cette même semaine, je dormais profondément, lorsqu’un rêve me transporta à Courbevoie (mon père et ma belle-mère y passaient l’été et y avaient amené mon oncle).

Dans la grande chambre du premier, donnant sur le jardin, couché dans son lit aux rideaux rouges, mon oncle était entouré de mon père, de ma belle-mère ; près du lit, assise et priant, une vieille bonne bretonne, Louise, qui depuis bien des années était notre à service.

Mon oncle parlait tour à tour aux personnes présentes.

À mon père, à ma belle-mère, il adressait quelques recommandations touchant ma sœur et moi, et j’entendais très distinctement ses paroles ; je pourrais les répéter, car cette vision m’a fait une telle impression qu’elle est encore présente à mon esprit et à mon souvenir comme si elle datait d’hier, mais elle ne saurait présenter le moindre intérêt pour vos lecteurs.

À Louise, il donna sa bourse. « Prenez, lui disait-il, vous m’avez soigné comme une sœur de charité. »

Et j’entends encore les sanglots de cette fille dévouée.

Un silence se fît, que Louise rompit.

« Monsieur Joseph, il y a bien trois mois que vous n’avez pu ouvrir votre œil droit. Tenez, j’ai là une médaille de la vierge d’Auray, mettez-la sur votre œil, et il s’ouvrira. »

Mon oncle sourit, prit la médaille, la plaça sur ses paupières qui, presque aussitôt s’ouvrirent et demeurèrent ouvertes quelques minutes.

Mon oncle était fort croyant : « Je ne passerai pas la nuit, je le sens. Louise, allez me chercher un prêtre. »

Louise partit.

Mon père et ma belle-mère prirent les mains du malade, qui continua à s’entretenir avec eux, sans que je perdisse une seule des paroles échangées.

Le prêtre arriva. On le laissa seul avec le cher moribond. J’assistai à la confession, mais je n’en entendis pas un seul mot.

Le prêtre sortit. Mes parents et Louise rentrèrent. Bientôt l’agonie commença, et j’en vis tous les détails navrants....

Mon bien-aimé oncle poussa un long soupir.

Il était mort....

Quand je m’éveillai, l’horloge du collège sonnait deux heures du matin. J’avais les yeux pleins de larmes.

« Il faut, me dis-je, prendre le contraire des rêves. J’ai rêvé que mon oncle était mort, c’est qu’il va bien. »

Le dimanche matin, un vieil ami de ma famille, M. Vigneau, père d’Henri Vigneau, l’auteur d’Orfa, vint me chercher et m’apprit la triste nouvelle. Arrivé à Courbevoie, mon père me transmit les dernières recommandations de mon oncle... et ces recommandations étaient les mêmes que celles que j’avais entendues. Très frappé, je pris la parole et je dis à mon père : « Mon oncle n’a-t-il pas dit ça et ça ?

— Oui.

— Ses derniers moments ne se sont-ils pas ainsi passés ? »

Et je racontai tout ce que j’avais vu et entendu.

Tout était d’une exactitude absolue.

« Mais comment sais-tu cela ? interrogea mon père.

— Papa, je l’ai rêvé. Mais, dis-moi, à quelle heure mon oncle est-il mort ?

— À deux heures précises.

— C’est bien cela, répliquai-je, c’est l’heure à laquelle je me suis réveillé ! »

La cérébration inconsciente n’explique pas plus ces sortes de rêves que ceux du chapitre précédent.

Il semble bien là que l’esprit de l’auteur se soit transporté, ait vu à distance, ce qui se passait dans la chambre de son oncle mourant. Dans un autre rêve, M. Conil a vu le Havre avant d’y être allé et en a parfaitement reconnu les quais et les rues lorsqu’il les a visités pour la première fois.

Voici quelques autres exemples du même ordre, extraits du dossier de mon enquête :

II. — 1° Plusieurs fois dans ma vie de trente-huit ans de sacerdoce, j’ai été poussé instinctivement vers le lit de mourants que je ne savais pas malades. Si je ne craignais pas, vu le grand nombre de lettres que vous devez recevoir, de vous fatiguer, je vous les raconterais. Un seulement.

Une nuit, à une heure du matin, je me réveille brusquement, voyant dans son lit un de mes paroissiens mourant qui m’appelait à grands cris. En cinq minutes je fus habillé, et, une petite lanterne à la main, je courus vers la maison du malade. En route je rencontre un émissaire qui venait à grande course me chercher.

J’arrive auprès du moribond qui avait perdu connaissance sous l’atteinte d’une attaque d’apoplexie. J’eus juste le temps de réciter la formule de l’absolution, puis il mourut.

Or, cet homme très fort, très robuste, s’était couché à neuf heures du soir dans les meilleures conditions.

BOUIN,
Chanoine honoraire, curé de Couze (Dordogne). [Lettre 4.]

III. — J’avais de très bons amis, fermiers à Chevennes ; je ne les avais pas vus depuis quelque temps. Une nuit, j’eus un cauchemar affreux : je voyais le feu à leur ferme, je faisais des efforts surhumains pour courir appeler au secours et restais impuissant, aucune voix ne sortait de ma gorge, mes pieds restaient attachés au sol ; je vis ainsi le feu se communiquer à plusieurs bâtiments ; enfin, au moment d’un écroulement général, je fis un effort violent pour me dégager des décombres, et je m’éveillai, la gorge sèche, tout courbaturé. Je sautai hors du lit. À ce moment ma femme s’éveilla. Je lui racontai mon rêve. Elle rit beaucoup de me voir aussi tremblant.

Le lendemain, dans la journée, je recevais un exprès m’annonçant qu’une partie de la ferme avait été détruite par un incendie.

GEORGES PARENT,
Maire, à Wiège-Faty (Aisne). [Lettre 20.]

IV. — Mon père Palmero, ingénieur colonial des ponts et chaussées, natif de Toulon, après avoir passé vingt ans à la Réunion, où il s’était marié et avait eu cinq enfants, prit sa retraite et vint se fixer à Toulon, en 1867.

Ma mère, qui était née à la Réunion, d’une des plus nobles familles, ne quitta pas son pays sans un serrement de cœur, d’autant qu’elle laissait, son père et sa mère dans une situation que des revers de fortune avaient grandement amoindrie.

Les premières années passées en France, où tout lui était inconnu, furent si pénibles pour elle que mon père, dont la bonté était sans égale, prit la secrète résolution de faire venir ses beaux-parents auprès de nous.

Il se garda bien de s’en ouvrir à sa femme qui, malgré son grand amour pour son père et sa mère, se serait opposée à une détermination aussi coûteuse et dont les suites pouvaient être si préjudiciables aux intérêts d’une famille de sept personnes vivant sur la retraite de mon père.

Ma mère ignorait donc, et pour plusieurs raisons, la démarche faite par mon père, et, l’eût-elle sue, qu’elle n’y aurait pas cru. Mon grand’-père et ma grand’mère, d’un âge très avancé, vivaient à la Réunion, au milieu d’autres enfants, entourés de soins et des mille satisfactions que procure une existence honnête et tranquille.

Rien ne faisait donc prévoir qu’ils accepteraient, comme ils le firent, la proposition de leur gendre.

Quittant tout, vendant les quelques meubles qu’ils avaient, poussés par cette force inconnue qui a nom destinée, ils prirent, ces deux vieillards, le premier paquebot pour la France, sans écrire (leur lettre serait arrivée après eux), sans télégraphier (aucune communication entre Bourbon et la métropole à cette époque).

On était donc sans nouvelle, lorsqu’une nuit du mois de mai 1872, ma mère se réveillent en sursaut dit à mon père : « Mon ami, mes enfants, levez-vous, je viens de voir passer papa et maman là, devant Toulon, en bateau ; habillez-vous, nous n’avons que le temps de leur préparer leur chambre. »

Mon père, qui ne croyait pas avoir été aussi persuasif dans sa lettre et ne pouvait pas supposer qu’un paquebot avait quitté la Réunion quelques jours après l’arrivée de cette lettre, se mit à rire et conseilla à ma mère de se recoucher et de laisser les enfants dormir.

La première émotion passée, ma mère se rendit à ce conseil et se recoucha, non sans répéter qu’elle était sûre d’avoir vu passer en bateau son père et sa mère devant le port de Toulon.

Le lendemain, nous recevions un télégramme de Marseille nous annonçant l’arrivée de grand-père et grand’mère, par paquebot des Messageries maritimes.

Lorsque ma mère raconta à son père la vision de la nuit précédente, ils nous dirent que fatigués par le voyage et sur le point de revoir leur fille tant aimée, ils ne dormaient pas à cette heure-là et que dans un élan de leur cœur, leurs yeux avaient sondé l’obscurité, leurs mains s’étaient jointes, et quelques tours de roues les séparant à peine du but, ils s’étaient dit : « C’est là qu’est notre fille, nous allons la voir et l’embrasser dans quelques heures. » On était en vue de Toulon.

Ma grand’mère habite avec moi, elle est fort âgée ; lorsque je lui rappelle son arrivée en France, ses yeux brillent, et je comprends que son fluide ait traversé la distance pour venir toucher le cerveau de celle qui lui avait fait tout quitter, à un âge où le moindre déplacement effraye et désoriente.

PALMERO,
Agent des Postes et Télégraphes, à Marseille. [Lettre 24.]

V. — Mon père, étant en pension à 60 kilomètres environ de chez lui, fut réveillé une nuit en sursaut par cette idée douloureuse autant que soudaine que sa mère se mourait. (Était-ce un rêve ?) Il ne put se rendormir jusqu’au jour, saisi d’une grande frayeur, et dès le réveil alla solliciter du maître de pension l’autorisation de retourner chez lui. On la lui refusa. Une lettre de son père lui apprit que cette même nuit et à la même heure sa mère, que l’on croyait perdue, avait reçu les sacrements et avait parlé de lui à plusieurs reprises. Mais après avoir approché de si près la mort, elle vécut encore longtemps.

BERNARD VANDENHOUGEN,
à Mantes. [Lettre 31.]

VI. — Il y a quelques années, j’habitais une propriété située à quelques kilomètres de Papeete, chef-lieu de nos établissements français en Océanie. J’avais dû me rendre à une séance de nuit du Conseil général et vers minuit, quittant la ville, seul dans une petite charrette anglaise, je fus assailli par un orage épouvantable.

Mes lanternes s’éteignirent, la route que je suivais, bordée par la mer, était absolument noire, mon cheval prit peur et s’emballa. Tout d’un coup je ressentis un choc violent : ma voiture venait de se briser contre un arbre.

Les deux roues étaient restées avec leur moyeu au lieu de l’accident, et moi, projeté entre le cheval et le caisson à moitié broyé, j’étais entraîné par l’animal affolé dans une course au cours de laquelle j’aurais dû cent fois me tuer.

Cependant, n’ayant pas perdu mon sang-froid, je parvins à calmer mon cheval et à descendre de l’épave sur laquelle je me trouvais. J’appelai au secours pour la forme, me trouvant en pays absolument désert.

Tout à coup, j’aperçois une lumière paraissant se diriger vers moi, et quelques instants après, ma femme arrive, ayant parcouru une distance d’environ 2 kilomètres pour venir directement sur le théâtre de l’accident.

Elle me raconta qu’étant endormie elle s’était éveillée subitement, voyant très nettement que j’étais en danger de mort, et, sans hésiter, elle avait allumé une lanterne, et sous la pluie torrentielle était accourue à mon secours.

Il m’était arrivé bien souvent de revenir de la ville en pleine nuit, mais jamais ma femme n’avait éprouvé la moindre inquiétude à mon sujet. Cette nuit-là, elle a vu réellement ce qui m’arrivait, et n’a pu résister à l’impérieux besoin de se porter à ma rencontre.

Quant à moi, je n’ai aucune souvenance d’avoir dirigé un ardent appel mental de son côté, et j’ai été, je l’avoue, complètement sidéré quand, à plus de cent mètres de moi, dans la nuit, j’ai entendu une voix me crier :

« Je sais que tu es blessé, mais me voilà. »

JULES TEXIER,
à Chatellerault. [Lettre 50.]

VII. — J’habitais à Cette, avec ma femme, ma belle-mère et mes deux filles, une villa sur le versant de la montagne. J’allais tous les matins à la ville, conduit par une voiture louée au mois, qui venait me prendre à huit heures et demie du matin. Or, un jour, je m’éveillai à cinq heures, après un rêve horrible.

Je venais de voir une jeune fille tomber d’une fenêtre et qui s’était tuée sur le coup. Je fis part de ce rêve à ma famille : il était sept heures, et c’était le moment où tous se levaient ; ils en furent émus. Je descendis au jardin, attendant la voiture qui devait me prendre vers huit heures comme d’habitude ; mais, à neuf heures et demie seulement elle arrivait. Je me fâchai de ce retard qui me gênait pour mes affaires. Mais le cocher me dit que, s’il avait remplacé son maître qui avait l’habitude de venir me prendre, c’est que le matin même, à cinq heures, sa fille (de dix ans, je crois) était tombée de la fenêtre et était morte.

Je n’avais jamais vu cette jeune fille.

MARTIN HALLE,
19, rue Clément-Marot, Paris. [Lettre 61.]

VIII. — Il y a six ans, j’eus un second enfant que, vu mon état de santé, ma mère emmena le lendemain de sa naissance chez elle, à soixante lieues, pour le faire nourrir sous ses yeux. Je fus malade, puis convalescente. Je commençais à me lever et (ai-je besoin de le dire ?) ma pensée était sans cesse avec le cher petit être qu’on m’avait ôté si vite et que je n’avais qu’entrevu.

Nous avions fréquemment de ses nouvelles et elles étaient très satisfaisantes ; nous étions on ne peut plus tranquilles à son sujet. Un matin, je m’éveille avec une oppression singulière : j’avais rêvé, la nuit, mon enfant bossu. Je le dis à mon mari, je me mets à pleurer ; il me rit au nez. Aussitôt levée, pendant son absence, j’écris à ma mère, lui disant mon rêve et demandant qu’on nous écrive sans tarder et qu’on nous parle longuement du cher petit ange.

On nous répond par mille éloges sur l’enfant : c’était un poupon magnifique ; enfin un grand-père fier de son petit-fils.... Quelque temps après, ma mère, qui ne m’avait pas vue depuis ma couche, vient nous voir, et, le soir, dans l’intimité du coin du feu, nous révéla, à mon mari et à moi, que ma lettre l’avait rendue malade de saisissement ; qu’en effet, au moment où cette lettre était arrivée, mon enfant était bossu. Il avait eu cela une quinzaine, ce n’était rien en réalité, puisque quelques massages intelligemment faits avaient supprimé cette petite rondeur ; mais ma mère et la nourrice, sans en rien dire à personne, avaient été réellement inquiètes. Ma lettre était arrivée au plus fort de la chose, alors qu’affolée, ma mère avait montré l’enfant au docteur, qui l’avait aussitôt rassurée en lui disant de ne pas m’alarmer inutilement.

MARIE DUCHEIN,
à Paris. [Lettre 166.]

IX. — J’étais chez une de mes amies, au mois d’octobre 1896. Ayant à loger des soldats, à cause de la revue du tsar, et le mess se trouvant chez eux, le cuisinier, au moment de partir, avait pris par mégarde un couvert de la maison, qu’il avait emballé avec les leurs.

Aussitôt partis, on s’aperçut de la disparition dudit couvert.

Mon amie écrivit aussitôt, et, le surlendemain matin, en s’éveillant, elle me dit :

« Marie, j’ai rêvé que je recevrais mon couvert aujourd’hui, et, en même temps, une lettre. Mais, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que le papier à lettre est rose, tout couvert d’écriture, sans une place, sans le moindre petit coin oublié, et l’enveloppe doit être blanche ! »

Nous attendîmes avec impatience le facteur qui nous apporta, en effet, le couvert et la lettre à enveloppe blanche, feuille rose, les quatre pages couvertes d’écriture.

Comment se fait-il que mon amie ait pu deviner si juste, en un rêve ?

MARIE BOUVRY,
à Brimont.

X. — J’ai un frère aujourd’hui âgé de 29 ans, qui, en 1889, partit pour le Chili, à Santiago. Il avait l’habitude de nous donner de ses nouvelles très régulièrement. À une lettre reçue en 1892 (la date au juste je ne me la rappelle pas), maman nous dit avoir vu en rêve mon frère malade et porté à l’hôpital, sur une civière. Les lettres mettent environ trente-cinq jours pour faire le trajet de Santiago en France. Cinq mois se passèrent sans nouvelles. Enfin une lettre nous arrive dans laquelle mon frère nous dit sortir de l’hôpital où il était en traitement depuis cinq mois ; il y avait été transporte ayant eu la fièvre typhoïde, et avait eu ensuite une pleurésie.

MARIE VIALLA,
30, rue Victor-Hugo, à Lyon. [Lettre 146.]

XI. — Un oncle de ma belle-sœur qui vit encore et qui se trouvait alors à la campagne, à environ 60 kilomètres de Bayonne, rêva une nuit qu’un de ses amis intimes, M. Rausch, était assassiné sur les allées marines de Bayonne en rentrant chez lui.

Le lendemain matin, M. Bouin, l’oncle de ma belle-sœur, raconta son rêve, sans d’ailleurs y ajouter foi ; mais peu après il apprit la nouvelle que son ami avait été assassine sur les allées marines de Bayonne par des Espagnols, dans la nuit où il avait eu son rêve.

Je signe ces lignes comme étant l’expression de la vérité, mais je vous serais obligé de vouloir bien ne publier ni le nom de ma famille ni le mien.

G. F.,
à Bordeaux. [Lettre 177.]

XII. — En 1872 ou 1873, ma mère, encore jeune fille, habitait rue des Tonnelles, chez sa mère. Elle connaissait une famille de pauvres gens nommés Morange, qui habitaient rue Saint-Antoine, près du lycée Charlemagne. Un samedi soir, elle rencontre cette famille, et la petite Morange qui l’aimait beaucoup vient lui montrer une robe neuve mise le jour même. Elle quitte l’enfant et rentre chez elle. Le lendemain matin, en se réveillent, ma mère raconte à sa mère avoir rêvé que la famille Morange était morte.

Dans la matinée, on apprend qu’ils sont tous morts pendant la nuit dans l’incendie de leur maison.

MARCEL GERSCHEL,
Paris, 80, Faubourg-Saint-Denis. [Lettre 204.]

XIII. — Je puis vous affirmer un fait absolument authentique qui s’est passé il y a quelques années. J’ai vu une nuit en rêve deux dames de ma connaissance, en grand deuil, quoique je n’eusse alors la moindre idée qu’un membre de leur famille fût mort ou même malade. Je les interrogeai et j’appris qu’elles portaient le deuil d’un monsieur, frère de l’une et mari de l’autre.

Quelques jours après, j’appris que le décès avait eu lieu la nuit même de mon rêve. La mort était arrivée à Moscou ; les dames étaient en Allemagne, et moi j’habitais Mitau (Courlande, Russie).

SOPHIE HERBENBERG,
à Mitau. [Lettre 234.]

XIV. — Il y a trente ans, ma famille habitait Marseille. Un matin, mon père nous dit avoir rêvé la nuit précédente que sa mère, habitant en Alsace et qu’il ne savait pas malade, était morte.

Quelques jours après, il apprenait qu’en effet sa mère était décédée cette nuit-là.

N. NISCHE,
à Châlons-sur-Marne. [Lettre 279.]

XV. — A. Étant jeune femme, j’ai assisté en rêve au vol d’un cheval de mon mari par deux individus, et à toutes les précautions prises pour le faire sortir sans bruit de l’écurie. À mon réveil, j’ai raconté mon rêve à mon mari qui est allé à l’écurie qu’il a trouvée vide. Trois ans plus tard les voleurs ont été pris, et le cheval payé.

B. Une nuit, je vois en rêve un ami de mon mari : il était dans un caveau entouré par ma mère et mes sœurs mortes, pour lesquelles ce monsieur avait eu une vive sympathie. Il était enveloppé de longs linges blancs, vint à moi me faire un profond salut, puis disparut ainsi que mes parentes. Quelques jours après mon mari mourait.

Si vous croyez devoir signaler ces deux rêves, ne me nommez pas, je suis veuve et vis modestement dans mon ermitage.

Vve C. F.
[Lettre 312.]

XVII. — Au mois d’octobre 1898, le 13 ou le 14, je venais de quitter Mme G..., chez laquelle j’avais passé quelques jours, pour rentrer ici. Dans la nuit suivante, elle vit en rêve un naufrage, avec des quantités de noyés. À son réveil, elle voulait (persuadée, par d’autres exemples, qu’elle a une sorte de seconde vue) me télégraphier pour me prier de ne pas partir ; mais elle en fut empêchée par son mari. — Le 15 octobre, les journaux annonçaient une grosse tempête, et la perte d’un navire, ayant occasionné une centaine de morts. Heureusement — pour moi — ce n’était pas le mien.

P. P.,
Docteur en droit, à Philippeville. [Lettre 396.]

XVIII. — Mme B... habitait, il y a plusieurs années, dans une villa près de la ville de Yokohama. Elle avait l’habitude de se mettre au lit une heure avant le dîner. Une après-midi (elle ne se rappelle pas bien si elle était tout à fait réveillée ou encore à moitié endormie) elle s’écrie tout à coup : « Ah ! mon Dieu, voilà M. N... qui se noie ! Sauvez-le, sauvez-le !... Ah ! il est mort ! » Elle l’avait vu distinctement. Son mari tâche de la rassurer en riant de son rêve, comme il dit, mais peu de temps après un messager vient lui annoncer que leur ami, M. N..., s’est noyé en prenant son bain habituel dans le fleuve avant de monter à leur villa pour dîner avec eux. L’intention de dîner chez les B... explique facilement qu’il ait pensé à eux au moment d’aller se baigner. L’heure de l’accident et celui du « rêve » de Mme B... coïncidaient exactement.

F. E. Bade,
à Hambourg. [Lettre 447.]

XIX. — En 1884, dans les premiers jours d’avril, à Nice, je rêvai que mon mari, couché, et malade, me disait : « Viens m’embrasser. » (Nous vivions séparés depuis longtemps.) Alors avait lieu l’exposition de Nice. Le 11 avril, vendredi saint, une voix me dit : « Va à l’exposition aujourd’hui, ou tu ne le reverras plus. » Dans la nuit du 12 au 13 une dépêche arriva : mon mari était frappé de congestion. Le 13, départ pour Paris. Je vis mon mari au Val-de-Grâce tel que dans mon rêve : il est mort le 15 sans avoir repris connaissance.

Je désire garder l’anonyme : de simples initiales, je vous prie.

Vve A. S.,
à Nice. [Lettre 483.]

XX. — Je tiens à vous signaler un rêve que j’ai fait il y a six ans environ et qui m’a fortement impressionnée, quoique je ne sois pas superstitieuse.

À cette époque, j’étais institutrice dans un pensionnat du département de l’Aisne. Une nuit, je rêve que je marchais dans la principale rue de notre ville, quand, en levant les yeux, j’aperçois dans un ciel très clair, direction nord-est, une grande croix noire au-dessous de laquelle je lus bien distinctement les deux lettres suivantes disposées comme ceci : M† M

Le lendemain, je racontai mon rêve en cherchant vainement si quelqu’un de ma famille portait un nom commençant par cette même initiale ; ne trouvant pas, je pensai à autre chose. Quelques jours après (je ne saurais malheureusement préciser au juste), je reçois une lettre m’annonçant qu’une tante qui demeurait dans un village situé au nord-est de notre ville et s’appelant Marguerite Marconnet, venait de mourir. Cette coïncidence entre mon rêve et cette mort était si saisissante que jamais je ne pus l’oublier, et ce qui m’étonne surtout c’est que, en connaissant fort bien ma tante, je ne la voyais que fort rarement, qu’il y avait fort longtemps que je ne l’avais vue, et que je ne pensais presque jamais à elle.

L. MARCONNET,
à Montbéliard. [Lettre 540.]

XXI. — Il y a quelques années, j’ai lu dans un journal mensuel (anglais) qu’un ami de sir John Franklin a vu en rêve que ledit Franklin échouait dans son expédition arctique, et que cet ami nommé, si je m’en souviens au juste, Walter Snoo, a vu toute la contrée où le malheur arriva.

Aussitôt, il se réveille, et étant bon dessinateur, prend un crayon, et dessine les canots, les blocs de glace environnants, bref toute la contrée.

Ce dessin, il l’envoya alors a un de ses amis, propriétaire d’un grand journal américain illustré, dans lequel on inséra le dessin avec une courte mention des impressions de Walter Snoo ; naturellement, on ne pouvait avoir aucun avis sur l’exactitude de l’événement dessiné.

Lorsqu’on trouva, longtemps après, les dépouilles mortelles de Franklin et de ses compagnons dans les glaciers arctiques, les témoins oculaires ont aussi dessiné le lieu, la position des corps inertes et glacés, des canots, des chiens attelés et crevés : tout concordait avec le dessin.

Je ne sais plus le nom du journal illustré, ni du journal mensuel anglais, mais ce serait sans doute pour vous une chose facile de constater par vos rapports avec le monde entier l’exactitude de cette lettre, que j’ose vous écrire.

Dr BRONISLAW GALECKI,
Avocat, place Cathédrale, à Farnow, Galicie (Autriche). [Lettre 563.]

XXII. — Je puis vous certifier l’authenticité absolue des faits suivants :

J’avais alors sept ans, ma mère, qui jamais n’avait consenti à m’éloigner d’elle, se rendit cependant un jour au désir d’une de mes tantes et me laissa partir avec elle en province, après mille recommandations.

Un mois s’était écoulé sans incident, ni accidents, lorsqu’un matin ma mère accourut à la hâte chez mon oncle et lui dit ceci :

« Je vous en prie, écrivez bien vite à ma sœur, pour lui demander des nouvelles de ma fille, car je suis dans une inquiétude mortelle ! Je l’ai vue cette nuit en rêve couverte de sang et étendue sans vie sur une route. Un malheur lui est arrivé bien certainement, j’en ai le pressentiment. Or, vous savez qu’en ces sortes de choses je ne me trompe jamais ! »

Mon oncle plaisanta ma mère, et lui dit que sa femme était assez prudente pour ne m’exposer à aucun danger. Le lendemain même, il recevait une lettre écrite de la veille, dans laquelle sa femme lui racontait, avec défense de le dire à ma mère, l’accident qui m’était arrivé.

La nuit même où ma mère m’avait vue couverte de sang, ma tante m’avait emmenée avec trois autres personnes en voiture. Il faisait noir, la lanterne s’était éteinte, et nous nous trouvions en pleine campagne, sans savoir où nous étions, lorsque soudain le cheval qui trottait tranquillement se cabra, se jeta sur une haie qui bordait le chemin, jeta à terre les personnes qui se trouvaient dans la voiture, on ne sait comment, sans la moindre égratignure ; moi seule, qui à ce moment dormais profondément, je fus entraînée par le choc sous le ventre du cheval qui me laboura la figure et la poitrine de ses pieds, et dans les efforts qu’il faisait pour se relever, me déchirait aux cailloux du chemin sur lesquels avait porté plus spécialement le côté droit de ma figure.

Le sang coulait en abondance, j’avais l’oreille déchirée, j’entendais les cris d’appels désespérés et ne pouvais y répondre, car ainsi que je l’ai dit, pas de lumière dans cette nuit noire !.... Enfin, des secours arrivèrent d’une maison peu éloignée, et l’on me retrouva évanouie, dans un état déplorable. Un homme en bras de chemise avait passé devant notre cheval et l’avait effrayé.

G. D.,
58, avenue de Saxe, Paris. [Lettre 625.]

XXIII. — Un matin (j’avais alors dix-sept ans), je m’éveille vers sept heures, et je m’endors de nouveau jusqu’à huit heures, et je rêve que je passais devant une maison où habitait une famille que je connaissais, mais ne fréquentais pas. Cette maison avait un magasin, et je rêvais que je voyais ce magasin fermé avec un papier blanc collé à la porte, sur lequel était écrit « Décès ». Je m’éveille et raconte mon rêve à maman qui me montra le journal sur lequel cette mort venait d’être annoncée. Cette coïncidence ne prouverait-elle pas un certain déplacement de l’âme pendant le sommeil, fait sans lequel je n’aurais pas pu avoir ce rêve, attendu que rien ne me faisait penser à un décès dans cette famille ?

MARIE-LOUISE MILICE,
33, rue Boudet, Bordeaux. [Lettre 661.]

XXIV. — L’une de mes amies, actuellement receveuse des postes à Louvigné-du-Dezert (Ille-et-Vilaine), Mlle Blanche Suzanne, était, il y a peut-être de cela vingt-cinq ans, fiancée à un jeune homme, fils de cultivateurs, qui était entré dans l’enseignement. Un jour, elle rêva que son fiancé lui avait adressé une longue lettre dans laquelle il avait écrit la phrase suivante, ou à peu près : « J’aurais mieux fait de rester à la charrue que d’entrer dans l’enseignement. » Le matin, la jeune fille raconta son rêve à sa mère, citant la phrase, puis se rendit à son travail. Quelques heures après, le facteur vient, apportant pour cette jeune personne une lettre de son fiancé. La phrase du rêve y était écrite intégralement et identiquement.

HENRIETTE FRANÇOIS,
à Bromberg-Posen (Allemagne). [Lettre 662.]

XXV. — Voici ce qui arriva à mon père, conseiller d’État, homme âgé, septuagénaire, lors de son séjour à la campagne, où il était venu prendre un peu de repos. C’était à la Saint-Élie. À la campagne, où il n’y a guère de distractions et de changements, où tous les jours se ressemblent, mon père n’avait plus conscience du temps et avait même oublié que c’était fête. Ce matin-là, en prenant son déjeuner, il nous conte un de ses songes de la nuit précédente : il avait vu sa belle-sœur, qui était loin de lui, demandant si les obsèques de son mari devaient avoir lieu le jour de la Saint-Élie ou un autre jour. En nous contant ce songe, mon père fut très étonné d’apprendre que justement ce jour-là était la Saint-Élie. Après avoir réfléchi et discuté sur l’étrangeté des songes en général, mon père prit le train pour se rendre à la ville, promettant de revenir le même soir. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque ; après son arrivée, nous reçûmes de sa belle-sœur une dépêche nous annonçant la mort de son mari, survenue le jour de la Saint-Élie !

MARIE DE LESLEY,
à Riga-Orel, gouv. de Smolensk (Russie). [Lettre 679.]

XXVI. — J’avais une fille âgée de quinze ans, ma joie, mon orgueil ; j’avais laissé cette enfant avec ma mère, m’absentant pour un petit voyage. Je devais rentrer le 17 mai 1894 chez moi ; or, le 16, je rêve que ma fille est au plus mal, qu’elle m’appelle en pleurant de toutes ses forces, je me réveille très agitée, disant tout songe est mensonge. Dans la journée, je reçois une lettre de ma fille, ne se plaignant pas, me racontant ce qui se passe chez nous. Le lendemain, je rentre chez moi, je ne vois pas ma fille accourir au-devant de moi selon son habitude ; une bonne me dit qu’un mal subit l’a prise, je monte vite, une grande douleur de tête la faisait souffrir, je la fis coucher. Hélas ! elle ne s’est plus relevée : une angine couenneuse se déclara deux jours après, et, malgré tous nos soins, la pauvre enfant s’éteignait le 29 mai. Or, deux nuits avant ce malheur, je m’étais mise sur mon lit, dans un cabinet séparé par une porte, je fermais les yeux et ne dormais pas ; ma fille, elle, s’était assoupie ; la garde veillait. Tout à coup, une vive clarté pénètre dans l’obscurité de la chambre, avec une rapidité et un éclat rappelant le soleil du mois d’août à midi. J’appelle la garde-malade. Elle attendit un instant pour me répondre ; pendant ce temps j’étais déjà auprès du lit de ma fille, la lumière s’était éteinte, la lueur avait disparu. La garde paraissait saisie d’effroi, je l’interrogeai en vain, mais le lendemain elle dit aux personnes de la maison, et elle dit encore à présent, qu’elle a aperçu mon mari, mort six mois auparavant, aux pieds du lit de ma fille. Cette personne vit, elle a quarante-six ans, et elle le répète à qui veut l’entendre.

Mme R. DE L.,
à Lacapelle. [Lettre 683.]

XXVII. — A. L’un de ces derniers jours, j’étais très nerveuse, en songeant à mon défunt mari, mort depuis sept ans, lorsqu’en me mettant au lit, je pris un journal, où je lus une critique sur l’un des livres écrit par M. K....

Après avoir lu cette critique, j’eus un ardent désir de me procurer ce livre, d’autant plus que M. K... était un ancien ami de mon mari.

Le lendemain, en arrivant au collège de jeunes filles où je suis professeur, une des élèves de la classe supérieure m’apporte un livre et dit : « Madame, je voudrais bien que vous lisiez ce livre, et que vous m’en donniez votre avis. » J’ouvre le livre, et je vois que c’était le livre tant désiré par moi à la veille de ce jour.

B. Si ce fait était unique, je l’aurais peut-être passé sous silence, mais pendant la durée de la même semaine il en arriva un second qui me frappa également. J’ai rêvé d’une des élèves, qui était déjà partie dans une autre ville et que je n’ai pas vue depuis un an.

Je l’ai vue dans le rêve avec les cheveux coupés.

Le lendemain, au gymnase, une des élèves de ma classe s’approche de moi et dit : « Madame, j’ai reçu la lettre de mon amie Z..., elle me prie de vous saluer ; elle est très contrariée en ce moment parce qu’on lui a coupé les cheveux.... »

Pourquoi ces deux faits si étranges dans la même semaine ?

M. ONANOFF,
Faganray, mer d’Azov. [Lettre 684.]

On voit que les exemples de vue à distance, en rêve, ne manquent pas. En voici quelques autres encore. Il nous semble bien que ces observations si multipliées rendent toute négation impossible. Ceux-ci sont extraits des Hallucinations télépathiques. Le premier est du Dr Gaodall Janes, demeurant à Liverpool, 6, prince Edwin street.

XXIX. — Mme Jones, femme de William Jones, pilote à Liverpool, gardait le lit le samedi 27 février 1869. Lorsque j’allai chez elle, le lendemain dimanche, à 3 heures de l’après-midi, je rencontrai son mari, qui était en chemin pour venir me chercher, parce que sa femme avait le délire. Il me raconta qu’à peu près une demi-heure auparavant il était à lire dans la chambre de sa femme. Tout d’un coup, elle se réveilla d’un profond sommeil en déclarant que son frère William Roulands, également pilote à Liverpool, s’était noyé dans le fleuve (Mersey). Son mari essaya de la calmer en lui disant que Roulands était à sa station du dehors et qu’il ne pouvait se trouver sur le fleuve à cette heure-ci. Mais elle persista à soutenir qu’elle avait vu qu’il se noyait.

Des nouvelles arrivèrent dans la soirée, annonçant que, vers l’heure mentionnée, c’est-à-dire vers deux heures et demie, Roulands s’était noyé. Il y avait eu un grand coup de vent en mer, le bateau du pilote n’avait pu mettre un pilote à bord d’un bâtiment qui voulait entrer. Il avait donc du le conduire. Lorsqu’on fut dans le fleuve, en face du phare, sur le rocher, le petit bateau se renversa, et Roulands et un autre pilote furent noyés.

C’est également là un exemple frappant de vue à distance, en rêve. L’enquête en a prouvé l’authenticité absolue. Il en est de même du cas suivant signalé par une dame Green, de Newry (Angleterre) :

XXX. — Je voyais deux femmes convenablement habillées, conduisant seules une voiture pareille à une voiture à transporter les eaux minérales. Le cheval trouva de l’eau devant lui, il s’arrêta pour boire, mais ayant manqué de point d’appui, il perdit l’équilibre, et en essayant de le reprendre il glissa dans l’eau. Au choc, les femmes se levèrent, appelant au secours : leurs chapeaux tombèrent de leurs têtes, et tout fut englouti dans l’eau. Je me retournai en pleurant, demandant s’il n’y avait personne pour les secourir. Sur ce je me réveillai, fort agitée, et mon mari se réveilla aussi. Je lui racontai le rêve. Il me demanda si je connaissais les femmes et je lui répondis que non, qu’il me semblait que je ne les avais jamais vues. Pendant toute la journée, je ne réussis pas à me soustraire à l’impression du rêve et de l’inquiétude dans laquelle il m’avait plongée.

Je fis remarquer à mon fils que c’était l’anniversaire de sa naissance, et de la mienne aussi, le 10 janvier, et c’est la raison qui me fait me souvenir exactement de cette date.

Au mois de mars, je reçus une lettre et un journal de mon frère, qui habitait en Australie et qui me faisait part du chagrin qu’il avait eu de perdre une de ses filles, qui s’était noyée avec une amie, précisément à cette date et à cette heure, en tenant compte de la différence des longitudes.

On parle de l’accident dans deux passages différents du journal Inglewood Advertiser.

Le journal Inglewood Advertiser a publié, le 11 janvier 1878, le récit de l’accident, qui correspond exactement à la vue du rêve.

Voici encore un cas bien remarquable de vue à distance en rêve. Le sujet est le fils de l’ancien évêque protestant de Iowa (États-Unis) ; il a vu en rêve, à une distance de près de 5 kilomètres, son père tombant dans un escalier. Voici la relation qu’il écrivait à un de ses parents :

XXXI. — Je dois dire d’abord qu’il y avait entre mon père et moi un lien d’affection plus fort que les liens ordinaires entre père et fils, et depuis des années il me semblait connaître et sentir quand il était en danger, fussions-nous même séparés de plusieurs milles.

La nuit où il tomba dans l’escalier, j’étais revenu de mes affaires, vers 8 heures, après une journée de travail très fatigante, et je m’étais retiré aussitôt après le souper. J’ai l’habitude de me coucher du côté du mur. Nos têtes sont vers le nord, de sorte que je suis sur le côte ouest du lit. Je tombai endormi aussitôt que ma tête toucha l’oreiller et je dormis d’un sommeil lourd et profond. Je n’entendis pas ma femme se coucher et je ne vis rien jusqu’au moment où mon père m’apparut en haut de l’escalier en train de tomber. Je me précipitai pour le saisir et sautais à bas du lit en faisant beaucoup de bruit. Ma femme se réveilla en demandant ce que, diable, je pouvais bien faire. J’avais aussitôt allumé une lampe et vu à ma montre qu’il était 2 heures un quart. Je demandai à ma femme si elle avait entendu le fracas. Elle me répondit négativement. Je lui dis alors ce que j’avais vu, mais elle essaya de m’en faire rire, sans y réussir.

Je ne dormis plus de la nuit, je ne m’étais même pas recouché ; l’impression avait été trop vive pour que je pusse mettre en doute que mon père s’était gravement blessé. J’allai à la ville de bonne heure le matin et télégraphiai à la maison, demandant si tout allait bien : je reçus une lettre de mon père, qui confirmait l’exactitude de ma vision correspondant avec l’événement à la même minute. Le triste résultat de la chute, nous ne le connaissons tous que trop, mais comment à une distance de plus de trois milles je vis mon père tomber, c’est ce que je ne prétends pas expliquer.

H.-M. LEE.

M. Sullivan, évêque d’Algowa, confirme le fait pour l’avoir entendu rapporter immédiatement87.

L’exemple qui précède a été publié par M. Sidgwick dans les Proceedings de la Société psychique de Londres. Il y ajoute le cas suivant envoyé en août 1890 par Mme A. de Holstein (29 avenue de Wagram, Paris). Ce cas est un peu moins satisfaisant comme preuves que le dernier, parce que le rêve ne fut raconté à personne avant que son caractère véridique eût été reconnu ; il semble cependant avoir fait tant d’impression sur le Dr Golinski, qu’il devient improbable que les détails en aient été beaucoup changés plus tard. Il diffère des précédents en ce que l’impression clairvoyante semble avoir été due non à quelque rapport entre l’agent et le sujet ou à quelque crise spéciale subie par l’agent, mais à son anxiété et son désir intense d’avoir du secours. (Ondes psychiques ?)

Voici ce qu’écrit le Dr Golinski, médecin à Krementchug, en Russie :

XXXII. — J’ai l’habitude de dîner vers 3 heures et de faire après ce repas un petit somme d’une heure ou une heure et demie. Au mois de juillet 1888, je me suis étendu comme d’habitude sur un canapé et je me suis endormi à peu près à 3 heures 30. J’ai rêvé qu’on sonnait et que j’avais la sensation ordinaire un peu désagréable qu’il fallait me lever et aller chez un malade. Puis je me suis vu directement transporté dans une petite chambre aux tentures sombres. À droite de la porte d’entrée se trouvait une commode, et sur cette commode je remarquai une bougie ou une petite lampe à pétrole d’une forme particulière. Je suis vivement intéressé de la forme de cette bougie différente de toutes celles qu’il m’était arrivé de voir. À gauche de la porte d’entrée, je vois un lit dans lequel est couchée une femme qui a une forte hémorragie. Je ne sais pas comment je suis parvenu à savoir qu’elle a une hémorragie, mais je le sais. Je fais un examen de la femme, mais en quelque sorte par acquit de conscience, car je sais d’avance à quoi m’en tenir, quoique personne ne me parle. Ensuite je rêve d’une façon vague de quelques secours médicaux que je donne, puis je m’éveille d’une manière inhabituelle. Ordinairement je me réveille lentement, je reste quelques minutes dans un état d’assoupissement, mais cette fois je me suis réveillé presque en sursaut, comme si quelqu’un m’avait éveillé. Il était 4 heures et demie.

Je me suis levé, j’ai allumé une cigarette, et je me promenai par la chambre dans un état d’excitation toute particulière, réfléchissant au rêve que je venais de faire. Depuis assez longtemps, je n’avais pas eu de cas d’hémorragie d’aucun genre dans ma clientèle et je me demandais quelle pouvait être la cause de ce rêve.

Environ dix minutes après mon réveil, on sonna et je fus appelé chez une malade. En entrant dans la chambre à coucher, je fus saisi, car je reconnus la chambre dont je venais de rêver. C’était une femme malade, et ce qui me frappa surtout, ce fut une bougie à pétrole placée sur la commode, absolument à la même place, et de la même forme que dans mon rêve, et que je voyais pour la première fois. Mon étonnement fut si grand que j’ai, pour ainsi dire, perdu la distinction nette entre le rêve passé et la réalité présente, et, m’approchant du lit de la malade, je lui dis tranquillement : « Vous avez une hémorragie, » et je ne revins à moi que lorsque la malade me répondit : « Oui, mais comment le savez-vous ? »

Frappé de la coïncidence étrange de mon rêve avec ce que j’ai vu, j’ai demandé à la malade à quelle heure elle avait décidé de m’envoyer chercher. Elle me répondit qu’elle était indisposée depuis le matin. À peu près à l’heure de l’après-midi apparut une légère hémorragie suivie de malaise, mais elle n’y fit pas attention. L’hémorragie devint très forte vers 2 heures, et la malade s’inquiéta davantage. Son mari n’étant pas à la maison, elle ne savait que faire, et elle se coucha, espérant que cela s’arrêterait. Entre 3 et 4 heures elle était toujours indécise et dans une grande anxiété. À peu près à 4 heures et demie, elle se décida à m’envoyer chercher. La distance entre ma maison et la sienne est de vingt minutes de marche. Je ne connaissais la malade que pour l’avoir soignée dans le temps, mais je ne savais rien de l’état actuel de sa santé. — En général, je ne rêve pas souvent et c’est le seul rêve de ma vie dont je me souvienne, grâce à son caractère véridique.

Mme Henry Sidgwick a décrit88 plusieurs expériences de vue à distance par une jeune fille de quinze ans magnétisée, que l’on peut certainement adjoindre aux observations faites dans les rêves. Nous citerons ici deux de ces expériences.

XXXIII. — Miss Florence F..., maintenant Mme R..., une voisine, fut invitée à venir un soir, après avoir préparé une expérience comme épreuve pendant la journée. Elle arriva et ordonna au sujet d’aller à la cuisine et de lui dire ce qu’elle voyait. Le sujet répondit : « La table est au milieu de la pièce, et dessus il y a une boîte couverte d’une nappe. — Qu’y a-t-il dans la boîte, Fannie ? demandai-je. — Oh ! Je n’ose pas regarder dans la boîte ! Miss Florence serait peut-être furieuse. — Miss Florence veut bien que vous regardiez. Enlevez la nappe, Fannie, et dites-moi ce qu’il y a. » Tout de suite elle répondit : « Il y a sept pains et seize biscuits. » (C’était exact)

Je veux bien que ce soit de la communication de pensée, parce que miss Florence était dans la chambre, et sans nul doute les faits étaient tout à fait présents à son esprit, les choses ayant été arrangées par elle comme épreuve ; mais ce qui suit n’en est certainement pas.

Miss Florence demandais à Fannie ce qu’il y avait dans l’écurie. Elle répondit : « Deux chevaux noirs, un gris et un rouge. » (Elle voulait dire un bai.) Miss Florence : « Ce n’est pas ça, Fannie : il n’y a que mes chevaux noirs à l’écurie. » Dix ou quinze minutes après, un frère de miss Florence vint à la maison et dit à sa sœur qu’il y avait des voyageurs à la maison, et en le questionnant nous apprîmes que le cheval gris et le « rouge » leur appartenaient, et qu’ils avaient été à l’écurie il y avait une demi-heure, quand Fannie les signala.

Sans doute, on peut avancer la théorie que Fannie arriva à cette connaissance par l’intermédiaire de l’esprit de quelqu’une des personnes se trouvant alors chez miss Florence, ou que, par sympathie télépathique avec son frère ou son père, miss Florence était inconsciemment prévenue des faits et que Fannie prit son renseignement à cette source inconsciente ; mais cette hypothèse n’est-elle pas un peu alambiquée ?

XXXIV. — A. M. Howard demeurait à six milles de chez moi. Il venait de faire construire une grande maison en bois. Notre sujet n’avait jamais vu cette maison, bien que, je pense, il ait pu en avoir entendu parler. M. Howard venait de passer quelques jours hors de chez lui et demanda que Fannie y allât et vît si tout était bien. Elle s’exclama à la grandeur de la maison, mais elle se moqua de la laideur de la clôture de la façade, disant qu’elle ne voudrait pas avoir une aussi vieille et horrible clôture devant une si belle maison. — « Oui, dit Howard en riant, ma femme m’en veut à mort pour la clôture et les marches de la façade. — Oh ! interrompit Fannie, les marches sont belles et neuves. — Elle n’y est plus, dit Howard, les marches sont encore plus laides que la clôture. — Ne voyez-vous pas, s’écria Fannie avec impatience, comme elles sont neuves et propres ? Hein ! (et elle semblait absolument révoltés, à en juger par son ton). Je les trouve vraiment belles. »

Changeant de sujet, Howard lui demanda combien de fenêtres il y avait à la maison. Presque immédiatement elle en donna le nombre (je crois que c’était vingt-six). Howard pensait que c’était trop, mais en comptant avec soin, il trouva que c’était exact.

De chez moi, il alla directement chez lui, et, à sa grande surprise, trouva que, pendant son absence, sa femme s’était servie d’un charpentier qui avait construit de nouvelles marches pour le perron, et le travail avait été terminé un jour ou deux avant que Fannie examinât les lieux avec son invisible télescope.

B. Le fils de M. Howard était allé dans un comté voisin et l’on n’attendait pas son retour avant quelques jours. Fannie connaissait ce jeune homme (André). M. Howard, étant obligé de retourner à la station, était encore avec nous le soir suivant. Sa foi dans notre « oracle » avait pris de plus grandes proportions, et il nous suggéra de faire une visite chez lui par le moyen des merveilleuses facultés de Fannie. Elle décrivit les chambres parfaitement, jusqu’à un bouquet sur une des tables, et dit que plusieurs personnes jeunes étaient là. Interrogée sur leurs noms, elle répondit qu’elle n’en connaissait aucune, sauf André. « Mais, dis-je, André n’est pas à la maison. — Comment ! Ne le voyez-vous pas ? — Vous êtes sûre ? — Oh ! Est-ce-que je ne connais pas André ? Là, vous dis-je, il est là. »

M. Howard rentra chez lui le matin suivant et constata qu’André était rentré tard la veille et que plusieurs jeunes gens du voisinage avaient passé la soirée avec lui.

Voici un autre cas, très remarquable, de vue à distance par un sujet magnétisé. Le récit en a été fait d’abord par le Dr Alfred Backman, de Kalmar.

En réponse à une lettre demandant à M. A Suhr, photographe à Ystad, en Suède, s’il pouvait se rappeler quelque chose d’une expérience hypnotique faite par M. Hansen, il y a plusieurs années, en présence des frères Suhr, le Dr Backman reçut le récit suivant.

XXXVI. — C’est en 1867 que nous, les frères soussignés, nous sommes établis à Odensa (en Danemark), où nous voyions très souvent notre ami commun, M. Carl Hansen, l’hypnotiseur, qui habitait près de nous. Nous rencontrions journellement un homme de loi, M. Balle, maintenant avocat à Copenhague, sur lequel Hansen avait une grande influence hypnotique, et qui désira, un soir, être endormi d’un sommeil assez profond pour devenir clairvoyant.

Notre mère habitait à cette époque Roeskilde, en Seeland. Nous demandâmes à Hansen d’envoyer Balle la visiter. Il était tard dans la soirée, et, après avoir un peu hésité, M. Balle fit le voyage en quelques minutes. Il trouva notre mère souffrante et au lit ; mais elle n’avait qu’un léger rhume qui devait passer au bout de peu de temps. Nous ne croyions pas que ceci fût vrai, et, comme contrôle, Hansen demanda à Balle de lire au coin de la maison le nom de la rue. Balle disait qu’il faisait trop sombre pour pouvoir lire ; mais Hansen insiste, et il lut « Skomagerstraede ». Nous pensions qu’il se trompait complètement, car nous savions que notre mère habitait dans une autre rue. Au bout de quelques jours, elle nous écrivit une lettre dans laquelle elle nous disait qu’elle avait été souffrante et s’était transportée dans Skomagerstraede.

Autre cas encore de vue à distance, d’un fait actuel, en rêve.

XXXVII. — J’habitais Wallingford. Mon meilleur ami était un jeune homme nommé Frédéric Marks, gradué de l’école scientifique de Yale. Frédéric avait un frère nommé Charles, qui habitait alors l’État central de New-York, près du lac Oneida. Un jour qu’il pleuvait, l’après-midi, Frédéric monta dans sa chambre pour s’étendre et paresser. Une heure après environ, il descendit, disant qu’il venait de voir son frère Charles, dans une vision, croyait-il. Celui-ci était dans un petit bateau à voile, et avait avec lui un compagnon assis à l’arrière. Il faisait une forte tempête, car les vagues étaient énormes. Charles se tenait à l’avant, étreignant le mât avec un de ses bras, tandis que de l’autre il saisissait le beaupré qui s’était brisé. Sa position dangereuse effraya tellement Frédéric qu’il s’éveilla ou que la vision disparut. Dans sa famille, on pensa qu’il s’était endormi inconsciemment et qu’il n’avait fait que rêver.

Cependant, trois ou quatre jours après, Frédéric reçut une lettre de Charles racontant une aventure qu’il venait d’avoir sur le lac Oneida. Le matin du jour en question, lui et un camarade allèrent au lac, louèrent un bateau, et mirent à la voile. Comme le temps était beau, ils descendirent le lac jusqu’à l’île Frenchman, à une distance d’environ vingt milles.

L’après-midi, comme ils retournaient, une tempête furieuse s’éleva. Charles s’occupa de vider l’eau, pendant que son compagnon tenait le gouvernail. Au plus fort de la tempête, le beaupré se cassa. Charles, voyant le danger, sauta à l’avant du bateau, et, saisissant le mât d’une main, le beaupré de l’autre, essaya d’amarrer celui-ci. Ils réussirent à empêcher le bateau de couler, mais il finit par échouer. Ils sautèrent dans l’eau et atteignirent le bord, sains et saufs.

Le lac Oneida est à trois cents milles environ de Wallingford, et, en tenant compte de la différence de l’heure, on trouva que l’accident et la vision ou le rêve de Frédéric devaient avoir eu lieu à la même heure, peut-être à la même minute. Les tempéraments et les caractères de ces deux frères sont dissemblables, et aucune affinité particulière ne paraît exister entre eux. Frédéric habite maintenant Santa-Anna (Californie) et Charles la ville de New-York.

B. BRISTOL.
Short Beach (États-Unis).

Des lettres de MM. Charles et Frédéric Marks expliquent en détail le péril et la vision. On les trouvera dans les Annales des sciences psychiques (1892, p. 250-255). Il y a là, à n’en pouvoir douter, un cas de vue à distance bien certain. Remarquons dans la lettre de M. Charles Marks le passage suivant :

En réponse à cette question : « Avez-vous su que votre frère croyait vous voir en ce moment ? » je répondrai qu’autant que je me le rappelle, je n’ai pas eu conscience que mon frère me voyait. Je crois que toute ma pensée, toute mon attention était occupée par ce que faisais, lorsque, me levant sur le banc, j’essayais de baisser la voile, à cet instant où mon frère me vit lui apparaître. Connaissant les habitudes de mon frère (c’est un homme exceptionnellement fort et bien portant), je pense qu’à ce moment il devait dormir, car avec sa robuste constitution, quand il en a envie, il peut s’endormir presque instantanément pendant le jour, et assez souvent il se livre à la sieste l’après-midi. Pendant son séjour à Wallingford, il était étudiant à l’École scientifique de Yale (Sheffield).

C. R. MARKS.

Toutes ces relations prouvent avec certitude que l’être humain est doué de facultés encore inconnues lui permettant de voir ce qui se passe au loin. Voici un exemple beaucoup plus remarquable encore, dans lequel la personne qui a joué le principal rôle a non seulement vu, mais paraît s’être transportée elle-même en une sorte de double et a été vue non seulement par son mari, mais encore par un autre témoin.

XXXVIII. — Le 3 octobre 1863, je quittai Liverpool pour me rendre à New-York par le steamer City-of-Limerick, de la ligne Inman, capitaine Jones. Le soir du second jour, peu après avoir quitté Kinsale Head, une grande tempête commença, qui dura neuf jours. Pendant tout ce temps, nous ne vîmes ni le soleil ni les étoiles, ni aucun vaisseau ; les garde-corps furent emportés par la violence de la tempête, une des ancres fut arrachée de ses amarres et fit beaucoup de dégâts avant qu’on pût la rattacher. Plusieurs voiles fortes, bien qu’étroitement carguées, furent emportées et des boute-hors brisés.

Pendant la nuit qui suivit le huitième jour de la tempête, il y eut un peu d’apaisement, et pour la première fois depuis que j’avais quitté le port, je pus jouir d’un sommeil bienfaisant. Vers le matin, je rêvai que je voyais ma femme que j’avais laissée aux États-Unis. Elle venait à la porte de ma chambre, dans son costume de nuit. Sur le seuil, elle sembla découvrir que je n’étais pas seul dans la Chambre, hésita un peu, puis s’avança à côté de moi, s’arrêta et m’embrassa, et, après m’avoir caressé pendant quelques instants, elle se retira tranquillement.

Me réveillant, je fus surpris de voir mon compagnon dont la couchette était au-dessus de moi, mais pas directement, — parce que notre chambre était à l’arrière du bâtiment — s’appuyant sur son coude et me regardant fixement. « Vous êtes un heureux gaillard, me dit-il enfin, d’avoir une dame qui vient vous voir comme ça. » Je le pressai de m’expliquer ce qu’il voulait dire ; il refusa d’abord, mais me raconta enfin ce qu’il avait vu, étant tout à fait éveillé et accoudé sur sa couchette. Cela correspondait exactement avec mon rêve.

Le nom de ce compagnon était William J. Tait, il n’avait pas un caractère à plaisanter habituellement, mais c’était au contraire un homme posé et très religieux et dont le témoignage peut être cru sans hésiter.

Le lendemain du débarquement, je pris le train pour Watertown, où se trouvaient ma femme et mes enfants. Lorsque nous fûmes seuls, sa première question fut : « Avez-vous reçu ma visite il y a une semaine, mardi ? — Une visite de vous, dis-je, nous étions à plus de 1000 milles sur la mer ! — Je le sais, répliqua-t-elle, mais il m’a semblé vous avoir rendu visite. — C’est impossible, dites-moi ce qui vous fait croire cela. »

Ma femme me raconta alors qu’en voyant la tempête et apprenant la perte de l’Africa, parti pour Boston le jour où nous avions quitté Liverpool pour New-York, et qui avait échoué au cap Race, elle avait été extrêmement inquiète sur mon sort. La nuit précédente, la même nuit où, comme je l’ai dit, la tempête avait commencé à diminuer, elle était restée éveillée longtemps en pensant à moi, et environ vers 4 heures du matin, il lui sembla qu’elle venait me trouver. Traversant la vaste mer en fureur, elle rencontra enfin un navire bas et noir, monta à bord et descendant sous le pont, traversant les cabines jusqu’à l’arrière, arriva à ma chambre : « Dites-moi, ajouta-t-elle, a-t-on toujours des chambres comme celle que j’ai vue, où la couchette supérieure est plus en arrière que celle d’en dessous. Il y avait un homme dans celle de dessus qui me regardait fixement, et pendant un instant j’eus peur d’entrer, mais enfin je m’avançai à côté de vous, me penchai, vous embrassai et vous serrai dans mes bras, puis je m’en allai. »

La description donnée par ma femme était correcte dans tous ses détails, bien qu’elle n’eût jamais vu le bateau. Je trouve dans le journal de ma sœur que nous partîmes le 4 octobre, arrivâmes à New-York le 22 et à la maison le 23.

S. R. WILMOT,
manufacturier à Bridgeport.

Le New York Herald indique que la City-of-Limerick quitta Liverpool le 5 octobre 1863, Queens-town le 5, arriva de bonne heure le matin du 22 octobre 1863, et signale la tempête ainsi que la situation critique du navire et le naufrage de l’Africa. L’enquête a confirmé de diverses façons cet étrange récit. La sœur de M. Wilmot, qui voyageait sur le même bateau, écrit notamment :

Au sujet du si curieux phénomène éprouvé par mon frère lors de notre voyage sur le Limerick, je me rappelle que M. Tait, qui ce matin-là me conduisait déjeuner à cause du terrible cyclone qui faisait rage, me demanda si la nuit dernière j’étais venue voir mon frère, dont il partageait la même chambre. « Non, répondis-je, pourquoi ? — Parce que j’ai vu une femme en blanc qui est venue voir votre frère. »

Mme Wilmot a écrit de son côté :

Bridgeport, 27 février 1890.

En réponse à la question : « Avez-vous remarqué quelques détails sur l’homme que vous avez vu dans la couchette supérieure ? » Je ne puis pas, si longtemps après, dire avec certitude que j’aie remarqué des détails, mais je me rappelle distinctement que je me sentis très troublée par sa présence en le voyant ainsi nous regarder d’en haut.

Je crois que je racontai mon rêve à ma mère le lendemain matin ; et je sais que toute la journée j’eus le sentiment très net d’avoir été voir mon mari. L’impression était si forte que je me sentais heureuse et réconfortée d’une manière inusitée — et à ma grande surprise.

Mme S. R. WILMOT89.

Ce cas très remarquable mérite une attention particulière. Il est un peu ancien : le récit a été écrit probablement plus de vingt ans après l’événement, un des témoins est mort et ne peut donner un rapport de première main de ce qu’il observa. On ne peut affirmer qu’après si longtemps la mémoire des témoins, toute bonne qu’elle reste, soit exacte, ni qu’on puisse se fier à tous les détails. Cependant, après avoir fait toutes les réserves, il est incontestable qu’il y a eu une remarquable correspondance entre les impressions des trois personnes, Mme Wilmot a — rêvant ou éveillée — une vision de son mari dans laquelle elle perçoit exactement une partie de ce qui l’entoure ; M. Wilmot rêve ce que sa femme pense et, de plus, la voit et la sent ; et M. Tait éveillé voit de ses yeux le rêve de M. Wilmot. Voilà trois faits inexplicables qu’il faut admettre. Quant aux doubles, aux manifestations du corps fluidique ou astral, c’est là un sujet sur lequel nous aurons à revenir plus tard.

M. Marcel Séméziès Sérizolles rapporte les curieuses observations suivantes faites sur lui-même90.

XXXIX. — En novembre 1881, j’eus un rêve très lucide pendant lequel je lisais un volume de vers. J’éprouvais les sensations exactes de la lecture réelle, non seulement je comprenais ce que je lisais, j’en jouissais, mais encore mes yeux remarquaient le gros grain du papier, un peu jaune, l’impression très noire et assez grasse, mes doigts tournaient les feuilles épaisses et ma main gauche soutenait le volume assez lourd.

Tout d’un coup, au tournant d’une page, je m’éveillai, et machinalement, à moitié dormant encore, j’allumai ma bougie, je pris sur ma table le crayon et les papiers qui y étaient toujours à côté du livre à lire le soir (c’était ce jour-là un ouvrage d’histoire militaire), et j’écrivis les deux dernières strophes que je venais de lire dans ce volume de rêve.

Il me fut impossible, malgré de très violents et douloureux efforts de mémoire, de me rappeler un seul vers en dehors de ces douze qui paraissaient traiter une question de métaphysique et dont le sens reste incomplet, la période étant inachevée. Les voici, tels que je les crayonnai alors :

Du temps où je vivais une vie antérieure,
Du temps où je menais l’existence meilleure,
          Dont je ne puis me souvenir,
Alors que je savais les effets et les causes,
Avant ma chute lente et mes métamorphoses
          Vers un plus triste devenir ;

Du temps où je vivais les hautes existences,
Dont hommes nous n’avons que des réminiscences
          Rapides comme des éclairs,
Où peut-être j’allais libre à travers l’espace,
Comme un astre laissant voir un instant sa trace
          Dans le bleu sombre des éthers....

Ces vers ne sauraient être une réminiscence de lecture, je les ai cherchés sans les rencontrer dans tous les recueils parus : c’était bien un volume inédit, et resté inconnu que je lisais dans ce songe.

Voici maintenant un ou deux cas de pressentiments ou de divination par le rêve.

Vers 1880, mon père étant magistrat à Montauban, il y avait au tribunal, un avoué nommé Laporte. Je le vois encore, mince, blond, des yeux froids, quelque chose d’énigmatique. Il est à noter que j’étais alors très jeune homme, que les gens de robe m’intéressaient peu et que je n’avais avec eux que les relations de courtoisie stricte que doit entretenir un fils de magistrat avec tous les membres du tribunal. En 1883, mon père mourut, et peu après l’avoué Laporte fut nommé juge à Nontron (Dordogne). J’y fis à peine attention et j’avais perdu complètement le souvenir de ce magistrat, lorsque, deux ou trois années plus tard, une nuit, en rêve, je vis mon père se promener dans un endroit vague, une sorte de sol tremblant qui semblait flotter sur des nuages. Mon père, attitude, vêtements, démarche, sourire, était tel qu’avant sa mort. Tout d’un coup, je vis une forme sortir des nuages du fond et s’avancer vers lui. Cette forme prit peu à peu l’apparence réelle de M. Laporte, et lorsque les deux ombres se trouvèrent l’une près de l’autre, j’entendis très distinctement ces mots prononcés par mon père « Tiens, vous voilà, Laporte, c’est donc votre tour ? » À quoi M. Laporte répondit simplement : « Mais oui, c’est bien moi, » et ils se serrèrent les mains.

Or, quelques jours plus tard, je trouvai dans mon courrier un billet de faire part : M. Laporte, juge à Nontron (Dordogne) était mort, très jeune, le jour même où j’avais eu ce rêve.

Un autre cas, presque semblable, mais moins funèbre. De celui-là, j’ai conservé la date, 18 décembre 1894. Dormant et rêvant, j’aperçus dans son étude, compulsant des dossiers, un notaire habitant une petite ville, distante d’environ 20 kilomètres du chef-lieu où je vivais alors. Ce notaire avait entre les mains des capitaux à moi, et d’habitude il se présentait chez moi une ou deux fois l’an, à des époques irrégulières, m’apportant les intérêts échus. Je le répète, ses visites n’avaient aucune date fixe, et je ne voyais jamais ce notaire, homme très honorable, conseiller général, maire et décoré, que très correct de tenue et presque élégant. Cette nuit-là, je le vis vêtu d’une longue redingote bleue et coiffé d’une calotte de soie noire. Or, le surlendemain, 20 décembre, dans la matinée, M. X... se présentait dans mon cabinet de travail et me remettait une somme arriérée et inattendue.

« Eh bien, lui dis-je, qu’avez-vous fait de votre redingote bleue et de votre calotte de soie noire ? »

Il me regarda avec la plus vive surprise et me répondit : « Mais comment donc connaissez-vous si bien mon costume d’intérieur ? »

Je lui contai mon rêve et il m’avoua alors, non sans étonnement, que le 18 décembre, il avait en effet veillé fort tard dans son étude et qu’il portait les vêtements par moi décrits.

De ces trois rêves, le dernier indique une vue à distance d’un fait actuel, le second est une sorte de manifestation télépathique de mourant, mais qui ne doit pas venir de lui, assez étranger au percipient : c’est peut-être encore de la vue à distance, mais d’un ordre bien transcendant. Le premier paraît indiquer une composition, une invention réelle, de l’esprit de l’auteur, analogue aux produits de cérébration inconsciente signalés plus haut (Maury, Condillac, Voltaire, Tartini, Abercrombie, p. ***-***).

À propos des songes, le fait historique suivant est connu depuis longtemps :

XLII. — Une nuit, la princesse de Conti vit en songe un appartement de son palais prêt à s’écrouler, et ses enfants, qui y couchaient, sur le point d’être ensevelis sous les ruines. L’image présentée à son imagination remua son cœur et tout son sang. Dans sa frayeur, elle s’éveilla en sursaut et appela les femmes qui dormaient dans sa garde-robe. Elles vinrent au bruit recevoir les ordres de leur maîtresse. Elle leur raconte sa vision, et déclare qu’elle veut absolument qu’on lui apporte ses enfants. Ses femmes lui résistent en citant l’ancien proverbe : que tous songes sont mensonges. La princesse renouvelle son ordre avec instance. La gouvernante et les nourrices firent semblant d’obéir ; puis revinrent sur leurs pas dire que les jeunes princes dormaient tranquillement, et que ce serait un meurtre de troubler leur repos. La princesse, voyant leur obstination et peut-être leur tromperie, demanda fièrement sa robe de chambre. Il n’y eut plus moyen de reculer ; on fut chercher les jeunes princes, qui furent à peine dans la chambre de leur mère que la chambre où ils dormaient s’écroula91.

La vue à distance, sans les yeux, en rêve, ressemble, par une analogie très étroite, à ce qui a maintes fois été constaté par les magnétiseurs sur leurs sujets « lucides ». Voici un exemple incontestablement authentique observé par plusieurs médecins à propos de l’ablation du sein opérée sans douleur pendant le sommeil magnétique, rapportée par Brierre de Boismont.

XLIII. — Mme Plantin, âgée d’environ 64 ans, écrit-il (obs. 106), avait consulté, au mois de juin 1828, une somnambule que le Dr Chapelain lui avait procurée ; celle-ci l’avait prévenue qu’une glande se formait sous son sein droit et menaçait de devenir cancéreuse.

La malade passa l’été à la campagne, et suivit avec peu d’exactitude le régime qu’on lui avait prescrit. Elle revint à la fin de septembre voir le Dr Chapelain, et lui avoua que la glande avait considérablement augmenté. Il commença à la magnétiser le 23 octobre suivant et le sommeil se manifesta peu de jours après ; mais le somnambulisme lucide chez elle ne fut jamais que très imparfait. Les soins donnés ralentirent les progrès du mal sans le guérir. Enfin le sein s’ulcéra, et le docteur jugea qu’il n’y avait d’espoir de salut que dans l’amputation. M. Jules Cloquet, chirurgien d’un rare mérite, fut du même avis ; il restait encore à décider la malade ; le Dr Chapelain y parvint, grâce à l’influence magnétique qu’il exerçait sur elle. Il travailla de toute la puissance de sa volonté à produire l’insensibilité de l’organe, et quand il crut y avoir réussi, il pinça fortement avec ses ongles, sans causer de douleurs, le bout du sein dont on devait faire l’ablation. La malade ignorait le jour précis de l’opération, qui fut le 12 avril 1829. Le Dr Chapelain la fit entrer dans l’état magnétique ; il magnétisa fortement la partie sur laquelle on allait agir.

Voici le rapport qui fut fait à ce sujet à l’Académie de médecine92.

« Le jour fixé pour l’opération, M. Cloquet, en arrivant à dix heures et demie, trouva la malade habillée et assise dans son fauteuil, dans l’attitude d’une personne paisiblement livrée au sommeil naturel. Il y avait à peu près une heure qu’elle était revenue de la messe qu’elle entendait habituellement à la même heure, et M. Chapelain l’avait mise dans le sommeil magnétique depuis son retour. La malade parla avec beaucoup de calme de l’opération qu’elle allait subir. Tout étant disposé pour l’opération, elle se déshabilla elle-même et s’assit sur une chaise.

« M. Pailloux, élève interne de l’hôpital Saint-Louis, fut chargé de présenter les instruments et de faire les ligatures.

« Une première incision, partant du creux de l’aisselle, fut dirigée au-dessus de la tumeur jusqu’à la face interne de la mamelle. La seconde, commencée au même point, cerna la tumeur par en bas et fut conduite à la rencontre de la première ; les ganglions engorgés furent disséqués avec précaution, à raison de leur voisinage de l’artère axillaire, et la tumeur fut extirpée. La durée de l’opération a été de dix à douze minutes.

« Pendant tout ce temps, la malade a continué à s’entretenir tranquillement avec l’opérateur, et n’a pas donné le plus léger signe de sensibilité ; aucun mouvement dans les membres ou dans les traits, aucun changement dans la respiration, ni dans la voix ; aucune émotion, même dans le pouls, ne se sont manifestés. La malade n’a pas cessé de présenter cet état d’abandon et d’impassibilité automatique qu’elle offrait à l’arrivée de M. Cloquet. Lorsque le chirurgien a lavé la peau aux environs de la plaie ; avec une éponge imbibée d’eau, la malade manifesta des sensations semblables à celles produites par le chatouillement et dit plusieurs fois avec hilarité : « Ah ! finissez, ne me chatouillez pas. »

Cette dame avait une fille mariée à M. Lagandée, malheureusement elle habitait la province, et ne put se rendre à Paris que quelques jours après l’opération. Mme Lagandée entrait en somnambulisme et était douée d’une lucidité très remarquable.

XLIV. — « M. Cloquet pria le Dr Chapelain de mettre Mme Lagandée en état magnétique et lui fit plusieurs questions sur sa mère. Elle lui répondit comme il suit : Ma mère est très affaiblie depuis quelques jours ; elle ne vit plus que par le magnétisme, qui la soutient artificiellement : il lui manque de la vie. — Croyez-vous qu’on puisse soutenir la vie de votre mère ? — Non, elle s’éteindra demain matin de bonne heure, sans agonie, sans souffrance. — Quelles sont donc les parties malades ? — Le poumon droit est rétréci, retiré sur lui-même ; il est entouré d’une membrane comme de la colle ; il nage au milieu de beaucoup d’eau. Mais c’est surtout là, dit la somnambule en montrant l’angle inférieur de l’omoplate, que ma mère souffre. Le poumon droit ne respire plus, il est mort. Le poumon gauche est sain : c’est par lui que ma mère vit. Il y a un peu d’eau dans l’enveloppe du cœur (le péricarde). — Comment sont les organes du bas-ventre ? — L’estomac et les intestins sont sains, le foie est blanc et décoloré à la surface. »

M. Chapelain magnétisa la malade plusieurs fois dans la journée du lundi, et parvint à peine à la faire sommeiller. Quand il revint le mardi, vers sept heures du matin, elle venait d’expirer. Les deux docteurs désiraient vérifier les déclarations de la somnambule sur l’état intérieur du corps ; ils obtinrent le consentement de la famille pour en faire l’autopsie. M. Moreau, secrétaire de la section de chirurgie de l’Académie, et M. le Dr Dronsart furent priés d’en être les témoins, et il fut arrêté qu’elle se ferait le lendemain en leur présence. Il y fut procédé par M. Cloquet et par M. Pailloux, son aide, assistés du Dr Chapelain. Celui-ci endormit Mme Lagandée un peu avant l’heure fixée pour l’autopsie. Je ne rapporterai pas une scène de tendresse et de pitié filiale, pendant laquelle cette somnambule baigna de ses larmes le visage inanimé de sa mère.

Le Dr Chapelain se hâta de la calmer. Les médecins désirèrent entendre de sa bouche même ce qu’elle avait déclaré voir dans l’intérieur du corps de Mme Plantin, et la somnambule répéta, d’une voix ferme et sans hésiter, ce qu’elle avait déjà annoncé à MM. Cloquet et Chapelain. Ce dernier la conduisit alors dans le salon qui touche à la chambre où on allait faire l’ouverture, et dont la porte fut exactement fermée. Mme Lagandée était toujours en somnambulisme, et malgré les barrières qui la séparaient de ces messieurs, elle suivait le bistouri dans la main de l’opérateur, et disait aux personnes restées près d’elle : « Pourquoi fait-on l’incision au milieu de la poitrine, puisque l’épanchement est à droite ? »

Les indications données par la somnambule furent trouvées exactes, et le procès-verbal d’autopsie fut écrit par le Dr Dronsart.

Les témoins de ce fait, ajoutait B. de Boismont, sont tous vivants ; ils occupent dans le monde médical un rang honorable. On a interprété de différentes manières leur communication, mais ont n’a jamais élevé de doute sur leur véracité.

Ainsi, voilà une observation incontestable de vue magnétique sans l’intermédiaire des yeux. Elle est encore plus remarquable que cette ablation du sein sans douleur, que nous avons rapportée, parce que c’est la première opération magnétique médicale qui ait été faite. B. de Boismont ajoute le cas suivant à propos de cette vue à distance.

XLV. — Un magistrat, conseiller à la Cour, m’a raconté le fait suivant. Son épouse avait une femme de chambre d’une santé languissante. Le traitement magnétique se faisait secrètement, car ses intentions charitables ne l’eussent pas mise à l’abri des plaisanteries. Cette dame se faisait aider par son mari. Un jour que la séance magnétique avait été accompagnée de fortes douleurs, la somnambule demanda du vin vieux : le mari prit un flambeau et sortit pour en aller chercher. Il descendit le premier étage sans accident ; mais la cave était située assez profondément au-dessous du sol, les marches étaient humides, il glissa à moitié de l’escalier, et tomba en arrière sans se blesser et même sans éteindre la lumière qu’il tenait à la main. Cela ne l’empêcha pas ensuite de continuer sa route et de remonter avec le vin demandé. Il trouva sa femme instruite de sa chute et de tous les détails de son voyage souterrain : la somnambule les lui avait racontés à mesure qu’ils étaient arrivés.

Autre exemple de vue magnétique à distance, tiré du même auteur.

XLVI. — J’ai connu la femme d’un colonel de cavalerie que son mari magnétisait, et qui devint somnambule ; dans le cours du traitement, une indisposition le contraignit à se faire aider par un officier de son régiment. Cela ne dura que huit ou dix jours. Quelque temps après, dans une séance magnétique, le mari, ayant mis sa femme en somnambulisme, il l’engagea à s’occuper de cet officier : « Ah ! le malheureux, s’écria-t-elle, je le vois, il est à X..., il veut se tuer ; il prend un pistolet, courez vite.... » Le lieu indiqué était à une lieue ; on monta sur-le-champ à cheval ; mais quand on arriva, le suicide était consommé.

Voici encore une relation de cas curieux de lucidité en somnambulisme, extraits de l’une des dernières lettres reçues dans mon enquête :

XLVII. — Je suis très incrédule quant au spiritisme, et j’étais très sceptique sur le magnétisme, lorsqu’un fait de la plus haute évidence vint m’éclairer et forcer ma conviction sur ce dernier point.

Une demoiselle de trente-six ans, très honorable, d’une distinction et d’une instruction supérieures, vivant dans ma famille, fut atteinte d’un kyste de l’ovaire, et résistait aux médecins qui lui conseillaient de se faire opérer. En 1868, elle fut prise un jour de douleurs terribles, et le docteur B... appelé, craignant une issue fatale après une crise de trente heures, se décida à essayer, en désespoir de cause, de la magnétiser. Il réussit à l’endormir et à adoucir ses souffrances.

Le traitement ainsi continué calma beaucoup la malade et dès la deuxième séance se produisirent des phénomènes de lucidité absolument remarquables. Chaque fois la malade indiquait avec une extrême précision le jour, l’heure et la minute exacte ou devait recommencer un nouvel accès, à des intervalles très irréguliers et s’éloignant de plus en plus. Le médecin averti notait soigneusement ces indications de façon à arriver avant le commencement de la crise et à magnétiser la patiente, qui se trouvait rapidement soulagée.

Une nuit, vers 3 heures du matin, le médecin étant malade, la crise annoncée se produisit et se développa avec une intensité effrayante. La religieuse qui la gardait sachant qu’à la suite de ces constatations j’avais étudié les phénomènes magnétiques dans les ouvrages de Deleuze et du baron du Potet, me suggéra d’essayer de suppléer le docteur absent. En effet, je parvins rapidement à l’endormir et à la calmer, aussi bien, sinon mieux, la patiente déclarant que mon fluide était beaucoup plus calmant. Voilà comment le hasard m’a révélé des qualités de magnétiseur que je ne soupçonnais pas. Je la magnétisais régulièrement tous les soirs, en présence de ma mère et de ma nombreuse famille, et nous assistions à des phénomènes extraordinaires de lucidité.

Malgré le soulagement considérable éprouvé par la malade, elle reconnaissait que le magnétisme n’était pour elle qu’un calmant, que le développement de son kyste faisait des progrès inquiétants, et que l’opération devenait absolument urgente pour éviter une issue fatale. Il fut décidé que Mlle de V... irait, accompagnée de sa mère, se faire opérer à Strasbourg par le docteur Kœberlé, renommé alors pour ce genre d’opérations. La longueur d’un pareil voyage pour la pauvre malade inquiétait le médecin, qui conseilla de le faire en plusieurs étapes. Mais la malade consultée déclara qu’elle pourrait le faire sans inconvénient tout d’un trait en observant les précautions suivantes. Il fallait d’abord emporter plusieurs bouteilles d’eau magnétisée, mais surtout douze ou quinze mouchoirs magnétisés, en ayant soin de les enfermer dans de fortes enveloppes en papier soigneusement et hermétiquement fermées et collées de façon à empêcher toute entrée de l’air extérieur. La malade déclara que dès qu’un commencement de fatigue et de crise se produirait, sa mère déchirant une enveloppe appliquerait un mouchoir sur son front, ce qui amènerait le sommeil magnétique, et ensuite l’appliquerait sur le ventre dans la partie malade.

Malgré ces assurances, nous restâmes tous fort inquiets lorsqu’elle partit avec sa mère.

Tout se passa comme la patiente l’avait annoncé. Le voyage se fit bien d’une seule traite, en n’usant que de quelques mouchoirs magnétisés et sans avoir besoin de recourir à l’eau magnétisée.

En arrivant à Strasbourg, la mère alla présenter sa fille au savant chirurgien, et, le prenant ensuite à part, elle lui soumit une note que le médecin, M. B..., avait rédigée sous la dictée de la malade. Dans son sommeil, la patiente avait décrit minutieusement son état. « Mon kyste, avait-elle dit, est de la grosseur et de la couleur de ces ballons jaunes dont s’amusent les enfants, son contenu n’est pas fluide, mais composé d’une matière compacte de couleur brune. Sur une de ses faces est déjà formée une nouvelle poche ayant la grosseur d’une demi-petite orange, et, sur l’autre côté, commence à se développer une autre poche de la grosseur d’une demi-noisette. Le kyste est entouré d’adhérences ou ligaments nombreux. » Interrogée par M. B..., son docteur, sur les dangers d’hémorragie dans l’opération, elle répondit qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté, mais à la question sur les craintes de septicémie, elle pâlit affreusement, et, après un moment de silence, elle répondit : « Dieu seul le sait. »

Tel était le contenu de la note que la mère soumit au docteur Kœberlé, qui l’accueillit avec ironie et incrédulité, déclarant qu’il ne croyait pas à ces élucubrations, et comme preuve il ajouta : « Votre fille prétend qu’il y a de nombreux ligaments ; or la palpation vient de me montrer qu’il n’y en a que très peu, le kyste étant flottant sous la pression. Vous voyez donc que ses dires sont purement imaginaires. »

L’opération, cependant, fut des plus longues et des plus graves, à cause du très grand nombre de ligaments, comme l’avait indiqué la malade, et la septicémie s’étant déclarée emporta la patiente en trois ou quatre jours.

Appelé par la malheureuse mère, je partis pour Strasbourg, afin de l’assister dans sa cruelle épreuve. J’ai constaté de mes yeux l’exactitude de tous les renseignements quant au kyste qui avait été conservé après l’opération. J’accompagnai la pauvre mère, avant son départ, chez le savant docteur Kœberlé que je trouvai absolument déconcerté par la minutie des détails et prédictions qui renversaient toutes ses idées. Je lui demandai notamment comment la palpation lui avait fait croire à peu d’adhérences contrairement à la réalité. Il me répondit : « C’est un des cas les plus extraordinaires que j’aie constatés ; évidemment les adhérences étaient très nombreuses, mais elles étaient longues, ce qui permettait le flottement et déplacement du kyste sous la pression de la main, et m’a fait conclure tout différemment de la réalité. Tout cela est vraiment extraordinaire, car je ne puis contester la parfaite exactitude de toutes les prévisions et indications de la pauvre malade. »

Je ne sais si le docteur Kœberlé vit encore, mais le souvenir de tous ces faits sensationnels a dû être conservé dans la magnifique maison de santé tenue par des religieuses (dont j’ai oublié le vocable) et qui doit encore exister.

Tels sont les faits que je puis vous certifier sur l’honneur et qui me paraissent de nature à prendre rang dans votre dossier au point de vue strictement scientifique.

C. DU CHATELLARD,
à Marseille. [Lettre 743.]

P. S. — Vous me permettrez de signer d’un pseudonyme, car je suis très connu à Marseille où j’occupe une situation en évidence, et je ne voudrais pas que mon nom fût mêlé à aucune controverse publique.

Mais je signe ci-dessous de mon vrai nom et à titre confidentiel, pour le cas où, accueillant avec confiance mes déclarations, vous jugeriez intéressant que je les complète par d’autres renseignements qui me paraissent du plus haut intérêt, au point de vue humanitaire et scientifique.

Le même correspondant ajoute :

XLVIII. — Un soir que la malade était magnétisée, calme et lucide, de nombreuses expériences usuelles de magnétisme avaient eu lieu devant une nombreuse chambrée de famille, lorsqu’une de mes cousines eut l’idée de voir si elle pourrait suivre et retrouver mon oncle parti l’avant-veille avec son fils Paul pour faire une tournée dans ses vastes propriétés comprenant plusieurs communes. La magnétisée interrogée déclara les voir dans une auberge dont la description démontra qu’ils étaient dans un village tout autre que celui qu’on supposait. Elle déclara que le père causait avec un garde, et que son fils Paul se balançait sur une chaise devant l’âtre de la cuisine. Tout à coup la magnétisée part d’un long éclat de rire en s’écriant : « Ah ! M. Paul qui vient de se renverser. Oh ! quelles drôles de contorsions il vient de faire en tombant ; mais il n’a pas de mal. »

Séance tenante, la sœur de Paul prit la plume pour lui décrire l’heure et les détails de ce grotesque incident. Tout était rigoureusement exact dans le récit, et Paul et son père furent fort intrigués jusqu’à leur retour, avant de savoir comment on avait pu en avoir connaissance.

Si vous désirez contrôler le récit que je vous ai fait soit auprès du docteur Kœberlé (s’il vit encore), soit auprès de la maison de santé qui doit encore exister à Strasbourg ou en France, je vous enverrai confidentiellement le nom de Mlle de V....

Deuxième lettre :

Sensible aux remerciements et à l’intérêt que vous avez témoigné à mes communications, je viens aujourd’hui les compléter, persuadé que vous devrez en tirer des déductions instructives.

Je reviens donc à la séance de l’auberge. Un de mes cousins, présent à cette réunion de famille, me dit de lui ordonner de monter à la salle à manger. La magnétisée me répondit aussitôt : « Mais non ! il y a trois marches à descendre pour se rendre à cette salle à manger. »

XLIX. — On me pria de l’envoyer à l’église et de lui demander la description d’une belle série de tableaux religieux. Convaincu de cette assertion en raison du ton sérieux qui l’avait accompagnée, je transmis ma demande à la magnétisée. Je fus tout étonné en l’entendant rire aux éclats et faire une description très humoristique de ces fameux tableaux. C’était une série de toiles absolument grotesques faites par un habitant du village, où les groupements et le dessin présentaient des anomalies et des effets des plus hilarants. Aussi ce fut un long éclat de rire partagé par ceux des assistants qui connaissaient ces peintures et qui étaient abasourdis de la fidélité de la description et des minutieux détails énumérés.

Il convient de tirer certaines déductions des deux faits précités, au point de vue scientifique. Des savants à demi convaincus, et même des magnétiseurs, ont soutenu que dans des cas semblables le magnétisé peut lire de pareils détails dans la pensée soit du magnétiseur, soit des personnes présentes, ce qui exclurait la vue à distance. Or, ce n’était pas dans ma pensée qu’elle aurait pu les trouver puisque je les ignorais absolument93. Ce ne pouvait être non plus dans la pensée de celui qui m’avait prié de transmettre les deux questions, car si d’une part il connaissait les originalités des tableaux, c’était de bonne foi qu’il m’avait fait ordonner de monter dans la salle à manger pour en faire la description et que d’autres membres de la famille reconnurent que la magnétisée avait raison de dire qu’il y avait trois marches à descendre.

Il en résulte donc que la visite et description des tableaux dans l’église était bien une vue et description à distance, avec cette circonstance que cela se passait entre 10 et 11 heures du soir, heure à laquelle les églises sont fermées et dans une complète obscurité.

Pendant les longues veillées de famille où je la tenais endormie, j’eus un jour l’idée de lui demander la composition d’un remède à nom étrange que je venais de lire dans une pharmacopée. Elle me donna aussitôt la description complète d’une plante avec ses phases successives, sa floraison, son genre, sa famille, enfin toutes les descriptions botaniques les plus minutieuses. Elle ajouta ensuite : « Cette plante vient dans une île, je la vois, elle pousse dans les îles de l’Océanie. » Vérification faite, tous ces détails étaient exacts. J’occupai depuis mes soirées à écrire sous sa dictée la description d’un grand nombre de plantes médicinales. À son réveil, j’amenais sans affectation la conversation sur les plantes qu’elle venait de décrire et sur lesquelles elle ne paraissait avoir que de très vagues connaissances.

Un soir que je l’avais interrogée sur l’aconit, dont elle m’avait fait la description et indiqué la zone de croissance, elle resta longtemps pensive, plongée dans une profonde réflexion, dont j’avais peine à la tirer, et elle finit par me répondre en ces termes que je tiens à vous répéter scrupuleusement, tant mon souvenir en a été frappé. Sortant de sa profonde méditation, elle me dit :

« C’est pourtant vrai ; je ne me trompe pas ; comment se fait-il qu’on n’ait pas encore trouvé le remède de ce mal affreux, le remède du cancer ? je vois la plante, elle vient dans les mêmes parages que l’aconit. » Elle en fit la description exacte, complétée en plusieurs séances, ajoutant qu’on reconnaîtrait sa vertu en inoculant à un animal, notamment à un chien, la teinture mère obtenue par la macération de cette plante, ce qui déterminerait une plaie d’apparence cancéreuse.

J’ai essayé plusieurs fois, mais sans succès, d’intéresser des médecins et des botanistes à faire des recherches dans ce sens. Un savant botaniste m’a déclaré que la description semblait se rapporter à « l’oxiria dygina ».

Je vous envoie la description littérale faite de cette plante sous la dictée de la magnétisée. Mieux que moi, vous dont le nom et la science font honneur à notre pays, vous pourriez sans doute pousser à fond ces recherches, et en vérifier le fondement. Quelle auréole vous ajouteriez à votre nom, si vous parveniez, comme Pasteur, à doter l’humanité d’un pareil bienfait !

Nul n’ignore que les magnétisés les plus lucides ont leurs moments de défaillance, surtout les femmes à certaines époques ou sous des influences pathologiques. Mais je n’ai pas de raisons de douter que ses affirmations sur le remède du cancer ne soient aussi probantes que tant d’autres. Sa gravité, sa spontanéité, sa longue méditation avant d’émettre ses affirmations, son ardent désir de voir ainsi guérir des malheureux m’ont profondément impressionné et me portent à croire en ses déclarations.

Toutefois, si vous deviez citer mes communications dans les publications, je tiendrais beaucoup à ce que vous ne citiez pas ce dernier fait, qui seul dans mon récit, n’a pu encore être contrôlé.

Je me permets de ne pas suivre la réserve demandée par mon honorable correspondant, car je n’aurai jamais ni le temps ni la compétence de m’occuper de cette question, et peut-être un médecin ou un physiologiste trouvant ici cette indication pourra-t-il en faire profiter l’humanité94. Puisque la vue à distance et la divination sont possibles, ne dédaignons rien, enregistrons les choses utiles sans rien nier.

Sans multiplier indéfiniment ces exemples, constatons seulement qu’il serait très facile de le faire ; et que la vue sans les yeux, dans l’état somnambulique, est un fait assez fréquent, qu’il nous faut admettre malgré les nombreuses fraudes, plus fréquentes encore. La vue à distance, en rêve et en somnambulisme, ne peut plus être niée.

Share on Twitter Share on Facebook