Les Manifestations télépatiques de mourants, et les apparitions

Des faits ! Pas de phrases.

Nous venons de nous mettre en garde contre deux dispositions intellectuelles contraires à la libre recherche de la vérité : l’incrédulité et la crédulité, et nous prendrons le plus grand soin de tenir toujours notre esprit dans cette complète indépendance, plus indispensable que jamais dans l’ordre d’études qui va nous occuper. À chaque instant, nous serons heurtés dans nos idées scientifiques habituelles et serons conduits à rejeter les faits, et à les nier sans plus ample examen. À chaque instant aussi, une fois engrenés dans le courant, nous nous sentirons glisser un peu trop vite dans l’acceptation de phénomènes insuffisamment observés et serons exposés au ridicule de chercher la cause de ce qui n’existe pas. Que l’esprit positif de la méthode expérimentale, à laquelle notre espèce humaine encore si inférieure et si barbare doit le peu de progrès qu’elle a faits, ne nous abandonne jamais dans ces recherches !

Je sais bien que la méthode expérimentale elle-même n’est pas absolue, et qu’elle a même conduit d’éminents psychologues à douter de tout. Taine enseigne que « la perception extérieure est une hallucination vraie » et que dans notre état normal, sain, raisonnable, nous n’avons « qu’une série d’hallucinations qui n’aboutissent pas ». Berkeley, Stuart Mill et Bain déclarent que « les corps ne sont qu’un pur néant » érigé par une illusion de notre esprit en substances et en choses du dehors ; d’après ces trois philosophes, il n’y aurait rien d’intrinsèque dans une pierre, dans un morceau de fer, dans un arbre ou un animal. L’un de nos plus profonds mathématiciens français, auquel je posais récemment la question, m’avouait que, pour lui, il n’y a que des sensations. Qu’est-ce que des sensations sans un être sentant ? Cet être existe donc réellement. Si l’on admettait la théorie, il s’ensuivrait que l’univers n’existe que dans la pensée des humains, et, par conséquent, seulement depuis qu’il y a des hommes sur la terre. C’est, me semble-t-il, l’opinion philosophique de mon très spirituel ami Anatole France et de quelques-uns de nos contemporains. Or, l’astronomie et la géologie nous prouvent — sans compter le reste — que l’univers existait avant l’homme. Et puis, si vous admettez vos sensations, vous ne pouvez vous refuser à admettre celles de votre voisin. Donc, votre voisin existe aussi bien que vous, et les autres être aussi, et également les choses. Défions-nous un peu des raisonnements trop transcendants. Zénon d’Elée n’a-t-il pas démontré que la flèche qui vole est immobile, et Démocrite que la neige est noire ?

Méfions-nous aussi du plaisir de paradoxer. C’est un jeu fort agréable, assurément, et qui nous élève au-dessus du gros bon sens vulgaire ; mais Alexandre Dumas fils nous a montré, par son propre exemple, que cet esprit-là n’est pas sans danger non plus, et devient, parfois, d’une remarquable fausseté. Essayons de rester sages.

Afin de nous reconnaître dans le monde mystérieux que nous allons visiter et de tirer de ces observations quelques résultats instructifs, nous commencerons par faire une classification méthodique des phénomènes, en groupant ensemble ceux qui se ressemblent, et en essayant d’en déduire les conclusions qui nous paraîtront le plus sûrement fondées. Le sujet en vaut la peine. Il s’agit de nous, de notre nature, de notre existence ou de notre néant. La question nous intéresse. Oh ! sans doute, voilà des messieurs qui hochent la tête en souriant et qui éprouvent un beau dédain pour notre tentative :

« Vous savez bien, disent-ils, que ces prétendus horizons de l’au-delà sont imaginaires, puisque tout finit pour nous à la mort. »

Mais non, nous ne le savons pas ; ni vous non plus. Vous n’en savez rien du tout, et vos affirmations, comme vos négations, ne sont que des mots, des mots creux. Toutes les aspirations de l’humanité protestent contre ce néant. L’idéal, le rêve, l’espérance, la justice ne sont peut-être pas de pures illusions, non plus que les corps dont nous parlions tout à l’heure. Le sentiment n’existe-t-il pas au même titre que la raison ? Dans tous les cas, il y a là un problème réel et grave. « L’immortalité de l’âme est une chose si importante, écrivait Pascal, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour rester dans l’indifférence de savoir ce qui en est. » Pourquoi désespérerait-on d’arriver jamais à connaître la nature du principe pensant qui nous anime et à savoir si, oui ou non, il survit à la destruction du corps ? Les recherches que nous entreprenons ici nous donneront-elles quelques notions certaines sur ce point ? Peut-être.

Quoi qu’il en soit, je prie les lecteurs de n’être, s’il est possible, en lisant ces lignes, ni intransigeants, ni intolérants, ni radicaux, ni athées, ni matérialistes, ni israélites, ni protestants, ni catholiques, ni musulmans, mais tout simplement libres penseurs. Ceci est une tentative d’instruction. Rien de plus. Qu’on n’y cherche pas autres chose. D’excellents amis m’assurent que c’est se compromettre d’entrer aussi franchement dans cette voie, faire acte d’imprudence, d’un trop audacieux courage et d’une grande témérité. Je prie mes meilleurs amis de bien penser que je ne suis rien — rien du tout, qu’un chercheur, — et que tout ce que l’on peut écrire, dire ou penser de moi m’est de la dernière indifférence. Aucun intérêt, d’aucun ordre, n’a jamais guidé un seul de mes pas.

On objecte aussi : il y a bien des siècles que l’on cherche, on n’a jamais rien trouvé ; donc on ne trouvera jamais rien. Avec des raisonnements comme celui-là, on n’aurait jamais rien appris.

Vitam impendere vero : Consacrer sa vie à la vérité ! était la devise de Jean-Jacques. En est-il une plus noble pour tout philosophe, pour tout penseur ?

Tentative d’instruction, disons-nous, qui ressemblera parfois aux enquêtes des juges d’instruction dans les affaires criminelles, car il s’y mêlera des éléments humains dont il faudra faire la part, et ces phénomènes n’ont pas la simplicité d’une observation astronomique ou d’une expérience de physique. Le premier devoir pour nous est de suivre une méthode d’étude et de faire un premier classement des faits à examiner.

Nous commencerons par les manifestations télépathiques de MOURANTS. Je dis manifestations, et non pas seulement apparitions, pour généraliser un ensemble de faits dont les apparitions visuelles ne représentent qu’une partie.

Le mot de télépathie est déjà connu du public depuis quelques années. On l’a construit étymologiquement, comme on avait formé les mots de télescope, télégraphie, téléphone, du radical grec τηλε : loin, et de παθος : sensation. Sympathie, antipathie, ont la même origine étymologique. Il signifie donc, tout simplement « être averti, par une sensation quelconque, d’une chose qui se passe au loin14 ».

Dans l’ordre de faits qui va nous occuper, on rencontre, à chaque pas, des récits incertains ou exagérés, des relations douteuses, des observations dépourvues de valeur à cause de l’absence de tout esprit critique. Nous ne devons accueillir ces récits qu’avec la plus extrême prudence — j’allais écrire défiance — et éliminer d’abord tous ceux qui nous paraissent suspects. Ici, plus que jamais, il importe de tenir compte du jugement, du savoir, de la valeur morale et intellectuelle des personnes qui nous les rapportent. L’amour du merveilleux ou de l’extraordinaire peut transformer en événements fantastiques des choses tout à fait ordinaires et qui s’expliquent le plus simplement du monde. Certaines personnes pourraient me raconter des histoires pendant toute une année, avec le plus grand luxe de preuves apparentes et de démonstrations éloquentes, sans que j’en crusse le premier mot, pas plus que des protestations de certains députés et de certains ministres. D’autres, au contraire, nous inspirent par leur caractère une confiance toujours justifiée. Dans mon enquête de ces faits à étudier, ces principes de prudence élémentaire m’ont toujours instinctivement guidé, et j’ai l’espérance de n’avoir admis aucune relation sans que son authenticité fût garantie par l’esprit scientifique éclairé des auteurs qui ont bien voulu me les confier, ou tout au moins par un jugement sain et une entière bonne foi.

J’exposerai d’abord, sous les yeux du lecteur, un choix d’observations très variées, pour lesquelles nous essaierons, avons-nous dit, une classification méthodique. Il importe, pour notre instruction, d’avoir un grand nombre de faits authentiques devant les yeux. Les explications et les théories viendront ensuite. Nous sommes les ouvriers de la méthode expérimentale.

Nous ouvrirons cette enquête par certaines manifestations inexplicables et étranges de mourants, non de « morts », la distinction doit être signalée.

Manifestations de mourants observées à l’état normal, les observateurs étant parfaitement éveillés, et non pendant le sommeil, par des rêves. Il en est un certain nombre vues en rêves, qui ne doivent pas être considérées comme nulles ; mais elles seront inscrites à un autre chapitre.

Mon excellent ami, le général Parmentier, l’un de nos savants les plus distingués et les plus estimés, m’a affirmé les deux faits qui suivent, arrivés dans sa famille15.

I. — Plusieurs personnes étaient réunies à un déjeuner, à Andlau, en Alsace. On avait attendu le maître de la maison, qui était à la chasse, et l’heure se passant on avait fini par se mettre à table sans lui, la dame du logis déclarant qu’il ne pouvait tarder à rentrer. On commença le déjeuner en devisant de choses joyeuses et l’on comptait, d’un instant à l’autre, voir arriver le retardataire, trop zélé disciple de saint Hubert.

Mais l’heure marchait toujours, et l’on s’étonnait de la longueur du retard, lorsque, tout à coup, par le temps le plus calme et le ciel le plus beau, la fenêtre de la salle à manger, qui était grande ouverte, se ferma violemment avec un grand bruit, et se rouvrit aussitôt, instantanément. Les convives furent d’autant plus surpris, stupéfaits, que ce mouvement de la fenêtre n’aurait pu se produire sans renverser une carafe d’eau posée sur une table devant la fenêtre, et que cette carafe avait conservé sa position. Tous ceux qui avaient vu et entendu le mouvement n’y comprirent absolument rien.

— Un malheur vient d’arriver s’écria, en se levant, effarée, la maîtresse de maison.

Le déjeuner s’arrêta là. Trois quarts d’heure après, on rapportait sur une civière le corps du chasseur, qui avait reçu une charge de plomb en pleine poitrine. Il était mort presque aussitôt, n’ayant prononcé que ces mots :

« Ma femme ! mes pauvres enfants ! »

Voilà un fait, un fait de coïncidence à expliquer.

Tout d’abord, il nous paraît vulgaire et absurde. Que signifie ce bizarre mouvement de fenêtre, et à quoi cela rime-t-il ? N’est-ce pas perdre son temps que de prendre au sérieux un incident aussi insignifiant ?

Les grenouilles de Galvani, aussi, étaient bien insignifiantes, ainsi que la marmite de Papin. Cependant, l’électricité et la vapeur ne le sont point.

L’autre jour, la foudre a frappé un homme en plein champ, mais ne lui a fait d’autre mal que de lui arracher ses chaussures et de les lancer à une vingtaine de pas en en enlevant tous les clous, sans exception.

Une autre fois, elle a déshabillé une jeune paysanne, l’a mise complètement nue et l’a laissée sur le pré. On a retrouvé ses vêtements suspendus à un arbre.

Une autre fois, elle a tué net un laboureur au moment où il portait un morceau de pain à sa bouche, en déjeunant. Il reste immobile. On approche de lui, on le touche, il tombe en cendres. Mais ses vêtements étaient intacts.

Les bizarreries de la nature ne doivent pas nous empêcher d’étudier les phénomènes ; au contraire.

Sans doute, en entendant raconter l’incident du chasseur d’Andlau, la première idée qui nous vient est de nier, purement et simplement. Non, certainement, que l’on puisse supposer que l’histoire ait été inventée de toutes pièces et qu’elle soit entièrement mensongère, car les circonstances dans lesquelles elle s’est passée et le caractère du narrateur ne le permettent pas. Mais on peut dire qu’il y a eu un petit mouvement de la fenêtre produit par une cause vulgaire, un coup de vent, un choc, un chat, que sais-je ? et que sa coïncidence avec un événement tragique l’a fait amplifier après coup. Supposition difficile à admettre, toutefois, puisque la maîtresse de maison et ses voisins en ont été si fortement impressionnés.

Voici ce qui paraît s’être produit :

La fenêtre n’a pas bougé ; la carafe en est la preuve, et la contradiction fut remarquée. Avant d’entrer dans l’analyse de ces faits, nous pouvons penser, dès à présent, que cette dame et une ou plusieurs autres personnes ont eu une illusion de la vue et de l’ouïe, la sensation d’un phénomène irréel, et que leur cerveau a été impressionné vivement par une cause extérieure.

Nous pouvons penser aussi que cette cause était la force psychique du mourant, de celui que l’on attendait, qui, à cette heure-là, devait être à cette table, qui s’y est transporté par la pensée, qui a projeté dans cette direction sa dernière énergie. Télégraphie sans fil....

Pourquoi s’est-elle manifestée de cette façon ?

Comment l’impression cérébrale a-t-elle pu être collective ?

Pourquoi ?... Pourquoi ?...


Tes pourquoi, dit le dieu, ne finiraient jamais.

Nous sommes en plein mystère et ne pouvons faire que des hypothèses. Oh ! Sans doute, cette histoire serait unique dans son genre qu’elle pourrait passer inaperçue, mais c’est la moindre parmi un très grand nombre de celles que nous avons à rapporter ici. N’insistons pas, pour le moment, sur la manière de l’expliquer, et continuons.

Voici un second exemple de transmission télépathique au moment de la mort, non moins singulier, plus remarquable encore, que je dois aussi à l’obligeance de M. le général Parmentier, qui en garantit l’authenticité :

II. — Nous sommes à Schlestadt, département du Bas-Rhin. C’était par une chaude nuit d’été. On avait laissé ouverte la porte de communication entre la chambre à coucher et le salon, et, dans le salon, les deux fenêtres grandes ouvertes et maintenues par des chaises dont le dossier les touchait. Le père et la mère de M. Parmentier dormaient.

Tout à coup, Mme Parmentier est réveillée par une brusque secousse du lit, de bas en haut. Elle est surprise, un peu effrayée, éveille son mari, et lui fait part de ce qu’elle vient d’éprouver.

Soudain, une deuxième secousse se produit, très violente. Le père du général Parmentier croit à un tremblement de terre, quoiqu’ils soient bien rares en Alsace, se lève, allume une bougie, ne remarque rien d’insolite, et se recouche. Mais immédiatement après, nouvelle secousse très forte du lit, puis vacarme et fracas dans le salon voisin, comme si les fenêtres s’étaient fermées avec violence, avec toutes les vitres mises en pièces. Le tremblement de terre paraît s’être accentué d’une manière encore plus formidable ; M. et Mme Parmentier se lèvent et vont examiner les dégâts du salon : rien, les fenêtres sont toujours grandes ouvertes, les chaises n’ont pas changé de place, l’air est calme, le ciel pur et étoilé. Il n’y avait eu ni tremblement de terre ni coup de vent ; le vacarme entendu était fictif.

M. et Mme Parmentier habitaient au premier, et il y savait, au rez-de-chaussée, une femme d’un certain âge dont l’armoire grinçait d’une manière agaçante, chaque fois qu’on l’ouvrait et qu’on la fermait. Ce grincement désagréable avait été entendu, et l’on se demandait ce que pouvait avoir cette dame à ouvrir et fermer ainsi son armoire à une pareille heure.

En constatant qu’il n’y avait rien de dérangé au salon, ni dans l’état des fenêtres, ni dans la position des moindres objets, Mme Parmentier prit peur. Elle crut à un malheur arrivé aux siens, à son père, à sa mère, que, nouvellement mariée, elle avait quittés depuis peu à Strasbourg, et qu’elle croyait pourtant en parfaite santé.

Mais elle apprit bientôt que son ancienne gouvernante, qu’elle n’avait pas revue depuis son mariage, et qui s’était retirée à Vienne, en Autriche, dans sa famille, était morte cette nuit-là, et qu’avant de mourir elle avait exprimé plusieurs fois le regret d’avoir été séparée de sa chère élève, pour laquelle elle avait gardé un vif attachement.

Voilà un second fait, qui n’est pas sans analogie avec le premier, et qui semble indiquer les mêmes corrélations. Une impression partie du cerveau d’un mourant serait allée frapper un autre cerveau à 650 kilomètres de distance et lui donner la sensation d’un bruit extraordinaire ? Cette impression a-t-elle pu frapper, soit directement, soit par sympathie voisine, deux cerveaux en rapport avec le premier ?

Lorsque, le lendemain, Mme Parmentier avait demandé à sa voisine du rez-de-chaussée si elle n’avait pas ouvert sa grinçante armoire à une heure tardive de la nuit, si elle n’avait pas été secouée dans son lit, si elle n’avait pas entendu un tapage inaccoutumé, celle-ci répondit négativement, en faisant observer qu’elle dormait peu à son âge et que, si quelque phénomène insolite s’était produit, elle l’aurait sûrement remarqué. La dépêche psychique n’avait donc ému que les deux êtres en rapport avec la cause.

Sans doute, nous pouvons toujours être surpris de la matérialité, de la banalité, de la vulgarité de la manifestation, et puis, nous pouvons toujours dire : « Erreur des sens, hallucination sans cause, hasard et coïncidence ». Mais nous sommes ici pour examiner les choses sans parti pris et pour chercher à dégager, s’il est possible, les lois qui les régissent.

Continuons, car la valeur des faits croît en raison de leur nombre, puisqu’il s’agit de coïncidences.

III — M. André Bloch, jeune musicien de grand talent, prix de Rome, membre de la Société astronomique de France, m’adressait, tout récemment, la relation suivante d’un fait du même ordre observé en 1896. C’est d’hier.

MON CHER MAÎTRE,

C’était en juin 1896. Pendant les deux derniers mois de mon séjour en Italie, ma mère est venue me rejoindre à Rome et habitait tout près de l’Académie de France, dans une pension de famille de la via Gregoriana, où vous avez habité vous-même.

Comme, à cette époque-là, j’avais encore un travail à terminer avant de revenir en France, ma mère, pour ne pas me déranger, visitait seule la ville et ne venait me rejoindre à la Villa Médicis que vers midi, pour déjeuner.

Or, un jour, je la vis arriver, toute bouleversée, vers huit heures du matin. Comme je la questionnais, elle me répondit qu’en faisant sa toilette, elle avait vu tout d’un coup, à côté d’elle, son neveu René Kraemer, qui la regardait et qui lui dit en riant :

Mais oui, je suis bien mort !

Très effrayée de cette apparition, elle s’était empressée de venir me rejoindre. Je la tranquillisai de mon mieux, puis j’entretins la conversation sur d’autres sujets.

Quinze jours après, nous rentrions tous deux à Paris, après avoir visité une partie de l’Italie, et nous apprenions alors la mort de mon cousin René, arrivée le vendredi 12 juin 1896, dans l’appartement que ses parents habitaient rue de Moscou, 31. Il avait quatorze ans.

Grâce à un certain travail que je faisais à Rome au moment du voyage de ma mère, je pus contrôler les dates, et même les heures, auxquelles ce phénomène se produisit. Or, ce jour-là, mon petit cousin, malade d’une péritonite depuis quelques jours, entrait en agonie vers six heures du matin et mourait à midi, après avoir plusieurs fois exprimé le désir de voir sa tante Berthe, ma mère.

Il est à noter que jamais, dans aucune des nombreuses lettres que nous recevions de Paris, on ne nous avait dit un mot de la maladie de mon cousin. On savait trop bien que ma mère avait une affection toute particulière pour cet enfant et qu’elle serait revenue à Paris pour le moindre bobo qu’il aurait eu. On ne nous avait même pas télégraphié sa mort.

J’ajouterai que, lorsqu’il est six heures du matin à Paris, les horloges de Rome, par suite de la différence de longitude, marquent sept heures, et que c’est précisément vers ce moment-là que ma mère a eu cette vision.

ANDRÉ BLOCH,
11, place Malesherbes, Paris.

Le fait observé par Mme Bloch est du même ordre que les deux précédents. À l’heure où il perdait la connaissance des choses terrestres, son neveu pensait ardemment à elle, qu’il aimait avec une tendresse filiale, et qu’elle aimait, elle aussi, comme son propre fils. La force psychique du mourant n’a-t-elle pu se manifester, sans sortir du caractère d’un enfant de quatorze ans, qui aurait pu dire, en effet, en riant :

« Eh bien, oui, je suis mort ! »

On peut nier, on peut toujours nier. Mais, qu’est-ce que prouve une négation ? Ne vaut-il pas mieux être franc, avouer que ce sont là des coïncidences remarquables, quoique incompréhensibles dans l’état actuel de nos connaissances ? L’hypothèse d’une hallucination sans cause est vraiment peu sérieuse. Ne nous payons pas de mots. Cherchons.

M. V. de Kerkhove m’écrivait en février 1889 :

IV. — Le 25 août 1874, étant au Texas (États-Unis), vers le coucher du soleil, après dîner, j’étais assis en fumant ma pipe dans la salle basse de la maison que j’occupais, devant la mer, avec une porte donnant sur le nord-ouest à ma droite. J’étais assis au point A.

Tout à coup, dans l’embrasure de cette porte (B), je vois distinctement mon vieux grand-père. J’étais dans un état semi-conscient de doux bien-être et de quiétude, en homme qui a bon estomac et qui a bien dîné. Je n’éprouvai aucun étonnement de le voir là. De fait, je vivais végétativement et étais sans pensée en ce moment ; mais je fis, à part moi, cette réflexion :

« C’est bizarre, comme ces rayons du soleil couchant mettent de l’or et de la pourpre partout, dans les moindres plis des vêtements et de la figure de mon grand-père. »

En effet, le soleil se couchait en ce moment tout rouge et jetait ses derniers rayons horizontaux diagonalement par la porte dans la salle. Le grand-père avait sa physionomie de bonté ; il souriait, paraissait heureux. Tout à coup, il disparut avec le soleil couchant, et je m’éveillai comme d’un rêve, avec la conviction que j’avais eu une apparition. Six semaines après, j’appris par lettre que mon grand-père était mort dans la nuit du 25-26 août, entre une heure et deux heures du matin. Or, il y a entre la Belgique, où mourut mon grand-père, et la longitude du Texas, où j’étais, une différence de cinq heures et demie. Heure du coucher du soleil vers sept heures.

On pourrait objecter qu’il y a eu là simple illusion produite par les rayons du soleil couchant. C’est peu probable, M. de Kerhove ayant parfaitement reconnu son grand-père. Ce que nous devons remarquer surtout, ce sont ces coïncidences avec les dates de mort.

Le 10 novembre 1890, la lettre suivante m’était adressée de Christiania :

MON CHER MAÎTRE,

V. — Votre œuvre Uranie m’engage à vous faire connaître un événement que je tiens directement de celui même auquel le fait est arrivé. C’est M. Vogler, médecin danois, demeurant à Gudum, près Alborg (Jutland). M. Vogler est un homme d’une santé excellente, tant de corps que d’esprit, une nature droite et positive, sans la moindre disposition neurasthénique ou imaginative, tout au contraire.

Jeune étudiant en médecine, il voyageait en Allemagne avec le comte de Schimmuelmann, bien connu parmi la noblesse du Holstein. Ils étaient à peu près du même âge. Dans une des villes d’universités allemandes, où ils avaient résolu de rester quelque temps, ils avaient loué une petite maison. Le comte occupait le rez-de-chaussée, et M. Vogler s’était installé au premier ; la porte donnant sur la rue ainsi que l’escalier leur appartenaient à eux seuls.

Une nuit, M. Vogler s’étant couché, lisait encore. Tout d’un coup, il entendit la porte, au bas de l’escalier, s’ouvrir et se fermer ; mais il n’y songea guère, croyant que c’était son ami qui rentrait. Cependant, au bout d’un moment, il entendit des pas traînants et quasi fatigués monter l’escalier et s’arrêter devant la porte de sa chambre. Il vit la porte s’ouvrir, mais personne n’apparut ; les pas continuèrent cependant, et il les entendit sur le parquet, s’approcher du lit. Il ne vit absolument rien, quoique la lumière éclairât bien la chambre. Lorsque le bruit des pas se fut avancé tout près du lit, il entendit un gros soupir, qu’il reconnut sur-le-champ comme celui de sa grand’mère qu’il avait laissée en bonne santé en Danemark. En même temps, il reconnut aussi les pas : c’étaient bien les pas traînants et vieux de son aïeule.

Il remarqua exactement l’heure de cette révélation, car il eut instantanément l’intuition que sa grand’mère mourait au même moment, et la nota sur un papier. Plus tard, une lettre de la maison paternelle lui annonça la mort subite de la grand’mère qui l’avait particulièrement chéri parmi les autres petits-enfants. Il fut constaté que la mort était justement arrivée à l’heure indiquée. De cette manière, l’aïeule prit congé de son petit-fils, qui ne savait même pas qu’elle fût malade.

ÉDOUARD HAMBRO,
Licencié en droit, Secrétaire au bureau des travaux publics de la ville de Christiania.

Ce jeune homme a donc été averti de la mort de sa grand’mère par cette impression de pas et d’un soupir. Voilà ce qu’il faut admettre.

Mme Féret, à Juvisy, mère de la receveuse des postes de cette ville, m’écrivait récemment (décembre 1898) :

VI. — Le fait dont il s’agit remonte déjà assez loin ; mais je m’en souviens comme d’hier, car il m’a fortement frappée, et vivrais-je cent ans que je ne pourrais pas l’oublier.

C’était pendant la guerre de Crimée, en 1855. J’habitais alors rue de la Tour, à Passy.

Un jour, à l’heure du déjeuner, vers midi, je descendis à la cave. Un rayon de soleil pénétrait par le soupirail et allait éclairer le sol. Cette partie éclairée me parut soudain une plage de sable, au bord de la mer, et, étendu mort sur ce sable, gisait un de mes cousins, chef de bataillon.

Effrayée, je ne pus avancer davantage, et je remontai avec peine les marches de l’escalier. Ma famille, témoin de ma pâleur et de mon trouble, me pressa de questions. Et lorsque j’eus raconté ma vision, ils se moquèrent tous de moi.

Quinze jours après, nous recevions, la triste nouvelle de la mort du commandant Solier. Il était mort en débarquant à Varna, et la date correspondait au jour où je l’avais vu étendu sur le sable de la cave.

Il est aussi difficile d’expliquer ce fait que les précédents, dans l’état actuel de nos connaissances. Sans doute, on peut dire qu’ici aussi un rayon de soleil est en jeu, que cette jeune fille pensait quelquefois à son cousin, que son départ pour la guerre l’avait frappée, que l’on avait parlé devant elle, avec elle, du nombre des morts, du choléra, des blessés, des malades, des innombrables dangers de cette guerre encore plus stupide que toutes les autres, et qu’il n’y a eu là qu’une illusion. C’est bientôt dit ! Mme Féret est absolument sûre d’avoir vu très distinctement l’officier ; elle a vu, de ses yeux vu, son cousin étendu sur la plage, et c’est bien là qu’il était tombé, mourant du choléra, en débarquant à Varna. Enregistrons aussi la coïncidence de la date. Ne pouvons-nous penser, rationnellement, que l’officier, en se sentant ainsi frappé sur le rivage de la terre étrangère, ait songé à cette France qu’il ne devait plus revoir, à ce Paris, à ses parents, à cette cousine dont l’image fugitive aura charmé ses derniers instants ? Je n’admets pas un seul instant que la narratrice ait vu, de Paris, la plage de Varna ; j’admets, au contraire, que la cause de la vision était là-bas, et qu’il y a eu communication télépathique entre le mourant et sa parente.

Continuons de passer en revue ces manifestations curieuses et d’examiner des faits ! Les théories et les explications viendront ensuite. Plus nous aurons de faits, plus notre instruction fera de progrès. J’ai reçu, il y a quelques jours, la lettre suivante, d’un député poète bien connu, et estimé de tous pour la sincérité de ses convictions et le désintéressement de sa vie :

CHER MAÎTRE ET AMI,

VII. — C’était en 1871. J’étais à l’âge où l’on cueille des fleurettes dans les champs comme vous cueillez des étoiles dans l’infini ; mais, en un moment où j’avais oublié de faire mon ordinaire cueillette, j’avais écrit un article qui m’avait valu un certain nombre d’années de prison : tout vient à point à qui ne sait pas attendre. Or, j’étais à la prison Saint-Pierre, de Marseille. Là se trouvait aussi Gaston Crémieux, condamné à mort. Je l’aimais beaucoup, parce que nous avions eu les mêmes rêves et que nous étions tombés sur la même réalité. Dans la prison, à l’heure des promenades, il nous arrivait de traiter, au petit bonheur de la causerie, la question de Dieu et de l’âme immortelle. Un jour, comme quelques camarades s’étaient proclamés athées et matérialistes avec une véhémence peu ordinaire, je leur fis remarquer, sur un signe de Crémieux, qu’il était peu convenable de notre part de proclamer ces négations devant un condamné à mort qui croyait en Dieu et à l’immortalité de l’âme. Le condamné me dit en souriant :

« Merci, mon ami. Quand on me fusillera, j’irai vous faire la preuve en manifestant dans votre cellule. »

Le matin du 30 novembre, à la pointe du jour, je fus subitement réveillé par un bruit de petits coups secs donnés dans ma table. Je me retournai, le bruit cessa, et je me rendormis. Quelques instants après, le même bruit recommença. Je sautai alors de mon lit, je me plantai, bien éveillé, devant la table : le bruit continua. Cela se reproduisit encore une ou deux fois, toujours dans les mêmes conditions.

Au saut du lit, tous les matins, j’avais l’habitude de me rendre, avec la complicité d’un bon gardien, dans la cellule de Gaston Crémieux, où m’attendait une tasse de café. Ce jour-là, comme les autres jours, je fus fidèle à notre amical rendez-vous. Hélas ! il y avait des scellés sur la porte de la cellule et je constatai, l’œil braqué sur le judas, que le prisonnier n’était plus là. J’avais à peine fait cette terrible constatation que le bon gardien se jetait dans mes bras, tout en larmes :

« Ils nous l’ont fusillé ce matin, à la pointe du jour ; mais il est mort bien courageusement. »

L’émotion fut grande parmi les prisonniers. Dans le préau où nous échangions nos douloureuses impressions, je me rappelai tout à coup les bruits entendus. Je ne sais quelle crainte puérile d’être « blagué » m’empêcha de raconter à mes compagnons d’infortune ce qui s’était passé dans ma cellule à la minute précise où Crémieux tombait avec douze balles dans la poitrine. J’en fis toutefois la confidence à l’un d’eux, François Roustan, qui se demanda un instant si la douleur ne m’avait pas rendu fou.

Tel est mon récit de l’autre soir. Je vous l’ai écrit tel qu’il m’est revenu sous la plume. Faites-en l’usage qui vous paraîtra utile à vos recherches, mais ne portez pas, sur mon état d’âme, l’opinion de mon ami Roustan ; car la douleur ne pouvait pas m’avoir rendu fou, dans un moment où la connaissance du fait ne l’avait pas encore provoquée. J’étais dans mon état normal, je ne me doutais pas de l’exécution, et j’ai parfaitement entendu cette sorte d’avertissement. Voilà la vérité nue.

CLOVIS HUGUES.

D’après ce récit, il semble qu’au moment même où Gaston Crémieux était fusillé (sa condamnation remontait aux jours de la Commune de Marseille : au 28 juin), son esprit ait agi sur le cerveau de son ami et lui ait donné une sensation, un écho, une répercussion du drame dont il tombait victime. La fusillade ne pouvait être entendue de la prison (elle eut lieu au Pharo) et le bruit a été répété plusieurs fois. Ce fait est aussi bizarre que tous les précédents ; mais il est assurément difficile de le nier.

Nous nous occuperons plus loin des théories explicatives. Continuons notre exposé comparatif, d’ailleurs si varié et si curieux en lui-même.

Un savant distingué, M. Alphonse Berget, docteur ès sciences, préparateur au laboratoire de physique de la Sorbonne, examinateur à la Faculté des sciences de Paris, a bien voulu me communiquer la relation suivante :

VIII. — Ma mère était jeune fille et fiancée à mon père, alors capitaine d’infanterie, quand la chose s’est passée ; elle habitait, à Schlestadt, la maison de ses parents.

Ma mère avait eu, comme amie d’enfance, une jeune fille nommée Amélie M*** ; cette jeune fille, aveugle, était la petite-fille d’un vieux colonel de dragons du premier Empire. Restée orpheline, elle vivait avec ses grands-parents. Elle était fort bonne musicienne et chantait souvent avec ma mère.

Vers l’âge de dix-huit ans, elle se détermine pour une vocation religieuse très prononcée, et prit le voile dans un couvent de Strasbourg. Dans les premiers temps, elle écrivait fréquemment à ma mère ; puis ; ses lettres s’espacèrent, et enfin, comme il arrive presque toujours en pareils cas, elle cessa complètement de correspondre avec son ancienne amie.

Elle était en religion depuis environ trois ans quand, un jour, ma mère monta au grenier, pour chercher quelque vieille chose dans un débarras. Tout à coup, elle redescend au salon, en poussant de grands cris, et tombe sans connaissance. On s’empresse, on la relève, elle revient à elle, et s’écrie en sanglotant :

« C’est horrible ! Amélie se meurt, elle est morte, car je viens de l’entendre chanter, comme il n’y a qu’une morte qui puisse chanter ! »

Et, de nouveau, une crise de nerfs lui fit perdre les sens.

Or, une demi-heure après, le colonel M*** entrait, comme un fou, chez mon grand-père, tenant une dépêche à la main. Cette dépêche était de la supérieure du couvent de Strasbourg et contenait ces seuls mots : « Arrivez, votre petite-fille au plus mal ». Le colonel saute dans le premier train, arrive au couvent, et apprend que la sœur était morte à TROIS HEURES PRÉCISES, heure exacte de la crise subie par ma mère.

Le fait m’a été raconté souvent par ma mère, par ma grand’mère, par mon père qui assistait à la scène, ainsi que par mon oncle et ma tante, témoins oculaires de cet étrange incident.

Ce fait n’est pas moins digne d’attention que les précédents. Le nom du narrateur est une sûre garantie de son authenticité. Il n’y a là ni imagination ni roman. Et l’hypothèse explicative paraît la même. L’amie de Mme Berget, en mourant, au moment même de sa mort, semble-t-il, a pensé, avec une grande intensité, un cher souvenir, un immense regret peut-être, à son amie d’enfance, et, de Strasbourg à Schlestadt, l’émotion de l’âme de la jeune fille est venue frapper instantanément le cerveau de Mme Berget, en lui donnant l’illusion d’une voix céleste chantant une pure mélodie. Comment ? De quelle façon ? Nous n’en savons rien. Mais il serait antiscientifique de nier une coïncidence réelle, un rapport de cause à effet, un phénomène d’ordre psychique, par la seule raison que nous ne savons pas l’expliquer.

— Le hasard est si grand ! entend-on dire.

Oui, sans doute, mais prenons garde, n’ayons pas de parti pris. Le hasard peut-il expliquer ces coïncidences dans le calcul des probabilités ? C’est ce que nous aurons à examiner.

Mais ne perdons pas de temps, les documents abondent.

Mme Ulric de Fonvielle m’a raconté, le 17 janvier dernier (1899), l’observation suivante, faite par elle-même et connue de toute sa famille.

IX. — Elle habitait à Rotterdam. Un soir, vers 11 heures, la famille dit, selon une ancienne habitude, les prières à haute voix, et chacun se retira dans sa chambre. Mme de Fonvielle était couchée depuis quelques minutes, et encore éveillée, lorsqu’elle vit devant elle, au pied du lit à baldaquin où elle couchait, les rideaux s’écarter, et une de ses amies d’enfance, qu’elle ne voyait plus depuis trois ans, à cause d’une indélicatesse dont elle s’était rendue coupable envers la famille, et dont on ne prononçait plus le nom, lui apparaître avec une netteté aussi parfaite que celle d’une personne vivante. Elle était vêtue d’un grand peignoir blanc, avait ses cheveux noirs tombant sur les épaules, et elle la regarda fixement de ses grands yeux noirs, en lui tendant la main et lui disant, en hollandais :

« Madame, je m’en vais à présent. Pouvez-vous me pardonner ? »

Mme de Fonvielle s’assit sur son lit et lui tendit la main à son tour pour lui répondre ; mais la vision disparut subitement.

La chambre était éclairée par une veilleuse, et tous les objets étaient visibles.

Aussitôt après, la pendule sonna les douze coups de minuit.

Le lendemain matin, Mme de Fonvielle racontait à sa nièce cette singulière apparition lorsqu’on sonna à la porte. C’était un télégramme de La Haye portant ces mots :

« Marie décédée hier soir à 11 heures trois quarts. »

M. Ulric de Fonvielle m’a affirmé, de son côté, que le fait de l’apparition et de la coïncidence n’est pas contestable. Quant à l’explication, il la cherche comme nous.

Le 20 mars dernier (1899) je recevais la lettre suivante :

MON CHER MAÎTRE,

X. — Vous me demandez de vous écrire le fait de pressentiment, double vue, suggestion ou apparition, dont je vous ai parlé.

J’allais entrer à l’École navale. J’en attendais le moment à Paris, rue de la Ville-l’Évêque, où habitait ma mère. Nous avions alors un maître-d’hôtel Piémontais fort intelligent, très dévoué, mais aussi sceptique que peu crédule. Pour employer l’expression populaire, il ne croyait ni en Dieu ni au diable.

Un soir, vers 6 heures, il entre au salon, la figure convulsée.... « Madame, s’écrie-t-il ! Madame ! il m’arrive un grand malheur ! ma mère vient de mourir.... À l’instant, j’étais dans ma chambre, un peu fatigué, je me reposais, la porte s’est ouverte... ma mère debout, pâle et défaite, était sur le seuil me faisant un geste d’adieu.

« Je me frottai les yeux croyant à une hallucination, mais non, je la voyais bien ! Je me suis précipité vers elle pour la saisir... elle disparut !... Elle est morte. »

Le pauvre garçon pleurait. Ce que je puis affirmer, c’est que quelques jours après, la nouvelle en arrivait à Paris. Sa mère était bien morte le jour et à l’heure où il l’avait vue !

BARON DESLANDES,
Ancien officier de marine, 20, rue de Larochefoucauld, Paris.

Mme la baronne Staffe, dont les charmants ouvrages sont dans toutes les mains, m’a fait connaître les deux cas suivants :

XI. — Mme M.... qui, par son mariage, devint française et appartient à la grande famille médicale, était la véracité même. Elle fût morte plutôt que de proférer un mensonge.

Or voici ce qu’elle m’a raconté. Dans son adolescence, elle vivait en Angleterre, quoiqu’elle ne fût pas de nationalité britannique ; à seize ans, elle avait été fiancée à un jeune homme, officier de l’armée des Indes.

Un jour de printemps, dans le port anglais qu’elle habitait, elle était accoudée au balcon de la maison de son père, et pensait naturellement à son fiancé. Tout à coup elle le voit dans le jardin, en face d’elle, mais bien pâle et comme exténué. Néanmoins, heureuse et joyeuse, elle s’écrie : « Harry ! Harry ! » et descend en coup de vent l’escalier de la maison. Elle ouvre précipitamment la porte, croyant trouver le bien-aimé sur le seuil ; personne. Elle entre dans le jardin, examine la place où elle l’a vu, bat les buissons, regarde partout, pas de Harry !

On l’a suivie, on essaie de la consoler, de lui persuader que c’est une illusion, elle répète : « Je l’ai vu, je l’ai vu ! »

Et elle reste attristée et inquiète.

Quelque temps après, la jeune fille apprit que son fiancé avait succombé en pleine mer à un mal subit, le jour et à l’heure où elle l’avait vu dans le jardin.

XII. — Bernardine était une vieille servante sans instruction, sans l’ombre d’une idée spiritualiste, et qu’on accusait de se livrer quelquefois à la boisson.

Un soir, elle descend à la cave pour aller tirer de la bière, et remonte bientôt, son pot vide à la main, pâle et défaillante. On s’empresse autour d’elle : « Qu’as-tu Bernardine ?

— Je viens de voir ma fille, ma fille d’Amérique, elle était tout en blanc, elle avait l’air malade, elle m’a dit : « Adieu, maman ».

— Tu es folle ! comment voudrais-tu avoir vu ta fille, qui est à New-York ?

— Je l’ai vue ! je l’ai entendue ! Ah ! qu’est-ce que cela veut dire ? Elle est morte ! »

On se disait dans la maison : « Bernardine avait sans doute bu un peu plus que de raison. »

Mais elle resta désolée. Et le courrier qui suivit cet incident apporta la nouvelle de la mort de la fille de Bernardine ; elle s’était éteinte le jour et à l’heure où sa mère l’avait vue et avait reconnu le son de sa voix.

M. Binet, typographe à Soissons, m’a signalé, de son côté, la vision suivante, dont il a été lui-même l’acteur :

XIII. — Mézières, mon pays a été saccagé par un bombardement qui dura trente-six heures seulement, mais qui suffit à faire de nombreuses victimes. Parmi ces dernières, la petite fille de notre propriétaire fut cruellement blessée : elle était alors âgée de 11 ou 12 ans. A cette époque j’en avais 15, et je jouais souvent avec Léontine (c’était son nom).

Vers le commencement de mars, j’allai passer quelques jours à Donchéry. Avant de m’éloigner, je savais que cette pauvre petite était condamnée. Le changement de pays et aussi l’insouciance firent que j’oubliai un peu les misères que l’on venait de traverser.

Je couchais seul dans une chambre longue et étroite dont la fenêtre donnait sur la campagne. Un soir, couché comme d’habitude à 9 heures, je ne pus m’endormir, chose extraordinaire, car aussitôt dîné, j’aurais dormi debout. La lune brillait dans son plein, éclairant le jardin et jetant une lumière assez forte dans la chambre.

Le sommeil ne me prenant pas, j’écoutais sonner les heures, qui me semblaient bien longues. Je pensais en regardant par la fenêtre qui se trouvait juste en face de mon lit, quand, vers minuit et demi, il me sembla voir un rayon de lune marcher, puis cette ombre lumineuse qui flottait comme une grande robe, prit la forme d’un corps et s’avançant vers mon lit s’arrêta tout auprès. Une figure maigre me souriait.... Je jetai un cri... « Léontine ! » Puis l’ombre lumineuse, glissant toujours, disparut au pied du lit.

Quelques jours plus tard, je retournai chez mes parents, et avant que l’on m’en eût parlé, je leur racontai ma vision : c’était la nuit et l’heure où cette enfant était morte.

M. Castex-Dégrange, directeur adjoint de l’École des beaux-arts à Lyon, m’a transmis le fait suivant :

XIV. — Mon beau-père, M. Clermont, docteur en médecine, oncle du docteur Clermont (élève et ami du docteur Potain qui vient de mourir à Paris), avait un de ses frères, père dudit docteur, qui habitait l’Algérie.

Un matin, mon beau-père, qui n’avait d’ailleurs aucune inquiétude sur son frère qu’il savait bien portant, était au lit.

Avant de se lever pour aller voir ses malades, il avait l’habitude de prendre dans son lit une tasse de café au lait.

Il procédait à ce premier petit repas en causant avec sa femme assise près de lui, quand il est soulevé violemment et rejeté sur son lit, et cela si soudainement qu’il renversa tout le liquide contenu dans sa tasse.

À la même heure, il l’apprit plus tard, son frère mourait à Alger.

Il était allé se baigner en mer, avait été mordu, ou piqué au tendon d’Achille, avait pris le tétanos et était mort après trente heures de maladie.

M. Chabaud, ancien chef d’institution à Paris, professeur très estimé, auquel de nombreux élèves sont redevables d’une excellente instruction, m’a rapporté l’observation que voici, faite par lui-même.

XV. — Une partie de mon enfance s’est passée à Limoges chez un vieil oncle qui me gâtait fort et que j’appelais bon papa. Nous habitions le premier étage d’une maison au rez-de-chaussée de laquelle se trouvait un restaurant.

Je l’avoue, à ma confusion grande, je m’égayais maintes fois, et malicieusement, aux dépens du patron de l’établissement. Entre autres plaisanteries de mauvais goût, j’entrais comme une trombe dans sa cuisine en criant : « Père Garat, venez vite, bon papa vous demande. »

Le bonhomme quittait précipitamment ses casseroles et montait au premier où je lui riais au nez.

Naturellement, il n’était pas content, et il maugréait en descendant l’escalier ; mais ses menaces ne m’effrayaient guère. J’avais d’ailleurs bien soin de me tenir prudemment à distance.

Dans la bonne saison, nous allions souvent en promenade, du côté du Pont-Neuf, sur la route de Toulouse.

Un soir de mai 1851, j’avais dix ans, entre 6 et 7 heures (je peux préciser, car mes souvenirs sont très nets encore), nous nous disposions à sortir comme d’habitude, lorsque mon oncle voyant Mme Ravel, fille du restaurateur, engagea avec elle le dialogue suivant :

« Comment se trouve M. Garat ?

— Fort mal, monsieur Chabrol.

— Faut-il entrer ? (Mon oncle était médecin.)

— C’est inutile, monsieur Chabrol, mon pauvre père se meurt. »

Sur ce, nous passons outre, mon vieil oncle tout perplexe, et moi très heureux d’être dehors.

Une fois dans la rue, ou plutôt sur le boulevard (de la Corderie), je lance mon cerceau, et je cours après.

Je donne ces détails, qui ne témoignent guère en ma faveur, pour bien montrer mon état d’âme : mon cœur et mon cerveau étaient également libres de préoccupation, car, je le reconnais humblement, loin de m’apitoyer sur le sort du pauvre hôtelier, je n’y pensais même pas. C’est triste à dire, mais c’est la vérité.

Non loin du Pont-Neuf, la route de Toulouse bifurque : l’un des embranchements conduit à la place de l’Hôtel-de-Ville, l’autre à la place de la Cité.

Arrivé là, je m’arrête brusquement, car je viens d’apercevoir M. Garat qui s’avance tranquillement au milieu de la chaussée.

En trois bonds je fus auprès de mon oncle.

« Bon papa, fis-je, M. Garat est levé ? Le voyez-vous là-bas, à quelques pas ?

— Que me dis-tu là ? reprend mon oncle, blanc comme un linge.

— La vérité, bon papa. C’est bien M. Garat, allez.

« Tenez, regardez-le avec son bonnet de coton, sa blouse bleue et son bâton.

« Bon ! le voila maintenant qui se met à tousser.

— Approche-toi. »

Je m’avançai aussi près que possible, pour n’être pas à la portée de la main du restaurateur, qui à ma vue sembla ébaucher un geste rien moins que rassurant.

Je me repliai en bon ordre vers mon oncle qui me dit : « Retournons à la maison. »

Je pris les devants. Quand j’arrivai, il y avait cinq minutes que M. Garat était mort, juste le temps que j’avais mis pour faire le chemin.

Tout courant, je revins apprendre la sinistre nouvelle à mon oncle, qui tressaillit sans souffler mot.

Quoique je sois sûr d’avoir vu et bien vu, il y a près de cinquante ans je n’étais qu’un enfant, et l’on pourra objecter que j’ai été trompé par une ressemblance ou encore que mes sens ont été le jouet d’une illusion ; mais comment admettre qu’un vieux chirurgien de la marine aussi peu crédule par nature que par profession, ait eu aussi la berlue en plein jour ?

Tandis que je m’occupais spécialement de l’examen de ces énigmatiques manifestations et apparitions de mourants, pendant les premiers mois de cette année 1899, et qu’il m’arrivait d’en causer assez souvent avec diverses personnes, soit chez moi, soit dans le monde, je ne tardai pas à constater que si la majorité était d’un scepticisme à peu près complet et n’avait, jamais rien vu de ce genre, cependant une portion notable savait que ces choses existent. On peut estimer qu’il y a, en moyenne, une personne sur vingt qui a observé par elle-même des faits analogues, ou qui en a entendu parler dans son entourage immédiat et peut fournir aussi des observations de première main.

Je viens de citer quinze cas qui m’ont été rapportés par des personnes en relation directe avec moi. J’avais entendu le récit d’une vingtaine d’autres du même ordre16, lorsque l’idée me vint d’essayer de faire en France une enquête analogue à celle qui a été faite en Angleterre, il y a quelques années, sur ces sortes de phénomènes. L’occasion me parut excellente au point de vue de la sécurité, de l’authenticité, de la valeur des témoignages. Je publiai les premiers chapitres de cet ouvrage, dans le journal hebdomadaire de mon érudit et excellent ami Adolphe Brisson, les Annales politiques et littéraires, dont les abonnés forment comme une immense famille en correspondance fréquente avec la rédaction. Il y a là une sorte d’intimité que je n’ai jamais remarquée, sinon entre les lecteurs du Bulletin mensuel de la Société astronomique de France, et, autrefois, entre ceux du Magasin pittoresque. Ce lien de famille n’existe pas entre les lecteurs des journaux quotidiens ou même des revues les plus sérieuses. Une communauté d’idées réunit les lecteurs aux rédacteurs, non point que ce soit là une église dont tous les fidèles pensent de la même façon, mais on y sent une communauté, une bonne volonté, un désir général de s’unir, de s’aider dans les mêmes recherches, s’il y a lieu. Telle est, du moins, l’impression que j’ai reçue des lettres qu’un grand nombre de lecteurs m’avaient adressées dès mes premiers articles.

Je ne dis pas que sur les 80 000 abonnés des Annales il n’y ait pas, comme partout, des farceurs, des imposteurs, des crédules, des toqués, tout ce qu’on voudra. Mais ils y sont l’exception. L’immense majorité représente une honnête moyenne de parfait bon sens, s’étendant dans toutes les classes de la société, depuis les situations les plus élevées jusqu’aux plus humbles, et sans distinction de croyances.

Il y a aussi là, comme presque partout d’ailleurs, toute une classe de bigotes et de petites consciences ouatées de scrupules, qui ont peur de leur ombre et sont absolument incapables de penser par elles-mêmes. Ces personnes m’ont déclaré tout de suite qu’elles resteraient muettes comme des carpes, que je m’occupais de ce qui ne me regardait pas, que je jetais le trouble dans l’esprit des premières communiantes, et que ces questions diaboliques sont réservées à l’Église, dont le catéchisme résout tous les mystères.

C’est le raisonnement que tenaient à Socrate les dévots du temple de Jupiter. Où est aujourd’hui ce temple ? Où est ce Jupiter ? Mais nous lisons toujours les dialogues de Socrate.

Il me sembla donc, disais-je, que ce serait une bonne et fructueuse indication sur le nombre, la variété et la nature de ces faits, d’ouvrir une enquête parmi les nombreux et sympathiques lecteurs des Annales, et de leur demander de vouloir bien me faire connaître ceux dont ils auraient pu être témoins eux-mêmes ou dont ils pourraient affirmer l’authenticité d’après les rapports de leur entourage immédiat. L’appel suivant parut dans le numéro du 26 mars 1899 :

Ces faits mystérieux d’apparitions, de manifestations de mourants ou de morts, de pressentiments nettement définis, sont aussi importants qu’intéressants pour notre connaissance de la nature de l’être humain, corps et âme, et c’est ce qui nous a engagé à entreprendre cette série d’études et de recherches spéciales, qui sortent assurément du cadre ordinaire de la science et de la littérature.

Nous pourrions aller, dès aujourd’hui, un peu plus loin, précisément avec le sympathique concours de tous les lecteurs des Annales, s’ils voulaient bien s’y prêter en cette circonstance peut-être unique.

Il s’agit surtout ici d’un témoignage de statistique, de nous rendre compte de la proportion réelle de ces phénomènes psychiques : nous aurions, ici même, ce témoignage en huit jours, si nos lecteurs, tous nos lecteurs, avaient l’extrême obligeance de s’y prêter.

Voudraient-ils nous envoyer tout simplement une carte postale, répondant par un OUI ou par un NON aux deux questions suivantes :

Vous est-il arrivé, à une époque quelconque, d’éprouver, étant éveillé, l’impression nette de voir un être humain, ou de l’entendre, ou d’être touché par lui, sans que vous puissiez rapporter cette impression à aucune cause connue ?

Cette impression a-t-elle coïncidé avec une mort ?

Dans le cas où l’on n’a jamais éprouvé aucune impression de ce genre, écrire simplement NON, et signer. (Simples initiales, si on le préfère.)

Dans le cas où l’on aurait observé un fait de cet ordre, prière de répondre aux deux questions par oui ou par non, et d’ajouter quelques mots indiquant le genre de phénomène constaté, et, s’il y a eu coïncidence avec une mort, l’intervalle de temps qui a pu séparer la mort du phénomène observé.

Dans le cas où des faits de ce genre auraient été éprouvés en rêve, il serait bon de les signaler, s’il y a eu coïncidence de mort.

Enfin, dans le cas où, sans l’avoir observé soi-même, on connaîtrait un fait certain et authentique, il serait également fort intéressant de le relater en abrégé.

Cette enquête aura une grande valeur scientifique, si tous nos lecteurs veulent bien nous envoyer leur réponse. Nous leur en adressons d’avance tous nos remerciements. Il n’y a ici en jeu aucune question d’intérêt personnel ; c’est, au contraire, un grave et curieux sujet d’intérêt général.

Comme on pouvait s’y attendre, tous les lecteurs n’ont pas répondu. Pour écrire une carte ou une lettre dans le seul but d’être utile à l’élucidation d’un problème, il faut un certain dévouement impersonnel à la cause de la vérité. Ces beaux caractères ne sont pas fréquents. Prendre quelques instants à sa vie habituelle, à ses occupations, à ses plaisirs, ou simplement à sa paresse, c’est un effort, c’est une sorte de vertu, quelque simple que cela soit. Et puis, dans cet ordre d’idées, plusieurs craignent le ridicule ! Je suis donc sincèrement et profondément reconnaissant à toutes les personnes qui ont bien voulu me répondre, et je regrette que le temps matériel m’ait absolument manqué pour leur exprimer à chacune personnellement mes très vifs remerciements.

Il serait injuste, d’ailleurs, d’attribuer tous les silences à l’indifférence, à la paresse ou à la peur du ridicule. Exemple, l’une des lettres, celle qui porte le n° 24, commence ainsi :

« Depuis que vous avez entrepris la série des si palpitants problèmes psychiques, je brûle du désir de vous adresser une relation qui me touche de très près, sans avoir le courage de le faire. Pourquoi ? Par timidité ? Non. Par un sentiment que je ne m’explique pas, mais qui est certainement commun à un grand nombre de vos lecteurs et qui consiste à se dire : À quoi bon ? M. Flammarion a certainement reçu et possède des centaines de relations ; une de plus ne fera rien à la chose, et puis... sera-t-elle même lue ? »

D’autre part, j’ai eu lieu de constater qu’un certain nombre, — non négligeable — de personnes qui ont été témoins de ces genres de faits les tiennent sous silence et refusent même de les raconter lorsqu’on en a eu connaissance, soit par un respect peut-être exagéré pour de douloureux souvenirs, soit pour n’immiscer aucun étranger dans des affaires intimes, soit simplement pour ne donner prise à aucune discussion, à aucune critique de la part des sceptiques.

Aux mois de juin et juillet suivants, j’ai prolongé la même enquête dans le Petit Marseillais et dans la Revue des revues, un peu aussi dans le désir de me rendre compte de l’opinion publique générale.

J’ai reçu 4280 réponses, composées de 2456 non et de 1824 oui. Sur ces dernières, il y a eu 1758 lettres plus ou moins détaillées, dont un grand nombre étaient insuffisantes comme documents à discuter. Mais j’ai pu en réserver 786 importantes qui ont été classées, transcrites quant aux faits essentiels, et résumées. Ce qui frappe dans toutes ces relations, c’est la loyauté, la conscience, la franchise, la délicatesse des narrateurs qui tiennent à cœur de ne dire que ce qu’ils savent et comme ils le savent, sans rien ajouter ni retrancher. Chacun est là le serviteur de la vérité.

Ces 786 lettres transcrites, classées et numérotées17, contiennent 1130 faits différents.

Les observations exposées dans ces lettres présentent à notre examen plusieurs sortes de sujets, que l’on peut classer comme il suit :

Manifestations et apparitions de mourants.

Manifestations et apparitions de vivants non malades.

Manifestations et apparitions de morts.

Vue de faits se passant au loin.

Rêves prémonitoires. Prévision de l’avenir.

Rêves montrant des morts.

Rencontres pressenties.

Pressentiments réalisés.

Doubles de vivants.

Mouvements d’objets sans cause apparente.

Communications de pensées à distance.

Impressions ressenties par des animaux.

Appels entendus à de grandes distances.

Portes fermées au verrou, s’ouvrant seules.

Maisons hantées.

Expériences de spiritisme.

Un très grand nombre de ces faits sont subjectifs, se passent dans le cerveau des témoins, tout en étant déterminés par une cause extérieure. Un grand nombre aussi sont des hallucinations pures et simples. Nous aurons à les examiner et à les discuter. Ce qu’ils nous apprennent, tout d’abord, c’est qu’il y a encore beaucoup de choses que nous ne connaissons pas ; c’est qu’il y a, dans la nature, des forces inconnues, intéressantes à étudier.

Je vais d’abord extraire des lettres reçues celles qui ont pour objet les manifestations de mourants à des personnes éveillées et en état d’esprit normal, éliminant tout ce qui concerne les rêves. Ces observations continuent les précédentes. Je ne les ferai suivre d’aucun commentaire : la discussion viendra après ; tout ce que je demande, c’est qu’on les lise avec soin.

Je supprime toutes les formules de politesse. Je supprime également toutes les protestations de sincérité et de certitude morale. Chaque correspondant affirme sur l’honneur qu’il rapporte exactement les faits tels qu’il les connaît. Que ce soit dit une fois pour toutes.

XVI. — Le 29 juillet 1865, Nephtali André était en mer entre la France et l’Algérie, où il se rendait après la clôture des cours académiques. Tout à coup, il eut l’impression de s’entendre appeler très distinctement : « Nephtali ». Il se retourna, regarda autour de lui et ne vit personne. Comme cette voix ressemblait, à s’y méprendre, à celle de son père qu’il savait malade, et comme, d’autre part, il avait entendu parler de phénomènes de télépathie, il eut, instantanément, l’idée d’une corrélation quelconque entre cet appel mystérieux et l’état de son père, M. Gabriel André. Il tira sa montre pour fixer le moment. Or, en arrivant à destination, le jeune homme apprenait le décès survenu à l’heure même où ce nom : « Nephtali » avait résonné à ses oreilles comme un appel suprême.

Mon grand-père, Gabriel André, avait épousé Mlle de Saulses-Larivière parente de M. de Saulses-Freycinet, ministre de la Guerre.

TONY ANDRÉ,
Pasteur, à Florence. [Lettre 5.]

XVII — Je réponds devant vous comme le ferait un témoin.

A. — Le jeudi 1er décembre 1898, après avoir passé la soirée avec ma mère, je pris ma lampe et entrai dans ma chambre pour m’y coucher. Aussitôt, je ressentis une sorte d’appréhension, de serrement de cœur, je sentis qu’il y avait quelqu’un dans cette chambre, quelqu’un que je ne voyais pas et qui cependant y était ou plutôt devait y être.

Ma chambre contient peu de meubles et de tentures, il serait impossible de s’y dissimuler ; je l’eus bientôt embrassée d’un seul coup d’œil et je constatai qu’il n’y avait personne.

Cette appréhension se continuant, je sortis dans le vestibule, j’explorai l’escalier, et je ne vis rien.

J’eus alors le pressentiment qu’il allait m’arriver cette nuit quelque chose, que j’allais être volé, qu’un incendie allait éclater, qu’un gendarme allait venir me réveiller pour m’apprendre que quelque crime nécessitant mon transport venait d’être commis, je ne sais quoi, enfin.

Je mis ma montre sur une table de nuit, remarquant qu’il était 9 heures et demie, et me couchai.

Le lendemain matin, je recevais un télégramme m’annonçant qu’un oncle très âgé et malade depuis longtemps venait de mourir ; ce télégramme ne contenait aucune indication de l’heure, il disait seulement qu’il était décédé la veille, soit le jeudi 1er décembre.

Je communiquai cette dépêche à ma mère en lui disant. « Il est mort à 9 heures et demie du soir ».

J’annonçai aussi cette heure devant plusieurs personnes amies, afin de pouvoir invoquer leur témoignage si mes dires étaient jamais contestés.

Je pris le premier train pour me rendre à Janville où demeurait ce parent, à environ 40 kilomètres de Malesherbes.

Après avoir échangé avec ma tante quelques paroles, je lui demandai à quelle heure était mort son mari.

Elle me répondit simultanément avec une femme qui gardait le mort et qui avait assisté à son agonie : « A 9 heures et demie du soir. »

B. — Au mois d’octobre 1897, ma mère se trouvant dans une chambre ouvrant sur la salle à manger par une porte, alors ouverte, entendit une sorte de soupir prolongé et ressentit comme un souffle qui aurait passé devant son visage.

J’étais sorti. Croyant que j’étais entré dans la salle à manger sans qu’elle eut entendu ouvrir la porte, elle dit à haute voix : « Est-ce toi, Georges ? »

Personne ne répondant, elle entra dans la salle à manger et vit qu’il n’y avait personne.

Lorsque je rentrai, elle me fit part de ce qu’elle venait de ressentir.

Le lendemain, elle recevait une dépêche lui annonçant la mort d’une cousine demeurant à Chambon (Loiret) à environ 25 kilomètres d’ici.

Elle partit à Chambon et apprit que cette cousine était morte des suites d’une chute quelques heures après l’accident. La manifestation qui s’était produite coïncidait exactement avec l’heure où cette parente était mourante.

GEORGES MERLET,
Juge de paix de Malesherbes (Loiret). [Lettre 6.]

XIX. — Le 4 décembre 1884, à 3 heures et demie du matin, étant parfaitement éveillée, je venais de me lever. J’eus la vision très nette de l’apparition de mon frère, Joseph Bonnet, sous-lieutenant de spahis, 2e régiment, en garnison à Batna, province de Constantine (Algérie). À cette époque, il était en manœuvres, et nous ne savions pas au juste où il se trouvait. Mon frère m’embrassa sur le front ; je sentis un frisson très froid, et il me dit très distinctement : Adieu, Angèle, je suis mort 18.

Très émue et toute bouleversée, je réveillai mon mari aussitôt en lui disant : « Joseph est mort ; il vient de me le dire. »

Comme ce jour-là, 4 décembre, était le jour de la naissance de mon frère (il accomplissait ses trente-trois ans), et que nous avions parlé la veille de cet anniversaire, mon mari m’assura que c’était là une suite de mes idées et me traita même de visionnaire et d’exaltée.

Toute cette journée du jeudi, je fus très angoissée. A 9 heures du soir, nous reçûmes une dépêche ; avant de l’ouvrir, je savais ce qu’elle contenait. Mon frère était mort à Kenchela (Algérie), à 3 heures du matin.

ANGÈLE ESPERON, née BONNET.

Je certifie absolument exact le récit ci-dessus de ma femme.

OSMAN ESPERON,
Capitaine en retraite, chevalier de la Légion d’honneur, à Bordeaux. [Lettre 9.]

XX. — C’était en 1845, le 28 octobre. Mon père, alors âgé de quatorze ans, revenait de chercher un seau d’eau à un puits situé à 80 mètres de la maison de ses parents. Or, le matin, il avait vu rentrer chez lui, malade, le sieur Lenoir, âgé de cinquante ans, employé en qualité de berger chez M. Boutteville, cultivateur à Nanteau-sur-Lunain (Seine-et-Marne). Pour aller au puits (voir la figure explicative), il fallait passer à 20 mètres environ de l’habitation du sieur Lenoir. Il était alors quatre heures du soir.

S’étant arrêté pour se reposer, il se retourna et vit très distinctement, à 10 mètres environ, le sieur Lenoir, un paquet sur l’épaule, venant de son côté. Pensant qu’il retournait à son travail, mon père reprit le seau et rentra à la maison. Son frère Charles, qui se trouvait dans la cour, entra aussitôt en disant : « Je ne sais ce qu’il y a chez la mère Lenoir ; on l’entend crier : Hélas ! il est mort ! — Ce n’est certainement pas le père Lenoir, répondit alors mon père, car je viens de le voir partir chez son maître. »

Sans perdre de temps, ma grand’mère se rendit chez les époux Lenoir et apprit que le mari venait de mourir à l’instant même où l’apparition s’était manifestée à mon père19.

A. BERTRAND,
Instituteur à Vilbert (Seine-et-Marne). [Lettre 11.]

XXI. — Nous étions à la campagne. Ma mère habitait une pièce voisine de celle où nous couchions, ma femme et moi.

Ma mère était âgée, mais très bien portante, et rien, la veille de sa mort, ne nous faisait présumer sa fin prochaine lorsqu’elle se retira le soir dans sa chambre.

Le matin, vers 5 heures et demie, je fus éveillé en sursaut par un bruit que je pris pour celui d’une sonnette.

Je sautai à bas du lit, en disant à ma femme : « Ma mère sonne ».

Ma femme me fit remarquer que cela ne pouvait être, ma mère n’ayant pas plus que nous de sonnette à la campagne, et que le bruit qui m’avait éveillé était le grincement de la poulie d’un puits situé sous nos fenêtres, grincement qui ne m’éveillait point d’ordinaire.

J’admis la possibilité de cette explication, et n’attachai pas d’importance à mon brusque réveil.

Je descendis à Lyon. Quelques heures après, ma femme me fit prévenir par un exprès, qu’elle venait de trouver ma mère morte dans son lit, et que tout faisait supposer que sa mort devait remonter à 5 ou 6 heures du matin, c’est-à-dire à peu près à l’heure ou une inexplicable sensation m’avait fait croire qu’elle appelait.

E. GÉRIN,
Avoué près le Tribunal civil (Lyon). [Lettre 13]

XXII. — J’avais chez moi, il y a quelques années, une vieille bonne, Sophie, qui avait élevé ma mère, moi-même, et avait aidé à élever mon enfant. Elle avait chez moi son logement et, à cause de son grand âge, ne pouvait plus guère s’occuper comme passe-temps que de la basse-cour.

Sophie n’était pas pour moi une mère, une vieille bonne, une femme ; non, c’était simplement Sophie, je l’aimais de tout mon cœur comme aux premiers temps de mon enfance.

Pour elle, j’étais tout, son dieu, sa chose. J’arrive au fait.

Je revenais seul, en voiture, la nuit, d’un long voyage, lorsque j’entendis mon nom prononcé d’une voix étouffée tout près de moi. J’arrêtai brusquement mon cheval et descendis de voiture. Je ne vis rien. J’allais remonter, croyant à une illusion de mes sens, lorsque j’entendis une seconde fois mon nom prononcé dans la voiture, d’une voix déchirante, comme quelqu’un qui appelle au secours. Je reconnus la voix de ma pauvre Sophie. Elle ne pouvait être là, puisque je la savais très souffrante depuis quelques jours. Je remontai en voiture, très perplexe. À peine assis, je m’entendis appeler une troisième fois, d’une voix très douce, la voix qu’elle avait lorsque, tout enfant, elle chantait pour m’endormir.

J’éprouvai alors une émotion indéfinissable. Encore aujourd’hui, en rappelant ce souvenir, je suis tout troublé.

À quelques centaines de mètres de là, je vis de la lumière dans une auberge, je descendis et notai sur mon carnet la chose extraordinaire qui venait de m’arriver.

Enfin une heure après j’arrivais chez moi : la première chose que j’appris, c’est que ma pauvre vieille Sophie venait de s’éteindre, après une heure d’agonie environ.

GEORGES PARENT,
Maire à Wiège-Faty (Aisne). [Lettre 20.]

XXIII. — Le soir du 8 mai 1896, vers 9 heures et demie, j’allais me coucher, lorsque je sentis comme une commotion électrique qui me secoua de la tête aux pieds. Ma mère était malade depuis quelques mois, je dois vous le dire, mais rien ne faisait prévoir que son état dut s’aggraver subitement. — La commotion avait été si étrange, si nouvelle, que je l’attribuai immédiatement, et sans réflexion, à la mort de ma mère. Sous le coup de cette émotion, je ne pus m’endormir que fort tard, et avec la conviction que j’aurais le lendemain une dépêche m’annonçant le malheur. Ma mère habitait à 60 kilomètres de Moulins.

Le lendemain matin, une dépêche me mandait en toute hâte. Je pars et je trouve ma mère à peu près sans connaissance. Elle mourut le lendemain, soit trente heures environ après l’avertissement.

Les personnes qui la soignaient me dirent que l’hémorragie interne (c’est à cela qu’elle avait succombé) l’avait terrassée à neuf heures et demie, le 8 mai, c’est-à-dire à l’heure même où j’ai été si étrangement averti.

Abbé L. FORESTIER,
Vicaire à Saint-Pierre (Moulins). [Lettre 23.]

XXIV. — Votre requête me fait un devoir de vous raconter un fait qui s’est passé ici et qui a vivement ému la plupart des habitants du bourg. Le voici dans toute sa simplicité.

Un jeune homme de quinze ans, domestique chez M. Y. M., depuis déjà longtemps, avait été chargé par celui-ci de conduire ses bêtes à cornes à l’abreuvoir. Je dois vous dire ici que le père de cet enfant était gravement malade depuis deux jours, ayant contracté une fluxion de poitrine à une foire proche de Chamberet, et que cette maladie avait été cachée au jeune enfant.

Or, à trente pas environ de l’étable, l’enfant, ou mieux le jeune garçon, arrivé auprès de l’abreuvoir, aperçut tout à coup deux bras levés en l’air, puis une forme de spectre, et entendit des cris douloureux accompagnés de gémissements. — La secousse fut si forte qu’il s’évanouit : il avait, dit-il, cru reconnaître son père. Il était environ 6 heures et demie ou 7 heures du soir.

Le lendemain, à 4 heures et demie, son père était mort, et le soir il avait demandé plusieurs fois son fils, au milieu de ses plus vives souffrances.

Ce fait peut vous être affirmé par cent personnes des plus honorables de Chamberet.

C. DUFAURE,
Pharmacien à Chamberet (Corrèze). [Lettre 25.]

XXV. — Le fait suivant peut mériter de vous être signalé. M. Destrubé, chef de musique au 114e, homme très digne de foi, fut, il y a quelques années, réveillé en sursaut par une voix qui appelait « Narcisse ».

À cet appel de son prénom, Destrubé, qui avait positivement cru entendre la voix de son père, répondit en se redressant sur son lit.

Cela se passait entre minuit et une heure du matin.

Quelques heures après, Destrubé recevait un télégramme lui annonçant la mort de son père, survenue la nuit même, et vers l’heure à laquelle il avait cru s’entendre appeler.

Destrubé, en garnison à Saint-Maixent, se rendit aux obsèques à Vaubecourt (Meuse), où on lui apprit que le dernier mot de son père mourant avait été : « Narcisse ».

Si ce fait peut être de quelque utilité pour vos intéressants travaux, je suis, cher maître, trop heureux de vous le faire connaître, et mon ami Destrubé se fait, au besoin, un devoir de le confirmer.

SORLET,
Capitaine au 137e de ligne, à Fontenay-le-Comte (Vendée). [Lettre 27.]

XXVI. — En juin 1879, un de mes cousins faisait son volontariat à Bayonne ; ses parents habitaient le nord de la Charente-Inférieure, à environ 400 kilomètres de distance.

Un jour, sa mère, entrant dans la chambre ordinairement occupée par son fils, le vit très distinctement étendu immobile sur son lit. Elle en fut très impressionnée. Quelques heures plus tard, un ami de la famille vint à la maison et entretint en particulier le mari, père du jeune soldat. Cet entretien avait lieu au milieu d’une cour très spacieuse, et la mère, placée sur une porte à 40 ou 50 mètres, entendit l’ami, qui pourtant causait tout bas, dire à son mari : « N’en parlez pas à votre femme ». Elle s’écria aussitôt que son fils était mort.

En effet, le matin même, en revenant d’une marche militaire, il était allé se baigner à Biarritz et s’était noyé vers l’heure de l’apparition ; un camarade avait télégraphié à l’ami de la famille pour le charger d’annoncer la nouvelle.

CLERMAUX,
Direction de l’enregistrement à Juvigny (Orne). [Lettre 29]

XXVII. — Ma grand’tante, Mme de Thiriet, se sentant mourir (le 21 avril 1807) parut, quatre ou cinq heures avant sa mort, entièrement recueillie en elle-même. « Avez-vous plus de mal ? lui demanda la personne de qui je tiens ce récit. — Non, ma chère, mais je viens d’appeler Midon pour mon enterrement. »

Midon était une personne qui l’avait servie, et qui demeurait à Eulmont, village situé à 10 kilomètres de Nancy où se trouvait Mme de Thiriet. La personne qui assistait aux derniers moments de celle-ci crut qu’elle rêvait ; mais, deux heures après, elle fut bien étonnée de voir arriver Midon, ses vêtements noirs dans ses bras, et disant qu’elle avait entendu Madame l’appeler pour la voir mourir et lui rendre les derniers devoirs.

A. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE,
Conservateur des eaux et forêts en retraite, chevalier de la Légion d’honneur, à Nancy. [Lettre 30.]

XXVIII. — En 1875, un cousin germain de ma mère, M. Claudius Périchon, alors chef comptable à l’usine métallurgique de l’Horme, commune de Saint-Julien-en-Jarret (Loire), entrant au bureau de tabac, vit nettement dans la vitrine ma mère. Le lendemain, il recevait la nouvelle de sa mort.

Ma mère a-t-elle pensé à son cousin à ses derniers moments ? Je ne saurais vous le dire. Dans tous les cas, la véracité de ce récit ne peut être mise en doute ; mon cousin l’a raconté plusieurs fois à ses enfants, de qui je le tiens, et c’est un homme d’une certaine instruction, peu expansif, très sérieux, plein de bon sens, et par suite digne de foi.

BERGER,
Instituteur à Roanne. [Lettre 39.]

XXIX. — Le père de ma mère habitait Huningue, dont il était maire. Peu de temps après le siège de cette ville il reçut la nouvelle que son père qui habitait Rixheim, situé à environ 20 kilomètres d’Huningue, était dangereusement malade. Faire seller son cheval, et partir à toute bride, fut l’affaire d’un instant. À mi-chemin, son père lui apparut à la tête du cheval qui se cabra. Sa première pensée fut que son père était mort, et en effet, arrivé à Rixheim trois quarts d’heure après, il constata que son père avait rendu le dernier soupir au moment même de l’apparition.

Ma mère, Madeleine Saltzmann, alors encore jeune fille, épousa, quelques années après, Antoine Rothéa, mon père, notaire à Altkirch où il occupa cette fonction pendant trente ans ; je lui ai succédé, et après la guerre de 1870, je quittai l’Alsace pour m’installer en France, et en dernier lieu à Orquevaux (Haute-Marne), votre département.

E. ROTHÉA. [Lettre 40.]

XXX. — Ma chère mère mourut le samedi 8 avril 1893. J’avais reçu le mercredi précédent une lettre d’elle où elle me disait n’être pas trop souffrante de sa maladie de cœur, et me parlait d’une course qu’elle avait faite le samedi 1er avril près de notre campagne, à Wasselonne. Il était dans mes projets de sortir ce samedi 8 avril ; je dînai tranquillement à midi, mais vers 2 heures il me prit une angoisse terrible. Je montai dans ma chambre et me jetai dans un fauteuil où j’éclatai en sanglots : je voyais ma mère couchée sur son lit, coiffée d’un bonnet de mousseline ruchée que je ne lui avais jamais vu, et morte. Ma vieille bonne, inquiète de ne pas m’entendre marcher, vint me rejoindre, et fut surprise de me voir si désespérée. Je lui dis ce que j’avais vu, l’angoisse que j’éprouvais. Elle prétendit que les nerfs me faisaient mal et me força à terminer ma toilette. Je sortis de la maison comme une personne inconsciente. Cinq minutes après, j’entendis derrière moi le pas rapide de mon mari, m’apportant une dépêche : « Mère perdue, ne passera pas la nuit. » — « Elle est morte, dis-je, je le sais, je l’ai vue. »

Je rentrai et nous nous préparâmes à partir par le premier train. Il était 2 heures et demie, heure de Paris, quand je vis ma mère sur son lit de mort, et trois heures plus tard nous apprîmes par télégramme, qu’elle était morte subitement, à 3 heures et demie, heure de Strasbourg. Elle n’avait pas été malade, ne s’était couchée que deux heures avant sa mort, se plaignant de froid et d’une grande somnolence et ne croyait pas mourir puisqu’elle se faisait lire une lettre par mon père qui se tenait au pied du lit. Comme elle n’a pas demandé à voir ses enfants, je crois qu’elle a dû songer cependant à moi en expirant. N’étant arrivée que le lundi vers 11 heures à Strasbourg, ma mère était déjà couchée dans sa bière, mais celles qui l’ont habillée m’ont décrit, tel que je l’ai vu, le bonnet en mousseline qu’on lui a laissé en l’ensevelissant.

A. HESS,
à Alby. [Lettre 42.]

XXXI. — Un jeune étudiant en médecine, interne à l’hôpital, fut pris d’une angine sans gravité à ce qu’on croyait. Un soir, il rentre dans sa chambre, sans être plus souffrant, se couche et s’endort, à ce qu’on suppose. Le matin de la même nuit, vers 3 heures, une religieuse de l’hospice fut réveillée par des coups frappés à sa porte, elle se lève à la hâte, les coups se faisant plus pressants, court à la porte et ne voit personne. Elle s’informe : personne n’avait rien entendu. Or le matin, à l’heure du lever, le voisin de chambre du jeune étudiant malade, inquiet de ne rien entendre dans la chambre de son ami, entre chez lui et le trouve mort, les mains crispées sur la gorge. Il avait succombé à une hémorragie.

La religieuse s’expliqua les coups frappés à sa porte. Le pauvre moribond avait probablement pensé à elle qu’il connaissait particulièrement. Si elle avait été près de lui, elle l’aurait peut-être empêché de mourir.

Si vous publiez cette relation, je vous prie de changer le nom de la ville et le mien, car ici on est tout à fait « fin-de-siècle » et on se moque de tout.

A. C. [Lettre 43.]

XXXII. — En 1887, mes parents avaient recueilli parmi nous ma grand’mère âgée de quatre-vingts ans. J’avais alors douze ans et je fréquentais, en compagnie d’un de mes amis plus âgé que moi de deux ans, l’école communale de la rue Boulard, à Paris. Ma grand’mère était souffrante, mais rien ne faisait présager à bref délai un dénoûment fatal. J’ajouterai que mon ami venait assez souvent chez nous et que nos demeures étaient distantes de dix minutes de chemin environ.

Un matin, en me réveillant, vers 7 heures, ma mère m’apprit le décès de ma grand’mère survenu une heure auparavant. Il fut naturellement décidé que je n’irais pas à l’école ce jour-là. Mon père en se rendant vers 9 heures à l’Hôtel de Ville, où il est employé, passa à l’école pour informer le directeur du malheur qui nous frappait. Celui-ci lui répondit qu’il le connaissait déjà, que mon ami, en arrivant, le lui avait appris en lui disant que ma grand’mère était morte le matin même à 6 heures. Aucune communication n’avait eu lieu entre ma demeure et celle de mon ami, d’une part, entre ma demeure et l’école d’autre part. Voilà le fait, indiscutable, et que je vous affirme de la façon la plus formelle.

Voici maintenant l’explication qui nous fut donnée le lendemain ou le surlendemain par mon ami. S’étant réveillé la nuit, il avait vu sa jeune sœur, morte depuis quelques années, pénétrer dans sa chambre, tenant par la main ma grand’mère, et celle-ci lui avait dit : « Demain matin à 6 heures, je ne ferai plus partie du monde des vivants ». Maintenant, a-t-il entendu cette phrase ? A-t-il été sincère et exact dans ses affirmations ? Je ne sais. Toujours est-il que, sur la foi de cette vision, il annonça au directeur de l’école, de la façon la plus précise, un fait que rien ne pouvait lui faire présager, ni connaître.

M. MINÉ,
6e section d’Administration militaire, Châlons-sur-Marne. [Lettre 44.]

XXXIII. — Le 22 janvier 1893, j’étais appelée par dépêche auprès de ma tante âgée de quatre-vingt-deux ans et malade depuis quelques jours.

À mon arrivée, je trouvai ma chère tante à l’agonie et ne parlant presque plus ; je m’installai à son chevet pour ne plus la quitter. Vers 10 heures du soir, je veillais assise dans un fauteuil près d’elle, lorsque je l’entendis appeler, avec une force étonnante : Lucie ! Lucie ! Lucie !. Je me levai vivement et je vis ma tante ayant perdu complètement connaissance et râlant. Dix minutes après, elle rendait le dernier soupir.

Lucie était une autre nièce et la filleule de ma tante, qui ne venait pas la voir assez souvent à son gré, puisqu’elle s’en était plainte plusieurs fois à la garde-malade.

Le lendemain, je dis à ma cousine Lucie : « Vous avez du être bien surprise en recevant une dépêche vous annonçant la mort de notre tante. » Elle me répondit : « Nullement, je m’y attendais un peu. Figurez-vous que la nuit dernière vers 10 heures, alors que je dormais profondément, j’ai été réveillée brusquement, m’entendant appeler par ma tante : « Lucie ! Lucie ! Lucie ! » Je n’ai pas dormi le reste de la nuit. »

Voila le fait, que je vous certifie très exact, en vous priant de ne donner que mes initiales si vous le publiez, car la ville que j’habite n’est guère composée que de gens futiles, ignorants ou bigots hypocrites.

P. L. B. [Lettre 47.]

XXXIV. — J’avais un oncle qui avait servi aux zouaves. Son capitaine l’avait pris en affection ; cependant, par la suite, toutes relations avaient cessé entre eux. Plusieurs années après, un matin, au lit, bien éveillé, mon oncle a l’impression très nette de voir son capitaine entrer, s’avancer au pied de son lit, le regarder un instant sans rien dire, se retourner et disparaître. Mon oncle se lève, interroge dans la maison, personne n’a rien vu. Quelques jours après, il apprend la mort de ce capitaine ce jour-là. A-t-il vérifié la concordance de l’heure ? Je ne sais.

EUGÈNE ROYER,
Pharmacien de 1re classe de l’École supérieure de Paris, La Ferté-Milon (Aisne). [Lettre 49.]

XXXV. — J’ai à vous signaler un fait authentique que je tiens d’un des témoins lui-même. Voici. Dix à douze religieux réunis dans une salle de leur maison étaient en conférence ; à un moment, un volet de la fenêtre se ferme brusquement avec grincement lugubre ; au même instant un (ou plusieurs, je ne me souviens) se lève et s’écrie : « Un malheur vient d’arriver, notre supérieur est mort ». Le supérieur était à la maison mère et à des kilomètres. Le lendemain, les religieux reçoivent la fatale nouvelle, leur supérieur était bien mort à l’heure du battement du volet. Cette histoire m’a toujours fortement intrigué20.

JOANNIS JANVIER,
Anzy-le-Duc, par Narcigny (Saône-et-Loire). [Lettre 52.]

XXXVI. — Il y a un an et demi environ, mon père, une cousine en séjour chez nous et ma sœur causaient dans la salle à manger. Ces trois personnes étaient seules dans l’appartement, quand tout à coup elles entendirent jouer du piano au salon. Très intriguée, ma sœur prend la lampe, va au salon et voit parfaitement quelques notes se baisser toutes ensemble, faire entendre des sons, et se relever21.

Elle revient et raconte ce qu’elle a vu. On rit, au premier moment, de son histoire, en voyant une souris au bout de l’affaire, mais comme la personne est douée d’une vue excellente et qu’elle n’est pas superstitieuse le moins du monde, on trouva la chose étrange.

Or, huit jours après, une lettre venant de New-York nous apprenait la mort d’un vieil oncle qui habite cette ville. Mais chose plus extraordinaire, trois jours après l’arrivée de cette lettre, le piano se remettait à jouer. Comme la première fois, une annonce de mort nous arrivait huit jours après, celle de ma tante, cette fois.

Mon oncle et ma tante formaient un couple parfaitement uni ; ils avaient gardé un très grand attachement à leurs parents et à leur Jura, leur lieu d’origine. Jamais le piano ne s’est fait entendre de lui-même, depuis lors.

Les témoins de cette scène vous certifieront la chose quand vous le voudrez ; nous habitons à la campagne dans les environs de Neuchâtel, et je vous assure bien qu’ici nous ne sommes pas des névrosés.

ÉDOUARD PARIS,
artiste peintre, près Neuchâtel (Suisse). [Lettre 54.]

XXXVII. — Je finissais en 1885 ma dernière année de service à l’arsenal de Tarbes, où je travaillais comme forgeron. Très avant dans la nuit du 20 mai, je fus éveillé par la sensation d’une lumière22 passant devant mes yeux. Je regardai et je vis au pied de mon lit, à gauche, un disque lumineux, dont la lumière discrète rappelait celle d’une veilleuse. Sans voir de figure, sans rien entendre, j’eus dans ma pensée l’idée précise que j’avais devant moi un de mes cousins habitant Langon et qui était atteint d’une maladie grave. Après quelques secondes, la vision s’évanouit, je me trouvai assis sur mon lit ; je me dis en me recouchant : « Imbécile, c’est un cauchemar. »

Le lendemain, comme d’habitude, je me rendis à l’atelier, et là, vers 8 heures et demie, je reçus une dépêche m’annonçant la mort de ce cousin survenue vers une heure de la nuit. Je demandai et obtins une permission de trois jours pour aller l’embrasser une dernière fois. Élevés en frères, nous nous aimions de même.

Je racontai en arrivant ce que je vous écris à mon oncle Lapaye et à ma marraine, père et mère du défunt. Ils sont encore en vie et peuvent, si besoin est, témoigner de la véracité du fait que je vous transmets, sans en avoir « arrangé les détails », comme vous le reprochez à quelques-uns.

ÉLOI DESCAMPS,
à Bommes (Gironde)., [Lettre 56.]

XXXVIII. — Quelques jours avant le 24 juillet 1895, je venais de me déshabiller et me tenais debout près de mon lit, mon mari était dans son cabinet de toilette, à ce moment. Étant parfaitement éveillée, j’ai vu la figure de ma grand’mère toute ridée, plissée bien plus qu’en réalité, et blême comme une tête de morte. Cela n’a eu que la durée d’un éclair, mais m’a troublée profondément. Je n’en ai rien dit dans le moment, ces choses-là paraissent toujours ridicules à raconter, et le lendemain matin, ma mère me faisait savoir que ma grand’mère était frappée d’une paralysie complète qui lui enlevait toute connaissance. Elle est morte en effet quelques jours après. Je n’ai pas vérifié si l’heure à laquelle je l’avais vue correspondait avec le moment où elle a été privée de connaissance.

Catholique fervente, 35 ans, femme d’avocat, tout ce qui a trait à l’au-delà m’intéresse extrêmement. Mais je vous prie de ne pas livrer mon nom, cette ville n’étant guère composée que d’esprits fort légers et occupés surtout de potinages.

L. M.,
à A. [Lettre 63.]

XXXIX. — En 1888, au mois de janvier, j’ai perdu ma grand’mère ; elle avait fait appeler ses enfants à ses derniers moments pour leur dire un suprême adieu. Tous étaient donc présents au moment de sa mort, à l’exception d’une de mes tantes qui était, et qui est encore religieuse au Brésil. Ma grand’mère a manifesté le regret qu’elle avait de ne pouvoir la voir. Maman fut chargée d’annoncer à ma tante la triste nouvelle. Et deux mois après, elle recevait une lettre de ma tante, où celle-ci racontait qu’un soir, au moment de se coucher, elle avait entendu des pas autour de son lit ; elle se retourne, mais ne voit rien ; tout à coup son rideau s’ouvre brusquement, et elle sent comme une main se poser sur son lit. Elle était seule dans sa chambre, et avait de la lumière. Sa première pensée fut que quelqu’un de ses parents était mort, et elle se mit à prier pour son âme. Elle inscrivit la date et l’heure : or c’est précisément le jour de la mort de ma grand’mère qu’elle avait eu cette impression.

M. ODEON,
institutrice à Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie). [Lettre 68.]

XL. — Mon père occupait autrefois un individu du nom de Fautrac, originaire d’Agneaux, près de Saint-Lô, excellente nature, jovial, aimant à faire des farces aux gars du village ; certains se rappellent encore les tours pendables qu’il leur a joués.

Malgré cela, tout le monde le recherchait, précisément à cause de sa belle humeur, et l’aimait. Le malheureux, qui avait fait sept ans dans l’infanterie de marine au Sénégal, avait contracté les fièvres, et ne s’en était jamais remis. Anémié, il devint phtisique. Mon père, qui l’aimait beaucoup, le soigna pendant plusieurs mois chez nous. Le mal faisant des progrès, Fautrac fut obligé de s’aliter complètement, et mon père obtint son admission à l’hôpital de Granville. Là, il resta encore trois mois en traitement avant de mourir.

Régulièrement, mon père allait le voir tous les dimanches pour le consoler et lui porter quelques douceurs. Un lundi, lendemain d’une visite à son malade qu’il avait trouvé beaucoup mieux, mon père fut brusquement réveillé, ainsi que ma mère, par un violent coup frappé au chevet du lit.

« Qu’est-ce qu’il y a donc ? s’écria ma mère en proie à la plus grande frayeur. As-tu entendu le coup qui vient d’être frappé sur le lit ? » Mon père, ne voulant pas paraître avoir peur, et qui avait été tiré de son sommeil par le même bruit, ne répondit rien, se leva, alluma la lampe et consulta la pendule. « Tiens, dit-il, j’ai un pressentiment ; je gage que le pauvre Fautrac est mort. Il me disait toujours qu’il m’avertirait. » Mon père, dès la pointe du jour, partit pour Granville. Aussitôt arrivé à l’hôpital, il demande à voir, malgré l’heure matinale, le nommé Fautrac. On lui répond qu’il est décédé dans la nuit à 2 heures du matin, exactement l’heure où mon père a été si brusquement réveillé.

J’ai raconté cette histoire bien des fois, je n’ai trouvé que des incrédules, que des gens disposés à me traiter de superstitieux. J’ai dit, du reste, moi-même à mes parents : « Mais c’est une coïncidence, un cauchemar, que sais-je ? » Toujours mon père m’a répondu : « Non, je ne rêvais pas, et ta mère non plus. »

Le fait n’est pas contestable. Ah ! si vous pouviez, par votre enquête, jeter un peu de clarté sur ces passionnants problèmes !

P. BOUCHARD,
commis des postes à Granville (Manche). [Lettre 71.]

XLI. — Mon père, alors âgé de 20 ans, se trouvait seul dans une maison quand, après minuit, il se fit un terrible fracas, puis la porte d’entrée s’ouvrit avec beaucoup de bruit. Mon père qui dormait au premier étage se réveilla en sursaut, et en même temps son père, au rez-de-chaussée, l’appela pour lui demander s’il était dans sa chambre ou s’il était allé dans la cour, et pourquoi il avait fait tant de vacarme. Mon père s’empressa de descendre en manifestant son étonnement sur cette étrange aventure. N’y comprenant rien, le père et le fils refermèrent la porte en poussant les verrous, et chacun regagna son lit. Mais, au bout de très peu de temps, la même scène se reproduisit, et papa et grand-père se rencontrèrent de nouveau, tout effrayés, devant la porte ouverte. On la referme de nouveau avec soin et l’on regagne son lit, quand, pour la troisième fois, la porte se rouvrit avec fracas. On la lia alors avec une grosse corde. Le reste de la nuit se passa tranquillement.

Quelque temps après, une lettre arriva, annonçant la mort du frère de grand-père, établi en Amérique ; la date de sa mort coïncidait avec celle des événements relatés plus haut. Seulement, ce frère était mort vers 1 heure de l’après-midi. Ensuite on apprit que ce frère avait eu un grand désir de voir encore une fois son frère en Alsace, et un moment, on le croyait déjà mort, quand tout à coup il rouvrit les yeux en disant : « Je viens de faire un grand voyage : j’étais chez mon frère à Brumath. » Puis il mourut.

CAROLINE BAESCHLY,
à Saverne. [Lettre 72.]

XLII. — Personnellement, je n’ai aucun phénomène de télépathie à vous faire connaître. Mais, avant-hier, on parlait chez moi de vos savantes recherches. Une personne absolument digne de foi raconta qu’assistant sa mère à ses derniers instants elle avait, presque au moment de la mort de celle-ci, répandu une grande quantité d’eau de Cologne autour de la mourante. À la même heure, la sœur du narrateur, à plus de trente lieues de là, eut comme la certitude de la mort de sa mère, et elle perçut très distinctement une odeur d’eau de Cologne, alors cependant qu’aucun flacon de cette eau n’était à sa portée. Cette dame savait que sa mère était très malade.

OCTAVE MARAIS,
ancien bâtonnier, à Rouen. [Lettre 80.]

XLIII. — Il m’est arrivé le 19 décembre 1898 une audition bien curieuse. Voici le fait, qui peut être confirmé par tout mon entourage, car il m’a causé une impression profonde.

Mon mari étant parti le 19 pour un petit voyage, je pris dans ma chambre l’aîné de mes trois enfants âgé de 7 ans. Les verrous de toutes les portes étaient tirés : je suis peureuse, et notre maison est un peu isolée. A 3 heures du matin, m’étant réveillée, mon garçon de même, nous entendîmes des pas légers, mais distincts, se dirigeant vers la porte des enfants, puis vers la mienne ; en même temps la poignée de la porte des enfants fut soulevée, mais elle était fermée à clef. Je sautai à bas du lit et, sans ouvrir la porte, demandai : « Anna (le nom de la bonne), est-ce vous ? » Point de réponse. Je me recouchai persuadée qu’Anna s’était levée. Grande fut ma frayeur en apprenant au déjeuner qu’elle n’avait pas quitté sa mansarde.

Deux jours plus tard, j’appris la mort d’une parente d’anciens locataires de notre maison. Elle était morte le 19 à 11 heures du soir.

JEANNE BANAUD D’ÉBERLÉ,
Briqueterie de Bussigny. [Lettre 88.]

XLIV. — Voici ce que j’ai entendu raconter à Mme la marquise de..., il y a environ cinq ans, alors que j’étais précepteur de son fils.

La marquise dînait un soir chez un de ses amis, à Paris. Les convives étaient nombreux et fort gais. Aussi l’émotion fut-elle grande lorsqu’une jeune fille de l’assistance, poussant un grand cri, se renversa sur sa chaise, en proie à une crise de larmes. Tout le monde de se précipiter à son secours ; « Là ! là ! disait-elle en indiquant la porte vitrée par où on entrait dans la salle à manger ; ma mère m’est apparue, ma mère vient de mourir. » On chercha vainement à calmer la jeune fille, à chasser cette sinistre idée de son esprit.

Une sorte de malaise s’empara bientôt des assistants eux-mêmes. Vingt minutes après, quelqu’un sonnait et demandait à emmener immédiatement Mlle X..., laissant entendre qu’un grand malheur venait d’arriver. La mère de la jeune fille était morte subitement.

E. LEMOISSON,
professeur au collège de Vire. [Lettre 94.]

XLV. — Une personne de mes relations, étant allée à la campagne pour affaires, constata, la première nuit qu’elle coucha dans sa chambre, que son lit s’agitait, se soulevait, comme remué par une cause inconnue. Il était 11 heures du soir. Elle alluma sa bougie et vit au milieu de la chambre un très gros chien23, les yeux fixés sur elle. Après quelques instants, il disparut par un des carreaux de la fenêtre, sans laisser trace de son passage. Elle partit précipitamment le lendemain matin, pressentant un malheur arrivé chez elle, et là elle apprit que M. X... officier de l’armée, atteint d’une maladie incurable, s’était suicidé la veille à 11 heures du soir. Ce monsieur lui avait demandé de le prendre chez elle pour y être soigné, et sur son refus il avait fait cette réflexion : « Alors il ne me reste plus qu’à en finir avec la vie. »

Cette personne voit une relation directe entre cette bizarre manifestation et la mort survenue le même jour et à la même heure.

CIEUCIAU,
10, rue de la Paix, à Cherbourg. [Lettre 98.]

XLVI. — Mon père, né en 1805 à Saint-Lô-d’Ourville ; près Port-Bail (Manche), était en pension au séminaire de Saint-Sauveur-le-Vicomte, à 12 kilomètres de là. C’était le préféré de son père qui, du reste, lui légua un quart en plus de l’héritage, heureusement, car le deuxième fils eut vite fait de manger le bien de ses parents.

Il n’est donc pas extraordinaire que ce père, en mourant presque subitement (comme on meurt dans notre famille), ait pensé à ce fils bon sujet, qu’il aimait tendrement et qui n’était pas là pour recevoir son dernier soupir.

Or, cette pensée du mourant dut parcourir la nuit l’espace de 12 kilomètres qui le séparait de son fils, car celui-ci, à 2 heures de la nuit, vit son père qui l’appelait pour mourir. Il courut réveiller le supérieur du séminaire et le supplia de le laisser partir.

Le supérieur refusa, disant à ce jeune homme de quinze ans que le pays, plein de forêts à traverser, n’était pas sûr pour y voyager la nuit, mais qu’il le laisserait partir au petit jour.

Hélas ! c’était trop tard ; le pauvre garçon arriva quand son père était mort, à l’heure juste de la nuit où il l’avait appelé.

ANGÉLINE DESSOLLE,
à La Tronche (Isère). [Lettre 102.]

XLVII. — Dans la nuit du 19 au 20 mai, un peu avant 11 heures, je ne dormais pas encore ; ma femme, à mon côté, dormait déjà, lorsque j’entendis très distinctement comme un corps lourd tomber sur le plancher de l’étage supérieur. Ma femme se dressa alors et me dit : « Qu’y a-t-il ? — Ce doit être un pain qui est tombé, répondis-je. » Cette chambre supérieure contenait les pains de la fournée.

Tandis que je parlais, un autre bruit semblable au premier, puis un troisième, plus fort, retentirent. Je me levai alors, j’allumai et, montant l’escalier de bois qui conduisait à ce grenier, je pus constater que tout y était bien en ordre, les pains à leur place. Un funeste pressentiment touchant mon frère Jean, malade, me prit alors, mais je n’en laissai rien paraître, et lorsque ma femme me demanda ce qui avait causé ces bruits insolites, je répondis, pour ne pas l’effrayer, car je la savais fort peureuse : « Ce sont des pains qui ont glissé. » Le lendemain, quelle ne fut pas ma stupéfaction en voyant arriver ma sœur, qui habitait alors Nîmes, les traits tout bouleversés, m’assurant avoir entendu vers 11 heures un bruit dans sa table et, à peine éveillée, un branle-bas formidable dans la grande armoire. Je l’entraînai alors dans la cuisine : « Jean est mort ! — Oui, répondit-elle, c’était lui. »

Un mois après, nous apprîmes que notre cher Jean était décédé à l’hôpital Birkaden (Algérie), dans la nuit du 19 au 20 mai24.

MARIUS MARIOGE,
à Rémoulin (Gard). [Lettre 104.]

XLVIII. — Ma mère avait deux oncles prêtres : l’un était missionnaire en Chine, et l’autre curé en Bretagne ; ils avaient une sœur, déjà âgée, qui habitait les Vosges.

Un jour, cette personne était occupée dans sa cuisine à préparer le repas de la famille, quand la porte s’ouvrit, et elle vit sur le seuil son frère le missionnaire dont elle était séparée depuis de longues années : « C’est le frère François ! » s’écria-t-elle, et elle courut à lui pour l’embrasser ; mais, au moment où elle arrivait vers lui, elle ne le vit plus, ce qui lui causa une grande frayeur.

Le même jour, à la même heure, le second frère, qui était curé en Bretagne, lisait son bréviaire, quand il entendit la voix du frère François qui lui disait : « Mon frère, je vais mourir. » Puis au bout d’un moment : « Mon frère, je meurs. » Et enfin, quelques minutes après : « Mon frère, je suis mort. »

Quelques mois plus tard, ils reçurent la nouvelle de la mort du missionnaire, arrivée le jour même où ils en avaient reçu de si étranges avertissements25.

Si je me permets de vous adresser ce récit, c’est que cet événement me semble présenter toutes garanties d’authenticité. Il m’a été raconté par ma mère et une de mes tantes séparément : elles le tenaient des personnages en cause, leur oncle, un prêtre respectable, et leur tante, une brave et digne femme, qui n’auraient pas inventé ce conte pour le plaisir d’étonner le public. Quant à croire à une hallucination, il serait invraisemblable qu’ils en eussent eu tous deux en même temps à plusieurs centaines de lieues de distance.

Je puis vous affirmer également, sur l’honneur, ma parfaite sincérité ; du reste, quel avantage aurais-je à vous tromper ?

MARIE LARDET,
à Champ-le-Duc (Vosges). [Lettre 108.]

XLIX. — « La valeur des faits croît en raison de leur nombre », dites-vous, dans un article sur les manifestations télépathiques : c’est ce qui m’enhardit à vous soumettre un de ces faits étranges. Il ne date pas d’hier, et ne m’est pas personnel ; néanmoins je puis en garantir l’authenticité, vu le caractère véridique, le ben sens, l’esprit net et positif de la personne à laquelle il est arrivé.

Vers 1822 ou 1823, le fils aîné de mes grands-parents faisait ses études à Strasbourg. Les dernières nouvelles reçues de lui étaient bonnes, et rien ne pouvait prêter et une inquiétude à son sujet. Il est vrai qu’à cette époque ou 50 kilomètres constituaient un voyage au long cours, les communications avec Strasbourg n’étaient pas très fréquentes, les nouvelles non plus, par conséquent.

Un jour que ma grand’mère regardait un portrait à l’huile de son fils absent, elle crut voir la toile s’avancer vers elle, en même temps qu’elle entendait distinctement la voix de ce fils dire : « Maman, maman ! »

La vision fut si nette qu’elle tendit les bras et cria avec angoisse : « Édouard ! »

Mon grand-père eut beau lui représenter qu’Édouard allait bien, que s’il était malade, ses parents seraient prévenus, qu’elle avait eu une hallucination, avait rêvé tout éveillée, etc., ma grand’mère resta sous l’impression d’un malheur.

Le lendemain, un messager arrivait de Strasbourg, pour annoncer la mort du jeune garçon.

Quel mal l’avait enlevé en quelques heures ? Je ne me le rappelle plus. Je sais seulement qu’il était mort à l’heure où sa mère regardait le portrait, et qu’en mourant il avait appelé deux fois : « Maman, maman ! »

Je suis, je vous l’avoue, fort incrédule ; mais ici je m’incline. Toutefois, je ne signe que pour vous, pour que vous sachiez que ce n’est pas un conte.

S. S.,
Vosges annexées. [Lettre 121.]

L. — Un fait absolument authentique s’est passé dans ma famille. Je n’ai pu savoir l’année où il s’est produit, mais enfin le voici tel que ma grand’mère et ma mère me l’ont raconté.

Ma grand’mère, étant jeune fille, habitait le port d’Envaux (petite ville aux environs de Saintes) et avait un frère, Léopold Drouillard, marin.

Un autre de ses frères, qui habitait aussi le port d’Envaux, va dans un grenier au fond d’une cour chercher du foin pour du bétail. Presque aussitôt il revient en courant, tremblant de peur, et dit à sa mère : « Maman, je viens de voir mon frère Léopold dans le grenier. » On s’est moqué de lui sur le moment, et on ne pensait plus à cela, lorsque, au mois de décembre de la même année, on apprit la mort à la Havane, au mois de juin, de Léopold Drouillard. C’était bien au mois de juin que son frère avait eu la vision.

Voilà le fait tel qu’il m’a été raconté par ma mère et ma grand’mère. Cette dernière a un de ses frères qui vit encore, ainsi qu’une de ses sœurs. Ils peuvent en témoigner.

FERNAND ORTICE,
à Tonnay-Charente (Charente-Inférieure). [Lettre 128.]

LI. — A. En 1880, mon beau-frère, J.-B. Thuillot, se trouvait à Alger où il était appelé pour ses affaires. Une nuit, il se réveilla en sursaut, sans cause apparente ; ayant ouvert les yeux, il vit, à la clarté de la veilleuse qui éclairait la chambre, un de ses amis, nommé Morillon, habitant la ville de Creil (Oise), qui se tenait très distinctement au pied de son lit et qui le regardait très tristement.... l’apparition dura quelques instants. Aussitôt, il eut l’intuition très précise que son intime ami, pourtant en bonne santé avant leur récente séparation, venait de mourir. Il écrivit chez lui et ne tarda pas à apprendre que son ami Morillon était mort cette nuit-là même, à l’heure exacte de cette apparition.

B. J’ai eu l’occasion de me rencontrer, en mai 1896, chez un ami commun, avec un M. Contamine, pharmacien à Commentry (Allier), qui a raconté devant moi le fait suivant, dont il garantissait l’absolue authenticité, et qu’il ne pouvait raconter sans une visible émotion. Se trouvant un jour assis dans sa chambre devant son armoire à glace, occupé à mettre des bottines, il aperçut très nettement dans cette glace, la porte derrière lui s’ouvrir, et vit un de ses intimes amis entrer dans la chambre ; il était en costume de soirée, très soigné. M. Contamine se retourna pour tendre les mains à son ami. À sa grande stupéfaction, il ne vit personne dans la chambre. Il s’élance aussitôt au dehors et interpelle le domestique, qui était précisément dans l’escalier : « Vous venez de rencontrer M. X..., qui sort de chez moi ; où est-il ? — Je n’ai vu absolument personne, je vous l’affirme. — Allons donc ! il sort de chez moi à l’instant. — Je suis absolument certain que personne n’est ni entré, ni sorti. » M. Contamine, très intrigué et très impressionné, eut, lui aussi, le pressentiment d’un malheur. Il s’informa aussitôt et apprit que son ami, ayant commis un homicide par imprudence, et voulant se dérober aux suites judiciaires de cet accident, s’était suicidé à l’heure exacte où avait eu lieu l’apparition et dans le costume même où il avait été vu par réflexion dans la glace.

BOULNOIS,
instituteur à Pont-Sainte-Maxence. [Lettre 134.]

LIII. — Le 23 octobre 1870, à 5 heures du matin, je dormais tranquillement, sans rêver, quand brusquement je sentis sur ma joue gauche un baiser tendrement appuyé. Je m’écriai : « Maman ! »

Le soir du même jour, nous recevions une dépêche apprenant la mort, à 5 heures du matin, de ma mère bien-aimée.

J’en ai gardé une telle impression que jamais le souvenir ne s’en perdra.

Si la grande véracité de ce fait peut vous être d’une utilité quelconque, je serai trop heureuse d’avoir contribué dans une modeste part à des recherches dont j’apprécie la haute valeur.

P. S. — Ma mère mourait à Gien et j’étais à Rochefort.

Mlle MARIE DURAND,
à Rochefort-sur-Mer (Charente-Inférieure). [Lettre 140.]

LIV. — A. Il y a cinquante ans, ma tante, sœur de charité, alors âgée de 20 ans, et se trouvant dans le dortoir commun où je l’ai vue encore cette année, fut frappée par un grand bruit de futaille qui roule dans la cour. Elle ouvrit vivement la fenêtre et ne vit rien. L’ayant refermée pour aller se coucher, le bruit continua si fort ; qu’elle la rouvrit encore, au grand étonnement de ses compagnes, qui n’entendaient rien. Huit jours après, elle apprenait la mort de sa mère et c’était bien à 8 heures du soir qu’elle avait expiré, en appelant ses deux filles absentes. Fait curieux, l’autre fille se trouvant là n’avait rien entendu.

B. Cette même tante fut réveillée longtemps après par des coups ressemblant à ceux d’un petit marteau sur une table près de son lit. La peur l’empêcha d’abord de parler, mais les huit sœurs qui partageaient son dortoir furent toutes éveillées par ce bruit. Elles se levèrent et constatèrent à trois reprises dans la nuit que c’était toujours dans la table de ma tante que ce bruit se produisait. Trois sœurs, anciennes compagnes de ma tante, m’ont affirmé avoir été témoins du phénomène.

Pas de coïncidence de mort.

C. COURTÈS,
à Marmande. [Lettre 141.]

LVI. — A. Mon oncle Joseph, frère de mon père, se promenant dans son jardin, vers 10 heures du matin, vit, par-dessus une haie d’épines, son beau-frère à cheval, arrivant par la route.

Joseph rentre chez lui, annonce à sa femme l’arrivée du mari de sa sœur et va au-devant. C’est en vain qu’il fit des recherches, mais dans la soirée un express apportait une lettre annonçant la mort subite de cet homme, frappé d’apoplexie le matin même, à 15 kilomètres environ, et tombé de cheval.

B. — Il y a quarante ans, alors âgé de trente ans, receveur des contributions dans le Morbihan, prenant le café avec deux amis après le dîner, vers 7 heures, nous entendîmes tous les trois un bruit de pièces de 5 francs dansant dans un tiroir. M’élançant dans mon bureau, séparé par une simple cloison de notre appartement, je ne pus trouver la cause de ce bruit.

Dans la soirée, un de mes frères mourait à Paris.

DU QUILLIOU,
maire de Lanhelin (Ille-et-Vilaine). [Lettre 142.]

LVIII. — Mon père, compositeur de musique, habitait alors Lyon, sa ville natale, avec sa jeune femme et sa petite fille ; mes grands-parents paternels habitaient aussi Lyon, à une demi-heure de distance, environ, de leur fils.

C’était le 28 août, à 8 heures du matin. Mon père faisait sa toilette (il se rasait devant une fenêtre), lorsqu’il s’entendit appeler26 fortement par deux fois : « André, André ! » Il se retourne, ne voit personne, va dans la chambre à côté, dont la porte était ouverte et trouve ma mère tranquillement assise.

Mon père lui dit : « Est-ce toi qui m’as appelé ? — Non, répond ma mère ; mais pourquoi as-tu l’air si ému ? » Mon père lui raconte comment il s’est entendu appeler fortement et comment cet appel réitéré l’a bouleversé.

Il achève sa toilette, et quelques instants après on vient lui apprendre que son père vient de mourir presque subitement, sans qu’on ait eu le temps de l’envoyer chercher pour recevoir son dernier soupir. Il l’avait demandé avant de mourir, mais on ne le croyait pas en danger, et l’on n’avait pas cru devoir prévenir son fils.

Il était mort à 8 heures du matin, exactement au moment où mon père s’était entendu appeler d’une manière si pressante. Notez bien que mon père n’avait aucun souci de la santé de son père, puisque la veille au soir il se portait encore bien.

Ma mère qui a été le témoin du trouble, mais qui, elle, n’a pas entendu cet appel, vient encore de m’en faire le récit pour la centième fois, et c’est sous sa dictée que je vous écris ; mais je vous supplie de ne pas livrer nos noms au public.

M. B., née S.,
à R. (Isère).

LIX. — Mon ami Ferdinand S..., âgé d’environ 16 ans, faisait à Paris ses études musicales, sous la direction du compositeur Hippolyte Monpou.

Un jour, dans sa chambre d’étudiant, étant parfaitement éveillé, il lui arriva tout à coup d’avoir la claire vision de son père, absolument tel que s’il eût été là. Cette vision ne dura qu’un instant.

Mon ami était alors loin de s’attendre à la mort de son père. Cependant celui-ci, dont la profession était accordeur à Tours, avait été victime d’un terrible accident. En faisant monter un piano par un escalier, l’instrument lui était tombé sur le corps et la mort s’en était suivie.

Or, d’après la nouvelle qu’il en reçut, Ferdinand put constater que le moment de l’apparition avait dû coïncider avec celui de la mort de son père.

E. LEP,
place de la Cathédrale, 9, à Tours. [Lettre 156.]

LX. — Il est arrivé non à moi, mais à mon père, de voir un être humain au milieu de sa chambre, entre 11 heures et minuit ; c’était son fils, mon frère, qui venait de mourir à ce moment.

Mon père ne connaissait pas l’accident qui avait tué son enfant. De plus, officier de marine très brave, ce n’était pas un rêveur, doué d’une imagination à croire aux fantômes ; il était plutôt un peu sanguin, et en parfaite santé.

MARIE ESMENARD,
propriétaire à Billom (Puy-de-Dôme). [Lettre 159.]

LXI. — Un de mes frères, alors élève de rhétorique dans un collège congréganiste, ne put fermer l’œil de la nuit et, sitôt le réveil, alla trouver le supérieur du collège et, tout en larmes, lui dit : « Je ne sais pas ce qu’il y a, mais je suis sûr qu’un malheur est arrivé chez nous. »

Le supérieur traite cela d’enfantillage, etc.... Deux heures après, notre cheval était à la porte du collège pour chercher mon frère : mon père était mort subitement cette même nuit. Or, un fait certain, c’est que mon frère, pensionnaire, ne savait et ne pouvait absolument rien savoir. Le collège où il se trouvait était distant d’une quinzaine de kilomètres de la maison paternelle27.

GASTON SAVOYE,
à Bailleul (Nord). [Lettre 164.]

LXII. — Une de mes tantes était institutrice dans une commune d’Alsace et voyait très fréquemment la sœur de M. le curé.

Or, un soir, comme ma tante se disposait à aller se coucher, elle entend un ou deux coups de sonnette. Ma tante descend, demande qui est là. Pas de réponse. Elle ouvre la porte, personne. Ce ne pouvait être un passant, car pour tirer le cordon de la sonnette, il fallait entrer dans un corridor et monter plusieurs marches d’escalier.

Le lendemain matin, elle apprenait que la sœur de M. le curé était morte presque subitement, à peu près au moment où elle avait entendu le coup de sonnette.

E. DAUL,
à Neuves-Maisons. [Lettre 169.]

LXIII. — Un de mes amis me racontait, il y a deux ans, la frayeur qu’il avait eue certaine nuit qu’il lisait au lit avant de s’endormir.

Tout à coup les rideaux sont violemment fouettés, il entend en même temps une longue plainte et des pas marchant sur le plancher. Sa femme, qui était éveillée, me confirma avoir entendu le même bruit. Le lendemain, ils apprenaient la mort d’un de leurs amis habitant à 4 kilomètres de là.

A. MORISOT,
41, rue du Château, à Lyon. [Lettre 171.]

LXIV. — Notre famille était alliée à celle du général Bertrand, le compagnon d’exil de Napoléon. Ma mère était liée depuis l’enfance avec sa fille, Hortense Bertrand, qui avait épousé M. Amédée Thayer, lequel mourut sénateur du second empire, en 1866, je crois.

En 1844, Mme Thayer, étant malade, avait été envoyée à Madère. Son père, le général Bertrand, était à Châteauroux ; il vint à Paris au mois de janvier 1844, pour quelques jours. Il en repartit à la fin du mois, par la malle-poste ; il faisait très froid. En arrivant à Châteauroux, il fut pris d’une congestion pulmonaire et mourut le 29 janvier.

Ce même jour 29 janvier, sa fille, Mme Thayer, entourée de son mari et des personnes qui l’avaient accompagnée à Madère causait paisiblement, n’éprouvant aucune inquiétude sur ceux qu’elle aimait et qui étaient restés en France. Tout à coup elle pâlit, jette un cri, fond en larmes, en disant : « Mon père est mort ! » On cherche à la calmer, on lui représente que les dernières lettres étaient toutes récentes et ne contenaient que de bonnes nouvelles, que rien ne pouvait faire prévoir un malheur ; elle persiste dans son affirmation et fait remarquer l’heure et le jour. À cette époque il n’y avait pas de télégraphes, et peu de chemins de fer ; il fallait près d’un mois pour que les lettres de France parvinssent à Madère. Le premier courrier qui arriva apporta la nouvelle de la mort du général Bertrand, mort le 29 janvier, à l’heure même où sa fille en avait eu la révélation.

Tous les témoins de cette scène, et Mme Thayer elle-même, sont morts aujourd’hui, mais le fait a été connu, dans toute notre famille, dans toute celle de M. et Mme Thayer, je l’ai entendu souvent raconter par un des cousins, ami très intime ; peut-être même pourriez-vous en vérifier l’exactitude auprès du père Ludovic, capucin à Paris, qui était le confesseur de Mme Thayer depuis des années, et qui a dû connaître ce fait. Je désire que mon nom ne soit pas publié.

M. B. G.,
à Paris. [Lettre 172.]

LXV. — Il y a deux ans, mon frère, en qualité de dessinateur, était parti en voyage d’exploration en Afrique, avec la mission de M. de Bonchamps. Je n’avais pas de nouvelles de lui depuis longtemps, lorsqu’une nuit, réveillée en sursaut, je vis distinctement mon frère tué par la lance d’un sauvage.

Ce fait m’a si vivement impressionnée que je suis restée éveillée jusqu’au matin et ai été encore poursuivie plusieurs semaines par cette vision.

Quelques semaines plus tard, je recevais la nouvelle de la mort de mon frère en Abyssinie, le 14 novembre, tué par la lance d’un sauvage. Le fait a dû coïncider avec la vision ; malheureusement, j’ai omis à ce moment d’en inscrire la date exacte. Toutefois je puis assurer que ceci m’est arrivé en novembre.

A. NYFFELEY-POTTER
à Kinchberg. [Lettre 176.]

LXVI. — Je puis vous certifier le fait suivant qui s’est passé dans une petite ville du département du Var.

Ma mère était assise dans la salle basse de sa maison et occupée à un travail de couture ou de tricot, lorsque, tout à coup, elle vit devant elle son frère aîné qui habitait un village de l’arrondissement de Toulon, situé à une cinquantaine de kilomètres de distance. Son frère, qu’elle reconnut parfaitement, lui dit : « Adieu... » et disparut. Ma mère toute bouleversée alla trouver mon père et lui dit : « Mon frère vient de mourir. » Elle savait qu’il était malade.

Le lendemain ou le surlendemain, on reçut à la maison l’avis du décès de mon oncle, survenu précisément dans l’après-midi, vers l’heure de l’apparition. Le télégraphe n’existant pas à cette époque, la nouvelle avait été envoyée par lettre à Aix.

UTTE,
à Aix. [Lettre 186.]

LXVII. — Voici un fait dont je puis garantir l’exactitude absolue.

Le 21 décembre 1891, je reçus une lettre me disant que mon père était très malade et désirait me voir. Comme la lettre ne me paraissait pas trop alarmante, je ne fus pas autrement bouleversé, et je me rendis à la gare de Redon pour le train de 4 h. 44 du soir. J’étais un peu en avance et je me promenais dans la salle d’attente sans trop penser à rien, lorsque, tout à coup, je fus pris d’un malaise, d’une sorte d’étourdissement : je n’y voyais plus du tout et j’avais des bourdonnements d’oreilles des plus violents ; le malaise avait été si subit que j’étais resté debout immobile au milieu de la salle ; cela ne dut durer qu’une ou deux minutes au plus, car les personnes présentes commençaient seulement à s’en apercevoir lorsque je revins à moi. Et c’est là qu’est l’extraordinaire. Juste à l’instant où j’ai recouvré la vue et en quelque sorte la raison, avant de voir personne dans la salle, la figure de mon père m’est apparue et s’est, du reste, aussitôt évanouie ; et en même temps une seule pensée m’est venue, s’est imposée à moi, et je n’ai pu m’empêcher de la formuler ainsi : « Mon père va mourir. »

J’ai eu cette idée fixe toute la nuit et c’est en vain que j’ai essayé de me faire une autre conviction. Je suis arrivé dans ma famille, qui habite le département de la Charente, vers 6 heures du matin. J’ai alors appris que mon père était mort la veille à 6 heures du soir. Une heure environ avant de mourir, il m’avait demandé à plusieurs reprises, et mon absence l’avait fait pleurer.

Cet instant-là coïncidait juste avec celui de mon apparition en gare de Redon. J’en fus frappé et ne l’ai jamais oublié.

P. BUSSEROLLE,
instituteur à La Dominelais, par Fougeray (Ille-et-Vilaine). [Lettre 235.]

LXVIII. — Il m’est arrivé deux fois d’éprouver l’impression nette d’entendre auprès de moi une personne absente, et de marquer l’heure exacte de cette hallucination. Et, les deux fois, l’impression reçue s’est trouvée coïncider, à cinq minutes près, avec la mort de la personne que je savais malade, mais que je ne pensais pas être si près de sa fin.

Ces deux cas, très frappants, de télépathie, ont été consignés à l’époque dans le Journal de la Société psychique de Londres, dont j’ai l’honneur d’être membre associé.

AUG. GLARDON,
homme de lettres, à Tour-de-Peitz, Vaud (Suisse). [Lettre 237.]

LXIX. — Le 29 octobre 1869, nous étions réunis dans la salle à manger, après le souper (ce fait se passait au château de Vieux, près Caen, chez mes parents). Sur les 9 heures du soir, nous entendîmes un bruit dans une pièce voisine, et ce bruit ressemblait absolument à celui que ferait un cadre en tombant (ce fut la première impression). Nous visitâmes tous les cadres de tous les appartement ; rien n’avait bougé. Ma mère fit immédiatement noter l’heure.

Quelques jours après, nous recevions l’extrait de décès du frère de ma mère, décédé à l’hôpital militaire de Calais, par suite de fièvre typhoïde, le 29 octobre 1869, à 9 heures du soir.

ANATOLE DE JACKSON,
percepteur des Contributions directes, à Cheux (Calvados). [Lettre 243.]

LXX. — Une dame de mes relations, bien équilibrée, sérieuse et sensée, m’a, sous la foi du serment, affirmé la véracité du fait suivant.

Orpheline, elle s’était fiancée à un étranger, M. S... qu’elle aima beaucoup. Lui ne put obtenir le consentement de sa famille à ce mariage. Ils attendirent longtemps, puis, soit prudence, soit dépit, elle épousa un homme âgé qui avait également sollicité sa main. (J’omets des explications inutiles.)

Elle fut loyale, ne revit plus son fiancé qui retourna dans son pays. Cependant, elle pensait sans cesse à lui.

À quelques années de là, un jour, en entrant dans sa chambre, elle crut le voir étendu à terre comme mort, et tout ensanglanté. Elle poussa un cri d’épouvante, tout en s’approchant, et en constatant qu’elle n’était pas le jouet d’une illusion.

Au bout d’un instant tout disparut, et son mari qui accourait à son cri ne vit rien.

Elle supposa que M. S... devait être victime d’un accident, mais ne put s’informer, ne connaissant pas sa résidence.

Quelques jours après, elle se trouva en présence d’un correspondant de M. S..., lequel lui apprit que son ami las de la vie s’était suicidé.

En rapprochant la date de l’apparition de celle de la mort, elle eut la certitude de la coïncidence.

M. Gauthier,
à Lyon. [Lettre 244.]

LXXI. — Une dame était à un grand dîner de cérémonie, donné pour un personnage. Au milieu du dîner, la dame en question jette un grand cri, et les yeux fixés sur le mur en face d’elle, les bras tendus en avant, crie : « Mon fils, mon fils ! » et tombe en syncope. On l’emporte dans une autre pièce, et en revenant à elle, sanglotant, elle raconte que tout à coup la salle à manger, avec ses lumières et ses convives, avait disparu pour lui montrer la mer en fureur et son fils dans les flots, qui lui tendait les bras. Plus tard, elle reçut la nouvelle de la mort de son fils, officier de marine, naviguant dans la mer des Indes, qui avait été emporté par une lame le jour même de ladite vision.

Je puis, si vous le jugez à propos, donner les noms, les lieux et les dates.

J. HERVOCHES DU QUILLIOU,
à Lanhélin, par Combourg (Ille-et-Vilaine). [Lettre 244.]

LXXII. — Une de mes amies, femme d’un capitaine, a éprouvé deux fois l’impression nette de voir un être humain. Une fois, c’est son cousin, qu’elle a appelé par son nom sur une promenade, étant très étonnée de le rencontrer ; un autre jour, son domestique, qu’elle avait laissé bien portant à Toulouse pendant qu’elle voyageait, a ouvert la porte de sa chambre, et elle lui a demandé, très étonnée, ce qu’il venait faire.

Les deux apparitions n’ont pas duré longtemps et ont coïncidé toutes deux avec l’heure de la mort de ces jeunes gens.

J. DEBAT-PONSAN,
à Toulouse. [Lettre 252.]

LXXIII. — Une dame de mes amies, digne de foi, m’a raconté que se trouvant en voyage dans le Valais, il y a quelques années, et venant de se mettre au lit, elle entendit frapper trois forts coups contre son lit. Elle était absolument seule dans sa chambre. Sa compagne de voyage, qui couchait dans la chambre attenante, entendit aussi les coups et vint voir si cette dame se trouvait mal et l’avait appelée. Deux jours plus tard, mon amie reçut la nouvelle de la mort, presque subite, d’une de ses bonnes connaissances, morte à Fribourg. L’heure et le jour coïncidaient exactement avec ceux où elle entendit les coups.

F. MOSARD,
2, rue de Lausanne, à Fribourg. [Lettre 272.]

LXXIV. — Un soir, je venais de me mettre au lit, quand j’entendis un grand bruit partant de la cheminée, comme si on en agitait violemment le tablier ; je fus tellement effrayée que je sonnai ma domestique. Rien ne put nous expliquer ce bruit et j’eus grand’peine à me calmer, tellement il m’avait frappée. Le lendemain, dans la matinée, je reçus un mot m’annonçant la mort d’une amie intime, morte la veille dans la soirée (je n’eus pas l’idée de demander l’heure).

Instantanément, ce bruit de la veille me vint à la pensée et s’associa avec cette mort en un rapprochement très net ; voilà pourquoi je me fais un devoir de vous soumettre ce cas. Ce qui ajouta à cette idée de rapprochement entre ce bruit mystérieux et cette mort, c’est qu’il existait entre cette amie et moi un secret se rattachant à la maladie cause de sa mort.

M. CLÉMENT-HAMELIN,
à Tours. [Lettre 274.]

LXXV. — Il y a environ douze ans, j’habitais Auch ; une certaine nuit, ma femme qui couchait dans une chambre contiguë à la mienne et séparée par une simple cloison, me réveilla en me disant : « Vous m’appelez ? — Non, lui répondis-je. — Eh bien, je vous affirme que j’ai entendu, très distinctement, l’appel deux fois répété, de mon nom : Marie, Marie. — C’est, sans doute, en rêvant, lui dis-je, que vous avez cru entendre quelqu’un vous appeler ; quant à moi, je dormais très profondément. »

Un instant après, ma femme m’appela, de nouveau, en me disant : « Levez-vous vite, allumez la bougie, on m’a encore appelée, venez, j’ai peur. » Mais, voici où le phénomène devient vraiment extraordinaire. Ma femme, très impressionnée, passa le reste de la nuit dans ma chambre et voulut conserver, jusqu’au jour, la bougie allumée. « Souvenez-vous, me dit-elle, que nous allons apprendre la mort de M. Gautier, de Marseille ; je crois avoir reconnu, dans les appels successifs, le timbre de sa voix 28. »

Le lendemain, je me trouvais, par hasard, devant ma porte, au passage du facteur qui me remit une lettre à enveloppe bordée de noir. Je fus stupéfait en voyant sur le timbre de la poste que cette lettre venait de Marseille, mais ma stupéfaction fut à son comble, lorsque, en lisant la lettre, je vis que Mme Gautier annonçait à ma femme que son mari était mort pendant la nuit et à la même heure où elle avait été appelée à deux reprises différentes.

J’ai souvent raconté ce phénomène extraordinaire, et aujourd’hui, je suis heureux de vous en faire le récit afin que vous puissiez, dans vos travaux de recherches, y trouver une indication quelconque.

A. DEUPÈS,
5, rue Cassini, à Nice. [Lettre 275.]

LXXVI. — A. Lorsque mon père avait une vingtaine d’années, il se trouvait en Corse, à la maison paternelle, avec trois de ses frères, ayant de 19 à 30 ans et aucunement nerveux.

Une nuit, ils entendirent à l’étage supérieur, leur appartenant mais inhabité, comme les pas de quelqu’un qui se promène. Lorsqu’on disait : « Entendez-vous ? » il semblait qu’on frappât du talon d’une façon répétée. On monta au-dessus, on chercha partout : rien, et lorsqu’on descendait, la promenade recommençait. Cela dura une heure.

À quelque temps de là, on apprit qu’une tante d’Amérique était morte la même nuit et à l’heure exacte à laquelle on avait entendu ces bruits insolites.

B. En juillet 1877, mon père mourut à Constantine. Un de ses frères, qu’il affectionnait particulièrement, se trouvait alors en Corse et se balançait dans un hamac. Il était seul en ce moment à la maison paternelle ; ni gens ni bêtes. Tout à coup, pendant un moment, il entendit des bonds désordonnés à l’étage supérieur. Mon oncle se demandait quelle pouvait en être la cause lorsque (se rappelant soudain ce qui était déjà arrivé pendant sa jeunesse), il dit : « Je comprends, je comprends, il est mort. » Il, c’était mon père.

Quelques heures plus tard, on apprenait par dépêche que mon père était mort à l’heure à laquelle mon oncle avait entendu ces bonds.

E. RAFFAELLI DE GALLÉAN,
à Nice. [Lettre 284.]

LXXVII. — Mon père est un homme très instruit, d’esprit positif, et ne s’est jamais occupé de spiritisme ni d’autres exercices de ce genre. Or, en 1860, mon père et ma mère, endormis tous les deux, furent éveillés en même temps par un bruit de pas d’homme portant de fortes chaussures. Les pas s’avancèrent vers le lit et jusque sur le tapis. À ce moment, mon père alluma la bougie, mais il ne vit rien et le silence resta complet. Or, quelques jours après, une lettre du ministère de la Marine annonça la mort d’un de mes oncles, qui faisait son service dans la marine à Toulon. Il aimait beaucoup ma mère. Il mourut le jour même où les bruits de pas furent entendus dans la chambre, mais mon père n’a jamais pu savoir l’heure exacte de la mort. Ni mon père, ni ma mère n’avaient d’abord songé à attribuer la moindre importance aux bruits entendus ; le phénomène est donc incomplet, mais j’ai pensé qu’il ne faut rien négliger dans une étude de ce genre.

Dr LAMACQ-DORMOY,
médecin des hôpitaux, 1, rue Ravez, Bordeaux. [Lettre 288.]

LXXVIII. — Je n’ai pas à vous signaler une apparition, mais deux effets produits le jour même de la mort d’un officier tué au Tonkin.

Ces effets se sont produits : 1° dans l’après-midi par trois coups bien distincts frappés à la porte de la cuisine et entendus par ma cuisinière et son fils. Celui-ci dit à sa mère : « Voilà madame qui frappe », et la cuisinière répondit : « Madame est sortie, mais faisons le tour de l’appartement. » Il n’y avait absolument personne.

La nuit qui suivit ce premier effet, j’ai entendu marcher, faire du bruit dans la chambre voisine de la mienne, comme si on marchait. Le lendemain, je raconte à la bonne ma frayeur de la nuit, de son côté elle me fait part de ce qu’elle avait entendu la veille.

Douze jours après, j’apprenais la mort de mon cher enfant adoptif, tué ce même jour.

Ceci s’est passé le 1er août 1895.

Pour ma tante, Mme Violet.
G. CLARTÉ,
12 bis, faubourg Stanislas, à Nancy. [Lettre 287.]

LXXIX. — J’avais quitté Paris depuis plusieurs mois et en y revenant je pensais aux personnes que j’allais revoir, et dont je n’avais eu aucune nouvelle depuis mon départ ; elles passaient toutes devant mes yeux avec leur physionomie habituelle, excepté un monsieur d’une cinquantaine d’années qui était pâle et défiguré. Je me dis : « Probablement, je ne le reverrai pas, il doit être mort ou mourant. » Je n’avais aucune sympathie pour ce monsieur et ce n’est pas par affection que ma pensée allait vers lui.

Le lendemain, me trouvant avec des amis : « À propos, comment va monsieur un tel ? — Mais, me fut-il répondu, on l’enterre demain, il est mort hier à 3 heures. » C’était précisément l’heure à laquelle je l’avais vu, ses traits décomposés.

Ce que je vous rapporte là n’a sans doute aucune importance, mais j’ai voulu répondre à votre appel.

L. HERVIEUX,
Montivilliers (Seine-Inférieure). [Lettre 290.]

LXXX. — Quand le célèbre tribun Barbès était à la prison centrale de Nîmes, il était toujours entouré par ses gardiens, et on avait pour lui tous les égards que l’on puisse accorder à un prisonnier politique. Un jour, dans une cour, étant avec plusieurs personnes, il leur dit tout à coup : « Il arrive malheur à mon frère. » Le lendemain, on sut que le frère de Barbès était mort à Paris d’une chute de cheval, au moment même de l’impression ressentie par son frère.

MARGUERIT,
allée du Busca, 14, à Toulouse. [Lettre 295.]

LXXXI. — Ma mère, habitant en Bourgogne, à Bligny-sur-Ouche (Cote-d’Or), — c’était en 1871 ou 1872, la date lui échappe, mais pourrait être précisée, — a entendu un mardi matin, entre 9 et 10 heures, s’ouvrir et se refermer violemment, en tapant, la porte de la chambre à coucher où elle se trouvait. En même temps, elle s’est entendu appeler à deux reprises : « Lucie ! Lucie ! »

Le jeudi suivant, elle a appris qu’un sien oncle, Clémentin, qui l’avait toujours eue en grande affection, était mort le mardi, précisément entre 9 et 10 heures du matin. Cet oncle habitait Uzerche (Corrèze).

Au moment de ce bruit et de cet appel, mon père était absent de la maison. À son retour, vers midi, le mardi bien entendu, ma mère lui raconta le fait, mais sans penser à son oncle.

En définitive, porte ouverte et fermée brusquement, et deux appels : « Lucie ! Lucie ! »

Ma mère et mon père sont vivants, habitent avec moi, à Bourges, et depuis bien longtemps ce fait m’a été raconté. Je vous en garantis la parfaite authenticité.

Si le fait vous paraissait assez intéressant pour être dévoilé, je vous serais obligé de ne donner que les initiales, car ici on n’est guère indépendant, on est plutôt « bourgeois ».

P. D.,
à Bourges. [Lettre 303.]

LXXXII. — En 1856, j’avais 9 ans, mon frère 6 ; nous habitions chez nos parents, à Besançon. Ceux-ci étaient originaires du Wurtemberg, et nos deux grand’mères habitaient, l’une à Ulm, l’autre à Stuttgard. Jamais nous n’avions vu ces personnes ; très vaguement, moi l’aînée, je me rendais compte de ce qu’était une grand’mère, à plus forte raison mon jeune frère. Tout ce que nous savions d’elles, c’est que tous les ans à Noël, l’une et l’autre écrivaient à nos parents qui, à leur tour, en nous embrassant, nous disaient que notre grand’mère priait pour que ses petits-enfants devinssent sages et grands, et qu’elle nous envoyait sa bénédiction.

C’était peu pour des enfants, et je crois que la moindre poupée, le plus petit polichinelle à cette époque aurait bien mieux fait notre affaire. Cependant, voici ce qui arriva. Un jeudi du mois de février 1856, notre mère me dit de descendre au jardin pour jouer au bon soleil, je pris mon frère par la main et descendis avec lui au jardin ; mais là, au lieu de jouer avec moi, comme je l’y invitais, il s’assit tristement dans un coin, puis tout à coup, sans que rien ne lui fût arrivé, il éclata en sanglots, et courant vers la maison, il criait : « Je veux voir ma grand’mère, ma pauvre grand’mère, que je n’ai jamais vue, je veux la voir ! » Notre mère, croyant à quelque accident, accourut aussitôt vers son Benjamin, mais à toutes ses questions, à toutes ses caresses, il répliquait toujours qu’il voulait aller voir sa grand’mère. À grand’peine on le consola, en lui promettant s’il était sage qu’on irait près de grand’mère.

Le dimanche suivant, mon père entra chez nous en tenant à la main une lettre avec un grand cachet noir. « Ma pauvre femme, dit-il à maman en pleurant et en la prenant dans ses bras, notre petit Edmond n’avait pas tort de demander sa grand’mère, car elle mourait le jour et à l’heure même où il demandait avec tant de larmes à la voir. »

ÉMILIE SEITZ,
à Paris. [Lettre 314.]

LXXXIII. — À l’âge de 22 ou 23 ans, j’avais une petite parente, âgée de 7 ans, que j’affectionnais beaucoup. Son plaisir était, en venant à la maison, de frapper à la porte et de rire quand nous avions répondu : « Entrez. » La même année elle tomba malade, et je ne l’avais guère quittée pendant les deux jours qu’elle était à l’agonie. Cependant ma mère, craignant pour moi un excès de fatigue, voulut m’emmener ; il était 11 heures du soir. L’oncle de cette enfant, arrivé le même jour de Paris, nous dit de l’attendre un instant, qu’il allait chercher son chapeau pour nous reconduire ; nous nous trouvions alors dans la cuisine, tout près de la porte d’entrée, quand nous entendons frapper à cette porte comme le faisait cette enfant, très distinctement, à la nôtre. Ma mère répond : « Entrez » ; je lui dis tout en allant ouvrir : « Personne ne peut venir à cette heure. — Peut-être les religieuses », répond-elle. Mais non, personne au fond de cette cour n’était venu frapper. Nous venions d’arriver à notre demeure après moins de dix minutes de parcours, lorsque la domestique des parents de l’enfant arriva à son tour nous apprendre que la petite Marie venait de mourir.

A. LAURENÇOT,
receveuse des postes à Fouvent-le-Haut (Haute-Saône). [Lettre 322.]

LXXXIV. — Je me permets de vous relater un fait arrivé dans ma famille, ayant rapport aux apparitions de mourants.

Mon père, brouillé depuis dix-sept ans avec son fils, dont il ignorait la demeure, apparut à ce dernier deux heures avant de mourir. Mon frère sort le matin à 7 heures de sa chambre, voit mon père à deux pas de lui, et lui demande : « Que viens-tu faire chez moi ? » Mon père lui répond : « Te chercher », et disparaît aussitôt.

La femme de mon frère, de la chambre attenant au corridor où cela s’est passé, a entendu les voix, car elle s’est immédiatement informée à qui son mari venait de parler. C’était le 3 décembre 1889, j’étais pendant ce temps auprès du lit de mon père qui sommeillait : à 9 heures, il s’est éteint sans reprendre connaissance.

EMMA LUTZ,
8, place Kléber, à Strasbourg. [Lettre 325.]

LXXXV. — Mme Carvalho, directrice d’un pensionnat de jeunes filles, à Lisbonne, avait, il y a cinq ou six ans, parmi ses élèves, une petite fille de dix ans, dont la mère était une actrice en tournée au Brésil. Une nuit, l’enfant se réveille en pleurant et criant : « Maman, maman ! je suis très affligée à cause de maman. »

L’enfant n’a pas dit si elle avait vu sa mère ; mais la mère était morte cette nuit-là, de la fièvre jaune, à Rio de Janeiro.

MADAME J. LEIPOLD,
Lisbonne, 21, C. da Gloria. [Lettre 331.]

LXXXVI. — Voici ce qui est arrivé à mon père, capitaine marin en retraite. Il était sur mer et venait de prendre son quart de minuit. Comme il se promenait sur la passerelle, il vit tout à coup passer devant ses yeux un jeune enfant vêtu de blanc qui avait l’air de s’envoler.

« N’as-tu rien vu ? dit-il aussitôt au matelot qui faisait le quart avec lui. — Non », répondit l’autre. Alors, mon père lui fit le récit de ce qu’il venait de voir et ajouta : « Je suis sûr qu’il est arrivé un malheur à la maison. »

Il nota l’heure et le jour, et en arrivant chez lui il apprit qu’à cette date une de ses petites nièces était morte.

Mon père m’a souvent fait ce récit, et il me le répétait encore dernièrement en vous lisant.

M. CHEILLAN,
à Arzew. [Lettre 341.]

LXXXVII. — Je me permettrai de vous raconter un fait authentique, arrivé à ma tante (la sœur de ma mère), qui habite en Allemagne, et que je tiens d’elle-même.

Un matin, vers 8 heures, elle était occupée à coiffer sa fille, quand tout d’un coup, elle voit sur le mur un fantôme dont on distinguait parfaitement la tête, mais les traits paraissaient tellement défaits par une maladie, que ma tante n’a pu reconnaître ce visage de mourante. Elle a été si impressionnée par cette vision, qu’elle s’est mise à crier. Son mari et sa fille accoururent, et elle leur montra en pleurant le fantôme qui n’avait pas encore disparu. Mais mon oncle et mes deux cousines, ne voyant rien, commencèrent à se moquer d’elle.

Deux jours plus tard, on lui annonçait la mort de ma mère, qui mourut du typhus à Athènes le 4/16 janvier 1896 vers 7 heures du matin. Ma tante, qui n’avait pas même eu le temps d’apprendre la maladie de sa sœur, avait pourtant bien retenu la date, car le jour de l’apparition du fantôme était l’anniversaire de sa fille.

Comtesse CAROLINE MÉTAXA,
château de Tharaudt, près Dresde. [Lettre 343.]

LXXXVIII. — Mon grand-oncle, mort aujourd’hui, était chef-foyer dans une des grandes forges de l’Ariège. Un soir qu’il se rendait à son travail, comme de coutume, en arrivant à la tombée de la nuit à quelque distance de la forge, il sentit tout à coup sa casquette se soulever et ses cheveux se dresser droits sur sa tête, — et cela à deux reprises différentes, et sans pouvoir deviner à quoi en attribuer la cause.

Arrivé à la forge, dont quelque distance à peine le séparait, ainsi que je l’ai dit, ses ouvriers, très inquiets, lui apprennent la disparition subite de l’un d’eux : on l’avait vainement cherché. Fait à noter, le disparu était un ami de mon oncle. On le retrouva quelques moments après, mort, dans une cave ou sous-sol où il avait dû tomber.

Voilà le fait. L’esprit très froid de mon oncle, son courage et sa loyauté, dont le souvenir est resté dans ma famille, ne me permettent pas de révoquer en doute un seul instant son récit.

R. PEYRON,
étudiant en médecine à Toulouse. [Lettre 356.]

LXXXIX. — Mme A..., mère de la personne qui m’a rapporté ceci, avait eu pendant des années à son service une domestique à laquelle elle était très attachée. Cette femme se maria et alla habiter une ferme assez éloignée de la petite ville ou vivait Mme A.... Une nuit elle se réveille en sursaut et dit à son mari : « Entends-tu, entends-tu ? Madame m’appelle. » Mais tout était calme et silencieux, et son mari chercha à la tranquilliser. Au bout de quelques minutes, la pauvre femme de plus en plus agitée dit : « Il faut que j’aille chez Madame, elle m’appelle, je suis sûre que je dois y aller. » Son mari continuant à la croire sous l’empire d’un mauvais rêve se moqua d’elle, et au bout de quelque temps elle finit par se calmer.

Le lendemain matin, cet homme en allant à la ville apprit que Mme A..., prise la veille au soir d’une indisposition subite, était morte dans la nuit et n’avait cessé en mourant d’appeler, son ancienne bonne, au moment même où celle-ci entendait la voix de sa maîtresse.

SUZANNE H.,
à Paris. [Lettre 362.]

XC. — A. M. Passa, aujourd’hui décédé, mais qui pendant de longues années a été pasteur à Versailles, m’a raconté le fait suivant.

Un jour, étant parfaitement réveillé et conscient (il était alors, si mes souvenirs sont exacts sur ce point, étudiant à Strasbourg), il vit son frère, officier de turcos en Afrique, couché au fond d’un silo, la tête fendue. Bien que fort impressionné par cette vision, il n’eut pas un instant l’idée qu’elle put représenter une réalité, et n’y repensa que plus tard, en recevant par le courrier d’Algérie la nouvelle que le jour même où il lui était apparu, son frère avait été assailli par un de ses hommes qui, après lui avoir fendu le crâne, l’avait jeté dans un silo.

B. Une jeune fille, très liée avec ma famille et dont le père habitait Constantinople (je tais son nom par discrétion, n’étant pas autorisé à le divulguer), se trouvait en séjour chez une tante à Genève. Un soir qu’elle était au bal, très gaie comme à son ordinaire, elle s’arrêta tout d’un coup, au milieu d’une danse, et fondant en larmes, s’écria : « Mon père est mort, je l’ai vu ! » — On la calma à grand’peine, et quelques jours après on apprenait que son père (qu’elle ne savait même pas malade) avait en effet succombé au moment même où se manifestait le phénomène de son apparition29.

A.-E. MONOD,
97, rue Dragon, à Marseille. [Lettre 363.]

XCII. — Étant en séjour à Zurich pour quelques mois, un jour, à 3 heures de l’après-midi, je vis passer dans la rue, devant ma fenêtre, une personne que je savais être en Italie. J’en subis une impression si forte, que j’en restai troublée le reste de la journée, et racontai le fait à une de mes cousines. (J’eus le tort de ne pas noter exactement le jour et l’heure.) Quelques jours après, j’appris que la personne que j’avais vue passer (un docteur qui m’avait soignée, et auquel je m’étais beaucoup attachée) venait de mourir subitement de la rupture d’un anévrisme, en Italie. Je crois pouvoir affirmer qu’il ne s’est pas passé plus de vingt-quatre heures entre l’heure de l’apparition et celle de la mort de ce docteur. Ce docteur est mort le 25 décembre 1897.

LUCIE NIEDERHAUSER,
à Mulhouse. [Lettre 366.]

XCIII. — Il y a trois ans environ, le père et la mère de ma femme habitaient Marseille, place Sébastopol, 5, au deuxième étage ; leur fille aînée habitait Béziers, où elle se trouvait gravement malade. M. et Mme Jaume quittèrent leur appartement de Marseille pour se rendre auprès de leur fille, et laissèrent leur appartement aux bons soins des locataires du premier étage, leurs amis. Après un mois d’absence environ, nous eûmes la douleur de perdre ma belle-sœur, leur fille aînée. Or, la nuit même de sa mort et à la même heure (11 heures du soir), les locataires du premier étage à Marseille ne furent pas peu surpris d’entendre monter au deuxième étage, ouvrir les portes et parcourir l’appartement dans tous les sens. Ils ne doutèrent pas un instant que ce ne fut la famille Jaume qui était revenue de Béziers. Étant déjà couchés, ils ne jugèrent pas à propos de se lever pour aller souhaiter la bienvenue à leurs amis ; mais le lendemain, dès la première heure, ils montèrent faire leur visite. Quel ne fut pas leur étonnement de trouver intact l’appartement ! Aucune porte n’avait été ouverte, aucune trace d’aucune sorte du passage de qui que ce fût.

CH. SOULAIROL,
pharmacien de 1re classe à Cazouls-les-Béziers (Hérault). [Lettre 367.]

XCIV. — Je viens, en réponse à votre requête relative à des faits d’ordre psychique, vous signaler le cas suivant, dont mon père, M. Fleurant, instituteur en retraite, et ma mère, institutrice, domiciliés à Thenay (Indre), vous garantiront tout à l’heure l’authenticité.

C’était en 1887, au mois de février. Ma mère avait alors à Évreux son frère unique, auquel elle vouait une grande affection, et qui de son côté la chérissait.

Malheureusement, mon oncle était atteint d’un mal qui devait le conduire au tombeau, en dépit de la science et des bons soins de sa famille.

Vers la fin de l’année précédente, ma mère étant allée voir son frère avait pu constater par elle-même le degré du mal et avait eu par le docteur la certitude d’une fin plus ou moins prochaine.

Le 11 du mois sus-indiqué, vers 6 heures du soir, ma mère étant à la cave de son école, en revint frappée d’une émotion indescriptible : elle avait entendu, dans l’intervalle de quelques secondes, trois cris déchirants s’adressant à elle ; ils avaient semblé venir par le soupirail de cette cave, établi au nord.

« Mon frère, dit-elle à mon père, est à l’agonie ; je viens d’entendre ses appels. »

Le surlendemain, elle recevait une lettre datée du 12 où la mort de mon oncle, Ernest Barthélemy, était annoncée. Mlle Blanche de Louvigny, auteur de cette lettre, et qui avait assisté le malade jusqu’à son dernier moment y disait qu’il n’avait cessé d’appeler ma mère.

Ma mère a répété souvent ces détails, et elle reste convaincue encore, sans qu’elle puisse s’expliquer ce phénomène, qu’elle a bien été quelques instants en relation de pensée avec son frère.

Je vous les transmets moi-même, en souhaitant qu’ils puissent vous être utiles dans la recherche des causes qui produisent de tels effets.

A. FLEURANT,
institutrice à Reuilly, actuellement chez ses parents à Thenay (Indre)

Les soussignés certifient que les renseignements donnés par leur fille dans la présente lettre sont de la plus rigoureuse exactitude.

G. FLEURANT,
instituteur en retraite.
S. FLEURANT,
institutrice à Thenay (Indre). [Lettre 390.]

XCV. — Il y a deux ans environ, le jeune ménage que j’ai actuellement à mon service rentrait, entre 9 et 10 heures du soir, chez ses parents habitant un domaine à 3 kilomètres de la ville.

Le mari conduisait le cheval de ferme, qui n’allait pas très vite. À un endroit de la route assez éloigné encore de la propriété, il est facile d’apercevoir les bâtiments. Soudain le conducteur vit, à quelques minutes d’intervalle, trois flammes surgissant au-dessus des toits, comme trois gros feux follets. Il pensa à un incendie, et pressa son cheval. La jeune femme n’avait rien vu, mais en entrant dans la cour, elle entendit distinctement, ainsi que son mari, des coups précipités donnés sur une porte du jardin, comme un roulement de tambour.

En entrant dans la maison, ils trouvèrent la mère tout en émoi. À trois fois différentes, correspondant à la vue des flammes par son fils, elle avait entendu un bruit de chaises remuées dans la salle. Trois fois elle était descendue et n’avait rien vu. On fit lever les domestiques pour visiter les écuries, ils ne virent et n’entendirent rien d’anormal.

Les fermiers seuls furent impressionnés, et même lorsque tout le monde un peu plus rassuré eut gagné son logis respectif, le vacarme des chaises bousculées recommence. On se rassembla de nouveau, et comme dans nos campagnes les saines traditions de piété ne sont pas complètement perdues, la mère et les enfants unirent leurs prières pour la pauvre âme en détresse qui était venue les visiter, sans savoir de quelle personne de connaissance il pourrait s’agir. Or, le lendemain, on apprenait qu’une jeune cousine qui affectionnait cette famille avait été enterrée précisément ce jour-là. Par un hasard inexplicable, personne du domaine n’avait été prévenu ni de la mort, ni de la cérémonie.

Cinq personnes ont donc ressenti plus ou moins ces sensations : le père, d’une nature assez incrédule, la mère, le fils, la bru et la jeune fille. Les domestiques logent dans un autre corps de bâtiment ; on ne peut donc leur attribuer en aucune façon une part dans ces bruits insolites. Ils dormaient profondément lorsque les coups furent donnés dans la porte du jardin, et la visite des écuries prouva que tout était parfaitement calme.

M. PASQUEL,
2, rue de la Fontaine, à Cosne (Nièvre). [Lettre 399.]

XCVI. — Ma mère était au chevet de sa mère, indisposée, et très inquiète de ne pouvoir visiter sa voisine et amie qui se mourait (ce qu’on lui cachait du reste). Tout à coup, portes et fenêtres fermées, on voit, non pas les rideaux, mais les deux volants, posés ensemble autour de la galerie du ciel de lit, s’agiter en sens inverse, c’est-à-dire se séparant et se rejoignant comme en une forte étreinte. Et ma grand’mère de dire aussitôt : « Vois, ma fille, Joséphine me dit adieu. »

Ma mère descendit à l’instant. La voisine venait d’expirer.

MARIE OLLIVIER,
à Gareoult (Var). [Lettre 402.]

XCVII. — Ma mère était occupée un jour dans sa maison, lorsqu’elle entendit très distinctement la voix de son frère, habitant à 800 kilomètres environ, l’appeler par son prénom, à deux reprises différentes. Elle vint auprès de mon père, et lui dit : « C’est curieux, je viens d’entendre mon frère m’appeler, j’ai été émotionnée, je ne sais ce qui arrive. »

Deux jours après, elle reçut une lettre lui annonçant que son frère était décédé ledit jour où elle avait entendu sa voix.

PELTIER,
à Marseille. [Lettre 405.]

XCVIII. — Voici un fait que je puis garantir comme véritable. Étant soldat, en permission chez moi, à Annot (Basses-Alpes), le 30 décembre 1890 au matin, ma mère, en se levant me dit : « Je crois qu’une mort est arrivée dans notre famille. Cette nuit, à 2 heures, j’ai été réveillée par des coups redoublés frappés au mur, à la tête de mon lit. J’étais bien réveillée et j’ai eu immédiatement l’idée d’une mort arrivée à quelqu’un des nôtres. » Je n’ajoutais guère foi à ces appréhensions. Mais, voilà que vers 10 heures de la matinée, nous reçûmes un télégramme de Digne, annonçant la maladie grave de ma tante, sœur Sainte-Angèle, supérieure des orphelins de Saint-Martin de Digne. Ma mère dit : « Ce télégramme sera suivi d’un autre annonçant la mort. » En effet, un autre télégramme arriva le soir, annonçant le décès. Une lettre survint le 31 décembre, indiquant que ma tante, après une maladie de plusieurs jours, était décédée le 30 décembre à 2 heures du matin, heure à laquelle m’a mère avait entendu ces coups frappés à son oreille. Ma mère ne savait pas que ma tante fût malade.

BARLATIER,
à Annot (Basses-Alpes), [Lettre 409.]

XCIX. — Le fait s’est produit à Contes (Alpes-Maritimes), en 1881. C’était un dimanche, je me trouvais à l’église avec tous mes camarades de classe, que l’instituteur, à l’époque, était chargé de conduire à la grand’messe du dimanche. À un certain moment, alors que nous étions debout, par conséquent bien éveillés, j’eus parfaitement la sensation d’une voix me disant : « Ta sœur est morte. » En effet, en rentrant à la maison, je trouvai ma sœur, malade depuis quelque temps, mais n’ayant jamais gardé le lit, qui était à l’agonie, et mourait trois ou quatre heures après. Ce fait est et sera toujours présent à ma mémoire, comme au jour où il se produisit.

PENCENAT,
à Nice. [Lettre 414.]

C. — Ma mère, Mme Molitor, à Arlon, me charge de vous transmettre sa réponse.

En novembre 1801, un matin, vers 5 heures, ma mère était au lit, éveillée. Par la porte ouverte de sa chambre elle vit entrer son frère, lieutenant à la boucherie militaire de Mons (Hainaut). Il était en veston de petite tenue, et tel qu’elle l’avait vu plusieurs années auparavant, lors d’un congé qu’il passait chez elle. Il la regarda, lui sourit, puis sortit en faisant de la main un geste amical.

À 11 heures du matin, le même jour, le télégramme annonçant la mort de ce frère arrivait à la maison.

C. MOLITOR,
employé du cadastre à Arlon (Belgique). [Lettre 430.]

CI. — A. Il y a une quarantaine d’années, une de mes proches parentes, alors jeune fille, se promenait dans la campagne avec sa mère lorsqu’elle se sentit frôlée par un souffle. Elle s’écria : « X... vient de mourir. »

C’était vrai.

X... était un jeune homme qui l’aimait, et qui se mourait de la poitrine. Elle le savait très malade.

B. Voici un fait que je me suis fait raconter de nouveau hier soir, afin de vous l’envoyer avec tous ses détails, par notre bonne, brave fille très intelligente, qui est à notre service depuis sept ans.

En 1884, elle était placée chez une vieille demoiselle qui, au moment du choléra, l’emmena à la campagne, non loin de Toulon. Une nuit, elle est réveillée par de petits coups frappés à la fenêtre ; elle écoute, n’entendant plus rien, elle croit qu’elle a rêvé, et essaie de se rendormir.

Nouveaux coups à la fenêtre. Très émue, elle se dresse. On frappe une troisième fois, puis elle voit passer à deux reprises en dehors comme un fantôme blanc.

Sa chambre était au premier étage et donnait sur un toit. Mais la maison était isolée ; et si quelqu’un s’était promené sur le toit, elle l’aurait certainement entendu, ayant l’ouïe très fine.

Le lendemain matin, elle raconta son apparition à sa maîtresse qui se moqua d’elle, et lui dit qu’elle avait rêvé.

Deux mois après, elle apprit la mort, depuis deux mois, d’une sienne cousine qu’elle aimait comme une sœur. Sachant l’affection qu’elle avait pour elle, sa famille lui avait caché son décès subit ; le choléra l’avait emportée en quelques heures.

L. FIERRINGER,
capitaine de vaisseau en retraite, à Toulon. [Lettre 432.]

CIII. — Il y a quelques années, M. et Mme H. W... rendaient visite à un vieillard malade nommé Saint-Aubin, qui, paraît-il, était très instruit et assez original. Dans le cours de la conversation, le vieillard, croyant à sa mort prochaine, fit la promesse à M. W... qu’au moment de sa mort il l’avertirait. M. W... en avait promis autant.

L’été s’était passé sans rendre visite au malade. Un soir d’hiver, à l’heure du souper, M. W... lisait son journal, quand tout à coup il releva involontairement la tête et dit et sa femme : « Saint-Aubin est mort. » Mme W... ne pouvait y croire et demandait de qui il tenait la nouvelle. « Personne ne m’a jamais parlé de Saint-Aubin, répondit-il, mais j’ai reçu sur le front un petit coup qui, en même temps, m’a fait penser à la mort de Saint-Aubin. » Le lendemain matin, Mme W... entendait proclamer à l’église le décès de Saint-Aubin qui avait rendu le dernier soupir la veille au soir. M. W... (mon oncle), de qui je tiens ce récit, me dit qu’il lui est impossible de déterminer la nature du coup reçu ; il n’a plus jamais rien ressenti de pareil. Il n’est ni crédule, ni superstitieux, au contraire.

GUSSIE VAN DER HAEGE,
à Roulers. [Lettre 433.]

CIV. — A. Mme Mercader, ma belle-mère, mariée à Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales), mais dont la famille habitait Elne (Pyrénées-Orientales), envoya un soir sa belle-fille, Mlle Ursule Mercader, alors âgée de 16 ans, fermer la porte de la rue, qui était ouverte. La jeune fille revint très effrayée en affirmant qu’elle avait vu un corbillard devant la maison. On ne voulut pas la croire et on se moqua d’elle. Or, le lendemain matin, arrivait un exprès d’Elne (le télégraphe n’existant pas encore à cette époque), disant que le père de ma belle-mère était mort la veille au soir, justement à l’heure où Mlle Mercader était allée fermer la porte et avait vu le corbillard.

B. Ma femme n’avait alors que 15 ans, mais elle se souvient parfaitement. Ses parents dirigeaient un établissement thermal à Vernet-les-Bains, et tous les domestiques avaient leurs chambres dans le même corps de logis, sur le même couloir. Or, un cuisinier nommé Guiraud tomba gravement malade, et une nuit il mourut. Tous les domestiques arrivèrent en même temps dans la chambre mortuaire, immédiatement après le décès, sans que personne fût allé les prévenir ; ils dirent qu’ils avaient été éveillés chacun par un grand coup frappé au pied de leur lit.

Je crois répondre à votre désir en vous signalant ces faits, qui sont authentiques.

Dr H. MASSINA,
à Vernet-les-Bains. [Lettre 437.]

CVI. — Mme S..., fort instruite, intelligente, poète, exaltée, sans fortune d’ailleurs, inventrice incorrigible, se rendit en 1831 à l’exposition de Londres, où elle eut un prix de 100 000 francs pour des cordages ou voiles de navires perfectionnés. Sa mauvaise étoile lui fit rencontrer là un Arabe, grand seigneur dans son genre, beau comme un dieu, et qui l’enthousiasma si fort qu’elle lui donna en mariage sa fille et en dot les 100 000 francs, ne se réservant rien que les profits futurs de son invention, laquelle enrichit à millions un bon Anglais et la laissa sans un sol. Cette jeune fille, belle, douce, bonne, parfaitement élevée et instruite, produit parisien dans toute sa saveur et son raffiné, fut immédiatement emmenée en Afrique par son mari, vrai barbare civilisé seulement pour l’occasion, et une horrible et misérable existence commença pour elle. Vie nomade, sous la tente, pêle-mêle avec trois ou quatre autres épouses aussi brutes et aussi sauvages que leur seigneur.

Quatre ou cinq ans plus tard, Mme S..., à Paris, un soir, au coin de son feu, entendit : Maman, maman, crié tout près d’elle par la voix de sa fille. Elle crut se tromper d’abord. Peu après, même appel, mais beaucoup plus fort, et comme dit avec angoisse. Elle se leva, parcourut son logement, regarda dans la rue. Le tout inutilement. Elle ne savait que penser ni que faire, lorsque, une troisième fois, la voix reprit : « Maman, viens, viens, je t’en prie, viens vite ! »

Alors elle n’hésita plus. Dès la pointe du jour, elle était en route pour Marseille. Combien de temps dura le voyage ? Les chemins de fer étaient-ils alors construits ? La voix avait-elle dit : « Viens à Marseille » ? De tout cela, je ne sais plus rien.

Toujours est-il qu’à Marseille elle trouva à toute extrémité sa malheureuse enfant, qui sembla ne l’avoir attendue que pour mourir dans ses bras.

S. BABINET RENCOGNE,
à Toulouse. [Lettre 440.]

CVII. — A. Mon grand-père maternel, homme grave, calme et rigide s’il en fut, se promenait un jour dans le quartier le plus populeux de Londres, absorbé dans ses réflexions. Tout d’un coup, il vit se frayer un passage au milieu de la foule et se diriger de son côté un de ses plus chers amis d’enfance, colonel aux Indes, et qui devait être, d’après les informations des journaux, occupé en ce moment précis à soumettre les Cipayes révoltés. Mon grand-père, au comble de la surprise, tendit la main à son ami et allait lui poser une question, quand brusquement, comme il était venu, il disparut. Rentré chez lui, mon grand-père s’informa si le colonel lui avait rendu visite, et sur la réponse négative du personnel de service, quelque peu tourmenté, il alla à son club. Là encore, personne n’avait vu le colonel. Et les semaines passèrent : à cette époque, les communications étaient lentes. Un jour, en parcourant les colonnes d’un journal hebdomadaire paraissant aux Indes, il eut la douleur de voir figurer dans la liste des morts par trahison des Cipayes le nom de son propre ami, et en comparant les dates, tout lui fit présumer que la mort coïncidait avec l’apparition dans les rues populeuses de Londres, ou les deux amis aimaient tout particulièrement à aller étudier les physionomies caractéristiques du peuple londonien.

B. Un jeune pasteur, m’a rapporté le fait suivant :

Mon père était mort dans ma petite enfance ; mon frère et moi, nous fûmes entièrement élevés par la meilleure, la plus douce et la plus ferme des mères, dans l’austère ville de Bologne. Sans montrer une préférence marquée pour aucun de ses fils, elle entourait cependant de soins tout particuliers le plus jeune de ses enfants, garçon délicat, très tendre, et qui avait hérité du tempérament anglais de sa mère : ferme et doux.

À l’âge de 20 ans, je faisais mes études à Bologne, tandis que mon frère entrait à l’École militaire de Modène. Il serait difficile de dire ce qu’il souffrit loin de la maison maternelle....

Un soir, avant d’aller se coucher, ma mère se plaignit d’une légère indisposition et se montra quelque peu inquiète au sujet du fils absent. Mais bonne, douce et résignée avant tout, elle se retira paisiblement chez elle, après m’avoir embrassé tendrement comme d’habitude. Nos chambres à coucher étaient contiguës. Je passai une partie de la nuit à un travail difficile, et vers le matin, seulement, je parvins à m’assoupir.

Tout d’un coup, je fus réveillé par un bruit de voix et, ouvrant les yeux, je fus saisi de voir dans ma chambre mon propre frère, pâle, le visage défait. « Maman, murmura-t-il, maman, comment va-t-elle ? À minuit et dix minutes, je l’ai distinctement vue au chevet de mon lit à Modène ; elle me souriait, d’une main me montrait le ciel, de l’autre, elle me bénissait. Puis elle a disparu. Mais je te dis que maman est morte ! »

J’accourus dans la chambre vénérée de notre mère : elle était morte, en effet, le sourire aux lèvres.... Plus tard, le médecin nous affirma qu’elle avait dû cesser de vivre environ vers minuit.

E. ASINELLI,
à Genève. [Lettre 443.]

CIX. — J’avais à ce moment-là 12 ans environ. Il y avait un an que j’avais fait ma première communion ; et j’étais encore un peu dévot. Interne dans un lycée, je faisais ma prière presque tous les soirs dans mon dodo. Or, un soir, je priai avec ferveur ; pourquoi ? je ne le sais. Je demandai avec instance dans ma prière de me conserver ma grand’mère, que j’aimais tendrement ; je fis un tas de prières uniquement dans ce but. Puis je fermai les yeux. Presque immédiatement, je vis distinctement la tête de ma grand’mère se pencher vers moi. Surpris, j’ouvris les yeux, mais tout avait disparu. Je n’attachai aucune importance à cette impression, et je m’endormis vite. A cet âge, on n’a pas de soucis. Le lendemain à 9 heures, on vint me chercher en classe ; et le proviseur me dit de prendre le train de 10 heures et d’aller chez ma grand’mère qui demandait pour moi deux jours de congé. Jugez ma joie d’entendre ces paroles ! Vite je m’habille et je pars, heureux comme un roi. Lorsque j’arrivai à la gare, chez moi, mon père m’attendait : il était en pleurs et me dit que ma grand’mère était malade. Mais quand je fus entré à la maison, on me fit comprendre qu’elle était morte. Quelques jours plus tard, je demandai à quelle heure ma grand’mère était morte. On me dit qu’elle était décédée le vendredi soir, à 9 heures moins 10 minutes.

Je ferai remarquer que ma grand’maman était tombée malade seulement le jeudi, la veille de sa mort, et que l’on ne me l’avait pas appris.

Depuis ce moment, comme je m’étais adressé à Dieu pour me conserver ma grand’mère longtemps, et qu’il ne m’a pas exaucé, j’ai cessé avec raison de croire en lui. On dit qu’il exauce les prières de tous ceux qui ont recours à lui. En voilà une preuve, et aussi de la blague qu’est la religion catholique. Elle ressemble aux autres, tout simplement30.

A. FRINCIANTE,
à Torigny. [Lettre 448.]

CX. — Ma tante m’a raconté qu’un soir, étant couchée, mais parfaitement éveillée, un bruit insolite se produisit dans l’écurie aux chevaux. Pendant que son père allait voir ce qui se passait et calmer les animaux, ma tante aperçut distinctement son grand-père debout devant la cheminée. Ayant appelé sa mère pour qu’elle le vit aussi, la vision disparut. Le lendemain, on apprenait la mort du grand-père, mort produite, autant que je peux me rappeler, d’un accident de cheval.

Je soutenais que tout ceci n’était que l’effet d’un rêve ; mais ma tante m’a affirmé qu’elle n’avait pas dormi un seul instant avant l’apparition.

HENRI PÉRÈS,
166, rue de la Chapelle, à Paris. [Lettre 452.]

CXI. — M. le docteur Blanc, d’Aix-les-Bains, m’a raconté qu’étant jeune, il a été témoin d’un fait curieux. Une de ses tantes était malade et le fils de cette tante, un petit garçon de 6 ans, avait été envoyé chez le docteur Blanc, à Sallanches, je crois, père du docteur actuel, et jouait avec mon cousin. Soudain l’enfant s’arrête au milieu de ses jeux, l’air effrayé, et crie : « Maman ! j’ai vu maman ! » Le fait fut rapporté au docteur, et celui-ci crut d’abord l’enfant malade, mais un peu plus tard on apprit que la mère était morte, à l’instant où l’enfant avait crié.

LOUIS NICOLE,
61, Tierney R. Streatham, S. W. Londres. [Lettre 453.]

CXII. — J’avais à Malamour un parent de ma mère, qui habitait Varennes, distant de 15 kilomètres, et qu’elle aimait beaucoup, à cause de divers services qu’il lui avait rendus dans des moments difficiles.

Ce parent, qui n’existe plus, savait ma mère malade.

Il m’a assuré qu’ayant entendu, dans la nuit de son décès, un grand bruit dans son grenier, comme si on remuait violemment des sacs remplis de grain, il se mit à dire : « La cousine Labbé est morte. »

Ce qui lui a été confirmé quand je lui eus fait part du décès. Ma mère, en effet, est morte dans la nuit indiquée par ce parent.

Pour moi, si les manifestations télépathiques ne sont pas plus fréquentes, c’est qu’elles n’ont lieu que de personnes amies à personnes amies, mais véritablement amies ; combien y en a-t-il ?

Rien de plus commun que le nom.
Rien de plus rare que la chose.

LABBÉ,
notaire à Esnes (Meuse). [Lettre 455.]

CXIII. — J’ai souvent entendu raconter dans ma famille le fait suivant, arrivé à mon oncle, membre de l’Institut, professeur à l’École des chartes, mort il y a dix-huit ans. Je ne puis malheureusement vous en garantir que les grandes lignes, et vous prie, par suite, si vous le citez, de ne pas nommer mon oncle.

Celui-ci, très catholique, avait été élevé par une de ses tantes, dont il se souvint toujours avec reconnaissance et émotion. Or, vers l’époque de sa première communion (la veille, je crois), éloigné de cette tante de plusieurs centaines de lieues, il l’aperçut devant lui, et eut la certitude qu’elle était morte, qu’elle venait de lui donner sa dernière bénédiction.

Peu de jours après, on apprit, en effet, qu’elle était morte à l’heure où cet enfant l’avait aperçue.

PAUL KITTEL,
professeur agrégé de l’Université au petit lycée Corneille, à Elbeuf (Seine-Inférieure). [Lettre 457.]

CXIV. — Un soir, vers 3 heures de l’après-midi, en été, je me promenais en lisant une page d’Alphonse Daudet quand, brusquement, il me sembla qu’un mien camarade, actuellement pilotin dans la marine, tombait en pleurant, avec le geste classique des soldats blessés à mort, main sur le cœur et chute à la renverse. Cela m’intrigua beaucoup, si bien que le soir j’en parlai à ma famille.

Quatre ou cinq jours après, je reçus une lettre de notre ex-professeur commun me disant : « Votre ami Louis est au désespoir. Il y a quelques jours, étant à la chasse, d’un coup de feu maladroit, il a blessé son frère Charles. Celui-ci venait d’être reçu bachelier. »

Au reçu de cette lettre, je pensai à ma vision. Elle avait menti. Louis n’était pas blessé. Ma vision avait eu lieu à 3 heures et l’accident vers 4 heures et demie.

Cependant, j’appris plus tard que Louis s’était évanoui en disant : « Si Charles meurt, je me tue. »

Voilà tout le récit. J’insiste sur la certitude d’un malheur connu une heure avant l’accident. Je vous livre les noms en entier, mais je ne voudrais pas que vous les publiiez intégralement, et vous serais reconnaissant de ne donner que les prénoms.

J. P.
à Saint-Paul-les-Romans (Drôme). [Lettre 458.]

CXV. — En 1865, le choléra sévissait à La Seyne ; pour fuir le fléau, ma famille s’était réfugiée dans un hameau voisin. Dans ce hameau habitait un ouvrier qui, bravant l’épidémie, se rendait chaque jour à La Seyne et rentrait le soir.

Un matin, se sentant fatigué, il ne partit pas, et son fils, âgé de 15 ans, ne croyant pas son père gravement indisposé, le quitta pour aller se distraire en pêchant sur les rochers de la côte, à environ 8 kilomètres, espérant que celui-ci l’y rejoindrait, dans la matinée.

À 11 heures du matin, le père mourait dans son lit, emporté par le choléra ; à la même heure, le fils était certain de l’avoir vu sur un rocher voisin, lui faisant signe d’approcher.

La côte étant un peu escarpée en cet endroit, il avait fait un détour pour gagner ledit rocher ; mais à son arrivée la vision avait disparu.

Le jeune homme affolé rejoignit précipitamment son domicile, demandant aussitôt si son père était rentré : on lui montra son cadavre.... C’est alors qu’il nous fit le récit de son hallucination.

N’ayant pas assisté moi-même aux derniers moments du père, je ne puis dire s’il a demandé à voir son fils en mourant, et je me borne à ne vous rapporter que ce qu’il y a de précis dans mes souvenirs.

BALOSSY,
contrôleur principal des tabacs, à Pont-de-Beauvoisin (Isère). [Lettre 459.]

CXVI. — C’était vers 1850, deux sœurs étaient au lit, quand l’une d’elles s’écrie tout à coup : « Ah ! mon Dieu, mon père ! »

La mère croit à une hallucination ou à un rêve et cherche à dissuader sa fille, qui lui répond : « Je suis sûre d’avoir vu papa, il m’a même touché de sa main. »

Il faut dire que le père était à Tours depuis quelque temps et construisait des maisons de bois pour l’aménagement des foires de Tours.

Le lendemain, la famille reçut une lettre annonçant qu’il était mort à la suite d’une chute faite dans la soirée. C’est juste au moment de sa mort que l’apparition a eu lieu.

L. DELANOUE,
rentier, rue du Château, 28, à Loches. [Lettre 462.]

CXVII. — En 1857 et 1858, à Paimbœuf, j’habitais, avec ma femme et mon enfant, une maison occupée avant nous par Mme Leblanc, qui était allée demeurer à Nantes. Une nuit du printemps de 1858 (je ne puis préciser davantage, il faudrait consulter les registres de l’état civil), ma femme et moi fûmes réveillés en sursaut par un grand bruit ; il nous semblait, à tous deux, qu’une grosse barre de fer venait d’être jetée violemment sur le plancher de la chambre et que notre lit avait été fortement secoué. Levés à la hâte, nous allumons la bougie, courons au berceau de l’enfant et explorons la chambre. Rien n’y était dérangé.

Le jour suivant ou le second jour, on vint nous dire que Mme Leblanc était morte précisément dans la nuit où nous fûmes réveillés brusquement, sans raison apparente, et à peu près à la même heure. Nous n’avions pas de relations suivies avec cette dame et ignorions qu’elle fût malade.

Ma belle-mère et ma belle-sœur, qui occupaient deux chambres à la suite de la nôtre, s’étaient levées et nous avaient rejoints. Je crois me rappeler qu’elles avaient été réveillées par le bruit et les exclamations que nous faisions, ma femme et moi, et non par une autre cause. Lorsque nous apprîmes que la mort de Mme Leblanc coïncidait avec l’événement qui nous avait tant surpris, ma belle-sœur, très pieuse, dit : « Les âmes des morts, en se séparant du corps, viennent visiter la maison où elles ont séjourné. »

E. ORIEUX,
à Nantes, agent voyer en chef honoraire du département. [Lettre 468.]

CXVIII. — Il y a quelques années, à Mouzon (Ardennes), une femme, très malade, envoya sa petite-fille passer quelques jours chez des parents à Sedan. Une nuit, l’enfant se réveille, pleure, appelle sa mère, demande à la voir, supplie qu’on la conduise tout de suite près d’elle.

Le lendemain, on vient annoncer la mort de la mère, survenue la nuit, à l’heure exacte où son enfant l’appelait et voulait absolument qu’on la conduisit près d’elle.

Je ne me rappelle ni les noms de ces personnes, ni la date précise de l’événement, n’y ayant pas à cette époque prêté grande attention, mais je puis vous garantir cette corrélation comme parfaitement authentique.

G. GILLET,
28, rue Bournizet, à Vouziers (Ardennes). [Lettre 472.]

CXIX. — Mon frère, surveillant militaire à Cayenne, en congé à Bollène, m’a raconté le fait suivant. Il était très lié avec un autre surveillant, M. Renucci. Ce dernier avait une fillette qui affectionnait beaucoup mon frère et ma belle-sœur. La fillette tomba malade. Une nuit, mon frère s’éveilla. Au fond de la chambre, il aperçut la petite Lydia qui le regardait fixement. Puis elle s’envola. Troublé, mon frère éveilla ma belle-sœur et lui dit : « Didi (Lydia) est morte, je viens de la voir réellement. » Ils ne purent se rendormir.

Le lendemain, mon frère se rendit en toute hâte chez M. Renucci. La fillette, en effet, était morte pendant la nuit ; l’heure de l’apparition avait coïncidé avec la mort.

RÉGINA JULLIAN,
Institutrice à Mornas (Vaucluse). [Lettre 473.]

CXX. — Ce que j’ai éprouvé me semble se rattacher aux faits dont vous publiez une étude si intéressante.

Mon père était malade et soigné loin de nous. Tout en le sachant gravement malade, nous avions bon espoir dans sa guérison. Nous étions allées le voir et l’avions trouvé mieux portant, lorsqu’une nuit je fus réveillée en sursaut, et le portrait de mon père qui était placé juste en face de mon lit me sembla faire un grand mouvement. Je dis me sembla, car je crois inadmissible qu’il ait bougé. En tous cas, mon premier regard, en me réveillant en sursaut, fut pour ce portrait que je crus voir remuer. En même temps, j’éprouvai une impression de frayeur telle que je ne pus me rendormir. Je regardai l’heure : il était 1 heure précise du matin.

Le lendemain, dans la matinée, nous reçûmes une lettre nous disant de nous rendre près de mon père, dont l’état s’était aggravé subitement. Nous arrivâmes trop tard. Mon pauvre père était mort dans la nuit, à 1 heure du matin, donc au moment précis où j’avais été réveillée.

Ce fait, auquel je songe souvent, est naturellement resté absolument incompréhensible pour moi.

JULIETTE THÉVENET,
à Monte-Carlo. [Lettre 475.]

CXXI. — Il y avait huit ans que j’avais quitté la maison paternelle, lorsque le soir du 18 au 19 janvier 1890, je m’entendis appeler trois fois par mon nom : « Lucine, Lucine, Lucine ! », ce dont je n’avais pas l’habitude, car étant gouvernante à Breslau, on m’appelait mademoiselle. Cet appel fut suivi d’un grincement de porte qui se ferme sur des gonds rouillés : je reconnus ce grincement que je n’avais pas entendu depuis huit ans ; c’était celui d’une porte très vieille de la maison de mes parents à Épauvillers (Suisse). J’avais aussi reconnu dans cet appel la voix de ma sœur. Je fus agitée toute la nuit par un triste pressentiment, et le lendemain je reçus la nouvelle de la mort de ma sœur, morte dans la soirée du 18 au 19.

L. ROY,
à Mistek, en Moravie (Autriche). [Lettre 478.]

CXXII. — Voici un fait qui m’est tout à fait personnel, que je tiens à livrer à votre étude de savant, mais pour lequel je demande votre discrétion absolue, car c’est une confession qui renferme assez d’indications pour qu’elle soit reconnue ou devinée par quelques personnes de ma localité, voire par la famille du défunt, dont je vais vous parler31.

Le jour de notre première entrevue, j’avais 20 ans ; lui, en avait 32 : nos relations durèrent pendant sept ans. Nous nous aimions tendrement.

Un jour, mon ami m’annonça, non sans chagrin, que sa situation, sa pauvreté, etc., etc., le forçaient au mariage, et, dans ses explications embarrassées, je sentais un vague désir que nos relations n’en fussent pas trop interrompues.

Je coupai court à ce pénible entretien et, malgré mon immense chagrin, je ne revis plus mon ami, ne voulant pas, dans mon amour unique et absolu, partager avec une autre et de bonne grâce cet homme que j’aimais tant.

J’appris plus tard, indirectement, qu’il était marié et père d’un enfant.

Quelques années après ce mariage, une nuit d’avril 1893, je vis entrer dans ma chambre une forme humaine, dont je cherchai en vain à deviner le sexe : cette forme, de haute taille, était enveloppée d’un drap blanc qui lui recouvrait la figure. Je la vis avec terreur s’avancer, se pencher sur moi, puis je sentis des lèvres se coller aux miennes, mais quelles lèvres ! je n’oublierai jamais l’impression qu’elles me produisirent ; je ne sentis ni pression, ni mouvement, ni chaleur, rien que du froid, le froid d’une bouche morte !

Cependant, j’éprouvai une détente, un grand bien-être pendant ce long baiser, mais à aucun moment de ce rêve, ni le nom, ni l’image de l’ami perdu ne se présentèrent à mon esprit. Au réveil, je ne pensai plus ou peu à ce rêve jusqu’au moment où, vers midi, parcourant le journal de..., je lus ce qui suit :

« On nous écrit de X... que hier ont eu lieu les obsèques de M. Y... » (ici les qualités du défunt), puis l’article se terminait en attribuant cette mort à une fièvre typhoïde causée par le surmenage de fonctions remplies avec conscience. « Cher ami, pensai-je, débarrassé des conventions mondaines, tu es venu me dire que c’est moi que tu aimais et que tu aimes encore par delà la mort : je te remercie et t’aime toujours. »

Le retrouverai-je ? Mon âme serait heureuse de s’évader de sa prison pour voler à sa recherche.

Mlle Z.
[Lettre 494.]

CXXIII. — En l’année 1866, M. Paul L..., professeur d’allemand à Saint-Pétersbourg, se trouvait avec son frère chez leur mère en Prusse, à quelque distance du village où habitait leur sœur, alors légèrement souffrante.

Un matin, le 17 septembre, les deux frères se promenaient en rase campagne. Tout d’un coup, Paul entendit une voix, qui, à deux reprises, l’appela par son nom. A la troisième fois, le frère de M. L... entendit, lui aussi, la voix prononcer, très distinctement, le nom de Paul. Émus d’un sombre pressentiment, car la campagne était déserte, les deux frères se hâtèrent de revenir à la maison, où ils trouvèrent un télégramme leur annonçant que l’état de leur sœur avait subitement empiré, qu’elle était à l’agonie.

Paul L... et sa mère partirent en poste. Sur la route, vers 4 heures de l’après-midi, M. L... vit soudain passer devant lui la forme de sa sœur qui le frôla en traversant la voiture.

Il eut alors la ferme conviction que sa sœur était morte, en fit part à sa mère, et nota exactement l’heure. À leur arrivée, ils apprirent que la sœur était morte à l’heure où sa forme était apparue, et que le matin elle l’avait plusieurs fois appelé dans son agonie.

Autres détails à noter : lorsqu’ils retournèrent chez eux, ils trouvèrent la pendule, arrêtée à l’heure exacte de la mort, et le portrait de leur sœur était tombé au même moment. (Ce portrait était solidement accroché, et cependant tomba sans arracher le clou.)

M. L..., dont je tiens l’adresse à votre disposition, peut certifier exacts tous ces faits.

V. MOURAVIEFF,
Saint-Pétersbourg, 18/30 mars 1899. [Lettre 498.]

CXXIV. — A. Nous sommes en décembre 1875. Mon père venait de se mettre au lit pour mourir le lendemain. Il était malade depuis longtemps, mais il allait et venait et croyait ainsi conjurer la mort tant qu’il ne s’aliterait pas. J’étais assis près de son lit et je voyais avec douleur s’annoncer les premières manifestations de l’agonie.

Personne de la famille n’était encore prévenu.

Tout à coup, un de mes oncles entra en habit de travail. D’une voix entrecoupée, il me dit :

« Mon frère est bien malade ?

— Vous voyez....

— Figure-toi que tout à l’heure, rentrant de la charrue à la nuit, il me sembla voir ton père se traînant comme d’habitude, et portant comme toujours sa main à son cœur, à l’endroit de son mal. Il se tourna vers moi, et me dit : « Christophe, c’est fini, va chez nous.... »

« Effrayé, je criai à Jules : « Ton oncle, tu ne vois pas ton oncle ?... — Mais tu rêves, papa, il n’y a personne ! — En ce cas, repris-je, préviens ta mère, je ne rentre pas, je vais à D..., chez mon frère. »

Il était 6 heures du soir ; le lendemain à 5 heures, mon père était mort.

B. Le deuxième fait se passe en août 1889. Un soir, ma femme et moi, nous soupions tristement : je venais de perdre ma mère.

Tout à coup un homme entra et dit à ma femme que sa mère était bien malade et qu’il fallait partir tout de suite ; il avait une voiture.

Le lendemain, je recevais la nouvelle que ma belle-mère allait plus mal et qu’il me fallait venir.

J’allais partir, lorsque je fus pris soudain d’un affreux accès de neurasthénie ; tout mouvement m’était impossible, et je fus pris d’une sorte de somnolence.

Je ne voyais rien, mais je me sentais là-bas, au-milieu de la famille en larmes, près du lit de la mourante, et j’entendais une voix qui disait :

« Il ne vient donc pas, Émile ? »

Et puis une autre voix, celle de la mourante :

« Il ne peut pas, le pauvre garçon, il est malade. Et puis, d’ailleurs, à quoi bon ? »

Une heure après, je recevais la fatale dépêche : « Maman vient de mourir. »

Dr E. CLÉMENT,
à Montreux. [Lettre 502.]

CXXVI. — Mon beau-frère, Jung, se trouvait un jour avec son père, son beau-frère, Ganzhirt, et un ami de ce dernier, nomme Sohnlein, dans une gloriette de leur jardin. Jung avait environ 12 ans, Ganzhirt et Sohnlein 22 à 24. Tous se portaient bien. Sohnlein leur dit : « Lorsque je mourrai, je vous apparaîtrai ici-même. »

Quelques mois plus tard, mon beau-frère Jung, faisant ses devoirs d’école dans cette gloriette, entendit un bruit comme celui d’un arbre fortement secoué, et vit des fruits d’un prunier tomber à côté de lui. Ne voyant personne, il est saisi de crainte, ferme ses livres et cahiers et rentre à la maison. Peu après, on les prévenait que Sohnlein était mort.

V. SCHAEFFER BLANCK,
à Huningue. [Lettre 504.]

CXXVII. — Je n’ai personnellement éprouvé aucune impression du genre de celles qui font l’objet de votre questionnaire. Mais une personne de ma famille a été impressionnée dans les conditions et de la façon suivante :

Son père habitait Bayonne. Elle était à Concordia, dans l’Amérique du Sud. Le 5 mars 1889, à 7 heures du matin, étant couchée, mais éveillée, elle a cru voir son père accoudé au pied de son lit et la regardant avec tristesse. A cet instant même, ce père était atteint de paralysie cérébrale. Il est mort vingt-six jours après, le 31.

BONNOME,
commis principal des contributions directes, à Mostaganem. [Lettre 505.]

CXXVIII. — Permettez-moi de vous signaler un fait qui me semble assez curieux. D’abord il a décidé de ma vie ; ensuite les circonstances n’en sont vraiment pas ordinaires.

En 1867 (j’avais alors 25 ans), le 17 décembre, je venais de me coucher. Il était près de 11 heures, et tout en faisant ma toilette de nuit, je réfléchissais. Je pensais à une jeune fille que j’avais connue, aux vacances dernières, aux bains de mer de Trouville. Ma famille connaissait la sienne, assez intimement, et nous nous prîmes, Marthe et moi, d’une vive affection. Notre mariage allait bientôt se décider, quand, par suite d’affaires, nos deux familles se brouillèrent, et il fallut se séparer. Marthe partit pour Toulouse et moi je revins à Grenoble. Mais nous nous aimions toujours, à tel point que la jeune fille refusait tous les partis.

Ce soir là donc, 17 décembre 1867, je pensais à tout ceci, et je venais de me coucher, lorsque je vis s’ouvrir la porte de ma chambre, doucement, presque sans bruit, et Marthe entra. Elle était vêtue de blanc, les cheveux épars sur ses épaules. Alors sonna 11 heures. Ceci, je puis l’affirmer ; je ne dormais pas. La vision s’approcha de mon lit, se pencha légèrement sur moi, et je voulus saisir la main de la jeune fille. Elle était froide. Je poussai un cri, le fantôme disparut, et je me trouvai ayant un verre d’eau à la main, ce qui m’avait procuré cette sensation froide32. Mais, notez-le, je ne dormais pas, et le verre d’eau était sur ma table de nuit, à côté de moi. Je ne pus dormir. Le lendemain soir, j’appris la mort de Marthe, à 11 heures du soir, la veille, à Toulouse. Son dernier mot avait été : « Jacques ! »

Voila mon histoire, je puis vous ajouter que je ne me mariai pas. Je suis vieux garçon, mais pense toujours à ma vision. Elle hante mon sommeil.

JACQUES C...,
à Grenoble. [Lettre 510.]

CXXIX. — J’avais une amie d’enfance, Hélène, que j’aimais tendrement. Son père, fonctionnaire, fut nommé à Paris. Il fallut nous séparer, ce qui nous causa à toutes deux un grand chagrin. Avant son départ, Hélène vint m’apporter sa photographie, la plaça elle-même dans un cadre vide, sur une petite table de ma chambre, et nous nous promîmes de nous écrire souvent, ce que nous fîmes en effet.

L’air de la capitale fut néfaste à ma pauvre Hélène déjà si délicate. Elle s’affaiblit de plus en plus, et bientôt, j’appris qu’elle était phtisique. Dès ce moment, et sans qu’elle s’en rendit bien compte, je suivais les progrès de son mal. Un jour, je reçus d’elle une lettre assez gaie : elle allait bien mieux, elle espérait venir passer la belle saison avec moi. Ce mieux si subit m’effraya un peu, puis je me dis qu’il était bien possible après tout qu’Hélène guérit.

Le lendemain, qui se trouvait le 15 avril 1896, j’eus l’esprit inquiet tout le jour. Je n’avais pas encore à ce moment fini mes études. Le soir, après dîner, retirée dans ma chambre, j’étais penchée sur un problème de géométrie, parvenant à peine à fixer mon attention. La photographie de mon amie était près de moi, toujours à sa même place et mes yeux étaient invinciblement attirés par cette image.

Tout à coup, je vis la photographie remuer les paupières, la bouche s’ouvrit comme si elle voulait parler. Un bruit me fit tressaillir, c’était ma pendule qui sonnait 8 heures. Pensant avoir rêvé, je me frottai les yeux et je regardai de nouveau. Cette fois, je vis distinctement le portrait remuer les lèvres, ouvrir démesurément les yeux, puis les refermer ensuite lentement en poussant un soupir33. Je n’osai plus regarder la photographie, je pris vivement ma lampe, je me couchai à la hâte, bien qu’il fût encore trop tôt, et j’essayai, mais en vain, de m’endormir.

Vers 10 heures, j’entendis sonner bruyamment à la porte de la rue. J’appelai en hâte mes parents, qui étaient couchés. C’était une dépêche contenant ces mots : « Hélène décédée ce soir à 8 heures. »

Le premier train du lendemain m’emporta vers Paris avec mon père. Je tenais à assister aux funérailles de mon amie, et aussi à avoir des détails sur ses derniers moments. J’appris que, le jour de sa mort, elle n’avait cessé de parler de moi, elle avait même dit : « Peut-être Valentine regarde-t-elle ma photographie maintenant. Elle me croit guérie et je sens que je vais mourir. » Quelques instants avant l’heure suprême, elle avait recommandé qu’on me prévînt aussitôt et qu’on me transmit ses adieux. Sa dernière parole avait été mon nom.

Qu’on explique ce fait comme on voudra, mais moi je suis sûre de n’avoir pas eu d’illusion. Je n’ai jamais eu l’esprit porté aux apparitions. De plus j’étais absolument dans mon état normal.

VALENTINE C...,
à Roanne. [Lettre 512.]

CXXX. — Une de mes amies d’étude (je suis doctoresse) était allée aux Indes comme médecin missionnaire. Nous nous étions perdues de vue comme cela arrive parfois, mais nous nous aimions toujours.

Un matin, dans la nuit du 28 au 29 octobre (j’étais alors à Lausanne), je fus réveillée avant 6 heures par des petits coups frappés à ma porte. Ma chambre à coucher donnait sur un corridor, lequel aboutissait à l’escalier de l’étage. Je laissais ma porte entr’ouverte pour permettre à un gros chat blanc que j’avais alors d’aller à la chasse pendant la nuit (la maison fourmillait de souris). Les coups se répétèrent. La sonnette de nuit n’avait pas sonné, et je n’avais non plus entendu monter l’escalier.

Par hasard, mes yeux tombèrent sur le chat qui occupait sa place ordinaire au pied de mon lit : il était assis, le poil hérissé, tremblant et grognant. La porte s’agita comme poussée par un léger coup de vent, et je vis paraître une forme enveloppée d’une espèce d’étoffe vaporeuse blanche, comme un voile sur un dessous noir. Je ne pus pas bien distinguer le visage. Elle s’approcha de moi : je sentis un souffle glacial passer sur moi, j’entendis le chat gronder furieusement. Instinctivement, je fermai les yeux, et quand je les rouvris tout avait disparu. Le chat tremblait de tous ses membres et était baigné de sueur34 !

J’avoue que je ne pensai pas à l’amie aux Indes, mais bien à une autre personne. Environ quinze jours plus tard, j’appris la mort de mon amie, dans la nuit du 29 au 30 octobre 1890, à Srinaghar, en Kashmir. J’appris plus tard qu’elle avait succombé à une péritonite.

MARIE DE THILO,
docteur médecin, à Saint-Junien (Suisse). [Lettre 514.]

CXXXI. — J’étais un matin dans ma salle à manger, seule avec une domestique. Nous vaquions l’une et l’autre aux soins du ménage. La domestique époussetait une console et me tournait le dos. Moi, je rangeais des objets sur une table qui nous séparait. Tout le monde dormait encore, car l’heure était assez matinale, c’est dire que le plus parfait silence régnait autour de nous. Tout à coup, nous entendons un bruit qui nous fait l’illusion de la chute d’un gros oiseau s’abattant lourdement, après avoir battu plusieurs fois des ailes. Ceci avait paru se passer entre nous, dans le milieu de la pièce. Nous éprouvâmes, l’une et l’autre, une commotion. La domestique se retourna brusquement, laissant échapper le plumeau qu’elle tenait dans ses mains, et me regarda d’un air effaré. Moi, j’étais immobile, stupéfaite, et sans parole. Au bout de quelques secondes, revenue de mon étonnement, je m’élançai d’un bond à la fenêtre, j’explorai au dehors : c’était une cour dans laquelle je ne vis rien qui eût pu causer ce bruit. Voulant absolument en trouver l’explication, j’ouvris deux portes : l’une donnait sur un vestibule, l’autre dans une chambre à coucher inhabitée. Je fouillai partout. Rien, toujours rien. Alors, sans faire aucun commentaire, l’idée me vint d’envoyer prendre des nouvelles d’une personne malade à laquelle je m’intéressais, et que j’avais laissée, la veille, agonisante. C’était à une faible distance de la maison. Lorsque la domestique revint, elle me dit : « Elle est morte ce matin à 6 heures et demie. » Il était alors 7 heures.

Ce bruit étrange s’était produit exactement à l’heure de cette mort.

Mme B...,
à Nevers. [Lettre 519.]

CXXXII. — A. Dans l’hiver de 1870-1871, je me suis trouvée un soir seule avec ma mère et ma grand’mère, qui avait quitté Saint-Étienne depuis quelques jours pour venir passer un mois auprès de sa fille et de sa petite-fille ; elle avait laissé son fils Pierre, alors âgé de 35 ans, légèrement indisposé, à la suite d’un refroidissement. Elle n’était aucunement inquiète à son sujet, et son voyage étant décidé depuis longtemps, elle était venue nous rejoindre à Marseille.

Donc, un soir, nous venions à peine de nous coucher, moi dans la même chambre que ma grand’mère et maman dans une autre pièce, lorsqu’un violent coup de sonnette nous fit sursauter chacune dans notre lit ; il était 11 heures du soir. Je me lève et je rencontre ma mère, qui vient de son côté savoir qui a sonné ; nous nous trouvons toutes deux dans le vestibule et nous demandons à plusieurs reprises : « Qui est là ? » Sans obtenir de réponse (et sans ouvrir la porte), nous retournons chacune dans notre chambre où nous nous recouchons. Ma grand’mère était restée dans son lit, et je la retrouve assise, un peu effarée de voir que nous n’avions pas obtenu de réponse.

À peine étions-nous remises de ce petit événement, qu’un nouveau coup de sonnette, plus impératif que le premier, nous arrache de nouveau à notre quiétude.

Cette fois, par exemple, je bondis avec la vivacité d’une enfant de 14 ans que j’étais à cette époque et j’arrive à la porte bien avant ma mère. Je demande qui est là. Personne ne répond ; nous ouvrons, nous regardons dans l’escalier, aux étages supérieur et inférieur : toujours personne. Nous revenons dans nos chambres, inquiètes, pressentant un événement imprévu, le cœur serré, et, après une nuit à peu près sans sommeil (sauf pour moi qui étais à l’âge où l’on dort tout de même), nous recevons dans la matinée qui suit cette soirée si impressionnante le télégramme que voici : « Pierre mort hier soir 11 heures, prévenez maman, préparez-la à cette triste nouvelle. »

B. En 1884, année du choléra à Marseille, je pars pour Bagnères-de-Bigorre et Barèges, avec mon mari et mes deux enfants. J’y étais depuis huit jours à peine, à l’hôtel de l’Europe. Une nuit, je suis réveillée brusquement sans cause directe ; ma chambre, où je couche seule, est complètement obscure ; je vois debout, sur ma descente de lit, une personne entourée d’une auréole lumineuse ; je regarde, un peu émue comme vous le pensez, et je reconnais le beau-frère de mon mari, un docteur, qui me dit : « Prévenez Adolphe, dites-lui que je suis mort. » J’appelle aussitôt mon mari, couché dans la chambre voisine, et lui dis : « Je viens de voir ton beau-frère, il m’annonce sa mort. »

Le lendemain, un télégramme nous confirme la nouvelle : une attaque de choléra (en soignant des malades pauvres) l’avait emporté en quelques heures.

Il n’y avait pas au monde de nature plus dévouée pour ses malades et plus sympathique.

H. PONCER,
rue Paradis 415, à Marseille. [Lettre 522.]

CXXXIV. — M. Rigagnon, curé de la paroisse Saint-Martial de Bordeaux, étant dans sa chambre à écrire, vit devant lui son frère qui habitait les colonies, qui lui dit : « Adieu, je meurs. » Tout ému, M. Rigagnon appela ses vicaires et leur raconta ce qu’il venait de voir. Ces messieurs inscrivirent la date et l’heure de l’apparition, et quelque temps après, la nouvelle de la mort arriva : celle-ci concordait avec le moment où M. Rigagnon avait vu son frère devant lui. Ce fait m’a été raconté par l’un des vicaires, qui avait consigné le fait au moment où il s’était produit.

E. BÉGOUIN,
à Réaux, par Jonzac (Charente-Inférieure). [Lettre 524.]

CXXXV. — Mon grand-père vivait dans un château absolument isolé au milieu des bois ; mais ce château, de construction assez moderne, n’avait rien de mystérieux en lui, ni légendes, ni même le « fantôme » indispensable à la renommée d’un bon vieux castel. La sœur de mon grand-père avait épousé un médecin d’un village voisin.

Au moment où le fait dont je vous parle eut lieu, mon grand-père était absent. Son beau-frère, le médecin, étant sérieusement malade, il était parti le soir, en priant ma grand’mère, ma mère, trois de mes tantes et mes deux oncles de ne pas l’attendre, leur disant qu’à moins de trouver son beau-frère dans un état plus satisfaisant, il ne rentrerait pas.

Malgré cette recommandation, et parce que l’un de mes oncles se trouvait de retour (de Cochinchine, je crois, où il avait fait campagne), toute la famille présente resta dans la salle à manger à causer. La nuit s’écoulait assez rapidement, sans fatigue pour personne, lorsque, à DEUX HEURES, tout le monde présent dans la salle à manger, (c’est-à-dire aussi bien mes oncles, deux soldats sceptiques et courageux) entendirent distinctement la porte du salon (l’appartement voisin) se fermer avec une violence qui les fit tous bondir sur leurs chaises. (Je parle de la porte qui séparait le salon du couloir qui se trouvait du côté opposé à la salle à manger.) Il n’y avait pas d’erreur, la porte qui se fermait ainsi, ou du moins que ma famille entendait se fermer, était une porte voisine. C’était bien le bruit d’une porte, et d’une porte intérieure. Ma mère me dit souvent : « Nous entendîmes la porte se fermer comme si une énorme bouffée de vent était entrée dans la maison et avait violemment frappé la porte. » Cette bouffée de vent, absolument irréelle comme vous allez le voir, avait cependant ceci de réel que mes parents la sentirent plus ou moins sur leur visage et qu’elle leur laissa en passant une sorte de sueur glacée comme on en sent dans un cauchemar. La conversation s’arrêta. Ce bruit violent de porte leur semblait étrange, et leur causa à tous une sorte de malaise absolument indéfinissable. Bientôt mon oncle se prit à rire en voyant les figures piteuses de sa mère et de ses sœurs. Vite une chasse amusante est organisée. Mon oncle, en homme courageux, prend la tête, et c’est un défilé comique de la salle à manger dans le salon ; on regarde la porte du salon, celle qui dans l’esprit de tout le monde s’était certainement fermée. Cette porte était fermée à clef et verrouillée. Ma famille, en file indienne, continue cette promenade dans toute la maison. Toutes les portes étaient fermées, les portes extérieures étaient barricadées, toutes les fenêtres étaient fermées, nul courant d’air dans la maison à aucun étage : il était impossible d’expliquer le bruit à la fois si voisin et si retentissant d’une porte qui se ferme, poussée par un grand vent.

Mon grand-père revient le lendemain matin et annonce la mort de son beau-frère. « À quelle heure est-il mort ? — À deux heures du matin. — À deux heures ? — À deux heures précise. » Le bruit de porte avait été entendu par sept personnes à deux heures précises du matin.

RENÉ GAUTIER,
étudiant ès lettres à Buckingham, St John’s Royal School. [Lettre 525.]

CXXXVI. — Un de mes amis, M. Dubreuil, auquel je puis croire absolument, m’a raconté le fait suivant. Son beau-père, M. Corbeau, conducteur des ponts et chaussées, attaché au ministère de la Marine, avait été envoyé il y a quelque temps au Tonkin pour y surveiller des travaux. Sa femme l’avait accompagné dans son voyage.

Un jour, dans l’après-midi, la femme de mon ami vit très distinctement passer entre elle et le berceau de son fils, reposant en ce moment, l’ombre de sa mère, et l’enfant réveillé en sursaut appela sa grand’mère comme s’il la voyait en face de son lit.

Mme Dubreuil eut alors le pressentiment de la mort de sa mère, qui effectivement avait eu lieu ce jour-là à bord du paquebot qui la ramenait en France. Elle fut enterrée à Singapour.

Je puis, si vous le désirez, demander la date exacte du décès et le nom du bâtiment sur lequel il eut lieu.

M. HANNAIS,
10, avenue Lagache, à Villemomble (Seine). [Lettre 527.]

CXXXVII. — En juillet 1887, âgé de 19 ans, je me trouvais à Toulon, accomplissant mon volontariat d’un an au 61e de ligne, caserne du Jeu-de-Paume. J’avais un frère tendrement aimé, Gabriel, de dix ans plus âgé que moi, dessinateur au ministère de la Guerre, gravement malade à Vauvert où il se trouvait en congé chez mes parents ; j’étais allé le voir dans les derniers jours de juin, et quoique son état fût grave, je ne le croyais pas désespéré. Dans la nuit du 3 au 4 juillet, vers 1 heure du matin, je me réveillai en sursaut, mon traversin trempé de larmes, ayant la conviction absolue que mon pauvre frère était mort. Et cette conviction ne provenait pas d’un rêve, car je me serais rappelé ce rêve tôt ou tard, ce qui ne m’est jamais arrivé.

Je vis encore ce douloureux moment en écrivant ces lignes. Réveillé, j’allumai ma bougie que je tenais à mon chevet sur une caisse à balayures, ayant l’habitude d’étudier ma théorie au lit. J’étais alors caporal, ce qui me donnait le privilège envié d’avoir cette rustique et mal odorante table de nuit. Pardonnez-moi ces détails, ils ne sont là que pour donner à ce que je vous expose l’exactitude la plus grande, et pour en prouver la véracité. Je constatai alors qu’il était 1 heure du matin.

Je ne pus me rendormir, et à 5 h. 1/2 du matin, en allant à l’exercice, je demandai au chef de poste, sans réfléchir qu’à Vauvert le bureau du télégraphe n’était pas ouvert à cette heure matinale, s’il n’y avait pas de dépêche pour moi. Même question et réponse négative en revenant de l’exercice ; et, au moment où rentré à la chambrée, je débouclais mon ceinturon, un homme de garde m’apporta la dépêche suivante, envoyée par mon père : « Gabriel mort, viens tout de suite, courage. » Grâce à l’amabilité de mon capitaine, je pus prendre le train à 2 h. 18, et, en arrivant à Vauvert, j’appris que mon frère était mort dans la nuit, à 1 heure du matin.

Le chagrin m’occasionna, quelques jours plus tard, un transport au cerveau, et depuis douze ans je suis chaque année gravement malade à la même époque.

CAMILLE ORENCO,
expert près les tribunaux, à Nîmes. [Lettre 536.]

CXXXVIII. — J’ai entendu relater le fait suivant par une personne avec laquelle j’étais embarqué sur la Melpomène, et dont le récit m’inspire toute confiance (M. Jochond du Plessix, lieutenant de vaisseau).

Il y a environ six ou sept ans, étant enseigne de vaisseau et désigné pour le Sénégal, cet officier se rendit en permission de quelques jours chez ses parents, domiciliés dans une villa aux environs de Nantes. En montant l’allée principale du jardin qui conduisait à la villa, il eut la vision très nette d’un cercueil descendant cette allée. Le soir même, sa mère mourait subitement dans cette villa, sans que rien eût pu faire prévoir cette fin.

NORÈS,
sous-commissaire de la marine, à bord de la frégate la Melpomène, à Brest. [Lettre 537.]

CXXXIX. — A. Une nuit, vers 1 heure du matin, nous avons été réveillés, Marthe et moi, par un bruit extraordinaire se passant dans notre chambre même, bruit de ferraille comme si l’on eût traîné des chaînes sur le parquet. Je me suis levé et n’ai rien constaté d’insolite dans l’appartement.

Au jour, mes parents et une autre personne, qui couchaient au rez-de-chaussée, m’ont demandé l’explication du vacarme qui s’était passé au premier.

Donc, ce bruit a été entendu par cinq personnes.

Dans la matinée du même jour, on est venu nous annoncer qu’une cousine tombée subitement malade était morte dans la nuit.

B. Il y a deux ans, nous étions encore couchés, vers 5 heures du matin, lorsque nous fûmes réveillés par trois petits coups frappés discrètement dans une planche adossée au mur et longeant le lit.

Réveillés, ces trois coups ont été répétés très distinctement.

Nous avions une tante affectée d’une maladie de langueur, et notre première pensée fut que cette tante était morte. Peut-être un quart d’heure après cette manifestation, on sonnait à la porte pour nous prévenir que cette tante était mourante. Avant notre arrivée à son domicile, elle avait cessé de vivre.

Après ces communications de mourants, j’ajoute un fait télépathique d’un autre ordre, mais aussi certain.

C. Camille était au lycée de Chaumont. Vers 5 heures du matin, sa mère se réveille en me disant : « J’entends Camille pleurer, il m’appelle. » Sur quoi je réponds : « Tu rêves ! » Mais le lendemain nous recevions une lettre annonçant que l’enfant avait passé la nuit à pleurer du mal de dents.

Votre cousin affectionné,
HABERT-BOLLÉE,
à Nogent (Haute-Marne). [Lettre 538.]

CXLII. — A. Étant dans sa cuisine, à préparer le repas du soir, ma mère vit passer à différentes reprises devant elle sa mère, ma grand’mère, par conséquent, qu’elle n’avait pas vue depuis plusieurs années. Le lendemain, une lettre lui annonçait, non pas la mort, mais l’agonie de sa mère. Elle arriva juste à temps pour lui fermer les yeux.

B. Ma mère me donnant le sein, la nuit, vers 2 heures du matin, aperçut mon grand-père paternel dans un angle de la chambre, en même temps qu’elle entendit un bruit semblable à celui que fait un corps tombant à l’eau. Troublée, elle réveilla mon père qui, n’attachant aucune importance à cette vision, se rendormit aussitôt. Quelques heures plus tard, un télégramme annonçait que mon grand-père s’était noyé en voulant monter ou plutôt descendre dans sa barque. Il était parti de chez lui un peu avant 2 heures du matin.

SIMON,
40, rue Muller, Paris. [Lettre 542.]

CXLIV. — En 1835, mes grands-parents habitaient une campagne à Saint-Maurice, près de la Rochelle.

Mon père, l’aîné de sa famille, était sous-lieutenant en Algérie où il passa dix ans au milieu des fatigues et des dangers des premiers temps de la conquête.

L’enthousiasme du danger, la verve des récits contenus dans ses lettres, donnèrent à son frère Camille le désir de le rejoindre. Il débarqua à Alger comme sous-officier, en avril 1835, ne tarda pas à rejoindre mon père à Oran et prit part à une expédition contre Abd el-Kader à la fin de juin.

Les Français furent obligés de battre en retraite sur Arzew, et perdirent beaucoup de monde en traversant les marais de la Macta. Mon oncle y fut blessé de trois coups de feu sans gravité. Mais, au bivac, un soldat français, en nettoyant son arme, fit partir le coup, et mon oncle fut frappé à la cuisse. Il dut subir l’opération. Quand elle fut terminée, une crise spasmodique l’emporta.

Les communications n’étaient pas rapides dans ce temps, et ma grand’mère ignora tous ces faits.

Selon un usage assez répandu à cette époque, ma grand’mère avait dans sa chambre d’amis, au premier, un service à café en porcelaine disposé en garniture de cheminée.

Tout à coup, en plein jour, un fracas épouvantable se produisit dans cette chambre.

Ma grand’mère monta précipitamment, suivie de sa bonne. Quelle ne fut pas leur stupéfaction à la vue du spectacle qui les attendait ! Toutes les pièces du service à café gisaient en morceaux sur le parquet à côté de la cheminée, comme si elles eussent été balayées vers le même point. Ma grand’mère fut terrifiée, et reçut l’impression qu’un malheur la frappait.

L’inspection de la chambre fut passée minutieusement, mais aucune des hypothèses présentées à ma grand’mère pour calmer son émotion ne lui parut acceptable : un violent courant d’air, le passage de rats, ou d’un chat enfermé par mégarde, etc.... L’appartement, en effet, était absolument fermé ; donc pas de courant d’air. Des rats pas plus qu’un chat n’auraient pu briser et réunir en un même endroit toutes les pièces de porcelaine disposées dans la longueur de la cheminée.

Il n’y avait à la maison absolument personne que mon grand-père, ma grand’mère et leur bonne.

Le premier courrier d’Afrique apporta à mes grands-parents la nouvelle de la mort de leur fils, arrivée exactement le jour où se brisait le service35.

J. MEYER,
à Niort. [Lettre 549.]

CXLV. — Voici un fait extraordinaire et authentique que je tiens d’une source absolument certaine. Mes parents avaient été un jour appelés au chevet d’un voisin à l’agonie. Ils s’y rendirent et prirent place au milieu d’un cercle de voisins et d’amis réunis, qui attendaient en silence le triste dénouement. Soudain, dans une horloge suspendue au mur, et qui n’avait plus marché depuis des années, il se fit entendre un vacarme inouï, un bruit assourdissant, semblable à des coups de marteau frappés sur une enclume. Les assistants se levèrent effrayés, en se demandant ce que signifiait ce tapage : « Vous le voyez bien », répondit quelqu’un, en désignant le moribond. Peu après, celui-ci rendit le dernier soupir.

H. FABER,
ingénieur agronome à Bissen (Luxembourg). [Lettre 555.]

CXLVI. — Un monsieur que je connais ici me racontait, il y a quelque temps, les circonstances ayant rapport à la mort de sa mère. C’était un dimanche, à l’heure du service religieux. Elle le quitte pour se rendre à l’église, paraissant aussi bien portante qu’à l’ordinaire ; lui, une heure après, sort pour aller voir un de ses amis demeurant dans la même rue. Il arrivait près de la maison, lorsqu’il vit au ciel comme une grande croix d’or et se sentit en même temps pénétré d’une telle angoisse qu’il n’entra pas chez son ami, et rebroussa chemin. Il avait fait une centaine de pas, lorsqu’il fut arrêté par une dame de sa connaissance qui lui dit : « Avez-vous vu votre mère ? Ce ne sera, je l’espère, qu’une défaillance, mais on a dû l’emporter de l’église. »

Il retourna chez lui en hâte : sa mère était morte.

O. LENGLET,
à Mitau (Courlande). [Lettre 566.]

CXLVII. — Mon père, mort au mois de juin dernier, m’a maintes fois cité le fait suivant qui a fait, entre lui et moi, l’objet de maintes discussions.

Étant jeune et habitant Champsecret, dans l’Orne, il était employé dans une tuilerie où la nuit il y avait toujours deux hommes de garde.

Une nuit qu’il remplaçait un employé malade, étant tranquillement à causer avec son camarade de garde, il entendit distinctement des pas qui, descendant directement de la route, semblaient suivre le chemin qui reliait la route à la tuilerie.

Lui et son camarade se regardèrent effarés sans oser parler tout d’abord. Ils eurent l’impression qu’un homme était venu les frôler, puis les pas se firent de nouveau entendre, mais en s’éloignant cette fois, et leur idée fut que leur camarade, dont ils avaient reconnu les pas, devait être mort.

Le lendemain, ils apprirent la mort de leur camarade dans la nuit, à une heure correspondant avec le bruit de pas entendu.

Ma mère pourrait certainement me dire les noms du mort et du camarade de mon père, si cela vous intéressait.

EUG. BONHOMME,
99, avenue Parmentier, Paris. [Lettre 590.]

CXLVIII. — Étant âgé d’environ 6 ans, j’habitais une maison du Jura suisse ; je dormais déjà depuis plusieurs heures lorsque je fus réveillé, ainsi que mon père, ma mère, et mes quatre sœurs, par une voix très forte appelant mon père Florian, une seconde fois moins forte, et une troisième fois encore plus faible. Mon père dit : « C’est la voix de Renaud (son ami demeurant à Paris) », et se levant il alla ouvrir la porte, mais personne ! La neige tombée ne portait aucune empreinte. À peu de temps de là, mon père reçut une lettre lui apprenant que son ami Renaud avait été écrasé par un omnibus et qu’avant de mourir, il avait prononcé plusieurs fois son nom.

JH. JUNOD,
Comptoir Smales Ecles et Cie, Odessa (Russie). [Lettre 592.]

CXLIX. — Mon grand-père maternel, François M..., né à Saint-O..., décédé aux A..., en 1882, à l’âge de 80 ans, étant dans sa jeunesse à Paris, où il travaillait en qualité d’ouvrier tailleur, dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, autant que je puis me le rappeler, fut réveillé un soir à 11 heures par trois coups frappés très distinctement à la porte de sa chambre. Étonné, il se lève, allume une lampe, ouvre la porte, mais n’aperçoit personne. Croyant qu’un mauvais plaisant était l’auteur de ce dérangement, il se recouche en maugréant, mais trois autres coups sont encore frappés à la porte. Il se lève brusquement, comptant faire payer chèrement à l’importun sa mauvaise plaisanterie, mais malgré toutes les recherches auxquelles il se livre, soit dans le vestibule, soit dans l’escalier, il lui est impossible de se rendre compte de quel côté a disparu le mystificateur. Une troisième fois, étant de nouveau dans son lit, trois coups furent derechef frappés à la porte. Cette fois un pressentiment porta mon grand-père à supposer que ce bruit pouvait être dû à l’âme de sa mère, quoique rien dans les nouvelles antérieures reçues de sa famille ne l’incitât à faire semblable supposition. Cinq à six jours après cette manifestation, une lettre lui parvint, venant de son pays, lui annonçant la mort de sa mère survenue à l’heure précise où il avait entendu le bruit. Au moment de sa mort, sa mère, qui avait une affection spéciale pour lui, avait insisté pour qu’on apportât sur son lit une robe que son « garçon de Paris » lui avait envoyée en cadeau quelque temps auparavant.

E. DESCHAUX,
aux Abrets (Isère). [Lettre 595.]

CL. — Le père de ma belle-mère occupait au nombre de ses ouvriers un mauvais sujet qu’il avait dû congédier en lui disant : « Tu finiras par la potence. »

Un an ou deux (l’époque exacte n’a pas pu être fixée) après son départ, le grand-père de ma femme se trouvait avec sa famille un matin à la table du déjeuner lorsqu’il se retourna brusquement demandant : « Qui est là, que me veut-on ? »

La famille surprise de la question, et ne sachant ce qu’il voulait dire, lui demanda une explication. Il répondit : « On vient pourtant de me dire à haute voix : Adieu, patron. » Mais aucune des autres personnes présentes n’avait entendu quoi que ce fût.

Cinq ou six heures plus tard, le grand-père de ma femme apprit que son ouvrier congédié avait été trouvé pendu à un arbre de la forêt proche de la ville.

Voilà le fait tel qu’il m’est raconté. Ma belle-mère s’en souvient encore très bien : je puis vous en garantir l’authenticité.

Je suppose qu’au moment de se passer au cou le nœud coulant, l’ouvrier se sera rappelé la prédiction de son ancien patron, et lui aura envoyé en quittant la vie un « adieu patron » qui a été entendu par celui auquel était adressé cet adieu.

Le fait s’est passé à Mulhouse, dans ma ville natale, en 1854 ou 1855.

EMILE STEFFAN,
à Ensheim (Palatinat). [Lettre 609.]

CLI. — J’avais alors 10 ou 11 ans (j’ai aujourd’hui 34 ans et 4 mois), je vivais avec mon père et ma mère chez mon frère aîné, curé d’un petit village près de Pont-Saint-Esprit (Gard). J’avais à cette époque une vraie passion pour les oiseaux.

Or, un soir, après le dîner, allant me coucher, je dis à ma mère qui me tenait par la main :

« Maman, écoutez, j’entends un gros oiseau dans la cave, descendons pour l’attraper (pour aller aux chambres, il fallait passer devant la porte de l’escalier conduisant à la cave).

— Tu te trompes, répondit ma mère.

— Non, je ne me trompe pas, c’est bien un gros oiseau. »

Mais je n’insistai pas.

Le lendemain soir à la même heure, en allant me coucher, même cri d’oiseau, perçu par mes oreilles d’enfant, même dénégation de la part de ma mère.

Cette fois, poussé par mon amour des oiseaux, j’insistai, je trépignai et tirai ma mère par la main. Elle finit, à contre cœur, par céder à ma volonté mutine.

Nous descendîmes, ma mère et moi (elle, subissant mon caprice), dans la cave ou plutôt les caves qui s’étendaient sous le presbytère. Nous les visitâmes l’une après l’autre. Le cri d’un gros oiseau était toujours distinct mais changeait d’endroit. Tantôt il paraissait sortir de dessous les fagots, tantôt de derrière les tonneaux, etc. Je lâchai la main de ma mère et me mis à la poursuite ... de ce cri ; car je ne voyais point d’oiseau et je n’entendais ni le frôlement de ses ailes, ni le bruit de sa course. Ma mère, sous l’impression de la peur (elle était très superstitieuse), me ressaisit la main et me fit remonter l’escalier.

Dans le courrier du lendemain, mon frère recevait une lettre lui annonçant la mort d’un de nos oncles.

Et ma mère de s’écrier aussitôt :

« Le gros oiseau que Louis entendait hier et avant-hier devait être l’âme de ton oncle qui réclamait sa messe » (mon frère ayant l’habitude de dire une messe pour chacun de nos parents dès qu’on lui annonçait la mort).

Mon frère et moi nous nous mîmes à rire de l’explication de ma pauvre mère. Et depuis lors, il ne fut plus question du gros oiseau.

LOUIS TAILHAUD,
curé de Colombiers par Bagnols-sur-Cèze (Gard). [Lettre 610.]

CLII. — Un de mes cousins était gravement malade d’une fièvre typhoïde ; son père et sa mère ne quittaient pas son chevet, le veillant jour et nuit. Mais un soir, à bout de forces tous les deux, la garde-malade les obligea à prendre un peu de repos, leur promettant de venir les chercher à la moindre alerte. Ils dormaient profondément depuis un moment quand, tout à coup, ils sont réveillés, en sursaut, par la porte de la chambre qui s’ouvrait, mais doucement. Mon oncle demande : « Qui est-là ? » Ma tante, convaincue qu’on venait les chercher, se lève précipitamment, mais à peine assise sur son lit, elle sent quelqu’un qui l’embrasse fortement en disant : « C’est moi, maman, je m’en vais, mais ne pleure pas. Adieu. » Et la porte se referme tout doucement. Remise à peine de son émotion, ma tante court dans la chambre de son enfant, où son mari l’avait devancée. Là, elle apprend que mon cousin venait de rendre le dernier soupir, à l’instant même.

M. ACKERET,
à Alger. [Lettre 639.]

CLIII. — Je crois de mon devoir de vous signaler le cas dont j’ai été témoin en 1886. J’étais lieutenant à Saint-Louis du Sénégal. Un soir, après quelques heures passées en compagnie de quelques braves et gais camarades, je me couchai à 11 heures environ. Je m’assoupis au bout de quelques instants. Tout à coup, je sens comme une forte pression sur la poitrine et je me sens brusquement secoué ; je me lève sur un coude, me frottant les yeux, car j’ai là, devant moi, ma grand’mère. L’excellente femme me regarde avec des prunelles presque éteintes et j’entends, oui, j’entends sa voix faible me dire : « Je viens te dire adieu, mon cher petit, tu ne me verras plus.... » J’étais stupéfait, et pour être bien sûr que je ne rêvais pas, je fis à haute voix la réflexion : « Voyons ! ce n’est pas un rêve », et je me levai. L’apparition avait duré quelques secondes.

Par un des courriers suivants, j’appris de ma famille à qui j’avais écrit ce phénomène de télépathie que ma grand’mère, âgée de 76 ans, était morte à Rochefort. Ses dernières paroles avaient été pour moi : « Je ne le verrai plus », répétait-elle sans cesse. La mort était arrivée à 11 heures 1/2, la nuit où je l’avais vue, et si on tient compte de la différence de longitude, c’est au moment précis où ma grand’mère m’est apparue.

Je savais ma grand’mère affaiblie par l’âge et malade, mais je n’avais pas d’inquiétude très grande sur son état. Tel est le cas, que je vous certifie rigoureusement exact.

JULIEN LAGARRUE,
capitaine d’infanterie de marine, à Hanoï. [Lettre 669.]

CLIV. — En avril 1892, j’étais employé comme chef des travaux à la manufacture des glaces de Saint-Gobain.

J’étais peu porté à croire au merveilleux, et si parfois j’entendais quelque récit qui en fut empreint, j’attribuais à une hallucination l’impression qui en était la cause. Il a donc fallu que plusieurs personnes, interrogées séparément, aient été témoins du fait suivant, pour que j’aie pu y attacher de l’importance.

Ma femme était assise sur le seuil A d’une porte qui mettait mon logement en communication avec une petite terrasse, située au rez-de-chaussée, où travaillait pour mon compte une cardeuse de matelas36. Vers 3 heures, toutes deux entendirent trois coups bien distincts frappés à la porte B d’un cabinet, située à un mètre environ du seuil A. Très surprises de ce bruit que rien ne semblait justifier, puisque personne n’était dans l’appartement, elles firent un échange d’observations sur des faits semblables, dont elles avaient entendu parler. La cardeuse dit à ma femme qu’un de nos parents était bien malade, et que son esprit nous demandait du secours. Le lendemain, à la même heure, elles étaient au même endroit ; et la bonne lavait le linge sur la terrasse. L’incident de la veille était oublié. Tout à coup, ces trois personnes entendirent exactement le bruit de la veille : trois coups frappés à la porte B du cabinet. Leur surprise devint de la stupéfaction ; pendant longtemps la bonne ne voulut plus rester seule dans la maison.

Une lettre nous apprit le lendemain qu’une de mes vieilles tantes, très dévote, Angélique Bertrand, était morte à Pertuis (Vaucluse), depuis deux jours, le 5 avril 1892.

ARLAND,
78, rue Bleue, Marseille. [Lettre 705.]

CLV. — Je pouvais avoir une douzaine d’années. Mon pauvre père, un des héros de Sidi-Brahim, avait passé la nuit et une partie de la journée au chevet de sa mère dangereusement malade. Il était revenu. Vers les 4 heures du soir, un de mes oncles vint le chercher, en lui disant qu’elle était plus mal et qu’elle manifestait le désir de voir les deux petits. Mon père voulut nous mener. Mon frère plus jeune y alla très volontiers, mais moi je résistai tellement, que rien ne put ébranler ma résolution, tout cela parce que j’avais une peur très grande des morts.

Je restai donc seul à la maison avec ma pauvre mère, qui après le souper me fit coucher, ce que je ne voulais faire, la peur me tenant toujours. C’est alors qu’elle se décida à me faire coucher dans son lit, me promettant de venir bientôt me tenir compagnie.

Vers les 7 heures 1/2, je reçus une gifle d’une violence extraordinaire. Je me mis à crier ; ma mère vint immédiatement à mes cris, me demandant ce que j’avais. Je lui répondis que j’avais été battu, la joue me faisant mal ; du reste, ma mère constate que j’avais la joue rouge et enflée. Inquiète de ce qui venait de se passer, ma mère languissait après le retour de mon père et de mon frère. Ce ne fut que vers les 9 heures que mon père entra ; tout de suite ma mère lui fît part de ce qui m’était arrivé, et quand elle lui dit l’heure, mon père répondit : « C’est précisément à cette heure que sa grand’mère a rendu le dernier soupir. »

J’ai conservé sur la joue droite pendant plus de six mois l’empreinte d’une main droite qui était très apparente, surtout après avoir joué, quand la figure est plus rouge, constatation qui fut faite par des centaines de personnes, la trace de la main étant blanche.

A. MICHEL,
teinturier à l’usine de Valabre, par Entraigues (Vaucluse). [Lettre 714.]

CLVI. — Le 31 mai 1895, mon fils aîné, engagé volontaire depuis moins de six mois au 1er hussards, à Valence, participait à des manœuvres d’exercice en campagne qu’effectuait son régiment. Étant en pointe d’avant-garde, il marchait au pas de son cheval, observant le pays occupé par l’ennemi supposé, lorsque tout à coup, d’une embuscade établie sur le bord de l’étroit chemin parcouru, un coup de feu partit qui atteignit mon malheureux fils en pleine poitrine. La mort fut presque foudroyante.

L’auteur involontaire de ce fatal accident, voyant son camarade abandonner les rênes et chanceler sur l’encolure de son cheval, s’empressa vers lui pour le soutenir, et il put recueillir les dernières paroles que le mourant exhala dans un dernier soupir : « Tu m’as fait bien mal..., mais je te pardonne.... Pour Dieu et la Patrie, toujours... présent ! ! ! ! » Puis il expira.

Or, ce même jour, 31 mai 1895, vers 9 heures 1/2 du matin, tandis que ma femme vaquait dans la maison à des soins d’intérieur, notre fillette alors âgée de 2 ans 1/2, s’approchant de sa mère lui dit dans son langage enfantin : « Maman, regarde parrain (mon fils aîné était le parrain de sa sœur), vois, maman, vois parrain, je m’amuse avec lui.

— Oui, ma chérie, amuse-toi », lui répondit sa mère, qui à ce moment n’attacha pas d’importance aux paroles de l’enfant.

Mais la fillette, devant l’indifférence de sa mère, redoubla d’insistance et ajouta : « Mais maman, viens voir parrain.... Regarde-le, il est là. Oh ! comme il est bien habillé ! ! ! ! »

Ma femme remarqua qu’en lui parlant ainsi l’enfant était comme transfigurée. Elle s’en émut tout d’abord, mais oublia bientôt cet incident qui n’avait duré que quelques minutes, et ce ne fut que deux ou trois jours après qu’elle s’en rappela tous les détails.

Un peu avant midi, nous reçûmes un télégramme nous avisant de l’affreux accident arrivé à notre fils bien-aimé, et je sus plus tard que la mort était survenue vers 8 heures.

ROUGÉ,
villa des Tilleuls, à Salon (Bouches-du-Rhône). [Lettre 715.]

CLVII. — C’était un soir, vers 9 heures ; tout le monde était encore levé dans la maison. Ma sœur, âgée de 17 ans, passant par un corridor, vit, sous un bec de gaz allumé, une belle et grande fille, qu’elle ne connaissait pas, habillée à la paysanne. L’apparition l’effraya, et elle se mit à jeter des cris.

Le lendemain matin, la cuisinière, fille de 25 ans, raconta à ma mère que la veille, vers 9 heures, venant de se mettre au lit, elle avait vu devant elle une de ses amies, jeune paysanne, dont le signalement correspondait avec celui de l’apparition.

On apprit ensuite que cette paysanne était morte précisément ce jour-là.

Comtesse AMÉLIE CARANDINI,
à Parella (Italie). [Lettre 751.]

CLVIII. — Étudiant à l’Université de Kieff, déjà marié, j’étais allé passer l’été à la campagne chez ma sœur, habitant une terre non loin de Pskow. En revenant, par Moscou, ma femme adorée tomba subitement malade de l’influenza, et, malgré son extrême jeunesse, fut rapidement brisée. Une paralysie du cœur l’emporta subitement, comme un coup de foudre.

Je n’essayerai pas de vous dépeindre ma douleur et mon désespoir. Mais voici ce que je crois devoir signaler à votre savoir, le problème dont je désire ardemment recevoir la solution.

Mon père habitait Poulkovo. Il ignorait la maladie de sa charmante belle-fille, et la savait avec moi à Moscou. Quelle ne fut pas sa surprise de la voir à côté de lui, comme il sortait de sa maison, l’accompagnant pendant un instant ! Elle disparut aussitôt. Saisi d’effroi et d’angoisse, il nous adressa à l’heure même un télégramme pour s’informer de la santé de ma chère compagne. C’était le jour même de sa mort....

Je vous serais reconnaissant pour toute ma vie de m’expliquer ce fait extraordinaire.

WENECIAN BILILOWSKY,
studiosus medicinæ, Nikolskaja, 21, à Kieff. [Lettre 787.]

Voilà des récits assurément très nombreux et qui semblent parfois se répéter, quoiqu’en réalité ils soient très variés. Nous en ajouterons ici quelques autres encore, dont la lecture n’en sera pas moins intéressante et instructive pour notre recherche. Il nous semble qu’en les lisant, l’instruction de chacun doit se faire graduellement et sûrement sur cette nouvelle branche d’études.

Mme Adam écrivait récemment, le 29 novembre 1898, à M. Gaston Méry, en réponse à une enquête qu’il avait entreprise sur le « merveilleux » :

CLIX. — J’avais été élevée par ma grand’mère. Je l’adorais. Quoiqu’elle fût dangereusement malade, on me cachait sa maladie, parce que je nourrissais ma fille et qu’on craignait pour moi un chagrin trop violent.

Un soir, à 10 heures, une veilleuse seule éclairait ma chambre. Déjà endormie, mais réveillée par les pleurs de ma fille, je vis ma grand’mère au pied de mon lit. Je m’écriai :

« Quelle joie, grand’mère, de te voir ! »

Elle ne me répondit pas et leva la main vers l’orbite de ses yeux.

Je vis deux grands trous vides !

Je me jetai à bas de mon lit, et courus vers ma grand’mère : au moment où j’allais la saisir dans mes bras, ce fantôme disparut.

Ma grand’mère était morte, ce jour-là même, à 8 heures du soir.

M. Jules Claretie écrivait à son tour, en réponse à la même enquête (1er décembre 1898) :

CLX. — A. Nous avions à Radevant, en Périgord, chez mon grand-père, un vieux fermier du nom de Montpezat, qui vint une nuit réveiller mon aïeul en lui disant : « Mme Pélissier est morte ! Elle vient de mourir ! Je l’ai vue. »

Mme Pélissier était la sœur de mon grand-père, mariée à Paris, et, en ce temps-là (au temps des diligences), il fallait quatre jours, je crois, pour qu’une lettre arrivât au fond du Périgord. Pas de télégraphes, naturellement. Or, on apprit à Radevant que la nuit même et à l’heure où Montpezat se levait effaré après avoir vu Mme Pélissier lui apparaître, ma grand’mère mourait à Paris, rue Monsieur-le-Prince.

B. Autre tradition du côté de ma grand’mère maternelle.

Un de mes grands-oncles était soldat, capitaine de la garde. Sa mère et ses frères habitaient Nantes. Lorsqu’il venait les voir, il avait l’habitude de frapper à la vitre du rez-de-chaussée, comme pour dire : « Me voici ».

Un soir, toute la famille réunie, on frappe au carreau. Ma bisaïeule se lève joyeuse : « C’est lui ! il revient de l’armée ! »

On court à la porte : personne. Or, à cette heure, mon grand-oncle était tué par un chasseur tyrolien à Wagram, par un des derniers coups de feu de la journée. J’ai là sa croix d’honneur, toute petite, détachée pour lui de la poitrine de l’Empereur qui la lui donna sur le champ de bataille, et la lettre de son colonel qui accompagne cet envoi.

À l’heure où par je ne sais quelle hallucination de l’ouïe partagée par la mère et ses enfants, on entendait à Nantes une main invisible frapper les vitres, l’absent tombait et mourait à Wagram.

Le récit suivant a été fait à M. Henriquet, architecte, en présence de M. Eymar La Peyre, rédacteur en chef du journal l’Indépendant, de Bergerac, par M. Montégoût, sous-directeur de la colonie pénitentiaire de Saint-Maurice-du-Maroni (Guyane française), originaire de Saint-Alvère (Dordogne) et camarade d’enfance du député La Mothe-Pradelle :

CLXII. — Le 4 février 1888, M. Montégoût se leva matin pour sa tournée d’inspection dans la colonie. Lorsqu’il rentra, à l’heure du déjeuner, sa femme lui dit : « La Mothe-Pradelle est mort ».

Surpris d’abord par cette brusque nouvelle, il fut vite rassuré quand Mme Montégoût lui raconta ce qui suit. Dans la nuit, elle s’était réveillée, et, en ouvrant les yeux, elle avait vu devant elle La Mothe-Pradelle, qui lui avait serré la main et lui avait dit : « Je viens de mourir, adieu ! »

À ce récit, M. Montégoût plaisanta fort sa femme et lui dit qu’elle avait rêvé tout cela. Elle, de son côté, certifiait qu’elle n’était point endormie lors de l’apparition.

Un ou deux jours après, dîner chez M. Montégoût. Ce dernier raconta le fait à ses convives, qui plaisantèrent Mme Montégoût. Mais le directeur de la colonie déclara croire à la réalité de l’apparition et, par conséquent, à la mort du député.

La discussion fut vive et aboutit au pari d’un dîner. Six ou huit semaines plus tard, arriva à la colonie le numéro de l’Indépendant, de Bergerac, qui annonçait que M. de La Mothe-Pradelle, député de la Dordogne, était mort dans la nuit du 3 au 4 février 1888.

Tel est le récit fait à M. Henriquet par M. Montégoût, récit confirmé d’autre part par Mme Montégoût elle-même.

Ce cas, non moins précis et non moins sûr que les précédents, est extrait des Annales des Sciences psychiques (1894, p. 65). En voici un autre, tiré de la même publication (1895, p. 200), adressé de Montélimar au docteur Dariex, par M. Riondel, avoué dans cette ville :

CLXIII. — J’avais un frère beaucoup plus jeune que moi (il est mort dans la quarantième année de son âge, le 2 avril dernier) qui était employé des lignes télégraphiques à Marseille, et agent des Messageries maritimes.

Anémié par un assez long séjour dans les colonies, mon pauvre frère était atteint des fièvres paludéennes auxquelles il a, d’ailleurs, succombé, sans que rien fit prévoir un dénouement aussi rapide et foudroyant.

Le dimanche 1er avril dernier, je recevais une lettre de lui, m’informant que sa santé était excellente.

Dans la nuit de ce jour, c’est-à-dire du dimanche au lundi, je fus éveillé soudain par un bruit insolite et violent, semblable au jet d’un pavé roulant sur le parquet de ma chambre que j’occupe seul et qui est fermée à clé.

Il était, ou plutôt je constatai qu’à ma montre et à mon réveille-matin il était 2 heures moins un quart. Inutile d’ajouter qu’à mon lever je cherchai l’objet qui m’avait réveillé, avec un sentiment de terreur dont je ne pus me défendre.

À 8 heures du matin, je recevais d’un intime ami de mon frère, qui habitait un appartement contigu au sien, 2e étage du n° 95, rue de la République, à Marseille, un télégramme m’informant que mon frère était gravement malade et d’avoir à me rendre auprès de lui par le premier express.

Quand j’arrivai chez mon frère, j’appris qu’il était décédé dans la nuit, sans agonie, sans souffrances, sans proférer un seul mot.

Je m’enquis de l’heure exacte de sa mort, auprès de l’ami dans les bras duquel il avait expiré. C’était bien à 2 heures moins un quart, montre en main, que mon jeune frère avait rendu l’âme.

Autre cas, non moins remarquable.

M. Ch. Beaugrand écrivait récemment au docteur Dariex37 :

CLXIV. — M. G..., officier de la marine marchande, a un frère avec lequel il est en assez mauvais termes. Ils ont même cessé toutes relations.

M. G..., qui navigue en qualité de second, revient de Haïti au Havre. Au cours du voyage, une nuit, comme il s’était endormi aussitôt son quart terminé, il sent tout à coup son hamac secoué violemment et s’entend, par deux fois, appeler par son prénom : « Emmanuel ! Emmanuel ! » Il se réveille en sursaut et croit, tout d’abord, à une plaisanterie. Puis, se ravisant, il se rappelle que, seul à bord, le capitaine connaît son prénom. Il se lève donc, va trouver ce dernier qui lui dit ne pas l’avoir appelé et lui fait même remarquer qu’il ne le désigne jamais par son prénom. L’officier retourne dans son hamac, s’endort de nouveau et, au bout de quelques instants, la même audition se produit une seconde fois, et il croit reconnaître la voix de son frère. Alors, il se dresse sur son séant, décidé à ne pas se rendormir. Une troisième fois, la même voix l’appelle.

Aussitôt, il se lève, et, pour chasser cette obsession, s’installe à sa table de travail, où il note exactement le jour et l’heure de ce phénomène.

Quelques jours après, le navire arrive au Havre. Un des amis de l’officier, la figure consternée, monte à bord ; du plus loin qu’il l’aperçoit, celui-ci lui crie :

« Ne me dites rien ! Je sais ce que vous venez m’annoncer. Mon frère est mort, tel jour et à telle heure ! »

C’était rigoureusement exact. Le frère de M. G... était mort en l’appelant et en exprimant son chagrin de ne plus le revoir.

M. G... est mort depuis bien des années. Ce fait m’a été rapporté dernièrement, séparément, — ce qui est une garantie de la véracité du récit, — par ses deux fils. L’un est un des plus brillants avocats du barreau du Havre ; l’autre, lieutenant de vaisseau en retraite. Ce qu’ils m’ont raconté, ils le tenaient de la bouche même de leur père, et leur témoignage ne saurait être mis en doute.

Ces phénomènes d’apparitions à distance, au moment de la mort, ont été, il y a quelques années, en Angleterre, l’objet d’une enquête indépendante faite par des savants estimant que la négation n’a jamais rien prouvé.

L’esprit scientifique de notre siècle cherche avec raison à dégager tous ces faits des brouillards trompeurs du surnaturalisme, attendu qu’il n’y a rien de surnaturel et que la nature, dont le royaume est infini, embrasse tout. Une société scientifique spéciale s’est organisée pour l’étude de ces phénomènes : la Society for psychical Research ; elle a à sa tête quelques-uns d’entre les plus illustres savants d’Outre-Manche et a déjà fourni des publications importantes. Des enquêtes rigoureuses ont été faites pour en contrôler les témoignages. La variété en est considérable. Nous allons feuilleter un instant l’ensemble de ces recueils et ajouter encore, aux documents qui précèdent, d’autres non moins certains et dont quelques-uns sont peut-être plus remarquables encore. Nous nous occuperons ensuite d’une recherche d’explication.

Voici quelques cas extraordinairement curieux empruntés à l’ouvrage Phantasms of the Living, de MM. Gurney, Myers et Podmore, traduit en français par M. Marillier, sous le titre de Hallucinations télépathiques.

Le général Fytche, de l’armée anglaise, écrivait, le 22 décembre 1883, la lettre suivante au professeur Sidgwick, directeur de la Commission psychique :

CLXV. — Un incident extraordinaire, qui fit sur mon imagination une profonde impression, m’arriva à Maulmain. J’ai vu un fantôme, je l’ai vu de mes propres yeux, dans la pleine lumière du jour. Je puis le déclarer sous serment.

J’avais vécu dans la plus étroite intimité avec un vieux camarade d’école, qui avait été ensuite mon ami à l’Université ; cependant, des années s’étaient écoulées sans que nous nous fussions revus. Un matin, je venais de me lever et je m’habillais, lorsque, tout à coup, mon vieil ami entra dans ma chambre. Je l’accueillis chaleureusement et je lui dis de demander une tasse de thé sous la véranda, lui promettant de le rejoindre immédiatement. Je m’habillai, en hâte, et j’allai sous la véranda, mais je n’y trouvai personne. Je ne pouvais en croire mes yeux. J’appelai la sentinelle postée en face de la maison, mais elle n’avait vu aucun étranger ce matin-là. Les domestiques déclarèrent aussi que personne n’était entré dans la maison. J’étais certain d’avoir vu mon ami. Je ne pensais pas à lui à ce moment et, pourtant, je ne fus pas très surpris parce qu’il arrivait souvent des vapeurs et d’autres vaisseaux à Maulmain.

Quinze jours après, j’appris qu’il était mort à six cents milles de là, au moment même, ou peu s’en fallait, où je l’avais vu à Maulmain.

CLXVI. — À Odessa, le 17 janvier 1861, à 11 heures du soir, Mme Obalechef était au lit ; bien portante, ne dormant pas encore ; à côté d’elle, à terre, dormait sa domestique, ci-devant serve ; dans la chambre brûlait une lampe devant les saintes images. Ayant entendu son petit enfant pleurer, elle demanda à sa domestique de le lui donner.

« Levant par hasard, dit-elle, les yeux sur la porte que j’avais devant moi, je vis entrer lentement mon beau-frère, en pantoufles et en robe de chambre à carreaux que je ne lui avais jamais vue. S’approchant du fauteuil, sur lequel il s’appuya, il enjamba les pieds de la domestique, qui se trouvait là, et s’assit dans le fauteuil doucement. En ce moment, la pendule sonna 11 heures. Bien sûre de voir distinctement mon beau-frère, je m’adressai à la domestique avec la question suivante : « Tu vois, Claudine ? »

« Mais je ne nommai pas mon beau-frère. Là-dessus, la domestique, tremblant de frayeur, me répondit immédiatement :

« Je vois Nicolas Nilovitch ! » (le nom de mon beau-frère).

« À ces paroles, mon beau-frère se leva, enjamba de nouveau les pieds étendus de Claudine et, se tournant, disparut derrière la porte qui conduisait au salon. »

Mme Obalechef réveilla son mari, qui prit une bougie et examina tout l’appartement très attentivement sans rien trouver d’anormal. Elle eut alors la conviction que son beau-frère, habitant à cette époque à Tver, venait de mourir. En effet, l’événement était arrivé justement le 17 janvier 1861, à 11 heures du soir.

Comme confirmation du récit, on a le témoignage écrit de la veuve de M. Nilovitch, qui certifie que les choses se sont bien passées de la sorte, et que, de plus, la robe de chambre décrite par sa sœur était identique à celle que M. Nilovitch s’était fait faire quelques jours avant son décès, et dans laquelle il est mort.

CLXVII. — Au mois de septembre de l’année 1857, le capitaine Wheatcroft, du 6e régiment anglais des dragons de la garde, partit pour les Indes, afin de rejoindre son corps. Sa femme resta en Angleterre, à Cambridge. Dans la nuit du 14 au 15 novembre, vers le matin, elle rêva qu’elle voyait son mari anxieux et souffrant, puis elle se réveilla immédiatement, l’esprit très agité. Il faisait un magnifique clair de lune, et, en ouvrant les yeux, elle vit de nouveau son mari debout à côté de son lit. Il lui apparut en uniforme les mains pressées contre la poitrine ; ses cheveux étaient en désordre et sa figure pâle. Ses grands yeux noirs la regardaient fixement et sa bouche était contractée. Elle le vit, et avec toutes les particularités de ses vêtements, aussi distinctement qu’elle l’avait jamais vu durant toute sa vie, et elle se rappelle avoir remarqué, entre ses deux mains, le blanc de sa chemise, qui, cependant, n’était pas tachée de sang. Son corps semblait se pencher en avant avec un air de souffrance, et il faisait un effort pour parler ; mais on n’entendait aucun son. L’apparition dura une minute environ, puis s’évanouit. La première idée de Mme Wheatcroft fut de constater qu’elle était bien éveillée. Elle se frotta les yeux avec son drap. Son petit-neveu était dans son lit avec elle : elle se pencha sur l’enfant endormi et écouta sa respiration. Inutile d’ajouter qu’elle ne dormit plus cette nuit-là.

Le lendemain matin, elle raconta tout cela à sa mère et exprima la conviction que son mari était tué ou dangereusement blessé, bien qu’elle n’eût pas vu de taches de sang sur ses vêtements. Elle fut tellement impressionnée par cette apparition qu’elle refusa, à partir de ce moment, toutes les invitations. Une jeune amie la pressa, quelque temps après, d’aller avec elle assister à un concert, lui rappelant qu’elle avait reçu de Malte, envoyé par son mari, une fort belle toilette qu’elle n’avait pas encore portée. Elle refusa d’une façon absolue, déclarant que, ne sachant pas si elle n’était point déjà veuve, elle ne fréquenterait aucun lieu d’amusements jusqu’à ce qu’elle eût reçu des lettres de son mari d’une date postérieure au 14 novembre.

Au mois de décembre suivant, le télégramme annonçant la mort du capitaine fut publié à Londres. Il disait que le capitaine avait été tué devant Luknow le 15 novembre.

Cette nouvelle, donnée par un journal de Londres, attira l’attention d’un solicitor, M. Wilkinson, qui était chargé des affaires du capitaine. Mme Wheatcroft lui ayant affirmé que l’apparition avait eu lieu le 14 et non le 15, il fit des recherches au ministère de la Guerre, qui confirmèrent la date du 15. Mais, au mois de mars suivant, un des collègues du capitaine, revenu à Londres, expliqua les faits plus complètement, prouva que le capitaine avait été tué à côté de lui, non pas le 15, mais le 14, dans l’après-midi, et que la croix plantée sur sa tombe portait bien la date du 14.

Ainsi, cette apparition avait donné la date de la mort avec une précision plus grande que celle des documents officiels, lesquels ont été ensuite rectifiés.

CLXVIII. — Le soir du dimanche de Pâques 1874, je commençais à souper, me sentant très fatigué du travail de la journée, lorsque je vis la porte s’ouvrir derrière moi. Je tournais le dos à la porte, mais je pouvais la voir par-dessus mon épaule. Je puis aussi avoir entendu le bruit qu’elle a fait en s’ouvrant, mais je ne saurais préciser ce point. Je me retournai à moitié, juste à temps pour voir la forme d’un homme de haute taille s’élancer dans la chambre comme pour m’attaquer. Je me levai aussitôt, me retournant, et je jetai mon verre, que je tenais à la main, dans la direction où j’avais vu la figure ; mais celle-ci avait disparu pendant que je me levais, et si rapidement que je n’avais pas eu le temps d’arrêter le mouvement commencé. Je compris alors que j’avais vu une apparition, et je pensai que c’était un de mes oncles, que je savais sérieusement malade, d’autant plus que la taille du personnage rappelait celle de mon oncles.

Un ami, M. Adcock, entra et me trouva tout énervé par l’incident ; je lui racontai le fait. Le lendemain, vint une dépêche qui m’annonçait que mon oncle était mort ce dimanche-là. Mon père fut mandé au lit de mort, le dimanche soir, comme il était à souper, et la mort doit avoir coïncidé avec l’apparition.

Rév. R. MARKHAM HILL,
à Lincoln.

Ce récit a été confirmé dans l’enquête par le témoignage suivant :

Je rendis visite, le soir de Pâques, à mon ami, le Révérend Markham Hill, et le trouvai tout épuisé, assis dans un fauteuil. Il me dit, avant que j’aie pu l’interroger, qu’il avait vu la figure de son oncle, debout, en face de lui, contre le mur, derrière un piano ; qu’il avait pris un verre sur la table et l’avait lancé contre cette figure, lorsqu’elle disparut. Ce ne fut que le lendemain ou le surlendemain qu’il me montra une lettre reçue le matin, qui l’informait que son oncle était mort le jour même de l’apparition.

Rév. H. ADCOCK,
à Lincoln.

CLXIX. — Vers le mois de mars 1875, l’aventure dont je donne les détails ci-après m’arriva à Gibraltar. J’étais étendue dans mon salon, une claire après-midi ensoleillée, je lisais un chapitre des Mélanges de Kingsley, lorsque j’eus, tout d’un coup, la sensation que quelqu’un attendait pour me parler. Je levai les yeux de mon livre, et je vis un homme qui se tenait debout à côté d’un fauteuil, à une distance d’à peu près six pieds de moi. Il me regardait très attentivement. L’expression de ses yeux était extraordinairement grave, mais, lorsque je m’avançai pour lui parler, il disparut.

La pièce avait environ dix-huit pieds de longueur, et, à son autre bout, je voyais notre domestique Pearson qui tenait la porte ouverte, comme s’il avait introduit une visite. Je lui demandai si quelqu’un était venu. Il me répondit : « Personne, madame », et s’en alla.

Je me mis alors à réfléchir sur cette vision. Je connaissais très bien la figure, mais je ne pouvais dire qui c’était.

Son costume m’avait intriguée : il était exactement pareil à un vêtement que mon mari avait donné, l’année précédente, à un domestique du nom de Ramsay. Cet homme était un ancien soldat que j’avais trouvé mourant à Inverness, et qui était entré à notre service, après avoir quitté l’infirmerie. Il tourna mal, et j’avais été forcée de le renvoyer avant notre départ pour Gibraltar (février 1875). Comme il avait trouvé une place de sommelier à Inverness Club, je n’avais pas de raison pour m’inquiéter de lui ; je pensais qu’il se portait bien, qu’il se conduisait bien et que, profitant de l’expérience, il saurait garder sa nouvelle situation.

Lorsque mon mari rentra, je lui racontai ce que j’avais vu ; je le racontai aussi à la femme de son colonel (à présent lady Laffan) ; mais je n’ai pas noté la date. Mais dans le temps le plus court qu’il faut, je crois, à une lettre pour venir d’Inverness, mon mari reçut de son ancien sergent la nouvelle que Ramsay était mort. La lettre ne contenait aucun détail. Mon mari répondit qu’il avait appris avec peine la nouvelle qu’on lui donnait et qu’il aimerait avoir quelques détails sur la maladie et la mort. Voici ce qui lui fut répondu : « Ramsay est mort à l’hôpital dans le délire et appelant sans cesse Mme Bolland. »

Je dois ajouter que ma santé avait été mauvaise pendant quelques années, mais, au moment de l’apparition, j’étais plus forte que je ne l’avais été, le climat chaud me convenait si bien que je sentais en moi une force qui m’enchantait, et que le seul plaisir de vivre me faisait de la vie une joie.

KATE E. BOLLAND,
à Southampton.

La relation suivante est extraite de Church Quaterly Review (avril 1877) :

CLXX. — Dans la maison où ces pages ont été écrites, une large fenêtre, qui donne au nord, éclaire vivement l’escalier et l’entrée de la pièce principale, située au bout d’un passage qui traverse la longueur de la maison. Une après-midi, au milieu de l’hiver, celui qui écrit ces lignes quitta son cabinet qui donne sur le passage pour aller déjeuner.

La journée était brumeuse, mais, bien qu’il n’y eût pas de vapeurs très denses, la porte du bout du passage sembla couverte par un brouillard. Au fur et à mesure qu’il s’avançait, ce brouillard — pour l’appeler ainsi — se concentra en un seul endroit, s’épaissit et présenta le contour d’une figure humaine dont la tête et les épaules devinrent de plus en plus distinctement visibles, tandis que le reste du corps semblait enveloppé d’un large vêtement de gaze pareil à un manteau, avec beaucoup de plis, qui touchait le sol de manière à cacher les pieds. Le manteau reposait sur les dalles et l’ensemble de la figure affectait une forme pyramidale. La pleine lumière de la fenêtre tombait sur l’objet qui était si peu consistant que la lumière, reflétée sur les panneaux d’une porte vernie, était visible à travers le bas du vêtement. L’apparition n’avait pas de couleur, elle semblait une statue taillée dans du brouillard. L’auteur de ce récit fut tellement saisi qu’il ne sait s’il s’est avancé ou s’il est resté immobile. Il était plutôt étonné que terrifié ; cependant, sa première idée fut qu’il assistait à un effet de lumière et d’ombre inconnu. Il ne pensait à rien de surnaturel, mais il s’aperçut, en regardant, que la tête se tournait vers lui, et il reconnut alors les traits d’un ami très cher : la figure avait une expression de paix, de repos et de sainteté ; l’air de douceur et de bonté, qu’il avait dans la vie de chaque jour, avait grandi encore et s’était concentré comme en un dernier regard de profonde tendresse. (Et ce sentiment, celui qui écrit ces lignes l’a toujours éprouvé depuis, lorsque la vision revint à son souvenir.) Puis, en un instant, tout disparut. On ne peut comparer la manière dont tout s’évanouit qu’à celle dont un jet de vapeur se dissipe au contact de l’air froid.

Le courrier du surlendemain lui apporta la nouvelle que son ami avait tranquillement quitté ce monde, au moment même où il l’aivait vu. Il faut ajouter que c’était une mort subite, que le témoin n’avait pas entendu parler de son ami depuis plusieurs semaines, et que rien ne l’avait fait penser à lui le jour de sa mort.

Mme Allom, 18, Batoum Gardens, West Kensington Park, à Londres, écrit :

CLXXI. — Je ne vois aucune raison pour ne pas raconter comment ma mère m’est apparue au moment de sa mort, bien que ce soit un sujet dont j’aie rarement parlé, parce que c’est un événement que je tiens pour sacré, et parce que je ne voudrais pas qu’on mit mon histoire en doute ou qu’on se moquât.

J’entrai dans une école, en Alsace, au mois d’octobre 1852 ; j’avais alors 17 ans. Ma mère resta en Angleterre ; sa santé était délicate. Vers Noël 1853, quatorze mois après mon départ de la maison, j’appris que l’état de ma mère avait empiré, mais je ne soupçonnais pas que sa vie fut en danger. Le dernier dimanche de février 1854, entre 1 et 2 heures de l’après-midi, j’étais assise dans une grande étude, à l’école. Je lisais, lorsque, subitement, la figure de ma mère m’apparut au bout le plus éloigné de la chambre. Elle était penchée en arrière, comme couchée dans son lit, et elle avait une chemise de nuit. Sa figure, doucement souriante, était tournée vers moi, et l’une de ses mains levée vers le ciel.

L’apparition passa lentement à travers la pièce ; elle s’éleva, en marchant, jusqu’au moment où elle disparut. Le corps et le visage semblaient ravagés par la maladie, et jamais je n’avais vu ainsi ma mère pendant sa vie ; ses traits étaient couverts d’une pâleur mortelle.

Depuis le moment où je vis l’apparition, je fus convaincue que ma mère était morte. J’étais tellement impressionnée qu’il m’était impossible de prêter attention à mes études, et c’était pour moi un véritable chagrin de voir ma sœur cadette jouer et s’amuser avec ses compagnes.

Deux ou trois jours plus tard, après les prières, ma maîtresse m’appela dans sa chambre. Aussitôt que, nous y fûmes entrées, je lui dis : « Vous n’avez pas besoin de me le dire : je sais que ma mère est morte. »

Elle me demanda comment je pouvais le savoir. Je ne lui donnai pas d’explication, mais je lui affirmai que je le savais depuis trois jours. J’appris, plus tard, que ma mère était morte le dimanche, à l’heure même où je l’avais vue, et qu’elle était restée sans connaissance pendant un jour ou deux.

Je ne suis pas une femme d’imagination, je ne suis pas impressionnable, et ni avant, ni après, il ne m’est rien arrivé de pareil.

ISABELLE ALLOM38.

Le capitaine G.-F. Russell Colt, Gartsherrie, Coatbridge, adresse la relation suivante :

CLXXII. — J’avais un frère, qui m’était bien cher, mon frère aîné Olivier, lieutenant au 7e royal fusiliers. Il se trouvait, à cette époque, devant Sébastopol. J’entretenais une correspondance suivie avec lui. Un jour, il m’écrivit dans un moment d’abattement, étant indisposé ; je lui répondis de reprendre courage, mais que, si quelque chose lui arrivait, il devait me le faire savoir en m’apparaissant dans ma chambre où, jeunes garçons, nous nous étions si souvent assis, le soir, fumant et bavardant en cachette. Mon frère reçut cette lettre (je l’appris plus tard) comme il sortait pour aller recevoir la sainte cène : le clergyman qui la lui a donnée me l’a raconté. Après avoir communié, il alla aux retranchements. Il ne revint pas. Quelques heures plus tard, commença l’assaut du Redan. Lorsque le capitaine de sa compagnie fut tombé, mon frère prit sa place, et il conduisit bravement ses hommes. Bien qu’il eût déjà reçu plusieurs blessures, il faisait franchir les remparts à ses soldats, lorsqu’il fut frappé d’une balle à la tempe droite. Il tomba parmi des monceaux d’autres soldats ; il fut trouvé dans une sorte de posture agenouillée (il était soutenu par d’autres cadavres) trente-six heures plus tard.

Sa mort eut lieu, ou plutôt il tomba, peut-être sans mourir immédiatement, le 8 septembre 1855.

Cette même nuit, je me réveillai tout d’un coup. J’aperçus en face de la fenêtre, près de mon lit, mon frère à genoux, entouré d’un léger brouillard phosphorescent. Je tâchai de parler, mais je ne pus y parvenir. J’enfonçai ma tête dans les couvertures. Pourtant, je n’étais pas effrayé (nous avons tous été élevés à ne pas croire aux esprits ni aux apparitions), mais je voulais simplement rassembler mes idées, parce que je n’avais pas pensé à lui, ni rêvé de lui, et j’avais oublié ce que je lui avais écrit une quinzaine avant cette nuit-là. Je me dis que ce ne pouvait être qu’une illusion, un reflet de lune sur une serviette ou sur quelque autre objet. Quelques instants après, je regardai de nouveau, il était encore là, fixant sur moi des yeux pénétrés d’une profonde tristesse. Je m’efforçai encore de parler, mais ma langue était comme liée ; je ne pus prononcer un son.

Je sautai du lit, je regardai par la fenêtre et je m’aperçus qu’il n’y avait pas de clair de lune : la nuit était noire, et il pleuvait à grosses gouttes, à en juger par le bruit qu’on entendait contre les carreaux. Le pauvre Olivier était toujours là. Alors, je m’approchai, je marchai à travers l’apparition, et j’arrivai à la porte de la chambre. En tournant le bouton avant de sortir, je regardai encore une fois en arrière. L’apparition tourna lentement la tête vers moi et me jeta encore un regard plein d’angoisse et d’amour. Pour la première fois, je remarquai alors à la tempe droite une blessure d’où coulait un filet rouge. Le visage avait un teint pâle comme de la cire, mais transparent.

Je quittai la chambre et j’allai dans celle d’un ami où je m’étendis sur le sofa pour le reste de la nuit ; je lui dis pourquoi j’étais venu chez lui. Je racontai aussi l’apparition à d’autres personnes dans la maison, mais, lorsque j’en parlai à mon père, celui-ci m’ordonna de ne pas répéter un tel non-sens, et surtout de n’en rien dire à ma mère.

Le lundi suivant, il reçut une note de sir Alexandre Milne, annonçant que le Redan avait été pris d’assaut, mais sans lui donner de détails. Je dis à mon ami de m’avertir s’il voyait avant moi le nom de mon frère parmi les tués ou les blessés. Environ une quinzaine plus tard, il vint me raconter l’histoire.

Le colonel du régiment et un officier ou deux, qui avaient vu le cadavre, m’apprirent que l’aspect du corps était bien ce que j’avais décrit. La blessure était exactement là où je l’avais vue. Mais personne ne put dire s’il était réellement mort tout de suite. Son apparition, dans ce cas, devait avoir eu lieu quelques heures après sa mort, car je l’avais vue un peu après 2 heures du matin. Quelques mois plus tard, on me renvoya un petit livre de prières et la lettre que je lui avais écrite. Les deux objets avaient été trouvés dans la poche intérieure de la tunique qu’il portait au moment de sa mort ; je les ai encore.

CLXXIII. — Dans la soirée du 14 novembre 1867, j’assistais avec mon mari à un concert à Birmingham, Town Hall, lorsque je ressentis un frisson glacé. Presque immédiatement, je vis très distinctement, entre l’orchestre et moi, mon oncle, couché dans son lit : il semblait m’appeler. Je n’avais pas entendu parler de lui depuis plusieurs mois et n’avais aucune raison de penser qu’il fût malade. L’apparition n’était ni transparente ni vaporeuse, mais il semblait qu’on eût affaire à un corps véritable ; néanmoins, je pouvais voir l’orchestre, non pas à travers ce corps, mais derrière lui. Je n’essayai pas de tourner les yeux pour voir si la forme se déplaçait avec eux, mais je la regardai, comme fascinée par elle, si bien que mon mari me demanda ce que j’avais. Je lui répondis de ne pas me parler durant une minute ou deux. La vision disparut peu à peu, et, après le concert, je dis à mon mari ce que j’avais vu.

Une lettre nous parvint peu de temps après, qui nous annonçait la mort de mon oncle. Il était mort exactement à l’heure de la vision.

E.-T. TAUNTON39,

Le Rév. F. Barker, ancien recteur de Cottentham, à Cambridge, a signé la relation suivante :

CLXXIV. — Le 6 décembre 1873, vers 11 heures du soir, je venais de me coucher et je n’étais pas encore endormi, ni même assoupi, quand je vis tressaillir ma femme parce que j’avais poussé un profond gémissement. Elle m’en demanda la raison, je lui dis : « Je viens de voir ma tante ; elle est venue, s’est tenue auprès de moi, et m’a souri, de son bon et familier sourire, puis elle a disparu. »

Une tante que j’aimais tendrement, la sœur de ma mère, était, à cette époque, à Madère pour sa santé ; sa nièce, ma cousine, était avec elle. Je n’avais aucune raison de supposer qu’elle fût sérieusement malade à ce moment-là, mais l’impression faite sur moi avait été si profonde, que, le lendemain je dis à sa famille (y compris ma mère) ce que j’avais vu. Une semaine après nous apprîmes qu’elle était morte cette même nuit, et en tenant compte de la longitude, presque au moment où la vision m’était apparue. Quand ma cousine, qui était restée auprès d’elle jusqu’à la fin, entendit parler de ce que j’avais vu, elle dit : « Je n’en suis pas surprise, car elle vous appelait continuellement pendant son agonie. »

C’est la seule fois que j’ai éprouvé quelque chose de pareil.

FRÉDÉRICK BARKER.

La date de la mort est confirmée par la nécrologie du Times.

Mme Barker a confirmé, d’autre part, ce récit dans les termes suivants :

Je me rappelle bien les faits à propos desquels mon mari vous a écrit. Il devait être près de 11 heures. Mon mari n’était pas encore endormi (il venait de me parler), qu’il se mit à gémir profondément. Je lui demandai ce qu’il avait ; il me dit alors que sa tante, qui était à Madère, venait de lui apparaître, lui souriant avec son bon sourire, puis avait disparu. Il me dit aussi qu’elle avait quelque chose de noir sur la tête, qui pouvait être de la dentelle. Le lendemain, il répéta son récit à plusieurs de nos parents et il se trouva que sa tante était morte cette même nuit. Sa nièce, Mlle Garnett, me dit qu’elle n’était pas étonnée d’apprendre que mon mari avait vu sa tante, car elle l’avait appelé plusieurs fois durant son agonie. Il avait été pour elle presque un fils.

P.-S. BARKER.

Mlle Garnett, qui était auprès de sa tante au moment de sa mort, a certifié les deux récits précédents.

CLXXV. — Voici le récit de la mort de notre chère petite fille, qui a eu lieu le 17 mai 1879. Je dois dire, tout d’abord, que l’événement est aussi présent à mon esprit que s’il était arrivé il y a quelques jours seulement. La matinée était très gaie et je crois que le soleil avait plus d’éclat que je ne lui en avais jamais vu. L’enfant avait quatre ans et cinq mois et c’était une très belle petite fille. Quelques minutes après 11 heures, elle entra en courant dans la cuisine et me dit : « Mère, puis-je aller jouer ? »

Je répondis : Oui.

Elle sortit alors. Peu après lui avoir parlé, j’allai prendre un seau d’eau dans la chambre à coucher.

Tandis que je traversais la cour, l’enfant passa devant moi comme une ombre lumineuse. Je m’arrêtai net pour la regarder, je tournai la tête à droite et la vis disparaître. Un instant après, le frère de mon mari, qui vivait chez nous, m’appela en s’écriant :

« Fanny vient d’être écrasée ! »

Je traversai la maison comme une flèche, puis la route, où je la trouvai. Elle avait été renversée par les sabots d’un cheval, et la roue d’une voiture de boulanger lui avait écrasé le crâne près de la nuque. Elle expira, au bout de quelques minutes, dans mes bras.

C’est exactement ainsi que ce triste accident est arrivé.

ANNE-E. WRIGHT40.

CLXXVI. — Ma femme avait un oncle, capitaine dans la marine marchande, qui l’aimait beaucoup, lorsqu’elle était enfant, et souvent, lorsqu’il était chez lui, à Londres, il la prenait sur ses genoux et lui caressait les cheveux. Elle partit avec ses parents pour Sydney, et son oncle continua son métier dans d’autres parties du monde. Environ trois ou quatre ans plus tard, elle était montée s’habiller pour dîner ; elle avait défait ses cheveux ; tout à coup, elle sentit une main se poser sur le sommet de sa tête et caresser rapidement ses cheveux jusqu’à ses épaules. Effrayée, elle se retourna et s’écria : « Oh ! mère ! pourquoi me faire peur ainsi ? »

Car elle croyait que sa mère avait voulu lui faire une niche.

Il n’y avait personne dans la chambre.

Lorsqu’elle raconta l’incident à table, un ami superstitieux leur conseilla de prendre note du jour et de la date. On le fit. Un peu plus tard, arriva la nouvelle que son oncle William était mort ce jour-là ; si l’on tient compte de la différence de longitude, c’était à peu près à l’heure à laquelle elle avait senti la main se poser sur sa tête.

J. CHANTREY HARRIS,
Propriétaire du New Zealand et du New Zealand Mail, à Wellington, (Nouvelle-Zélande.)

Voici le récit de Mme Harris elle-même :

C’était en 1860, au mois d’avril. J’étais alors jeune fille. Debout devant la table de toilette, dans ma chambre à coucher, j’arrangeais quelque détail de ma toilette.

Il était à peu près 6 heures du soir, et, à cette époque de l’année, c’était déjà le crépuscule, lorsque, tout à coup, je sentis une main se poser sur ma tête, descendre le long de mes cheveux et s’appuyer lourdement sur mon épaule gauche. Effrayée par cette caresse inattendue, je me retournai vivement pour reprocher à ma mère d’entrer sans bruit, quand, à ma grande surprise, je ne vis personne. Aussitôt, je pensai à l’Angleterre où mon père était parti au mois de janvier précédent et je me dis que quelque chose était arrivé, bien qu’il me fut impossible de rien définir.

Je descendis et je racontai ma peur à ma famille. Dans la soirée, Mme et Mlle W... vinrent, et comme elles s’informaient des causes de ma pâleur, on les mit au courant de l’affaire. Mme W... me dit immédiatement :

« Notez la date et nous verrons ce qui aura lieu. »

On le fit, et l’incident cessa de nous troubler, bien que toute la famille attendît avec quelque inquiétude la première lettre de mon père. À son arrivée en Angleterre, il avait trouvé son frère mourant. Dans son enfance, j’étais sa préférée, et, à sa mort, mon nom fut le dernier mot qu’il prononça.

CLXXVII. — Un jeudi soir, vers le milieu d’août, en 1849, j’allai, comme je le faisais souvent, passer la soirée avec le Rév. Harrisson et sa famille avec laquelle j’avais les rapports les plus intimes. Comme le temps était très beau, nous partîmes tous nous promener au jardin zoologique. Je note ceci tout particulièrement parce que cela prouve que Harrisson et sa famille étaient incontestablement en bonne santé ce jour-là, et que personne ne se doutait de ce qui allait arriver. Le lendemain, j’allai rendre visite à des parents dans Hartfordshire. Ils habitaient dans une maison appelée Flamstead Lodge, à vingt-six milles de Londres, sur la grand’route. Nous dînions d’habitude à 2 heures, et le lundi, dans l’après-midi suivant, lorsqu’on eut dîné, je laissai les dames au salon et descendis à travers l’enclos jusqu’à la grand’route. Remarquez bien que nous étions au milieu d’une journée du mois d’août, avec un beau soleil, sur une grande route fort large où il passait beaucoup de monde, à cent mètres d’une auberge. J’étais moi-même parfaitement gai, plein de jeunesse et de vie, et il n’y avait rien, autour de moi, qui put faire divaguer mon imagination. Quelques paysans étaient à une faible distance.

Tout à coup, un « fantôme » se dressa devant moi, si près que, si c’eût été un être humain, il m’eût touché, m’empêchant, pour un instant, de voir le paysage et les objets qui étaient autour de moi. Je ne distinguai pas complètement les contours de ce fantôme, mais je vis ses lèvres remuer et murmurer quelque chose ; ses yeux me fixaient et plongeaient dans mon regard avec une expression si intense, si sévère, que je reculai et marchai à reculons. Je me dis, instinctivement et probablement à haute voix : « Dieu juste, c’est Harrisson ! » quoique je n’eusse pas pensé à lui le moins du monde à ce moment-là. Après plusieurs secondes, qui me semblèrent une éternité, le spectre disparut : je restai cloué sur place pendant quelques instants, et l’étrange sensation que j’éprouvai fait que je ne puis douter de la réalité de la vision. Je sentais mon sang se glacer dans mes veines ; mes nerfs étaient calmes, mais j’éprouvais une sensation de froid mortel, qui dura pendant une heure et qui me quitta peu à peu, à mesure que la circulation se rétablit. Je n’ai jamais ressenti pareille sensation, ni avant ni après. Je n’en parlai pas aux dames à mon retour pour ne pas les effrayer, et l’impression désagréable perdit de sa force graduellement.

J’ai dit que la maison était près de la grand’route : elle était située au milieu de la propriété, le long d’un chemin qui mène au village, à 200 ou 300 mètres de toute autre maison ; il y avait une grille de fer de sept pieds de haut devant la façade pour protéger la maison des vagabonds ; les portes sont toujours fermées à la nuit tombante ; une allée longue de trente pieds, toute en gravier ou pavée, menait de la porte d’entrée au sentier. Ce jour-là, la soirée était belle, très pure et très tranquille. Personne n’eût pu approcher de la maison, dans le profond silence d’une soirée d’été, sans avoir été entendu de loin. En outre, il y avait un gros chien gardant la porte d’entrée, à l’intérieur de la maison, un petit terrier qui aboyait contre tout le monde et à chaque bruit. Nous allions nous retirer dans nos chambres, nous étions assis dans le salon au rez-de-chaussée, et nous avions avec nous le petit terrier. Les domestiques étaient allés se coucher dans une chambre de derrière, à soixante pieds plus loin.

Soudain, il se fit, à la porte d’entrée, un bruit si grand et si répété (la porte semblait remuer dans sa bâtisse et vibrer sous des coups formidables), que nous fûmes debout en un instant, remplis d’étonnement, et les domestiques arrivèrent, à moitié habillés, descendus à la hâte de leur chambre pour savoir ce qui se passait.

Nous courûmes à la porte, mais nous ne vîmes et n’entendîmes rien. Le terrier, contre son habitude, se cacha en tremblant sous le canapé41 et ne voulut ni rester à la porte ni sortir dans l’obscurité. Il n’y avait pas de marteau à la porte, rien qui pût tomber, et il était impossible à qui que ce fût d’approcher ou de quitter la maison, dans ce grand silence, sans être entendu. Tout le monde était effrayé, et j’eus beaucoup de peine à faire recoucher nos hôtes et nos domestiques.

J’étais si peu impressionnable que je ne rattachai pas alors ce fait à l’apparition du « fantôme » que j’avais vu l’après-midi, et j’allai également me coucher, méditant sur tout cela et en cherchant l’explication.

Je restai à la campagne jusqu’au mercredi matin, ne me doutant pas de ce qui était arrivé pendant mon absence. Ce matin-là, je rentrai en ville et je me rendis à mes bureaux, 11, King’s Road, Gray’s Inn. Mon employé vint à ma rencontre et me dit :

« Monsieur, un monsieur est déjà venu deux ou trois fois ; il désire vous voir tout de suite. »

Ce visiteur était un M. Chadwick, ami intime de la famille Harrisson. Il me dit alors, à ma grande surprise :

« Il y a eu une terrible épidémie de choléra dans Wandsworth Road ; chez M. Harrisson, tous sont partis. Mme Bosco est tombée malade le vendredi et est morte. Sa bonne est tombée malade le même soir et est morte ; Mme Harrisson a été atteinte le samedi matin et est morte. La femme de chambre a été prise le dimanche et est morte. La cuisinière est aussi tombée malade ; elle a été emmenée hors de la maison et il s’en est fallu de très peu qu’elle ne mourut aussi. Le pauvre Révérend a été atteint le dimanche soir, il a été très malade lundi et hier ; on l’a emmené du lazaret de Wandsworth Road à Jack Straw’s Castle, à Hampstead, pour le changer d’atmosphère ; il a supplié en grâce son entourage, lundi et hier, de vous envoyer chercher, mais on ne savait où vous étiez. Prenons vite un cab et venez avec moi, ou vous ne le retrouverez pas vivant. »

Je partis avec Chadwick à l’instant ; mais Harrisson était mort avant que nous fussions arrivés.

H.-B, GARLING,
12, Westbourne Gardens, à Folkestone.

Ce cas est assurément l’un des plus remarquables, des plus dramatiques et des plus extraordinaires, notamment en ce qui concerne l’impression produite sur plusieurs personnes et même sur des animaux. Nous en reparlerons à la discussion générale des causes. En voici trois autres, non moins curieux, de sensations collectives.

CLXXVIII. — Dans la nuit du 21 août 1869, entre 8 et 9 heures, j’étais assise dans ma chambre à coucher, dans la maison de ma mère, à Devonport. Mon neveu, un garçon de sept ans, était couché dans la pièce voisine ; je fus surprise de le voir entrer tout à coup en courant dans ma chambre ; il criait d’un ton effrayé :

« Oh ! tante, je viens de voir mon père tourner autour de mon lit ! »

Je répondis : « Quelle bêtise ! tu as dû rêver. »

Il répliqua qu’il n’avait pas rêvé du tout, et refusa de retourner dans sa chambre. Voyant que je ne pouvais lui persuader d’y rentrer, je le mis dans mon lit. Entre 10 et 11 heures je me couchai. Une heure après environ, je vis distinctement, du côté de l’âtre, la forme de mon frère assise sur une chaise, et ce qui me frappa particulièrement ce fut la pâleur mortelle de sa figure. Mon neveu, à ce moment, était tout à fait endormi. Je fus si effrayée (mon frère était à Hong-Kong) que je me cachai la tête sous les couvertures. Peu après, j’entendis nettement sa voix m’appeler par mon nom ; mon nom fut répété trois fois. Je me décidai alors à regarder, mais il avait disparu.

Le lendemain matin, je racontai à ma mère et à ma sœur ce qui était arrivé et j’en pris note.

Le courrier suivant de Chine nous apporta la triste nouvelle de la mort de mon frère ; elle avait eu lieu le 21 août 1869, dans la rade de Hong-Kong, subitement, par suite d’insolation.

MINNIE COX,
Summer Hill, Queenstown (Irlande.)

CLXXIX. — Un mien ami, officier dans les Highlanders, avait été grièvement blessé au genou, à la bataille de Tel-el-Kébir. Sa mère était une de mes grandes amies, et lorsque le vaisseau-hôpital le Carthage le ramena à Malte, elle m’envoya à bord pour le voir et prendre les dispositions pour l’amener à terre. Lorsque j’arrivai à bord, on me dit qu’il était un des malades les plus gravement atteints, et si grièvement blessé que l’on considérait comme dangereux de le transporter à l’hôpital militaire. Après bien des instances, nous obtînmes, sa mère et moi, la permission d’aller le visiter et le soigner. Le pauvre ami était si mal que les médecins pensaient qu’il mourrait si l’on tentait une opération et ils ne voulaient pas lui amputer la jambe, opération qui était sa seule chance de salut. Sa jambe se gangrenait, certaines parties s’éliminaient, et comme il traînait en longueur, tantôt mieux, tantôt plus mal, les médecins commençaient à penser que peut-être il recouvrerait un certain degré de santé, bien qu’il dut rester boiteux toute sa vie et probablement mourir de consomption.

La nuit du 4 janvier 1886, aucun changement brusque dans son état n’étant prévu, sa mère m’emmena chez elle pour que je prenne une nuit de repos, car j’étais très souffrante, et n’avais pas assez de santé pour supporter d’aussi longues fatigues. Il était tombé pendant quelques heures dans une sorte de léthargie et le médecin avait dit que, se trouvant sous l’influence de la morphine, il dormirait probablement jusqu’au lendemain matin. Je consentis à m’en aller, me proposant d’y retourner au point du jour, afin qu’il pût me trouver près de lui et son réveil.

Vers 3 heures du matin, mon fils aîné qui couchait dans ma chambre m’appela en criant : « Maman, maman, voilà M. B... » Je me levai précipitamment : c’était absolument vrai, la forme de M. B... flottait dans la chambre à peu près à un demi-pied du plancher (0m,15), et il disparut à travers la fenêtre, en me souriant. Il était en toilette de nuit ; mais, chose étrange, le pied malade, dont les orteils étaient tombés par la gangrène, était, dans cette apparition, exactement comme l’autre pied. Nous l’avons remarqué en même temps, mon fils et moi.

Une demi-heure après environ, un homme vint me dire que M. B. était mort à 3 heures. J’allai alors vers sa mère qui m’en informa. Elle me dit qu’il avait repris une demi-conscience au moment de sa mort, qu’il sentait ma main dans la sienne et qu’il la serrait en même temps que celle de l’ordonnance resté près de lui jusqu’au dernier moment. Je ne me suis jamais pardonné d’être rentrée chez moi cette nuit-là.

EUGÉNIE WICKHAM.

M. Wickham fils, âgé de neuf ans au moment de l’événement, a signé comme il suit :

Je me souviens bien que les choses se sont passées comme il est dit ci-dessus.

EDMOND WICKHAM.

Le mari de Mme Wickham, lieutenant-colonel d’artillerie, écrit qu’il certifie l’exactitude de ce récit.

Nous terminerons ces observations télépathiques par la suivante, qui a également eu deux témoins42.

CLXXX. — Pendant l’hiver 1850-1851, moi, Charles Matthews, âgé alors de vingt-cinq ans, j’étais maître d’hôtel chez le général Morse, à Troston Hall, près Bury Saint-Edmunds. Ma mère, Mary-Anne Matthews, était dans la même maison comme cuisinière et femme de charge ; c’était une femme très droite et très consciencieuse, aimée de tous les domestiques, sauf de la femme de chambre, nommée Suzanne. Cette Suzanne se rendait désagréable à tous par ses cancans et ses méchancetés, mais elle craignait beaucoup ma mère, dont le caractère ferme lui en imposait.

Suzanne eut la jaunisse ; on la soigna d’abord pendant quelques mois à Troston Hall, mais finalement elle fut transportée à l’hôpital de Bury Saint-Edmunds, aux frais du général Morse, et placée dans le dortoir réservé aux domestiques. Elle y mourut une semaine après son admission. Le général envoyait une femme du village à l’hôpital, éloigné de sept milles, pour prendre les nouvelles toutes les fois que la voiture n’allait pas à Bury Saint-Edmunds. Un certain samedi, la femme y alla et elle ne revint que le dimanche soir ; elle dit alors qu’elle avait trouvé Suzanne sans connaissance, et que, comme sa fin approchait, on lui avait permis de rester dans le dortoir jusqu’à la fin.

Pendant cette nuit du samedi, les faits mystérieux que je vais raconter se sont produits. Ils m’ont toujours intrigué.

J’étais endormi. Tout à coup, je fus éveillé avec ou par un sentiment soudain de terreur. Je regardai dans l’obscurité, mais ne vis rien ; je me sentis en proie à une terreur anormale et me cachai sous mes couvertures. La porte de ma chambre donnait sur un couloir étroit, qui conduisait à la chambre de ma mère, et tous les gens qui passaient touchaient presque ma porte. Je ne dormis plus de toute la nuit. Au matin, je rencontrai ma mère, et je vis, qu’elle paraissait malade, pâle et singulièrement bouleversée. Je lui demandai :

« Qu’y-a-t-il donc ? »

Elle répondit :

« Rien ; ne me le demande pas. »

Une heure ou deux heures s’écoulèrent, et je voyais bien qu’il y avait quelque chose. Je me décidai à savoir ce que c’était. Ma mère, de son côté, ne voulait pas parler. Enfin je demandai :

« Est-ce que cela a trait à Suzanne ? »

Elle éclata en pleurs et me répliqua :

« Pourquoi cette question ? »

Alors, je lui fis part de ma frayeur nocturne, et à son tour elle me raconta l’horrible histoire qui suit :

« J’ai été éveillée en entendant ouvrir ma porte et je vis, à ma vive terreur, Suzanne entrer en costume de nuit. Elle vint droit à mon lit, releva les couvertures et se coucha auprès de moi. Je sentis un frisson glacial courir le long de mon côté, là où elle semblait me toucher. Vraiment épouvantée, je dus m’évanouir, car je ne me souviens plus de rien de ce qui se passa. Lorsque je recouvrai mes sens, elle n’était plus là. Mais je suis sûre d’une chose : c’est que ce n’était pas un rêve. »

Nous apprîmes par la paysanne, à son retour, le dimanche soir, que Suzanne était morte au milieu de la nuit et que, dans son agonie, elle ne parlait que de retourner à Troston Hall. Nous ne songions nullement à sa mort. Nous pensions qu’elle était allée à l’hôpital, non parce qu’elle était en danger, mais pour subir un traitement spécial.

Voilà les faits aussi bien que je puis les rapporter. Je n’étais ni superstitieux ni crédule, mais je n’ai pas encore pu satisfaire mon esprit au sujet du comment et du pourquoi de cet étrange incident.

CHARLES MATTHEWS,
9 Blandford Place, Clarence Gate, Regent’s Park, Londres.

Share on Twitter Share on Facebook