Expériences diverses et observations

La preuve est faite, assurément, par tout ce qui précède. Les phénomènes médiumniques proclament l’existence de forces inconnues. Il est presque superflu d’entasser encore ici de nouveaux documents.

Cependant, ces faits sont si extraordinaires, si incompréhensibles, si difficiles à admettre, que le nombre des témoignages n’est pas sans valeur, surtout lorsqu’ils sont fournis par des hommes d’un incontestable savoir. L’ancien adage juridique Testis unus, testis nullus, est applicable ici. Ce n’est pas une fois, c’est cent fois qu’il faut constater de pareilles extravagances scientifiques pour être sûr de leur existence.

Et, en somme, tout cela est si curieux, si étrange, que l’étudiant de ces mystères n’est jamais rassasié.

Je présenterai donc encore, parmi l’immense collection d’observations que j’ai depuis longtemps réunies, celles qui méritent le plus de frapper l’attention et qui confirment une fois de plus les précédentes.

Aux expériences de Crookes, il convient d’ajouter tout de suite celles du grand naturaliste anglais Sir Alfred Russel Wallace, membre aussi de la Société royale de Londres, président de la Société anglaise d’Anthropologie qui, en même temps que Darwin (juin 1858), présenta au monde la doctrine de la variation des espèces par la sélection naturelle.

Voici ce qu’il rapporte lui-même 66 #id_origin66 de ses études sur la question qui nous occupe.

C’est pendant l’été de l’année 1865 que je fus témoin, pour la première fois, des phénomènes appelés spirites. C’était chez un ami sceptique, homme de science et avocat. Les seules personnes présentes étaient de la famille même de mon hôte. Les notes suivantes, prises à cette époque, décrivent exactement ce qui s’est passé :

22 juillet 1865. — Assis avec mon ami, sa femme et ses deux filles, à une large table de jeu, en plein jour. Après une demi-heure environ, de légers mouvements furent perçus et de légers coups entendus. Graduellement ils augmentèrent. Les coups devinrent très distincts, et la table se déplaça considérablement, nous obligeant tous à déranger nos chaises. Puis commença un curieux mouvement vibratoire de la table, presque comme le tremblement d’un animal vivant. J’en pouvais ressentir l’effet jusqu’à mes coudes. Ces phénomènes furent répétés, avec des variantes, durant deux heures. En nous y essayant ensuite, nous trouvâmes que nous ne pouvions volontairement remuer la table de la même manière sans une grande dépense de force, et nous ne pûmes découvrir aucun moyen possible de produire ces coups.

À la réunion suivante, nous tentâmes l’expérience que chaque personne à son tour quittât la table, et nous constatâmes que les phénomènes continuaient identiques à ce qu’ils étaient auparavant ; et les coups non moins que le déplacement du meuble. Une fois, je priai mes compagnons de s’écarter de la table l’un après l’autre ; les phénomènes se poursuivirent, mais leur violence décroissait à mesure que diminuait le nombre des assistants, et aussitôt après que la dernière personne se fût retirée, me laissant seul à la table, il y eut deux coups violents frappés comme avec le poing.

Un gentleman qui m’avait parlé de phénomènes merveilleux constatés dans sa propre famille, — entre autres, le mouvement d’objets massifs, alors que personne ne les touchait ni ne se trouvait à leur proximité, — m’avait recommandé d’aller à Londres chez un médium public (Mme Marshall), où je pourrais voir des choses non moins surprenantes. Je cédai, et en septembre 1865, je commençai une série de visites à Mme Marshall. J’étais généralement accompagné d’un ami, chimiste, mécanicien, — et sceptique. — Voici quelques résultats de nos observations :

1. Une petite table sur laquelle étaient placées les mains de quatre personnes (y compris moi-même et Mme Marshall) s’éleva verticalement à environ un pied du parquet, et demeura suspendue, pendant peut-être vingt secondes, temps durant lequel mon ami, qui était assis à nous regarder, put voir la partie inférieure de la table avec ses pieds librement suspendus au-dessus du plancher.

2. Nous étions assis à une large table, Miss T. se trouvant à ma gauche et M. R. à ma droite : une guitare dont il avait été joué dans la main de Miss T. glissa sur le parquet, passa par-dessus mes épaules, et vint à M. R., le long des jambes duquel elle s’éleva d’elle-même jusqu’à ce qu’elle apparût sur la table. Moi et M. R. la surveillions soigneusement durant tout ce temps, et elle se comportait comme si elle eût été vivante elle-même, ou plutôt comme si un invisible petit enfant l’eût à grands efforts déplacée et soulevée. Les deux phénomènes furent constatés en éclatante lumière du gaz.

3. Une chaise sur laquelle était assis un parent de M. R. fût soulevée avec lui. Dans la suite, comme ce parent revenait du piano et allait s’asseoir sur cette chaise, elle s’éloigna de nouveau. Alors il voulut la saisir et la ramener à la table ; mais elle devint en apparence clouée au parquet, au point qu’il ne put la soulever. On finit pourtant par l’arracher du parquet. Cette séance eut lieu en pleine lumière du jour, par un après-midi très clair, dans une chambre au premier étage, éclairée par deux fenêtres.

Si étranges et irréels que ces quelques phénomènes puissent sembler aux lecteurs qui n’ont rien vu de ce genre, j’affirme que ce sont des faits qui se sont présentés exactement tels que je viens de les décrire, et qu’il n’y a aucune tricherie ni illusion possibles. Dans chaque cas, avant de commencer, nous retournions sens dessus dessous les tables et les chaises, et constations que c’étaient d’ordinaires pièces d’ameublement, et qu’il n’y avait nulle connexion entre elles et le parquet, et nous placions nos sièges où il nous plaisait, avant de nous asseoir. Plusieurs des phénomènes se produisirent entièrement sous nos propres mains, et tout à fait hors de la portée du « médium ». C’étaient des réalités tout autant que le mouvement de clous se portant vers un aimant, et l’on peut ajouter, réalités en elles-mêmes ni plus improuvables, ni plus incompréhensibles.

Les phénomènes mentaux qui se présentèrent le plus fréquemment sont le déchiffrage des noms de parents ou d’amis des personnes présentes, de leur âge, et de n’importe quelles autres particularités les concernant. L’opinion générale des sceptiques touchant ces phénomènes, est qu’ils dépendent simplement de la finesse et de l’habileté du médium à deviner les lettres qui forment le nom, par la manière dont les consultants appuyent ou passent sur ces caractères, — le mode ordinaire pour recevoir ces communications consistant, pour la personne intéressée, à parcourir l’alphabet imprimé, lettre par lettre, — des coups indiquant les lettres qui composent le nom demandé. Je vais choisir quelques-unes de nos expériences, qui montreront combien cette explication est loin d’être acceptable.

Lorsque je reçus moi-même, pour la première fois, une communication, je pris un soin particulier d’éviter de donner aucune indication : je parcourus les lettres avec une constante régularité ; pourtant il y fut épelé correctement, d’abord le lieu où mon frère est mort, PARA ; puis son nom de baptême, HERBERT ; et enfin, sur ma demande, le nom de l’ami commun qui fut le dernier à le voir, HENRI WALTER BATES. Notre compagnie de six personnes visitait Mme Marshall pour la première fois, et mon nom, aussi bien que ceux du reste des assistants, étaient inconnus de cette dame, sauf un, celui de ma sœur, mariée, et dont le nom n’était donc point un guide pour arriver au mien.

En la même réunion, une jeune fille, parente de M. R., fut avertie qu’une communication allait lui être faite. Elle prit l’alphabet, et au lieu de pointer les lettres une à une, elle glissa le crayon doucement le long des lignes avec la plus parfaite continuité. Je la suivais, et écrivais à mesure les lettres qu’indiquaient les frappements. Le nom obtenu était extraordinaire, les lettres disant : Thomas Doe Thacker. Je pensais qu’il devait y avoir une erreur dans la dernière partie ; mais le nom était bien Thomas Doe Thacker, le père de la jeune fille, chaque lettre étant exacte. Nombre d’autres noms, lieux et dates, furent déchiffrés avec une égale justesse ; mais je cite ces deux cas, parce que je suis sûr que nulle clef n’était donnée par laquelle les noms eussent pu être devinés, même par l’intelligence la plus extranaturellement aiguë.

Un autre jour, j’accompagnais chez Mme Marshall ma sœur et une dame qui n’y était jamais allée, et nous eûmes une très curieuse illustration de l’absurdité qu’il y a à imputer le déchiffrement des noms à l’hésitation du consultant et à la finesse du médium. Cette dame souhaita que lui fut donné le nom d’un ami particulier décédé, et pointa les lettres de l’alphabet selon le procédé usuel : je les écrivais à, mesure qu’elles étaient frappées. Les trois premiers caractères furent y, r, n. « Oh ! dit la dame, cela n’a pas de sens ». Aussitôt vint un e, et je crus deviner ce que c’était : « S’il vous plaît, dis-je, continuez, je comprends. » La communication fut ensuite donnée ainsi : — yrnehkcocffej. La dame ne s’y reconnaissait pas davantage, jusqu’à ce que je séparai de la sorte : — Yrneh Kcocffej, ou Henry Jeffcock, le nom de l’ami, épelé à l’envers 67 #id_origin67.

Voici un phénomène qui nécessite, à la fois, force et intelligence : — La table ayant été examinée au préalable, une feuille de papier à lettres fut marquée en secret par moi et placée avec un crayon de plomb sous le pied central du meuble, tous les assistants ayant leurs mains sur la table. Au bout de quelques minutes, des coups furent entendus, et, prenant le papier, j’y trouvai tracé, d’une écriture légère, le mot William. Une autre fois, un ami de province, — totalement étranger pour le médium et dont le nom n’avait jamais été mentionné, — m’accompagnait : lorsqu’il eut reçu ce qui était donné pour être une communication de son fils, un papier fut mis sous la table, et après très peu de minutes, nous y trouvâmes écrit : Charley T. Dodd, le nom exact. Il n’y avait aucune machinerie sous le meuble, et il reste simplement à se demander s’il était possible pour Mme Marshall de défaire ses bottines, saisir le crayon et le papier avec ses orteils, écrire sur celui-ci avec celui-là un nom qu’elle avait à deviner, et remettre ses chaussures, le tout sans ôter ses mains ce dessus la table ni donner aucune indication de quoi que ce soit de ses efforts.

En novembre 1866, ma sœur découvrit qu’une dame vivant avec elle avait le don de déterminer des manifestations ; et je commençai alors dans ma propre maison une série d’observations dont je vais raconter brièvement les plus importantes.

Nous nous asseyions à une large table de jeu, sans tapis, avec toutes nos mains au-dessus, et les coups débutaient généralement au bout de peu de minutes. Il semblait qu’ils fussent frappés à la partie inférieure du battant de la table, en différentes places de ce battant. Ils changeaient de ton et de force, depuis un son analogue à celui que l’on produit en tapant avec une aiguille ou un ongle, jusqu’à d’autres pareils à des heurts de poings ou des claques. D’autres bruits rappelaient des grattements d’ongle, ou le frottement d’un doigt mouillé appuyé très fort sur le bois. La rapidité avec laquelle ces sons étaient produits et variaient est très remarquable. Ils imitaient plus ou moins exactement des bruits que nous faisions avec nos doigts sur le dessus de la table ; ils marquaient la mesure à une mélodie sifflée par quelqu’un de la compagnie ; quelquefois, à notre demande, ils exécutaient eux-mêmes un air connu, ou suivaient correctement une main battant un rythme sur la table.

Quand de tels bruits sont entendus, à maintes reprises, dans une chambre à soi bien éclairée, sur une table à soi, et toutes les mains restant visibles, les explications que l’on donne ordinairement deviennent complètement insoutenables. Naturellement, la première impression, en entendant quelques coups seulement, est qu’un assistant les frappe avec ses pieds. Pour mettre à néant ce soupçon, nous nous sommes, plusieurs fois, agenouillés autour de la table, et pourtant les coups ont continué, et non seulement nous les avons entendus comme étant frappés sous le battant de la table, mais nous les sentions vibrer dans celle-ci. Une autre opinion est que les bruits sont dus à des glissements de tendons ou à des craquements de jointures en certaines parties du corps du médium ; et cette explication, je crois, est la plus communément acceptée par les hommes de science. Mais, dans ce cas, il faudrait expliquer comment les os ou les tendons d’une personne peuvent produire des martèlements, des tambourinements, des crépitements, des grattements, des raclements, des frottements, et répéter certains de ces sons assez rapidement pour suivre un à un les battements de doigts d’un observateur, ou marquer une mesure de musique et, de plus, faire que pour chacun des assistants, ces bruits ne paraissent pas provenir du corps d’un individu mais de la table autour de laquelle on est assis, et qui vibre avec eux. Jusqu’à ce qu’on me donne cette explication, on me pardonnera de m’émerveiller de la crédulité de ceux qui acceptent une pareille naïveté.

Un phénomène encore plus remarquable, que j’ai observé avec le plus grand soin et le plus profond intérêt, est le déploiement de force considérable dans des conditions qui excluent l’action musculaire de qui que ce soit. Nous nous tenions autour d’une petite table à ouvrage, dont le dessus a environ vingt pouces de large, et nos mains étaient placées, toutes closes et serrées, les unes contre les autres, auprès du centre. Au bout d’un temps très court, le meuble oscilla de côté et d’autre, puis il sembla s’affermir sur lui-même, s’éleva verticalement de six pouces à un pied et demeura suspendu quinze ou vingt secondes. Durant ce temps, un ou deux d’entre nous purent frapper le meuble et appuyer dessus, car il opposait une résistance considérable.

Naturellement, la première impression est que le pied de quelqu’un soulève la table. Pour répondre à cette objection, je préparai le meuble, avant notre seconde tentative, sans en parler à personne, en glissant un fin papier de soie entre les supports, à un pouce ou deux de la base du pilier, de telle manière que quelque effort que ce soit pour insinuer le pied dût froisser ou déchirer le papier. La table s’éleva comme auparavant, résista à la pression exercée sur elle comme si elle eût reposé sur le dos d’un animal, s’abaissa vers le plancher, s’éleva de nouveau un instant après, et enfin retomba subitement. Alors je la retournai avec quelque anxiété et, à la surprise de tous les assistants, leur montrai la délicate feuille passée au travers, absolument intacte. Trouvant que cette épreuve était ennuyeuse en ce que le papier ou le tissu devait être renouvelé chaque fois et était sujet à être brisé accidentellement avant l’expérience commencée, je construisis un cylindre de cercles et de lattes et le tendis en toile. La table fut placée à l’intérieur, comme dans un puits : ce cylindre, haut d’environ dix-huit pouces, tenait les pieds de tous et la toilette des dames à distance du meuble. La table se leva sans la moindre difficulté, toutes les mains se tenant au-dessus.

Un petit guéridon arriva tout seul vers la grande table, par le côté du médium, comme s’il était graduellement entré dans la sphère d’une puissante force attractive. Étant retombé sur le parquet, sans que personne l’eût touché, il s’agita de nouveau d’une manière étrange, presque ainsi qu’une chose vivante, et comme s’il eût cherché des moyens d’aller de nouveau sur la table, il tournait ses pieds d’abord d’un côté et ensuite de l’autre. Un très large fauteuil de cuir qui se trouvait à au moins quatre ou cinq pieds du médium, roula soudain vers celui-ci, après quelques faibles mouvements préliminaires.

Il est sans doute aisé de dire que ce que je rapporte est impossible. Je maintiens que cela est rigoureusement vrai, et que nul homme, quel que soit son talent, n’a une connaissance assez complète des pouvoirs de la Nature pour se croire autorisé à user du mot impossible à l’égard des faits que moi et bien d’autres ont constatés un si grand nombre de fois.

Nous retrouvons là, comme on le voit, ce que j’ai observé avec Eusapia et avec d’autres médiums.

Sir Alfred Russel Wallace continue son récit par des faits analogues à tous ceux qui ont été décrits dans cet ouvrage, résume ensuite les expériences de Crookes, de Varley, de Morgan, et des autres savants anglais ; me fait d’honneur de citer ma lettre à la société dialectique publiée plus haut, passe en revue l’histoire du spiritisme et déclare que 1° les faits sont incontestables, et que 2°, dans son opinion, la meilleure hypothèse explicative est celle des esprits, des âmes de désincarnés, la théorie de l’inconscient étant manifestement insuffisante.

Telle est aussi l’opinion de l’électricien Cromwell Varley. Pour lui, non plus, il n’y a rien de surnaturel. Les esprits désincarnés sont dans la nature, aussi bien que les incarnés. « La trivialité des communications ne doit pas étonner, si nous considérons les myriades d’êtres humains triviaux et fantasques qui chaque jour deviennent esprits, et sont les mêmes le lendemain de la mort que la veille. »

Le professeur de Morgan, le spirituel auteur du Budget of paradoxes (Provision de paradoxes), une composition si remarquée dans l’Atheneum de Londres, en 1865, exprime les mêmes opinions dans son livre sur l’Esprit (1863). Non seulement les faits sont incontestables pour lui, mais encore l’hypothèse explicative par des Intelligences extérieures à nous est la seule satisfaisante. Il raconte, entre autres, que dans une de leurs séances, un de ses amis, fort sceptique, se moquait un peu des esprits, lorsque, tandis qu’ils se tenaient tous debout (une dizaine d’expérimentateurs) autour d’une table de salle à manger, en faisant la chaîne au-dessus, sans la toucher, la lourde table se déplaça d’elle-même et se porta, en entraînant le groupe. vers le négateur, qu’elle poussa contre le dossier du sofa, jusqu’à ce qu’il criât : « Arrêtez ! Assez ! »

Est-ce là, toutefois, une preuve d’esprit indépendant ? n’était-ce pas une expression de la pensée commune ? Et de même, dans les faits que Wallace vient de citer, les noms dictés n’étaient-ils pas dans le cerveau du questionneur ? Et aussi, le petit guéridon qui grimpe n’agit-il pas sous l’action physique et psychique du médium ?

Quelle que soit l’hypothèse explicative, les FAITS sont indéniables.

Nous avons ici, devant nous, un faisceau solide de savants anglais de premier ordre, pour lesquels la négation des phénomènes est une sorte de folie.

Les savants français sont un peu en retard sur leurs voisins. Cependant, nous en avons déjà remarqué quelques-uns dans le cours de cet ouvrage. J’y ajouterais avec satisfaction les noms du regretté Pierre Curie et du professeur d’Arsonval, s’ils avaient publié leurs expériences faites avec Eusapia, en juillet 1905 et en mars et avril 1906, à l’Institut général de Psychologie.

Parmi les expérimentateurs les plus judicieux des phénomènes psychiques, je dois également signaler M. J. Maxwell, docteur en médecine et (fonction bien différente), avocat général près la cour d’appel de Bordeaux. Le lecteur a déjà pu remarquer (p. ***) la part que ce magistrat doublé d’un savant a prise aux expériences faites à l’Agnélas en 1895. Eusapia n’est pas le seul médium avec lequel il ait étudié, et son savoir sur le sujet qui nous occupe est des mieux documentés. Il convient de présenter ici au lecteur les faits les plus caractéristiques et les conclusions essentielles exposés dans son ouvrage 68 #id_origin68.

L’auteur a fait, notamment, un examen spécial des coups frappés.

Raps ou Coups frappés 69 #id_origin69. Le contact des mains n’est pas nécessaire pour l’obtention des raps. Avec certains médiums, j’en ai obtenu très facilement sans contact.

Lorsqu’on réussit à avoir des raps avec contact, un des moyens les plus sûrs pour les obtenir sans contact est de conserver un certain temps les mains appuyées sur la table, puis de les soulever avec une extrême lenteur, en maintenant la face palmaire tournée vers le plateau de la table, les doigts en légère extension, sans raideur. Il est rare, dans ces conditions, que les raps ne continuent pas à se faire entendre, au moins pendant quelque temps. Je n’ai pas besoin d’ajouter que les expérimentateurs doivent éviter non seulement le contact de leurs mains avec la table, mais même celui de toute autre partie de leur corps ou de leurs vêtements. Le contact de vêtements avec le meuble peut suffire à produire des raps qui n’ont rien de supranormal. Il faut donc veiller à ce que les robes des dames soient écartées avec soin des pieds de la table. En prenant les précautions nécessaires, les raps retentissent dans des conditions très convaincantes.

Avec certains médiums, l’énergie libérée est assez grande pour agir à distance ; j’ai eu l’occasion d’entendre des raps résonner sur une table qui était à près de deux mètres du médium. Nous avions fait une très courte séance et nous avions quitté la table. J’étais étendu dans un fauteuil, le médium, debout, causait avec moi, quand une série de coups fut frappée sur la table que nous venions d’abandonner. Il faisait grand jour, on était en plein été, vers cinq heures du soir. Les coups étaient forts et durèrent plusieurs minutes.

J’ai eu un grand nombre de fois l’occasion d’observer des faits du même genre. Il m’est advenu, en voyage, de rencontrer un intéressant médium. Il ne m’a pas donné la liberté de le nommer, mais je puis dire que c’est un homme honorable, instruit, occupant une situation officielle. J’ai obtenu avec lui — il ne soupçonnait pas cette faculté latente avant d’avoir expérimenté avec moi — des raps retentissants dans des salles de restaurant et dans des buffets de chemin de fer. Il suffirait d’avoir observé les raps produits dans ces conditions pour être convaincu de leur authenticité. Le bruit insolite de ces raps attirait l’attention des personnes présentes et nous gênait beaucoup. Le résultat dépassait notre attente : il est à remarquer que plus nous étions confus du bruit fait par nos raps, plus ceux-ci se multipliaient. On eût dit qu’un être taquin les produisait et s’amusait de notre embarras.

J’ai également obtenu de très beaux raps frappés sur le plancher, dans des musées, devant des tableaux de maîtres. Les plus communs sont ceux frappés, avec contact, sur la table ou sur le plancher ; puis ceux qui sont frappés à distance sur des meubles.

Plus rarement, je les ai entendus sur des étoffes, soit sur les assistants ou le médium, soit sur des meubles ; j’en ai entendu sur des feuilles de papier posées sur la table à expériences, sur des livres, sur des murailles, sur des tambourins, sur de menus objets en bois, notamment sur une planchette qui servait à l’écriture automatique. J’en ai observé de fort curieux avec un médium écrivain. Quand elle avait de l’écriture automatique, les raps se produisaient avec une extrême rapidité au bout du crayon. Celui-ci ne frappait pas la table ; j’ai à diverses reprises et avec beaucoup de soin mis la main sur le bout du crayon opposé à la pointe sans que celle-ci quittât un seul instant le papier appuyé sur la table : les raps retentissaient sur le bois, non sur le papier. Dans ces cas, bien entendu, le médium tenait le crayon.

Les raps se produisent même quand je mets le doigt sur l’extrémité supérieure du crayon et que j’en presse la pointe contre le papier. On sent vibrer le crayon, mais il ne se déplace pas. Comme ces raps sont très sonores, j’ai calculé qu’il fallait donner un coup assez fort pour les reproduire artificiellement : le mouvement nécessaire exige un soulèvement de la pointe de 2 à 5 millimètres, suivant l’intensité des raps. Or la pointe ne paraît pas se déplacer. De plus, quand l’écriture est courante, ces raps se succèdent avec une grande rapidité et l’examen de l’écriture ne manifeste aucun temps d’arrêt : le texte est continu, aucune marque de coups n’y est perceptible, aucun épaississement des traits ne se laisse apercevoir. Ces conditions d’observation me paraissent exclure la possibilité d’une fraude.

J’ai observé ces coups frappés, sans cause connue, jusqu’à trois mètres de distance du médium.

Ils se manifestent comme l’expression d’une activité et d’une volonté distinctes de celles des observateurs. Telle est l’apparence du phénomène. Il en résulte un fait curieux, c’est que non seulement les raps se révèlent comme les produits d’une action intelligente, mais encore qu’ils consentent généralement à frapper autant de fois qu’on le demande et à reproduire des rythmes déterminés, par exemple certains airs. De même ils imitent les coups frappés par les expérimentateurs, sur la demande de ceux-ci.

Souvent, les différents raps se répondent les uns aux autres, et c’est là une des plus jolies expériences auxquelles on puisse assister que d’entendre ces coups clairs, étouffés, secs ou doux, retentir simultanément sur la table, le plancher, le bois et l’étoffe des meubles.

J’ai eu la bonne fortune de pouvoir étudier de près ces raps curieux, et je crois être arrivé à quelques conclusions. La première, et la plus certaine, est leur étroite connexité avec les mouvements musculaires des assistants. Je pourrais résumer ainsi mes observations sur ce point.

1° Tout mouvement musculaire, même faible, est généralement suivi d’un rap ;

2° L’intensité des raps ne m’a pas paru proportionnelle au mouvement fait ;

3° L’intensité des raps ne m’a pas paru varier proportionnellement à leur éloignement du médium.

Voici les faits sur lesquels s’appuient mes conclusions :

1. J’ai très fréquemment observé que lorsque l’on avait des raps faibles ou espacés, un excellent moyen pour les produire était de faire la chaîne sur la table, les mains appuyées sur celle-ci, les observateurs mettant leurs doigts en contact léger. L’un, d’eux, sans rompre la chaîne, — ce qu’il fait en tenant dans la même main la main droite de son voisin de gauche et la main gauche de son voisin de droite, — promène circulairement la main devenue libre au-dessus de la table, au niveau du cercle formé par les doigts étendus des observateurs. Après avoir fait ce mouvement, toujours dans le même sens, quatre ou cinq fois, c’est-à-dire après avoir tracé ainsi quatre ou cinq cercles au-dessus de la table, l’expérimentateur ramène sa main vers le centre à une hauteur variable et fait un mouvement d’abaissement de la main vers la table ; puis il arrête brusquement ce mouvement à quinze ou vingt centimètres du plateau. À l’arrêt brusque de la main correspond un rap. Il est exceptionnel que ce procédé ne donne pas un rap dès qu’il y a dans le cercle un médium capable, même faiblement, d’en produire.

On peut faire la même expérience sans toucher la table, en formant autour d’elle une sorte de chaîne fermée. L’un des assistants opère alors comme dans le cas précédent.

Je n’ai pas besoin de rappeler qu’avec certains médiums, il s’en produit sans qu’aucun mouvement soit exécuté : presque tous peuvent en obtenir ainsi avec l’immobilité et la patience ; mais on dirait que l’exécution d’un mouvement agit comme cause déterminante. L’énergie accumulée recevrait une sorte de stimulus.

Lévitations. — Un jour, nous avons improvisé une expérience dans l’après-midi, et je me souviens d’avoir observé, dans ces conditions, une lévitation bien intéressante. Il était cinq heures du soir environ, en tout cas il faisait grand jour, dans le salon de l’Agnélas. Nous nous plaçâmes debout autour de la table ; Eusapia prit la main de l’un de nous ; l’appuya sur l’angle de la table à sa droite ; le meuble se souleva jusqu’à la hauteur de notre front, c’est-à-dire que le plateau de la table s’éleva jusqu’à 1 m. 50 au moins au-dessus du sol.

De semblables expériences sont très convaincantes, car il est impossible qu’Eusapia ait pu, dans les conditions ou nous nous trouvions, soulever la table par un procédé normal. Il suffit de songer qu’elle touchait seulement l’angle de la table pour comprendre la lourdeur du poids qu’elle aurait eu à soulever si elle avait fait un effort musculaire. Elle n’avait aucune prise suffisante d’ailleurs. Elle ne pouvait évidemment, étant données les conditions de l’expérience, employer un des procédés de fraude signalés par ses critiques, courroies ou crochets quelconques. Le phénomène n’est pas contestable.

Le souffle paraît avoir une très grande action : les choses paraissent se passer comme si les assistants dégageaient, en soufflant, une force d’énergie motrice comparable à celle qu’ils dégagent en remuant rapidement les membres. Il y a là une particularité curieuse et difficilement explicable.

Une analyse plus complète des faits permet de penser que la mise en liberté de l’énergie employée dépend de la contraction des muscles et non du mouvement exécuté. Le fait qui révèle cette particularité est facile à observer. Quand on forme la chaîne autour de la table, on peut déterminer un mouvement sans contact en se serrant mutuellement les mains avec une certaine force, on en appuyant fortement les pieds sur le sol ; le premier de ces deux moyens est de beaucoup le meilleur. Les membres n’ont exécuté qu’un mouvement insignifiant, et l’on peut dire que la contraction musculaire est à peu près le seul phénomène physiologiste observable ; il suffit cependant.

Ces constatations tendent toutes à démontrer que l’agent qui détermine les mouvements sans contact a quelque connexion avec notre organisme, et probablement avec notre système nerveux.

Conditions des expériences. — Il ne faut jamais perdre de vue l’importance relative des conditions morales et intellectuelles du groupe lorsqu’on expérimente. C’est là un des faits les plus difficiles à saisir et à comprendre. Mais dès que la force est abondante, la simple manifestation de la volonté peut quelquefois déterminer le mouvement. Par exemple, sur le désir exprimé par les assistants, la table se dirigera dans le sens demandé. Les choses se passent comme si cette force était maniée par une Intelligence distincte de celle des expérimentateurs. Je me hâte de dire que cela ne me paraît être qu’une apparence, et qu’il me semble avoir observé certaines ressemblances entre ces personnifications et les personnalités secondes somnambuliques.

Il y a dans ce lien apparent, entre la volonté indirecte des assistants et les phénomènes, un problème dont la solution m’échappe complètement encore. Je pressens que ce lien n’a rien de surnaturel, je me rends compte que l’hypothèse spirite l’explique mal et n’y est pas adéquate ; mais je ne puis formuler aucune explication.

L’observation attentive des rapports existant entre le phénomène et la volonté des assistants permet d’ailleurs d’autres constatations ; c’est d’abord l’effet mauvais que produit le désaccord entre les expérimentateurs. Il arrive quelquefois que l’un d’eux exprime le désir d’obtenir un phénomène déterminé ; si le fait tarde à se réaliser, le même expérimentateur, ou un autre, demandera un phénomène différent ; quelquefois plusieurs des assistants demandent plusieurs choses contradictoires en même temps. La confusion qui règne dans la collectivité se manifeste dans les phénomènes qui deviennent eux-mêmes confus et vagues 70 #id_origin70.

Cependant les choses ne se passent pas absolument comme si les phénomènes étaient dirigés par une volonté qui ne serait que l’ombre ou le reflet de celle des assistants. Il arrive souvent qu’ils manifestent une grande indépendance et se refusent nettement de déférer aux désirs exprimés.

Formes de fantômes. — À Bordeaux, en 1897, la pièce où nous tenions nos séances était éclairée par une très large fenêtre. Les contrevents, à claire-voie, en étaient fermés ; mais quand le gaz était allumé dans une dépendance de la cuisine en retour d’équerre sur le jardin, une lumière faible pénétrait dans la pièce et éclairait les vitres de la fenêtre. Celle-ci constituait de la sorte un fond clair sur lequel, pour une moitié des expérimentateurs, certaines formes noires ont été aperçues.

Nous avons tous vu ces formes, ou plutôt cette forme, car c’est toujours la même qui s’est montrée : un profil allongé, barbu, avec un nez fortement busqué. Cette apparence disait être la tête de John, qui est la personnification habituelle avec Eusapia 71 #id_origin71. C’est un phénomène très extraordinaire. La première idée qui se présente à l’esprit est celle d’une hallucination collective. Mais le soin avec lequel nous observions ce curieux phénomène — et il me paraît inutile d’ajouter le calme avec lequel nous expérimentions — rend bien invraisemblable cette hypothèse.

Celle d’une fraude est encore moins admissible. La tête que nous apercevions était de grandeur naturelle et atteignait une quarantaine de centimètres du front à l’extrémité de la barbe. On ne s’explique pas comment Eusapia aurait pu cacher dans ses poches ou sous ses vêtements un carton quelconque découpé. On ne s’explique pas davantage comment elle aurait pu extraire à notre insu cette découpure, la monter sur un bâton ou sur un fil de fer, et la faire manœuvrer. Eusapia n’était pas endormie — elle voyait quelquefois elle-même le profil qui se montrait et manifestait sa satisfaction d’assister, éveillée et consciente, aux phénomènes qu’elle produisait. La faible clarté que répandait la fenêtre éclairée, était suffisante pour que l’on aperçut ses mains tenues avec soin par les contrôleurs de droite et de gauche. Il lui eût été impossible de faire manœuvrer ces objets. En effet, le profil observé paraissait se former au sommet du cabinet, à une hauteur de 1 m. 25 environ au-dessus de la tête d’Eusapia, il descendait assez lentement et venait se placer au-dessus et en avant d’elle ; puis, après quelques secondes, il disparaissait pour reparaître quelque temps ensuite dans les mêmes conditions. Nous nous sommes toujours assurés avec soin de l’immobilité relative des mains et des bras du médium, et l’étrange phénomène que je relate est l’un des plus certains, que j’aie jamais constatés, tant l’hypothèse de la fraude était incompatible avec les conditions dans lesquelles nous observions.

J’ai la persuasion que ces faits entreront un jour, bientôt peut-être, dans la discipline scientifique. Ils y entreront malgré tous les obstacles que l’entêtement et la crainte du ridicule accumulent sur la route.

L’intolérance de certains hommes est égalée par celle de certains dogmes. Le catholicisme, par exemple, considère les phénomènes psychiques comme l’œuvre du démon. Est-il utile de combattre à l’heure actuelle une pareille théorie ? Je ne le pense pas.

Mais cette question est étrangère aux faits psychiques eux-mêmes. Ceux-ci n’ont, autant que mon expérience me permet d’en juger, rien que de naturel. Le diable n’y montre point ses griffes ; si les tables proclament qu’elles sont Satan lui-même, il n’y aura pas à les croire ; mis en demeure de prouver sa puissance, ce Satan grandiloquent sera un triste thaumaturge. Le préjugé religieux qui proscrit ces expériences comme surnaturelles est aussi peu justifié que le préjugé scientifique qui n’y voit que fraude et tromperie. Ici encore, le vieil adage d’Aristote trouve son application : la justice est dans une opinion intermédiaire.

Ces expériences du Dr Maxwell concordent, comme on le voit, avec toutes les précédentes. Les résultats constatés se confirment tous les uns par les autres.

À propos des médiums à effets physiques, je voudrais encore signaler ici celui qui a été examiné tout spécialement à Paris, en 1902, par un groupe composé en grande partie d’anciens élèves de l’École polytechnique, qui eut une douzaine de séances, en juillet et août. Ce groupe était composé de MM. A. de Rochas, Taton, Lemerle, Baclé, de Fontenay et Dariex. Le médium était Auguste Politi, de Rome. Il était âgé de quarante-sept ans.

Plusieurs lévitations de table extrêmement remarquables ont été constatées et photographiées. Je reproduis ici (Pl. X.) l’une de ces photographies, prise par M. de Fontenay, et que je dois à son obligeance. C’est, assurément, l’une des plus frappantes. Toutes les mains, faisant la chaîne, se tiennent avec soin écartées de la table. Il me semble que ne pas reconnaître sa valeur documentaire serait se refuser à l’évidence même. Elle a été prise instantanément, dans un coup de lumière au magnésium, et les yeux du médium avaient été recouverts d’une bande de toile pour lui éviter toute secousse nerveuse.


Pl. X. — Lévitation très élevée d’une Table.
(Photographie instantanée).

Le même médium a été étudié à Rome en février 1904, par un groupe composé du professeur Milési, de l’université de Rome, de M. Joseph Squanquarillo, de M. et Mme Franklin Simmons, américains de passage à Rome, et de M. et Mme Cartoni. Ils déclarent qu’ils ont entendu sur le piano, vertical, assez éloigné des assistants, des gammes fort bien jouées, quoique aucun des assistants ne sût jouer du piano, tandis que la sœur du professeur Milési, évoquée, était une très bonne pianiste.

Un deuxième phénomène musical se produisit : une mandoline, placée sur le couvercle du piano, se mit à jouer seule, tout en se balançant dans l’air, jusqu’à ce qu’elle vint tomber, sans cesser de jouer, entre les mains des expérimentateurs formant la chaîne.

Plus tard, par intervalles, le piano se souleva à son tour, en retombant avec bruit. Il faut remarquer que pour soulever ce piano, même d’un seul de ses côtés, deux hommes suffisent à peine. Après la séance, on constata que le meuble avait été déplacé d’un demi-mètre.

Voici, du reste, le résumé des phénomènes observés avec ce médium :

Dans chaque séance, on obtint des coups très forts, frappés dans la table autour de laquelle se tenaient les expérimentateurs et le médium formant la chaîne, pendant que la lampe à lumière rouge était sur la table même. « Si l’on voulait reproduire des coups aussi secs et puissants, dit M. C. Caccia, rapporteur des séances, on devrait frapper de toutes ses forces sur la table avec un corps solide, alors que ceux qui se produisaient avec Politi semblaient sortir de l’intérieur de la table, comme des éclats. »

La table s’agitait à son tour ; le rideau blanc du cabinet qui se trouvait derrière le médium, à 50 centimètres de distance, se gonflait et se balançait en tous sens, comme si un vent violent eût soufflé de l’intérieur ; on entendait se mouvoir, en glissant sur le sol, une chaise qui y avait été placée avant le commencement de la séance et qui fut ensuite jetée violemment à terre ; au cours de la cinquième séance, elle sortit même du cabinet, en présence de tout le monde, et elle s’arrêta près du médium.

Ces phénomènes se produisirent à la lumière rouge d’une lampe de photographe. À l’obscurité complète, au cours de la troisième séance, il se passa un phénomène extraordinaire, d’autant plus qu’on avait pris des mesures spéciales pour empêcher toute tentative de fraude. Le médium était contrôlé par deux assistants qui, fort défiants, s’étaient placés à sa droite et à sa gauche, et lui tenaient les mains et les pieds.

À un certain moment, le médium ordonna d’enlever les mains de la table et de ne pas en empêcher les mouvements ; surtout de ne pas rompre la chaîne. On entend aussitôt un grand tapage dans le cabinet. Le médium demande que l’on fasse la lumière, et à la grande stupéfaction de tous, on constate que la table, qui était de forme rectangulaire et ne pesait pas moins de 18 kilos, se trouvait renversée sur le sol du cabinet. Les contrôleurs déclarèrent que le médium était resté immobile. Il est à remarquer :

1° Que la table dut se lever assez haut pour dépasser les têtes des assistants ;

2° Qu’elle dut passer au-dessus du groupe formant la chaîne ;

3° Que, comme l’ouverture du cabinet ne mesurait que 92 centimètres, et la table, de son côté le plus étroit, 75 centimètres, il ne restait que 17 centimètres libres pour passer par cette ouverture ;

4° Que la table dut entrer par son côté le plus étroit, ensuite tourner dans le sens longitudinal, qui est de la longueur d’un mètre, se renverser et se placer sur le parquet ; que toute cette manœuvre si difficile a été exécutée en quelques secondes, dans l’obscurité la plus complète et sans qu’aucun des assistants ait été même légèrement touché 72 #id_origin72.

On obtint aussi des phénomènes lumineux ; les lumières apparaissaient et disparaissaient en l’air ; quelques-unes dessinaient une courbe. Elles n’avaient aucune irradiation. Dans la cinquième séance, tout le monde put constater l’apparition de deux croix lumineuses de dix centimètres de hauteur environ.

Dans la dernière séance, le tambour de basque à grelots, qui avait été frotté de phosphore, tournoya de tous côtés dans la chambre, de telle façon qu’on pouvait suivre tous ses mouvements.

Pendant presque toutes les séances, on constata aussi des attouchements mystérieux, ceux, entre autres, produits par une main énorme et velue.

Dans les première, quatrième et cinquième séances on eut des « matérialisations ». Le prof. Italo Palmarini crut reconnaître sa fille morte depuis trois ans. Il se sentit embrasser ; tout le monde entendit le bruit du baiser.

La même manifestation eut lieu à la cinquième séance ; le professeur Palmarini crut encore reconnaître la personnalité de sa fille.

On visitait le médium au début de chaque séance, et on le plaçait ensuite dans une sorte de gros sac, confectionné tout exprès, et que l’on fermait au cou, aux mains et aux pieds.

Un autre médium, le russe Sambor, a été l’objet de nombreuses expérimentations pendant six ans à Saint-Pétersbourg (1897-1902). Il est intéressant de résumer encore ici le Rapport publié à cet égard par M. Petrovo-Solovovo 73 #id_origin73.

Dans les premières séances, on signala l’agitation violente d’un grand paravent placé derrière le médium, dont les pieds et les mains étaient soigneusement tenus ; une table remua seule dans une chambre voisine ; dans un cône de métal posé sur une table, enfermant un bout de papier et un crayon, et cloué ensuite, on trouva, en le déclouant, une phrase écrite sur le papier, par une écriture en miroir (écriture qu’il faut lire dans un miroir ou par transparence) et un ruban ; on a essayé d’autres passages de la matière à travers la matière, dont aucun n’a réussi ; mais ensuite les procès-verbaux relatent les expériences suivantes :

Au mois de février 1901, une séance de Sambor eut lieu chez moi, dans mon cabinet de travail, aux fenêtres duquel j’avais suspendu des rideaux de calicot noir, de sorte que la chambre était plongée dans une obscurité complète. Le médium occupa une place dans la chaîne. Les voisins du médium étaient M. J. Lomatzsch à sa droite, moi-même à sa gauche. La mains et les pieds de Sambor étaient tenus tout le temps d’une manière satisfaisante.

Les phénomènes commencèrent à se développer bientôt. Je n’ai pas l’intention de m’attarder à les décrire, mais je désire relater un cas remarquable de passage de la matière à travers la matière.

M. Lomatzsch, contrôleur de droite, déclare qu’on arrache de dessous lui la chaise sur laquelle il est assis. C’est en redoublant d’attention que nous continuons à contrôler le médium. La chaise de M. Lomatzsch est bientôt enlevée définitivement, de sorte qu’il est obligé de se tenir debout. Quelque temps après, il déclare qu’on essaie de lui suspendre la chaise sur la main avec laquelle il tient Sambor. Puis la chaise disparaît subitement du bras de M. Lomatzsch, et au même moment je sens une légère pression sur mon bras gauche (sur celui de mes bras qui était uni non au médium, mais à mon voisin de gauche, M. A. Weber) ; après quoi je sens que quelque chose de lourd est suspendu à mon bras. Lorsque la bougie eut été allumée, nous vîmes tous que mon bras gauche avait été passé à travers le dossier de la chaise ; de cette façon, la chaise était suspendue précisément sur celui de mes bras qui était uni non à Sambor, mais à mon voisin de gauche. Je n’avais pas lâché les mains de mes voisins.

Une observation pareille se passe de commentaires, ajoute ici le rapporteur, M. Petrovo Solovovo. Le fait est tout simplement incompréhensible.

Voici maintenant quelques autres phénomènes observés (mai 1902) :

1° Une pomme de cèdre, une vieille monnaie en cuivre qui se trouva être une monnaie persane de 1723, et un portrait photographique d’amateur d’une jeune femme en deuil, inconnue de tous les assistants, furent trouvés, venant on ne sait d’où ni de quelle façon, sur la table autour de laquelle on était assis ;

2° Divers objets, qui étaient dans la chambre, furent transportés sur la table par la force mystérieuse : un thermomètre suspendu au mur, derrière le piano, à une distance d’à peu près deux ou trois archines (1m52 à 2m13) du médium ; une grande lanterne placée sur le piano et se trouvant à un archine ou un archine et demi (de 0m71 à 1m6) derrière le médium ; plusieurs tas de cahiers de notes qui se trouvaient sur ce même piano ; un portrait encadré ; la bobèche, la bougie et les différentes parties d’un chandelier appartenant au piano.

3° À plusieurs reprises, une sonnette en bronze placée sur la table fut soulevée dans l’air par la force mystérieuse et tinta bruyamment. À la demande des assistants, elle fut une fois transportée sur le piano (contre lequel elle frappa avec bruit) et, de là, de nouveau sur la table.

4° On avait placé derrière le médium des chaises inoccupées. Une d’elles fut, à plusieurs reprises, soulevée et placée avec bruit sur la table, au milieu des assistants, et sans accrocher aucun d’eux. Sur la table, cette chaise remua, tomba et se releva à plusieurs reprises ;

5° Une de ces mêmes chaises se trouva suspendue par le dossier sur les mains jointes du médium et de M. de Poggenpohl. Avant le commencement de la partie de la séance durant laquelle ce phénomène eut lieu, un ruban de toile, passé à travers les manches du médium, avait été, à plusieurs reprises, fortement enroulé autour du poignet de M. de Poggenpohl ;

6° À La demande des assistants, la force mystérieuse arrêta, à plusieurs reprises, le jeu de la boite à musique placée sur la table autour de laquelle on était assis ; après quoi la boite joua de nouveau ;

7° Une feuille de papier et un crayon, placés sur la table, furent jetés sur le parquet, et tout le monde entendit distinctement le crayon courir sur le papier en pressant fortement dessus, mettre avec bruit un point à la fin de ce qui avait été écrit ; après quoi, le crayon a été reposé sur la table ;

8° Cinq des expérimentateurs déclarèrent avoir été touchés par une main inconnue.

9° À deux reprises, la force mystérieuse tira des sons du piano. La première fois, cela eut lieu alors que le couvercle du clavier était ouvert. La seconde fois, les sons se firent entendre après que ce couvercle eut été fermé à clé, la clé restant sur la table au milieu de nous. D’abord, la force mystérieuse commença par jouer une mélodie sur les notes hautes et prit deux ou trois fois des trilles ; ensuite, des accords sur les notes basses se firent entendre simultanément avec cette mélodie et, alors que le piano jouait, la boite à musique placée sur la table se mit à jouer aussi, le tout pendant plusieurs minutes ;

10° Durant tous les phénomènes qui ont été décrits, le médium paraissait plongé dans une transe profonde et restait à peu près immobile ; les phénomènes n’étaient accompagnés d’aucun « remue-ménage ». Ses mains et ses pieds étaient tout le temps contrôlés par ses voisins. MM. de Poggenpohl et Loris-Melikow virent, à plusieurs reprises, quelque chose de long, de noir et de mince se détacher de lui pendant les phénomènes et se tendre vers les objets.

J’ajouterai, en terminant, que ce médium était accusé de cupidité et d’intempérance. Ces séances ont été les dernières (il est mort quelques mois après). Mais, en vérité, je ne puis me défendre d’un attendrissement en pensant au défunt Sambor. Lui, ce Petit-Russien, ancien employé des télégraphes, dégrossi par les six ou sept hivers qu’il avait passés à Saint-Pétersbourg, se peut-il que la nature aveugle l’eût choisi pour être l’intermédiaire entre notre monde et le douteux Au-Delà ? ou, tout au moins, un autre monde d’êtres dont la nature précise, n’en déplaise aux spirites, serait pour moi une énigme, si j’y croyais absolument.

C’est sur cette parole de doute, — le doute n’est-il pas, hélas, le résultat le plus certain des expériences médiumniques ? — que je terminerai ce Rapport.

À toute cette série si variée d’observations et d’expériences, nous pourrions en ajouter beaucoup d’autres encore. Eu 1905, MM. Charles Richet et Gabriel Delanne en ont fait de retentissantes à Alger ; mais il n’est pas impossible que la fraude s’y soit glissée, malgré toutes les précautions prises par les expérimentateurs. (Les photographies du fantôme Bien-Boa ont un aspect artificiel). En 1906, le médium américain Miller a donné à Paris plusieurs séances dans lesquelles il semble bien que de véritables apparitions se soient manifestées. Je n’en puis rien affirmer personnellement, n’y ayant pas assisté. Deux expérimentateurs, entre autres, très compétents, ont étudié ce médium : MM. G. Delanne et G. Méry. Le premier conclut (Revue scientifique et morale du spiritisme) que les apparitions vues représentent ce qu’elles disent être, c’est-à-dire des êtres décédés ; le second, au contraire, déclare dans L’Echo du Merveilleux, que « jusqu’à plus ample information, il faut se résigner à ne pas comprendre ».

Nous ne discuterons pas ici les « apparitions » ni les « matérialisations ». On peut se demander si le fluide qui sûrement se dégage du médium, ne peut produire une sorte de condensation pouvant donner, au témoin le plus intéressé à la manifestation, l’illusion d’une identité chimérique ne durant d’ailleurs, en général, que quelques secondes. Mélange ou combinaison de fluides ? Mais il n’y a pas encore d’hypothèses à faire.

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