Les expériences de Sir William Crookes

Le savant chimiste William Crookes, membre de la Société royale de Londres, auteur de plusieurs découvertes de premier ordre, notamment du Thallium, et des ingénieuses expériences sur « la matière radiante », a publié ses premières recherches sur le sujet qui nous occupe ici dans une Revue dont il était directeur, the Quarterly Journal of Science, à laquelle il m’a fait l’honneur d’associer ma collaboration astronomique 52 #id_origin52. Je présenterai d’abord à mes lecteurs un extrait de son article du 1er juillet 1871, ayant pour titre Experimental investigation of a new force (Recherches expérimentales sur une force nouvelle), dans lequel il expose ses expériences avec Home. J’ai eu, d’ailleurs, plusieurs fois l’occasion de m’en entretenir moi-même avec ce médium 53 #id_origin53.

Il y a douze mois (1er juillet 1870), j’ai écrit dans ce journal un article dans lequel, après avoir exprimé ma croyance à l’existence, sous de certaines conditions, de phénomènes inexplicables par les lois naturelles connues, j’indiquais plusieurs preuves que les hommes de science avaient le droit de demander, avant d’ajouter foi à la réalité de ces phénomènes. Parmi les preuves à fournir, je disais « qu’une balance délicatement équilibrée devrait se mouvoir sous des conditions déterminées, et que la manifestation d’un pouvoir équivalent à certains poids devrait se produire dans le laboratoire de l’expérimentateur, là où il pourrait le peser, le mesurer et le soumettre à des essais convenables ». Je disais aussi que je ne pouvais pas promettre d’entrer pleinement dans cette étude, car il serait difficile de rencontrer des circonstances favorables, et parce que de nombreux échecs accompagneraient les recherches ; d’autant plus que « les personnes en présence de qui ces phénomènes se produisent sont en petit nombre, et que les occasions d’expérimenter avec des appareils préparés à l’avance sont encore plus rares ».

Depuis lors, les conditions convenables s’étant présentées, j’en ai profité avec joie pour appliquer à ces phénomènes l’expérience scientifique soigneusement contrôlée, et je suis ainsi arrivé à certains résultats précis que je crois utile de publier. Ces expériences paraissent établir d’une manière concluante l’existence d’une nouvelle force liée d’une manière inconnue à l’organisation humaine, et que, pour plus de facilité, on peut appeler Force psychique 54 #id_origin54.

De toutes les personnes douées du pouvoir de développer cette force psychique, et qu’on a appelées médiums (d’après une tout autre théorie de son origine), M. Daniel Dunglas Home est la plus remarquable. Et c’est principalement à cause des nombreuses occasions que j’ai eues de faire mes recherches en sa présence, que j’ai été amené à pouvoir affirmer d’une manière aussi positive l’existence de cette Force. Les essais que j’ai tentés ont été très nombreux ; mais à cause de notre connaissance imparfaite des conditions qui favorisent ou contrarient les manifestations de cette force, de la manière capricieuse en apparence dont elle s’exerce, et du fait que M. Home lui-même est sujet à d’inexplicables flux et reflux de cette force, ce n’est que rarement que les résultats obtenus ont pu être confirmés et contrôlés avec des appareils construits pour ce but spécial.

Parmi les phénomènes qui se produisent sous l’influence de M. Home, les plus frappants et en même temps ceux qui se prêtent le mieux à l’examen scientifique, sont : 1° l’altération du poids des corps ; 2° l’exécution d’airs sur des instruments de musique (généralement sur l’accordéon, à cause de sa facilité de transport) sans intervention humaine directe, et en des conditions qui rendent impossible tout contact ou tout maniement des clefs. Ce n’est qu’après avoir été fréquemment témoin de ces faits et les avoir scrutés avec toute la rigueur dont je suis capable, que j’ai été convaincu de leur véritable réalité.

Mes expériences ont été faites chez moi, le soir, dans une vaste pièce éclairée au gaz. Les appareils préparés dans le but de constater les mouvements de l’accordéon consistaient en une cage, formée de deux cercles de bois, respectivement d’un diamètre de un pied dix pouces et de deux pieds 55 #id_origin55, réunis ensemble par douze lattes étroites, chacune d’un pied dix pouces de longueur, de manière à former la charpente d’une espèce de tambour, ouvert en haut et en bas. Tout autour, cinquante mètres de fils de cuivre isolés furent enroulés en vingt-quatre tours, chacun de ces tours se trouvant à moins d’un pouce de distance de son voisin. Ces fils de fer horizontaux furent alors solidement reliés ensemble avec de la ficelle, de manière à former des mailles serrées. La hauteur de cette cage était telle qu’elle pouvait glisser sous la table de ma salle à manger, mais elle en était trop près par le haut pour permettre à une main de s’introduire dans l’intérieur, ou à un pied de s’y glisser par-dessous. Dans une chambre voisine, j’avais disposé deux piles de Grove, d’où partaient des fils électriques qui se rendaient dans la salle à manger, pour établir la communication, si on le désirait, avec ceux qui entouraient la cage.

L’accordéon était neuf : je l’avais, pour ces expériences, acheté moi-même dans un bazar. M. Home n’avait ni vu, ni touché l’instrument, avant le commencement de nos essais.

Dans une autre partie de la pièce, un appareil était disposé pour expérimenter l’altération du poids d’un corps. Il consistait en une planche d’acajou, de trente-six pouces de long, sur neuf et demi de large et un d’épaisseur. L’un des bouts de la planche reposait sur une table solide, tandis que l’autre était supporté par une balance à ressort suspendue à un fort trépied. La balance était munie d’un index enregistreur, auto-moteur, de manière à indiquer le maximum du poids marqué par l’aiguille. L’appareil était ajusté de telle sorte que la planche d’acajou était horizontale, son pied reposant à plat sur le support. Dans cette position, son poids était de trois livres 56 #id_origin56, indiquées par l’index de la balance.

Avant que M. Home pénétrât dans la pièce, l’appareil avait été mis en place, et, avant de s’asseoir, on ne lui avait même pas expliqué la destination de quelques-unes de ses parties. Il sera peut-être utile d’ajouter que, l’après-midi, j’étais allé chez lui, dans son appartement, et que là, il me dit que, comme il avait à changer de vêtements, je ne ferais sans doute pas de difficulté de continuer notre conversation dans sa chambre à coucher. Je suis donc en mesure d’affirmer d’une manière positive que ni machine, ni appareil, ni artifice d’aucune sorte ne fut en secret mis sur sa personne.

Parmi les investigateurs présents à cette expérience je signalerai : un savant éminent, haut placé dans les rangs de la Société Royale 57 #id_origin57, un docteur en droit réputé 58 #id_origin58, mon frère, et mon préparateur de chimie.

M. Home s’assit à coté de la table, sur une chaise longue. En face de lui, sous la table, se trouvait la cage dont je viens de parler. Je m’assis près de lui à sa gauche ; un autre observateur fut placé près de lui à sa droite ; quelques autres assistants s’assirent autour de la table.

Pendant la plus grande partie de la soirée, et particulièrement lorsqu’un phénomène important avait lieu, les observateurs qui étaient de chaque coté du médium tinrent respectivement leurs pieds sur les siens, de manière à pouvoir découvrir le plus léger mouvement.

La température de la pièce était ordinairement de 20 à 21 degrés centigrades.

M. Home prit l’accordéon entre le pouce et le doigt du milieu d’une de ses mains, et par le bout opposé aux clefs (V. la fig. première).

Après avoir préalablement ouvert moi-même la clef de basse, la cage fut tirée de dessous ta table, juste assez pour permettre d’y introduire l’accordéon avec la face aux clefs en bas. La cage fut ensuite repoussée dessous, autant que le bras de M. Home put le permettre, mais sans cacher sa main à ceux qui étaient près de lui (V. la fig. seconde). Bientôt ceux qui étaient de chaque coté virent l’accordéon se balancer d’une manière curieuse, puis des sons en sortirent, et enfin plusieurs notes furent jouées successivement. Pendant que ceci se passait, mon préparateur se glissa sous la table et constata que l’accordéon s’allongeait et se fermait. La main de M. Home qui tenait l’accordéon était tout à fait immobile, et l’autre reposait sur la table.

Puis ceux qui étaient de chaque coté de M. Home virent l’accordéon se mouvoir, osciller et tourner dans la cage, et jouer en même temps. Le docteur regarda alors sous la table et affirma que la main de M. Home restait immobile pendant que l’accordéon se mouvait et faisait entendre des sons distincts.

Nous entendîmes des notes distinctes et séparées résonner successivement, et ensuite un air simple fut joué. Comme un tel résultat ne pouvait s’être produit que par les différentes clefs de l’instrument mises en action d’une manière harmonieuse, tous ceux qui étaient présents le considérèrent comme une expérience décisive. Mais ce qui suivit fut encore plus frappant : M. Home éloigna entièrement sa main de l’accordéon, la sortit tout à fait de la cage, et la mit dans la main de la personne qui se trouvait près de lui. Alors l’instrument continua à jouer tout seul, personne ne le tenant.

De nouveau M. Home lâcha l’instrument et posa ses deux mains sur la table. Deux des assistants et moi nous aperçûmes distinctement l’accordéon flotter ça et là dans l’intérieur de la cage, sans aucun support visible. Après un court intervalle, ce fait se répéta une seconde fois.

Je voulus ensuite essayer quel effet on produirait en faisant passer le courant de la batterie autour du fil isolé de la cage. En conséquence, mon aide établit la communication avec les fils qui venaient des piles de Grove. De nouveau, M. Home tint l’instrument dans la cage de la même façon que précédemment, et immédiatement il résonna et s’agita de côté et d’autre avec vigueur. Mais il m’est impossible de dire si le courant électrique qui passa autour de la cage vint en aide à la force qui se manifestait à l’intérieur.

Après cette expérience, l’accordéon, toujours tenu d’une seule main, se mit à jouer d’abord des accords et des arpèges, et ensuite une douce et plaintive mélodie bien connue, qu’il exécuta parfaitement et d’une manière très belle. Pendant que cet air se jouait, je saisis le bras de M. Home au-dessous du coude, et fis glisser doucement ma main jusqu’à ce qu’elle touchât le haut de l’accordéon. Pas un muscle ne bougeait. L’autre main de M. Home était sur la table, visible à tous les yeux, et ses pieds étaient sous les pieds de ceux qui étaient à côté de lui.

Ayant obtenu des résultats aussi frappants pendant nos expériences de l’accordéon dans la cage, nous nous tournâmes vers l’appareil de la balance déjà décrit. M. Home plaça légèrement la pointe de ses doigts sur l’extrême bout de la planche d’acajou qui reposait sur le support, pendant que le docteur et moi, assis chacun de notre coté, nous épiâmes les effets qui pourraient se produire. Presque immédiatement, nous vîmes l’aiguille de la balance qui descendait. Au bout de quelques secondes elle remonta. Ce mouvement se répéta plusieurs fois, comme sous des émissions successives de la Force psychique. Nous observâmes que, pendant l’expérience, le bout de la planche oscilla doucement, montant et descendant.

Puis M. Home, de son propre mouvement, prit une petite sonnette et une petite boîte à allumettes, en carton, qui se trouvaient près de lui et plaça un de ces objets sous chacune de ses mains, pour nous montrer qu’il n’exerçait pas la moindre pression. (Voyez la fig. ci-après.) L’oscillation très légère de la balance à ressort devint plus marquée, et le docteur, regardant l’index, constata qu’il le voyait descendre à six livres et demie. Le poids normal de la planche ainsi suspendue étant de trois livres, il s’ensuivait que la poussée supplémentaire était de trois livres et demie. En regardant, immédiatement après, l’enregistreur automatique, nous vîmes qu’à un moment donné l’index était descendu jusqu’à neuf livres, ce qui montrait que le poids normal d’une planche, qui était de trois livres, avait atteint une pesanteur maximum de six livres de plus.

Afin de voir s’il était possible de produire un effet notable sur la balance à ressort en exerçant une pression à l’endroit où M. Home avait mis ses doigts, je montai sur la table et me tins sur un pied à l’extrémité de la planche. Le docteur, qui observait l’index de la balance, dit que l’action du poids entier de mon corps (140 livres) ne faisait fléchir l’index que d’une livre et demie — ou de deux livres quand je donnais une secousse. Or, M. Home étant resté assis sur une chaise longue, n’aurait pu, eût-il fait tous les efforts possibles, exercer aucune influence matérielle sur ces résultats. J’ai à peine besoin d’ajouter que ses pieds ainsi que ses mains étaient surveillés de près.

Cette expérience me paraît encore plus concluante, peut-être, que celle de l’accordéon. Comme on le voit, la planche était placée horizontalement, et il faut noter qu’en aucun moment les doigts de M. Home ne s’avancèrent à plus d’un pouce et demi de l’extrémité de la planche, ce qui fut démontré par une marque de crayon que je lis au moment même. — Or, le pied en bois étant large aussi d’un pouce et demi et reposant à plat sur la table, il est évident qu’un accroissement de pression musculaire exercé dans cet espace d’un pouce et demi ne pouvait produire aucune action sur la balance.

Par conséquent, la disposition était celle d’un levier de trente-six pouces de long, dont le point d’appui se trouvait à un pouce et demi de l’un des bouts. Si donc M. Home avait exercé une pression dirigée vers le bas, elle aurait été en opposition avec la force qui faisait descendre l’autre extrémité de la planche.

La légère pression verticale indiquée par la balance lorsque j’étais debout sur la planche, était due probablement à ce que mon pied dépassait ce point d’appui.

Je viens de faire un exposé des faits, complet et sans fard, tiré des nombreuses notes écrites au moment des expériences, et rédigées en entier immédiatement après.

Quant à la cause de ces phénomènes, quant à la nature de la force, quant à la corrélation existant entre elle et les autres forces de la nature, je ne m’aventurerai pas à la moindre hypothèse. Dans des recherches qui se lient d’une manière si intime avec des conditions fort rares de physiologie et de psychologie, il est du devoir de l’investigateur de s’abstenir complètement de tout système de théories, jusqu’à ce qu’il ait rassemblé un nombre de faits suffisants pour former une base solide sur laquelle il puisse raisonner. En présence des étranges phénomènes jusqu’ici inexplorés et inexpliqués, qui se succèdent d’une manière si rapide, j’avoue qu’il est difficile de ne pas les décrire en un langage qui porte l’empreinte des sensations reçues. — Mais, pour être couronnée de succès, une enquête de ce genre doit être entreprise par le philosophe, sans préjugés ni sentimentalité. Il faut bannir complètement les idées romanesques et superstitieuses ; les pas de l’investigateur doivent être guidés par une raison aussi froide et aussi peu passionnée que les instruments dont il fait usage.

M. Cox écrit à ce propos à M. Crookes :

Les résultats me paraissent établir d’une manière concluante ce fait important : qu’il y a une force qui procède du système nerveux et qui est capable, dans la sphère de son influence, de donner aux corps solides du mouvement et du poids.

J’ai constaté que cette force était émise par pulsations intermittentes, et non sous la forme d’une pression fixe et continue, car l’index montait et baissait incessamment pendant l’expérience. Ce fait me semble d’une grande importance, parce qu’il tend à confirmer l’opinion qui lui donne pour source l’organisation nerveuse, et il contribue beaucoup à asseoir l’importante découverte du docteur Richardson d’une atmosphère nerveuse d’intensité variable enveloppant le corps humain.

Vos expériences confirment entièrement la conclusion à laquelle est arrivé le Comité de recherches de la « Dialectical Society », après plus de quarante séances d’essais et d’épreuves.

Permettez-moi d’ajouter que je ne vois rien qui puisse faire penser que cette force soit autre chose qu’une force émanant de l’organisation humaine, ou du moins s’y rattachant directement, et qu’en conséquence, comme toutes les autres forces de la nature, elle est pleinement du ressort de cette rigoureuse recherche scientifique, à laquelle vous avez été le premier à la soumettre.

Maintenant qu’il est acquis, par les preuves données par des appareils, que c’est un fait de la nature (et si c’est un fait, il est impossible d’en exagérer l’importance au point de vue de la physiologie et de la lumière qu’il doit jeter sur les lois obscures de la vie, de l’esprit et de la science médicale), sa discussion, son examen immédiat et sérieux ne peuvent pas ne pas être faits par les physiologistes et par tous ceux qui ont à cœur la connaissance de « l’homme », connaissance qui a été nommée avec raison « la plus noble étude de l’humanité ».

Pour éviter l’apparence de toute conclusion prématurée, je recommanderais d’adopter pour cette force un nom qui lui soit propre, et je me hasarde à suggérer l’idée qu’on pourrait l’appeler Force psychique ; que les personnes chez qui elle se manifeste avec une grande puissance s’appellent Psychistes, et que la science qui s’y rapporte se nomme Psychisme, comme étant une branche de la psychologie.

L’article qui précède a été publié séparément par William Crookes, en une brochure spéciale que j’ai sous les yeux 59 #id_origin59, et qui contient, de plus, l’étude suivante, non moins curieuse au point de vue anecdotique humain qu’au point de vue de la physique expérimentale.

Il est édifiant de comparer quelques-unes des critiques actuelles avec ce qu’on écrivait il y a un an, lorsque, pour la première fois, j’annonçai que j’étais sur le point de porter mes recherches sur les phénomènes appelés spirites : cette annonce provoqua un sentiment universel d’approbation. L’un dit que mes « desseins méritaient une respectueuse considération » ; l’autre exprima « sa profonde satisfaction que ce sujet fût sur le point d’être étudié par un homme aussi compétent que... » etc. ; un troisième était « satisfait d’apprendre que cette matière était soumise à l’attention d’hommes froids, clairvoyants, et occupant un rang distingué dans la science » ; un quatrième affirmait que « personne ne pouvait douter de la capacité de M. Crookes à conduire ces recherches avec une impartialité rigide et philosophique », et enfin un cinquième était assez bon pour dire à ses lecteurs : « Si des hommes, comme M. Crookes, n’admettant rien que ce qui est prouvé, s’attaquent à ce sujet, nous saurons bientôt ce que nous pourrons croire. »

Ces remarques, cependant, furent écrites trop vite. Ces écrivains tenaient pour certain que les résultats de mes expériences concorderaient avec leurs idées préconçues. Ce qu’ils désiraient réellement, ce n’était pas la « vérité », mais un témoignage de plus en faveur des propres opinions qu’ils s’étaient déjà faites. Lorsqu’il se trouva que les faits établis par cette enquête ne pouvaient pas favoriser ces opinions, pourquoi dirent-ils « tant pis pour les faits ! » Ils essayèrent de revenir adroitement sur leurs recommandations de confiance en l’enquête, en déclarant que « M. Home est un habile magicien qui nous a tous dupés. » « M. Crookes aurait pu, tout aussi bien, examiner les tours d’un jongleur indien ». « M. Crookes devra se procurer de meilleurs témoins avant qu’on puisse le croire » ; « La chose est trop absurde pour être traitée sérieusement. » « C’est impossible, et par conséquent cela ne peut pas être 60 #id_origin60 ». « Les observateurs ont tous été hallucinés, et se sont figuré voir des choses qui n’ont jamais réellement eu lieu. » Etc., etc.

Ces remarques impliquent un oubli curieux des devoirs du savant. Je suis à peine surpris que les contradicteurs, sans avoir fait aucune recherche personnelle, prétendent que j’ai été trompé, simplement parce qu’ils ne sont pas convaincus, puisque le même système d’arguments, qui n’a rien de scientifique, a été opposé à toutes les grandes découvertes. Lorsqu’on me dit que ce que je décris ne peut pas s’expliquer en s’accordant avec les idées qu’on s’est faites des lois de la nature, celui qui fait cette objection sort en réalité de la question même, et a recours à un mode de raisonnement qui condamnerait la science à l’immobilité. L’argument tourne dans ce cercle vicieux : on ne doit pas affirmer un fait avant d’être sur qu’il est d’accord avec les lois de la nature, tandis que notre seule connaissance des lois de la nature doit être basée sur une large observation des faits. Si un fait nouveau semble être en contradiction avec ce qu’on appelle une loi de la nature, cela ne prouve pas que le fait en question soit faux ; mais cela prouve seulement qu’on n’a pas encore bien établi quelles sont les lois de la nature, ou qu’on ne les connaît pas exactement.

Dans son discours d’ouverture prononcé cette année (1871) devant l’Association Britannique à Edimbourg, sir William Thomson a dit : « La science est tenue par l’éternelle loi de l’honneur à regarder en face et sans crainte tout problème qui peut franchement se présenter à elle. » Mon but, en mettant ainsi en lumière les résultats de séries d’expériences très remarquables, est de présenter un de ces problèmes que, d’après sir William Thomson, « la science est tenue par l’éternelle loi de l’honneur à regarder en face et sans crainte. » Il ne suffira pas de nier simplement son existence, ou d’essayer de l’ensevelir sous la moquerie. Qu’on se souvienne que je ne hasarde ni hypothèse, ni théorie quelles qu’elles soient ; j’affirme tout simplement certains faits, et n’ai qu’un seul objectif : — la vérité. Doutez, mais ne niez pas ; montrez, par la critique la plus sévère, ce que dans mes épreuves expérimentales, il faut considérer comme erreurs, et suggérez des essais plus concluants ; mais ne nous faites pas à la hâte traiter nos sens de témoins menteurs, parce qu’ils auront témoigné contre vos idées préconçues. Je dirai à mes critiques : Essayez des expériences ; cherchez avec soin et patience comme je l’ai fait. Si, après examen, vous découvrez fraude ou illusion, proclamez-le et dites comment cela s’est fait. Mais si vous trouvez que c’est un fait, avouez-le sans crainte, comme « par l’éternelle loi de l’honneur » vous êtes tenu de le faire.

Ici William Crookes rappelle les expériences et les conclusions du comte de Gasparin et de Thury exposées plus haut sur le fait du mouvement de corps sans contact, prouvé et démontré. Nous n’avons pas à y revenir. Il ajoute que la force ecténeique du professeur Thury et la force psychique sont des termes équivalents, et qu’il s’agit également ici de l’atmosphère nerveuse ou fluide du docteur Benjamin Richardson.

M. Crookes envoya ses observations à la Société Royale de Londres, dont il fait partie. Cette Société savante refusa ces mémoires. De toute évidence, on n’avait approuvé l’immixtion de l’ingénieux chimiste dans ses recherches occultes et hérétiques qu’avec l’idée qu’il démontrerait la fausseté de ces prodiges.

Le professeur Stokes, secrétaire, refusa de s’occuper de la question et d’en inscrire même le titre aux publications académiques. Ce fut exactement la répétition de ce qui était arrivé à l’Académie des Sciences de Paris, en 1853. M. Crookes dédaigna ces négations arbitraires et anti-scientifiques, et leur répondit simplement en publiant la description détaillée des expériences. Voici cette description, dans ses points essentiels :

La première fois, dit-il, que je tentai ces expériences, je pensais que le contact effectif des mains de M. Home et du corps suspendu, dont le poids devait être modifié, était, nécessaire à la manifestation de la force ; mais je m’aperçus ensuite que ce n’était pas une condition indispensable, et, en conséquence, je disposai mes appareils de la manière suivante : Les dessins qui suivent (fig. 1, 2, 3) montrent cette disposition. La figure 1 est une vue d’ensemble, et les figures 2 et 3 montrent plus en détail les parties essentielles. Les lettres de renvoi sont les mêmes dans chaque dessin. A B est une planche d’acajou de 0m 91 de long sur 0m 24 de large et 0m 025 d’épaisseur. Son extrémité B est suspendue à une balance à ressort C, munie d’un marqueur automatique D.

La balance est soutenue par un trépied très solide E.

La pièce suivante de l’appareil ne se voit pas dans les figures. À l’index mobile O de la balance à ressort est soudée une fine pointe d’acier qui se projette horizontalement en dehors. En face de la balance, et solidement fixé à elle, se trouve un cadre à coulisse portant une boîte plate semblable à la chambre noire d’un appareil photographique. Un mouvement d’horlogerie fait mouvoir cette boîte horizontale ment en face de l’index mobile, et elle renferme une feuille de verre à vitre, noircie à la fumée. La pointe d’acier qui fait saillie imprime une marque sur cette surface.

Si la balance est au repos, et que le mouvement d’horlogerie vienne à marcher, il en résulte une ligne horizontale parfaitement droite. Si le mouvement est arrêté, et qu’on place des poids sur l’extrémité B de la planche, il en résulte une ligne verticale dont la longueur dépend du poids appliqué. Si, pendant que le mouvement d’horlogerie entraîne la feuille de verre, le poids de la planche (ou la tension de la balance) vient à varier, il en résulte une ligne courbe, d’après laquelle on pourra calculer la tension en grammes, à n’importe quel moment de la durée des expériences.

L’instrument pouvait indiquer une diminution aussi bien qu’un accroissement de la force de gravitation ; des indications de cette diminution furent souvent obtenues. Cependant, pour éviter des complications, je ne parlerai ici que des résultats où un accroissement de cette force fut constaté.

L’extrémité B de la planche étant supportée par la balance à ressort, l’extrémité A est posée sur une bande de bois F, vissée à travers son côté plat et coupée en lame de couteau (voy. fig. 3). Ce point d’appui repose sur un banc de bois GH, solide et lourd. Sur la planche, juste au-dessus du point d’appui, est placé un large vase de verre I, rempli d’eau. L est une barre de fer massive, munie d’un bras et d’un anneau MN, dans lequel repose un vase en cuivre hémisphérique dont le fond est percé de plusieurs trous.

La barre de fer est à 2 pouces de la planche AB ; le bras et le vase de cuivre MN sont ajustés de telle sorte que ce dernier plonge dans l’eau d’un pouce et demi, et se trouve à 5 pouces et demi du fond du vase I, et à 2 pouces de sa circonférence. Si l’on secoue ou si l’on frappe le bras M ou le vase N, cela ne produit sur la planche AB aucun effet mécanique appréciable, qui puisse impressionner la balance. Si l’on plonge dans l’eau la main dans toute sa longueur au point N, cela ne produit pas sur la balance la moindre action sensible.

Comme la transmission mécanique de la puissance de M. Home est par ce moyen entièrement supprimée contre le vase de cuivre et la planche AB, il s’ensuit que le pouvoir de la force musculaire est complètement éliminé.

Dans la chambre ou les expériences se faisaient (ma propre salle à manger), il y a toujours eu une lumière suffisante pour voir tout ce qui se passait. De plus, j’ai répété les expériences non seulement avec M. Home, mais aussi avec une autre personne douée de la même faculté. Voici le détail de ces expériences :

EXPÉRIENCE I. — L’appareil ayant été convenablement disposé avant l’entrée de M. Home dans la chambre, il y fut introduit, et fut prié de mettre ses doigts dans l’eau du vase N. Il se leva, et y plongea le bout des doigts de sa main droite ; son autre main et ses pieds étaient tenus. Lorsqu’il dit qu’il sentait un pouvoir, une force ou une influence s’échapper de sa main, je fis marcher le mouvement d’horlogerie, et presque immédiatement on vit l’extrémité B de la planche descendre lentement et rester abaissée pendant vingt secondes ; puis elle descendit un peu plus bas, et ensuite elle remonta à sa hauteur ordinaire. Ensuite elle descendit de nouveau, remonta tout à coup, baissa encore graduellement pendant 47 secondes, et enfin se releva à sa hauteur normale et s’y maintint jusqu’à la fin de l’expérience. Le point le plus bas marqué sur le verre était équivalent à une poussée directe d’environ 5.000 grains 61 #id_origin61. La figure 4 est une reproduction de la courbe tracée sur la plaque de verre enduite de noir de fumée.

EXPÉRIENCES II. — Le contact par le moyen de l’eau ayant été démontré aussi efficace que le contact mécanique, je fus désireux de voir si la puissance ou force en question, pourrait impressionner le poids, soit par d’autres parties de l’appareil, soit au travers de l’air. Le vase de verre, la barre de fer, etc., furent donc écartés comme complication inutile, et M. Home plaça ses mains en P sur le support de l’appareil (fig. 1). Une personne de l’assistance plaça sa main sur les mains de M. Home, et son pied sur ses pieds : je l’observai aussi très attentivement pendant tout ce temps. Au moment voulu, le mouvement d’horlogerie fut remis en marche ; la planche descendit et monta d’une manière irrégulière et le résultat fut une courbe tracée sur le verre. La figure 5 en est la reproduction.

EXPÉRIENCE III. — Cette fois, M. Home fut placé à un pied de la planche AB, et par côté. Ses mains et ses pieds étaient solidement tenus par une personne placée près de lui. Une autre courbe, dont la figure 6 est la reproduction, fut obtenue en faisant mouvoir le verre fumé.

EXPÉRIENCE IV. — Cette expérience fut faite un jour que le fluide (le pouvoir) était très intense.

M. Home fut placé à trois pieds de l’appareil ; ses mains et ses pieds étaient solidement tenus. Quand il donna le signal, la machine fut mise en mouvement ; bientôt l’extrémité B de la planche descendit, puis remonta d’une façon irrégulière, comme le montre la figure 7.

Les expériences qui suivent furent faites avec un appareil plus délicat, et en l’absence de M. Home, avec une autre personne douée des mêmes facultés (une jeune dame).

Un morceau de parchemin mince A (fig. 8 et 9) est fortement tendu sur un cercle de bois. BC est un léger levier pivotant en D. À l’extrémité B se trouve une pointe d’aiguille verticale touchant la membrane A, et au point C se trouve une antre pointe d’aiguille, faisant saillie horizontalement, et touchant une lame de verre EF, noircie à la fumée. Cette lame de verre est entraînée dans la direction H G par le mouvement d’horlogerie K.

L’extrémité B du levier est chargée de telle manière qu’elle suit rapidement les mouvements du centre du disque A. Ces mouvements sont transmis à la lame de verre EF et y sont tracés par le moyen du levier et de la pointe d’aiguille C. Des trous sont percés dans les parois du cercle pour permettre à l’air de circuler librement au-dessous de la membrane. Au préalable, l’appareil fut éprouvé par moi-même et par d’autres personnes, afin de nous assurer que ni coup ni vibration sur la table ou sur le support ne troubleraient les résultats : la ligne tracée par la pointe C sur le verre fumé reste parfaitement droite, en dépit de tous nos efforts pour influencer le levier en secouant le support ou en frappant du pied sur le plancher.

EXPÉRIENCE V. — Sans qu’on lui eût expliqué le but de l’instrument, la dame fut amenée dans la chambre, et on la pria de poser ses doigts sur le support en bois aux points L, M (fig. 8). Je plaçai alors mes mains sur les siennes, pour découvrir tout mouvement de sa part, conscient ou inconscient. Bientôt on entendit des bruits (bruits de percussion) frappés sur le parchemin, semblables à ceux de grains de sable qu’on aurait jetés sur sa surface. À chaque coup, on voyait un fragment de graphite, que j’avais placé sur la membrane, être projeté en l’air à environ un cinquantième de pouce, et l’extrémité C du levier se mouvait légèrement et descendait. Quelquefois, les sons se succédaient aussi rapidement que ceux d’une machine d’induction, tandis que d’autres fois, il y avait plus d’une seconde d’intervalle. Cinq ou six courbes furent obtenues, et toujours on vit le mouvement de l’extrémité C du levier coïncider avec chaque vibration de la membrane.

Dans quelques cas, les mains de la dame ne furent pas aussi rapprochées de la membrane que les points L, N, mais elles se trouvèrent en N, O (fig. 9).

La figure 10 donne les tracés inscrits.

EXPÉRIENCE VI. — Ayant obtenu ces résultats en l’absence de M. Home, j’étais impatient de voir quelle action sa présence produirait sur l’instrument. En conséquence, je le priai de l’essayer, mais sans lui en donner l’explication.

Je saisis son bras au-dessus du poignet, et je tins sa main au-dessus de la membrane, à environ 10 pouces de sa surface, et dans la position dessinée en P (fig. 9). Un ami tenait son autre main. Après être demeuré dans cette position environ une demi-minute, M. Home déclara qu’il sentait le fluide passer. Alors je fis marcher le mouvement d’horlogerie, et nous vîmes tous l’index C qui montait et descendait. Les mouvements étaient beaucoup plus lents que dans le cas précédent, et n’étaient pas du tout accompagnés des coups vibrants dont j’ai parlé.

Les figures 11 et 12 montrent les courbes produites sur les glaces dans deux de ces cas.

Ces expériences mettent hors de doute les conclusions auxquelles je suis arrivé dans mon précédent mémoire, savoir : l’existence d’une force associée, d’une manière encore inexpliquée, à l’organisme humain, force par laquelle un surcroît de poids peut être ajouté à des corps solides, sans contact effectif.

Maintenant que j’ai pu observer davantage M. Home, je crois découvrir ce que cette force physique emploie pour se développer. En me servant des termes de force vitale, énergie nerveuse, je sais que j’emploie des mots qui, pour bien des investigateurs, prêtent à des significations différentes ; mais après avoir été témoin de l’état pénible de prostration nerveuse et corporelle dans laquelle quelques-unes de ces expériences ont laissé M. Home, après l’avoir vu dans un état de défaillance presque complète, étendu sur le plancher, pâle et sans voix, je puis à peine douter que l’émission de la force psychique ne soit accompagnée d’un épuisement correspondant de la force vitale.

Pour être témoin des manifestations de cette force, il n’est pas nécessaire d’avoir accès auprès de psychistes en renom. Cette force est probablement possédée par tous les êtres humains, quoique les individus qui en sont doués avec une énergie extraordinaire soient sans doute rares. Pendant l’année qui vient de s’écouler, j’ai rencontré, dans l’intimité de quelques familles, cinq ou six personnes qui possèdent cette force d’une manière assez puissante pour m’inspirer pleinement la confiance que, par leur moyen, on aurait pu obtenir des résultats analogues à ceux qui viennent d’être décrits, quoique moins intenses.

Ces expériences ont continué d’être l’objet d’une critique acharnée de la part des savants officiels anglais, qui se sont absolument refusés à en admettre la valeur. M. Crookes s’est quelquefois amusé à répondre à ces attaques grotesques, sans convaincre naturellement ses contradicteurs intransigeants. Il serait superflu de reproduire ici ces réponses que l’on trouve dans l’édition française des Recherches. Le savant chimiste a fait mieux : il a continué ses recherches dans ce domaine de l’Inconnu, et a obtenu des résultats plus remarquables encore — et encore plus extraordinaires, plus inexplicables, plus incompréhensibles.

Voici la suite de ses notes.

Ainsi qu’un voyageur qui explore quelque contrée lointaine, dont les merveilles n’ont été jusqu’alors connues que par des rumeurs et des récits d’un caractère vague et peu exact ; ainsi depuis quatre ans je poursuis assidûment des recherches dans une région des sciences naturelles qui offre à l’homme de science un sol presque vierge.

De même que le voyageur aperçoit dans les phénomènes naturels dont il peut être témoin l’action de forces gouvernées par des lois naturelles, là où d’autres ne voient que l’intervention capricieuse de dieux offensés ; de même je me suis efforcé de tracer l’opération des lois et des forces de la nature, là où d’autres n’ont vu que l’action d’êtres surnaturels, ne dépendant d’aucune loi, et n’obéissant à aucune autre force que celle de leur libre volonté.

Les divers phénomènes que je viens attester sont si extraordinaires et si complètement opposés aux points de croyance scientifique les plus enracinés, — entre autres l’universelle et invariable action de la force de gravitation, — que même à présent, en me rappelant les détails de ce dont j’ai été témoin, il y a antagonisme dans mon esprit entre ma raison, qui prétend que c’est scientifiquement impossible, et le témoignage de mes deux sens de la vue et du toucher (témoignage corroboré par les sens de toutes les personnes présentes) qui m’assurent qu’ils ne sont point des témoins menteurs.

Supposer qu’une sorte de folie ou d’illusion vienne fondre soudainement sur toute une réunion de personnes intelligentes, saines d’esprit, qui sont d’accord sur les moindres particularités et les détails des faits dont elles sont témoins, me paraît plus inadmissible que les faits mêmes qu’elles attestent.

Le sujet est beaucoup plus difficile et plus vaste qu’il ne le paraît. Il y a quatre ans de cela, j’eus l’intention de consacrer un ou deux mois seulement à m’assurer si certains faits merveilleux dont j’avais entendu parler pourraient soutenir l’épreuve d’un examen rigoureux. Mais étant bientôt arrivé à la même conclusion que tout chercheur impartial : c’est-à-dire qu’il « y a là quelque chose », je ne pouvais plus, moi, l’étudiant des lois de la nature, me refuser à continuer ces recherches, quel que fût le point où elles pourraient me conduire. C’est ainsi que quelques mois se changèrent en quelques années, et si je pouvais disposer de tout mon temps, il est probable que ces recherches se poursuivraient encore.

Mon but principal est de faire connaître ici la série des manifestations qui se sont produites chez moi, en présence de témoins dignes de foi, et sous les conditions de contrôle les plus sévères que j’aie pu imaginer. De plus, chaque fait que j’ai observé est corroboré par des observateurs indépendants qui l’ont observé en d’autres temps et d’autres lieux. On verra que tous ces faits ont le caractère le plus surprenant, et qu’ils semblent tout à fait inconciliables avec les théories connues de la science moderne. M’étant assuré de leur réalité, ce serait une lâcheté morale de leur refuser mon témoignage, parce que mes publications précédentes ont été ridiculisées par des critiques et autres gens qui ne connaissaient rien de ce sujet, et qui ont trop de préjugés pour voir et juger par eux-mêmes. Je dirai tout simplement ce que j’ai vu, et ce qui m’a été prouvé par des expériences répétées et contrôlées.

Excepté en quelques circonstances pour lesquelles l’obscurité a été une condition indispensable, comme par exemple les phénomènes d’apparitions lumineuses et quelques autres cas, tout ce que je rapporte a eu lieu à la lumière. Dans les quelques cas où les phénomènes décrits se sont produits dans l’obscurité, j’ai pris soin de le mentionner ; de plus, lorsque quelque raison particulière a exigé l’exclusion de la lumière, les résultats qui se sont manifestés l’ont été sous des conditions de contrôle si parfait, que la suppression d’un de nos sens n’a réellement pas pu affaiblir la preuve fournie.

J’ai dit que l’obscurité n’est pas essentielle. Cependant, c’est un fait bien reconnu que, lorsque la force est faible, une lumière vive exerce une action qui contrarie quelques-uns des phénomènes. La puissance de M. Home est assez intense pour surmonter cette influence contraire ; aussi n’admet-il pas l’obscurité pour ses séances. Excepté en deux circonstances, pour quelques expériences spéciales, tout ce dont j’ai été témoin a été produit par lui en pleine clarté. J’ai eu maintes occasions d’essayer l’action de la lumière provenant de différentes sources et de couleurs variées : — lumière du soleil, — lumière diffuse, — clair de lune, — gaz, — lampe, — bougie, — lumière électrique, — lumière jaune homogène, etc. — Les rayons qui contrarient les manifestations semblent être ceux de l’extrémité violette du spectre.

M. Crookes procède ici à la classification des phénomènes observés par lui, en allant des plus simples aux plus complexes, et en donnant rapidement, dans chaque chapitre, un aperçu de quelques-uns des faits.

PREMIÈRE CLASSE : Mouvement de corps pesants avec contact, mais sans effort mécanique. (Ce mouvement a été surabondamment prouvé dans tout ce livre, et il serait superflu d’y insister.)

DEUXIÈME CLASSE : Phénomènes de percussion et autres sons de même nature.

Une question importante s’impose ici, écrit l’auteur : Ces mouvements et ces bruits sont-ils gouvernés par une intelligence ? Dès le premier début de mes recherches, j’ai constaté que le pouvoir qui produit ces phénomènes n’est pas simplement une force aveugle, mais qu’une intelligence le dirige ou, du moins, lui est associée. Ainsi, les bruits ont été répétés un nombre de fois déterminé ; ils sont devenus forts ou faibles, et, à ma demande, ils ont résonné dans différents endroits ; par un vocabulaire de signaux convenus à l’avance, il a été répondu à des questions, et des messages ont été donnés avec une exactitude plus ou moins grande.

L’intelligence qui gouverne ces phénomènes est quelquefois manifestement inférieure à celle du médium, et elle est souvent en opposition directe avec ses désirs. Quand une détermination a été prise de faire quelque chose qui ne pouvait pas être considéré comme bien raisonnable, j’ai vu donner de pressants messages pour engager à réfléchir de nouveau. Cette intelligence est quelquefois d’un caractère tel qu’on est conduit à penser qu’elle n’émane d’aucun de ceux qui sont présents.

TROISIÈME CLASSE : Altération du poids des corps. (Expériences qui viennent d’être exposées.)

QUATRIÈME CLASSE : Mouvements d’objets pesants placés à distance du médium.

Les exemples ou des corps lourds, tels que tables, chaises, canapés, etc., ont été mis en mouvement, sans le contact du médium, sont très nombreux. J’en indiquerai brièvement quelques-uns des plus frappants. Ma propre chaise a en partie décrit un cercle, mes pieds ne posant pas sur le parquet. Sous les yeux de tous les assistants, une chaise est venue lentement, d’un coin éloigné de la chambre, et toutes les personnes présentes l’ont constaté ; dans une autre circonstance, un fauteuil vint jusqu’à l’endroit où nous étions assis, et sur ma demande, il s’en retourna lentement, à la distance d’environ trois pieds. Pendant trois soirées consécutives, une petite table se mut lentement à travers la chambre, dans des conditions que j’avais tout exprès préparées à l’avance, afin de répondre à toute objection qu’on aurait pu élever contre ce fait. J’ai obtenu plusieurs fois la répétition d’une expérience que le comité de la Société Dialectique a considérée comme concluante, savoir : le mouvement d’une lourde table en pleine lumière, le dos des chaises étant tourné vers la table, et chaque personne étant agenouillée sur sa chaise, les mains appuyées sur le dossier, mais ne touchant pas la table. Une fois, ce fait se produisit pendant que j’allais et venais, cherchant à voir comment chacun était placé.

CINQUIÈME CLASSE : Tables et chaises enlevées de terre sans l’attouchement de personne. (Il serait bien superflu d’y revenir.)

SIXIÈME CLASSE : Enlèvement de corps humains.

Les cas d’enlèvement les plus frappants dont j’ai été témoin ont eu lieu avec M. Home. En trois circonstances différentes, je l’ai vu s’élever complètement au-dessus du plancher de la chambre. La première fois, il tait assis sur une chaise longue ; la seconde, il était à genoux sur sa chaise, et la troisième, il était debout. En chaque circonstance, j’eus toute facilité de contrôler le fait.

Il y a au moins cent cas bien constatés de l’enlèvement de M. Home, qui se sont produits en présence d’un grand nombre de personnes différentes ; et j’ai entendu de la bouche même de trois témoins, le comte de Dunraven, lord Lindsay et le capitaine C. Wynne, le récit des faits de ce genre les plus frappants, accompagné des moindres détails de ce qui se passa. Rejeter l’évidence de ces manifestations équivaut à rejeter tout témoignage humain, quel qu’il soit, car il n’est pas de fait, dans l’histoire sacrée ou dans l’histoire profane, qui s’appuie sur des preuves plus certaines.

SEPTIÈME CLASSE : Mouvement de divers petits objets sans le contact de personne. (Comme pour la 6° classe, trop commun également pour insister.)

HUITIÈME CLASSE : Apparitions lumineuses.

Ces manifestations étant un peu faibles exigent, en général, que la, chambre ne soit pas éclairée. J’ai à peine besoin de rappeler que, dans de pareilles conditions, j’ai pris toutes les précautions convenables pour éviter qu’on ne m’en imposât par de l’huile phosphorée ou par d’autres trucs. Bien plus, beaucoup de ces lumières étaient d’une nature telle que je n’ai pu arriver à les imiter par des moyens artificiels.

Sous les conditions du contrôle le plus rigoureux, j’ai vu un corps solide, lumineux par lui-même, à peu près de la grosseur et de la forme d’un œuf de dinde, flotter sans bruit à travers la chambre, s’élever par moments plus haut que n’aurait pu faire aucun des assistants en se tenant sur la pointe des pieds, et ensuite descendre doucement sur le parquet. Cet objet fut visible pendant plus de dix minutes, et, avant de s’évanouir, frappa trois fois la table avec un bruit semblable à celui d’un corps dur et solide.

Pendant ce temps, le médium était étendu sur une chaise longue et paraissait tout à fait insensible.

J’ai vu des points lumineux jaillir de côté et d’autre et se reposer sur la tête de différentes personnes ; j’ai eu réponse à des questions que j’avais faites par des éclats de lumière brillante qui se sont produits devant mon visage et le nombre de fois que j’avais fixé. J’ai vu des étincelles de lumière s’élancer de la table au plafond, et ensuite retomber sur la table avec un bruit très distinct. J’ai obtenu une communication alphabétique au moyen d’éclairs lumineux, se produisant dans l’air, devant moi, et au milieu desquels je promenais ma main. J’ai vu un nuage lumineux flotter au-dessus d’un tableau. Toujours en des conditions de contrôle absolument rigoureux, il m’est arrivé plus d’une fois qu’un corps solide, phosphorescent, cristallin, a été mis dans ma main par une main qui n’appartenait à aucune des personnes présentes. En pleine lumière, j’ai vu un nuage lumineux planer sur un héliotrope placé sur une table à côté de nous, en casser une branche, et l’apporter à une dame ; et j’ai vu également un nuage semblable se condenser sous nos yeux en prenant la forme d’une main et transporter de petits objets.

NEUVIÈME CLASSE : Apparitions de mains, lumineuses par elles-mêmes, ou visibles à la lumière ordinaire.

On sent souvent des attouchements de mains pendant les séances obscures ou dans des conditions où l’on ne peut les voir ; mais je n’ai vu ces mains que rarement.

Dans une séance en pleine lumière, une petite main, d’une forme très belle, s’éleva d’une table de salle à manger et m’offrit une fleur ; elle apparut, puis disparut à trois reprises différentes, en me donnant toute facilité de me convaincre que cette apparition était aussi réelle que ma propre main. Ce fait s’est produit en pleine lumière, dans mon cabinet, les pieds et les mains du médium étant tenus par moi avec certitude.

Dans une autre circonstance, une petite main et un petit bras, semblables à ceux d’un enfant, apparurent se jouant sur une dame qui était assise près de moi. Puis l’apparition vint à moi, me frappa sur le bras, et tira plusieurs fois mon habit.

Une autre fois, un doigt et un pouce furent vus arrachant les pétales d’une fleur qui était à la boutonnière de M. Home, et les déposant devant les personnes assises près de lui.

Nombre de fois, moi-même et d’autres personnes avons vu une main pressant les touches d’un accordéon, pendant qu’au même moment nous voyions les deux mains du médium, qui étaient tenues par ses voisins.

Les mains et les doigts ne m’ont pas toujours paru être solides et comme vivants. Quelquefois ils offraient plutôt l’apparence d’un nuage vaporeux condensé en partie sous forme de main. Tous les assistants ne le voyaient pas également bien. Par exemple, on voit se mouvoir une fleur ou quelque autre petit objet : un des assistants verra une vapeur lumineuse planer au-dessus ; un autre découvrira une main d’apparence nébuleuse, tandis que d’autres ne verront rien autre chose que la fleur en mouvement. J’ai observé plus d’une fois, d’abord un objet se mouvant, puis un nuage lumineux qui semblait se former autour de lui, et enfin le nuage se condensant, prenant une forme, et se changeant en une main parfaitement faite. À ce moment, toutes les personnes présentes pouvaient voir cette main. Cette main n’est pas toujours une simple forme, quelquefois elle semble parfaitement animée et très gracieuse ; les doigts se meuvent et la chair semble être aussi humaine que celle d’une main normale. Au poignet ou au bras, elle devient vaporeuse, et se perd dans un nuage lumineux.

Au toucher, ces mains paraissent quelquefois froides comme de la glace et mortes ; d’autres fois, elles m’ont semble chaudes et vivantes, et ont serré la mienne avec la ferme étreinte d’un vieil ami.

J’ai retenu une de ces mains dans la mienne, bien résolu à ne pas la laisser échapper. Aucune tentative ni aucun effort n’ont été essayés pour me faire lâcher prise, mais peu à peu cette main sembla se résoudre en vapeur, et ce fut ainsi qu’elle se dégagea de mon étreinte.

DIXIÈME CLASSE : Écriture directe. (Le savant chimiste cite quelques exemples remarquables obtenus par lui. Nous n’avons pas à en parler dans cet ouvrage-ci).

ONZIÈME CLASSE : Formes et figures de fantômes.

Ces phénomènes sont les plus rares de tous ceux dont j’ai été témoin. Les conditions nécessaires pour leur apparition semblent être si délicates, et il faut si peu de chose pour contrarier leur manifestation, que je n’ai eu que de très rares occasions de les voir en des conditions de contrôle satisfaisantes. Je mentionnerai deux de ces cas.

Au déclin du jour, pendant une séance de M. Home chez moi, je vis s’agiter les rideau d’une fenêtre, qui était environ à huit pieds de distance de M. Home. Une forme sombre, obscure, demi-transparente, semblable à une forme humaine, fut aperçue par tous les assistants, debout près de la croisée, et cette forme agitait les rideaux avec sa main. Pendant que nous la regardions, elle s’évanouit, et les rideaux cessèrent de se mouvoir.

Le cas qui suit est encore plus frappant. Une forme de fantôme s’avança d’un coin de la chambre, alla prendre un accordéon, et ensuite glissa à travers la pièce en jouant de cet instrument. Cette forme fut visible pendant plusieurs minutes pour toutes les personnes présentes, et, en même temps, on voyait aussi M. Home. Le fantôme s’approcha d’une dame qui était assise à une certaine distance du reste des assistants ; cette dame poussa un petit cri, à la suite duquel l’ombre disparut.

DOUZIÈME CLASSE : Cas particuliers semblant indiquer l’action d’une intelligence extérieure.

Il a déjà été prouvé que ces phénomènes sont gouvernés par une intelligence. Il serait très important de connaître la source de cette intelligence. Est-ce celle du médium ou bien celle d’une des personnes réunies en séance, ou bien cette intelligence est-elle en dehors d’elles ? Sans vouloir à présent me prononcer positivement sur ce point, je puis dire que, tout en constatant que dans bien des cas la volonté et l’intelligence du médium ont paru avoir beaucoup d’action sur les phénomènes, j’ai observé aussi plusieurs cas qui semblent montrer d’une manière concluante l’action d’une intelligence extérieure et étrangère à toutes les personnes présentes. L’espace ne me permet pas de donner ici tous les arguments qu’on peut mettre en avant pour prouver ces assertions, mais parmi un grand nombre de faits j’en mentionnerai brièvement un ou deux.

En ma présence, plusieurs phénomènes se sont produits en même temps, et le médium ne les connaissait pas tous. Il m’est arrivé de voir Mlle Fox écrire automatiquement une communication pour un des assistants, tandis qu’une autre communication sur un autre sujet lui était donnée pour une autre personne au moyen de l’alphabet et par « coups frappés », et pendant tout ce temps le médium causait avec une troisième personne, sans le moindre embarras, sur un sujet tout à fait diffèrent des deux autres 62 #id_origin62.

Un cas peut-être plus frappant est le suivant. Pendant une séance avec M. Home, la petite latte dont je m’étais servi pour des communications par l’écriture, traversa la table pour venir à moi en pleine lumière, et me dicta des mots en me frappant sur la main. J’épelais l’alphabet, et la latte me frappait aux lettres qu’il fallait. L’autre bout de la latte posait sur la table, à une certaine distance des mains de M. Home.

Les coups étaient si nets et si précis, et la règle était si évidemment sous l’influence d’une puissance invisible qui dirigeait ses mouvements, que je dis : « L’intelligence qui dirige les mouvements de cette règle peut-elle changer le caractère de ses mouvements, et me donner au moyen de coups frappés sur ma main un message télégraphique avec l’alphabet de Morse ? »

J’ai toutes les raisons pour croire que l’alphabet Morse était tout à fait inconnu des personnes présentes, et moi-même je ne le connaissais qu’imparfaitement. J’avais à peine prononcé ces paroles que le caractère des coups frappés changea ; et le message fut continué de la manière que j’avais demandée. Les lettres me furent données trop rapidement pour pouvoir faire autre chose que de saisir un mot par-ci par-là, et par conséquent ce message fut perdu ; mais j’en avais assez vu pour me convaincre qu’à l’autre bout de la latte il y avait un bon opérateur de Morse, quel qu’il put être d’ailleurs.

Encore un autre exemple. Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette. J’essayai de découvrir le moyen de prouver que ce qu’elle écrivait n’était pas dû à l’action inconsciente du cerveau. La planchette, comme elle le fait toujours, affirmait que quoi qu’elle fut mise en mouvement par la main et le bras de cette dame, l’intelligence qui la dirigeait était celle d’un être invisible, qui jouait du cerveau de la dame comme d’un instrument de musique, et faisait ainsi mouvoir ses muscles.

Je dis alors à cette intelligence : « Voyez-vous ce qu’il y a dans cette chambre ? — Oui, écrivit la planchette. — Voyez-vous ce journal et pouvez-vous le lire ? ajoutai-je, en mettant mon doigt sur un numéro du Times qui était sur une table derrière moi, mais sans le regarder. — Oui, répondit la planchette. — Bien, dis-je, si vous pouvez le voir, écrivez le mot qui est maintenant couvert par mon doigt, et je vous croirai. » La planchette commença à se mouvoir lentement et, non sans une grande difficulté, elle écrivit le mot « however » Je me retournai, et je vis que le mot however était couvert par le bout de mon doigt.

Lorsque je fis cette expérience, j’avais évité à dessein de regarder le journal, et il était impossible à la dame, l’eût-elle essayé, de voir un seul des mots imprimés, car elle était assise à une table, le journal était sur une autre table derrière moi, et mon corps lui en cachait la vue.

TREIZIÈME CLASSE : Manifestations diverses d’un caractère composé. — M. Crookes cite ici deux exemples de transport de la matière à travers la matière : une sonnette passant d’une salle voisine dans celle où ils étaient réunis, et une fleur se détachant elle-même d’un bouquet et passant à travers la table.

L’espace me manque pour donner ici plus de détails ; mais tous mes lecteurs apprécient assurément comme moi l’importance de ces expériences de l’éminent chimiste. J’appellerai surtout l’attention sur les preuves d’intelligence étrangère, sur les formations de mains et de fantômes et sur le passage de la matière à travers la matière.

Ces expériences datent des années 1871 à 1873. En cette dernière année, un nouveau médium, doué de facultés particulièrement remarquables, se manifestait à Londres : Mlle Florence Cook, née en 1856, et, par conséquent, alors âgée de 17 ans. Dès l’année précédente, en 1872, elle avait vu souvent apparaître auprès d’elle une ombre de jeune fille qui l’avait prise en affection, et qui lui disait se nommer Katie King dans l’autre monde, et avoir été une dame Annie Morgan pendant l’une de ses existences terrestres. Un certain nombre d’observateurs racontaient des merveilles de ces apparitions, qu’ils voyaient aussi, entre autres M. William Harrison, M. Benjamin Coleman, M. Luxmore, le Dr Sexton, le Dr Gully, le prince de Sayn Wittgenstein, qui en ont publié des relations convaincues.

M. William Crookes entra en relation avec ce nouveau médium en décembre 1873. Le journal The Spiritualist, rédigé par M. Harrison, dans la famille duquel plusieurs séances avaient eu lieu, a imprimé en février et mars 1874 deux lettres du savant chimiste 63 #id_origin63, dont voici quelques extraits :

J’ai des raisons pour être certain que le pouvoir à l’œuvre dans ces phénomènes est comme l’amour, et qu’il « se rit des serrures ».

La séance dont vous parlez, et à laquelle j’ai assisté, s’est tenue dans la maison de M. Luxmore ; le « cabinet » était un arrière-salon séparé par un rideau de la chambre de devant, dans laquelle se réunissaient les invités.

La formalité ordinaire d’inspecter la chambre et d’examiner les fermetures ayant été effectuée, Mlle Cook pénétra dans le cabinet.

Au bout de peu de temps, la forme de Katie apparut à côté du rideau ; mais elle rentra aussitôt, en disant que son médium n’était pas bien et ne pouvait pas être mis dans un sommeil suffisamment profond pour qu’il fût sans danger pour elle de s’en éloigner.

J’étais placé à quelques pieds du rideau derrière lequel Mlle Cook était assise, le touchant presque, et je pouvais fréquemment entendre ses plaintes et ses sanglots, comme si elle eût souffert. Ce malaise continua par intervalles pendant presque toute la durée de la séance, et une fois, comme la forme de Katie était debout devant moi dans la chambre, j’entendis distinctement le son d’un sanglot plaintif, identique à ceux que M lle Cook avait fait entendre par intervalles, et qui venait de derrière le rideau où elle devait être assise.

J’avoue que la figure était frappante d’apparence de vie et de réalité, et autant que je pouvais distinguer à la lumière un peu indécise, ses traits ressemblaient à ceux de Mlle Cook ; mais cependant la preuve positive donnée par un de mes sens, que le soupir venait de Mlle Cook, dans le cabinet, tandis que la figure était au dehors, cette preuve, dis-je, est trop forte pour être renversée par une simple supposition.

Vos lecteurs, Messieurs, me connaissent, et voudront bien croire, j’espère, que je n’adopterai pas précipitamment une opinion, ni que je ne leur demanderai pas d’être d’accord avec moi, d’après une preuve insuffisante. C’est peut-être trop espérer que de penser que le petit incident que j’ai mentionné aura pour eux le même poids que celui qu’il a eu pour moi. Mais je leur demanderai ceci : Que ceux qui inclinent à juger durement Mlle Cook suspendent leur jugement jusqu’à ce que j’apporte une preuve certaine, qui, je le crois, sera suffisante pour résoudre la question.

En ce moment, Mlle Cook se consacre exclusivement à une série de séances privées auxquelles n’assistent qu’un ou deux de mes amis et moi. Ces séances se prolongeront probablement pendant quelques mois, et j’ai la promesse que toute preuve que je désirerai me sera donnée. Déjà, je suis pleinement convaincu de la sincérité et de l’honnêteté parfaite de Mlle Cook, et j’ai tout lieu de croire que les promesses que Katie m’a faites seront tenues.

WILLIAM CROOKES.

Voici la seconde lettre du prudent expérimentateur.

Dans une lettre que j’ai écrite à ce journal au commencement de février dernier, je parlais de formes d’esprits qui s’étaient manifestées par la médiumnité de Mlle Cook, et je disais : « Que ceux qui inclinent à juger durement Mlle Cook suspendent leur jugement jusqu’à ce que j’apporte une preuve certaine qui, je le crois, sera suffisante pour résoudre la question. »

Dans cette lettre, je décrivais un incident qui, selon moi, était très propre à me convaincre que Katie et Mlle Cook étaient deux êtres matériels différents. Lorsque Katie était hors du cabinet, debout devant moi, j’entendis un son plaintif venant de Mlle Cook qui était dans le cabinet. Je suis heureux de dire aujourd’hui que j’ai obtenu « la preuve absolue » dont je parlais dans la lettre ci-dessus mentionnée.

Le 12 mars, pendant une séance chez moi, et après que Katie eut marché au milieu de nous, qu’elle nous eut parlé pendant quelque temps, elle se retira derrière le rideau qui séparait mon laboratoire, où l’assistance était réunie, de ma bibliothèque qui, temporairement, faisait l’office de cabinet. Au bout d’un moment, elle revint au rideau et m’appela à elle en disant : « Entrez dans la chambre, et soulevez la tête de mon médium : elle a glissé à terre. » Katie était alors debout devant moi, vêtue de sa robe blanche habituelle et coiffée de son turban. Immédiatement, je me dirigeai vers la bibliothèque pour relever Mlle Cook, et Katie fit quelques pas de côté pour me laisser passer. En effet, Mlle Cook avait glissé en partie de dessus le canapé, et sa tête pendait dans une position très pénible. Je la remis sur le canapé, et malgré l’obscurité, j’eus la vive satisfaction de constater que Mlle Cook n’était pas revêtue du costume de Katie, mais qu’elle portait son vêtement ordinaire de velours noir, et gisait en une profonde léthargie. Il ne s’était pas écoulé plus de trois secondes entre le moment ou je vis Katie en robe blanche devant moi, et celui où je relevai Mlle Cook sur le canapé en la tirant de la position où elle se trouvait.

En retournant à mon poste d’observation, Katie apparut de nouveau, et annonça qu’elle espérait pouvoir se montrer à moi en même temps que son médium. Le gaz fut baissé, et elle me demanda une lampe à phosphore que j’avais préparée. Après s’être montrée à sa lueur pendant quelques secondes, elle me la remit dans les mains en disant : « Maintenant, entrez, et venez voir mon médium. » Je la suivis de près dans ma bibliothèque et, à la lueur de ma lampe, je vis Mlle Cook reposant sur le sofa exactement comme je l’y avais laissée. Je regardai autour de moi pour voir Katie, mais elle avait disparu. Je l’appelai, mais je ne reçus pas de réponse.

Je repris ma place et Katie reparut bientôt, et me dit que tout le temps elle était restée debout auprès de Mlle Cook. Elle demanda alors si elle ne pourrait pas elle-même essayer une expérience, et prenant de mes mains la lampe à phosphore, elle passa derrière le rideau, me priant de ne pas regarder dans le cabinet pour le moment. Au bout de quelques minutes, elle me rendit la lampe en me disant qu’elle n’avait pas pu réussir, qu’elle avait épuisé tout le fluide du médium, mais qu’elle essayerait de nouveau une autre fois. Mon fils aîné, un garçon de quatorze ans, qui était assis en face de moi, dans une position telle qu’il pouvait voir derrière le rideau, me déclara qu’il avait vu distinctement la lampe à phosphore paraissant flotter dans l’espace au-dessus de Mlle Cook, et l’éclairant pendant qu’elle était étendue sans mouvement sur le sofa, mais qu’il n’avait pu voir personne tenir la lampe.

Je passe maintenant à notre réunion d’hier soir à Hackney. Jamais Katie ne m’était apparue avec une aussi grande perfection ; pendant près de deux heures elle s’est promenée dans la chambre, en causant familièrement avec tous les assistants. Plusieurs fois elle prit mon bras en marchant, et mon impression que c’était une femme vivante qui se trouvait à côté de moi, et non pas une ombre de l’autre monde, cette impression, dis-je, fut si forte, que la tentation de répéter une récente et curieuse expérience devint presque irrésistible.

Pensant donc que si je n’avais pas un esprit près de moi, il y avait tout au moins une dame, je lui demandai la permission de la prendre dans mes bras, afin de me permettre de vérifier les intéressantes observations qu’un expérimentateur hardi avait récemment fait connaître d’une manière tant soit peu prolixe. Cette permission me fut gracieusement accordée, et en conséquence, j’en usai — comme tout homme bien élevé peut le faire. — Je pus constater que le « fantôme » (qui, du reste, ne fit aucune résistance) était un être aussi matériel que Mlle Cook elle-même.

Katie assura alors qu’elle se croyait capable de se montrer en même temps que Mlle Cook. Je baissai le gaz, et ensuite, avec ma lampe à phosphore, je pénétrai dans la pièce qui servait de cabinet. Mais préalablement, j’avais prié un de mes amis, qui est habile sténographe, de noter toute observation que je pourrais faire pendant que je serais dans ce cabinet, car je connais l’importance qui s’attache aux premières impressions, et je ne voulais pas me confier à ma mémoire plus qu’il n’était nécessaire. Ses notes sont en ce moment devant moi.

J’entrai dans la chambre avec précaution ; il y faisait noir, et ce fut à tâtons que je cherchai Mlle Cook. Je la trouvai accroupie sur le plancher.

M’agenouillant, je laissai l’air entrer dans ma lampe, et à sa lueur je vis cette jeune fille vêtue de velours noir, comme elle l’était au début de la séance, et ayant toute l’apparence d’être complètement insensible. Elle ne bougea pas lorsque je pris sa main et tins la lampe tout à fait près de son visage, et continua à respirer paisiblement.

Élevant la lampe, je regardai autour de moi, et je vis Katie qui se tenait debout, tout près de M lle Cook, et derrière elle. Elle était vêtue d’une draperie blanche et flottante comme nous l’avions déjà vue pendant la séance. Tenant une des mains de Mlle Cook dans la mienne, et m’agenouillant encore, j’élevai et j’abaissai la lampe, tant pour éclairer la figure entière de Katie que pour pleinement me convaincre que je voyais bien réellement la vraie Katie que j’avais pressée dans mes bras quelques minutes auparavant, et non pas le fantôme d’un cerveau malade. Elle ne parla pas, mais elle remua la tête en signe de reconnaissance. Par trois fois différentes, j’examinai soigneusement Mlle Cook accroupie devant moi, pour m’assurer que la main que je tenais était bien celle d’une femme vivante et, à trois reprises différentes, je tournai ma lampe vers Katie pour l’examiner avec une attention soutenue, jusqu’à ce que je n’eusse plus le moindre doute qu’elle était bien là devant moi. À la fin, Mlle Cook fit un léger mouvement, et aussitôt Katie me fît signe de m’éloigner. Je me retirai dans une autre partie du cabinet et cessai alors de voir Katie, mais je ne quittai pas la chambre jusqu’à ce que Mlle Cook se fût éveillée et que deux des assistants eussent pénétré avec de la lumière.

Avant de terminer cet article, je désire faire connaître quelques-unes des différences que j’ai observées entre Mlle Cook et Katie. La taille de Katie est variable : chez moi, je l’ai vue plus grande de six pouces que Mlle Cook. Hier soir, ayant les pieds nus et ne se tenant pas sur la pointe des pieds, elle avait quatre pouces et demi de plus que Mlle Cook. Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que Mlle Cook a au cou une cicatrice qui, dans des circonstances semblables, se voit distinctement et est rude au toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées, tandis que Mlle Cook porte ordinairement des boucles d’oreilles. Le teint de Katie est très blanc, tandis que celui de Mlle Cook est plutôt brun. Les doigts de Katie sont beaucoup plus longs que ceux de Mlle Cook, et son visage est également plus allongé. Dans les façons et manières de s’exprimer, il y a aussi bien des différences marquées.

Après les observations résumées par ces deux lettres, M. William Crookes continua ses expériences, chez lui, pendant deux mois. En voici le résultat, exposé par le savant chimiste lui-même.

Katie s’est manifestée chez moi très régulièrement et m’a permis de la photographier à la lumière artificielle. Cinq appareils complets de photographie furent donc préparés à cet effet. Ils consistaient en cinq chambres noires, une de la grandeur de la plaque entière, une de demi-plaque, une de quart ; et de deux chambres stéréoscopiques binoculaires, qui devaient toutes être dirigées sur Katie en même temps, chaque fois qu’elle poserait pour laisser prendre son portrait. Cinq bains sensibilisateurs et fixateurs furent employés et nombre de glaces furent nettoyées à l’avance, prêtes à servir, afin qu’il n’y eût ni hésitation ni retard pendant les opérations photographiques, que j’exécutai moi-même, assisté d’un aide.

Ma bibliothèque servait de cabinet noir : elle avait une porte à deux battants qui s’ouvrait sur le laboratoire, un de ces battants fut enlevé de ses gonds, et un rideau fut suspendu à sa place pour permettre à Katie d’entrer et de sortir facilement. Ceux de nos amis qui étaient présents étaient assis dans le laboratoire en face du rideau, et les appareils étaient placés un peu derrière eux, prêts à photographier Katie quand elle sortirait, et à prendre également l’intérieur du cabinet, chaque fois que le rideau serait soulevé dans ce but. Chaque soir il y avait trois ou quatre expositions de glaces dans les cinq chambres noires, ce qui donnait au moins quinze épreuves par séance. Quelques-unes se gâtèrent au développement, d’autres en réglant la lumière. Malgré tout, j’ai quarante-quatre négatifs, quelques-uns médiocres, quelques-uns ni bons ni mauvais, et d’autres excellents.

Katie donna pour instruction à tous les assistants de rester assis et d’observer cette condition ; seul je ne fus pas compris dans cette mesure, car elle m’avait autorisé à faire ce que je voudrais, à la toucher, à entrer dans le cabinet chaque fois qu’il me plairait. Je l’ai souvent suivie dans le cabinet et l’ai vue quelquefois, elle et son médium, en même temps ; mais le plus généralement je ne trouvais que le médium en léthargie, et reposant sur le parquet : Katie et son costume blanc avaient instantanément disparu.

Durant ces derniers mois, Mlle Cook a fait chez moi de nombreuses visites, et y est demeurée quelquefois une semaine entière. Elle n’apportait avec elle qu’un petit sac de nuit, ne fermant pas à clef ; pendant le jour, elle était constamment en compagnie de Mme Crookes, de moi-même, ou de quelque autre membre de ma famille, et, ne dormant pas seule, elle n’a pu, ni jour ni nuit, rien préparer, qui fût apte à jouer le rôle de Katie King. J’ai disposé moi-même ma bibliothèque ainsi que le cabinet, et d’habitude, après que Mlle Cook avait dîné et causé avec nous, elle se dirigeait droit au cabinet, et à sa demande, je fermais à clef la seconde porte, gardant la clef sur moi pendant toute la séance : alors on baissait le gaz, et on laissait Mlle Cook dans l’obscurité.

En entrant dans le cabinet, Mlle Cook s’étendait sur le plancher, sa tête sur un coussin, et bientôt elle était en léthargie. Pendant les séances photographiques, Katie enveloppait la tête de son médium avec un châle, pour empêcher que la lumière ne tombât sur son visage. Fréquemment, j’ai soulevé un côté du rideau lorsque Katie était debout tout auprès, et alors il n’était pas rare que les sept ou huit personnes qui étaient dans le laboratoire pussent voir en même temps Mlle Cook et Katie, sous le plein éclat de la lumière électrique. Nous ne pouvions pas, alors, voir le visage du médium à cause du châle, mais nous apercevions ses mains et ses pieds ; nous la voyions se remuer péniblement sous l’influence de cette lumière intense, et par moments nous entendions ses plaintes. J’ai une épreuve de Katie et de son médium photographiés ensemble ; mais Katie est placée devant la tête de Mlle Cook.

Pendant que je prenais une part active à ces séances, la confiance qu’avait en moi Katie s’accroissait graduellement, au point qu’elle ne voulait plus donner de séance à moins que je ne me chargeasse des dispositions à prendre, disant qu’elle voulait toujours m’avoir auprès d’elle. Dès que cette confiance fut établie, et quand elle eut la satisfaction d’être sûre que je tiendrais les promesses que je pouvais lui faire, les phénomènes augmentèrent beaucoup en puissance, et des preuves me furent données qu’il m’eût été impossible d’obtenir si je m’étais conduit d’une manière différente.

Elle m’interrogeait souvent au sujet des personnes présentes et sur la manière dont elles seraient placées, car, dans les derniers temps, elle était devenue très nerveuse à la suite de certaines suggestions mal-avisées qui conseillaient d’employer la force pour aider à des modes de recherches plus rigoureuses.

Une des photographies les plus intéressantes est celle ou je suis debout à côté de Katie ; elle a son pied nu sur un point particulier du plancher. J’habillai ensuite Mlle Cook comme Katie ; elle et moi nous nous plaçâmes exactement dans la même position, et nous fûmes photographies par les mêmes objectifs placés absolument comme dans l’autre expérience, et éclairés par la même lumière. Lorsque ces deux dessins sont placés l’un sur l’autre, les deux photographies de moi coïncident exactement quant à la taille, etc., mais Katie est plus grande d’une demi-tête que Mlle Cook, et auprès d’elle semble une forte femme. Sur beaucoup d’épreuves la largeur de son visage et la grosseur de son corps diffèrent essentiellement de son médium, et les photographies font voir plusieurs autres points de dissemblance.

Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie, que les mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un dessin de sa pose ; mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l’expression sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse lorsqu’elle racontait quelque amer événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l’innocence d’une jeune fille, lorsqu’elle avait réuni mes enfants autour d’elle, et qu’elle les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans l’Inde.

Autour d’elle elle créait une atmosphère de vie.
Ses yeux semblaient rendre l’air lui-même plus brillant.
Ils étaient si doux, si beau, et si pleins
De tout ce que nous pouvons imaginer des cieux,
Sa présence subjuguait à tel point, que vous n’auriez pas cru
Que ce fût de l’idolâtrie de se mettre à ses genoux.

J’ai si bien vu Katie récemment, lorsqu’elle était éclairée par la lumière électrique, qu’il m’est possible d’ajouter quelques traits aux différences que dans un précédent article j’ai établies entre elle et son médium. J’ai la certitude la plus absolue que Mlle Cook et Katie sont deux individualités distinctes, du moins en ce qui concerne leurs corps. Plusieurs petites marques qui se trouvent sur le visage de Mlle Cook font défaut sur celui de Katie. La chevelure de Mlle Cook est d’un brun si foncé qu’elle paraît presque noire ; une boucle de celle de Katie, qui est là sous mes yeux, et qu’elle m’avait permis de couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l’avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut de sa tête et m’être assuré qu’elle y avait bien poussé, est d’un riche châtain doré.

Un soir, je comptai les pulsations de Katie : son pouls battait régulièrement 75, tandis que celui de Mlle Cook, peu d’instants après, atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la poitrine de Katie, je pouvais entendre un cœur battre à l’intérieur, et ses pulsations étaient encore plus régulières que celles du cœur de Mlle Cook, lorsque après la séance elle me permettait la même expérience. Éprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de son médium, car à cette époque, Mlle Cook suivait un traitement médical pour un gros rhume.

Cet être mystérieux, cette étrange Katie King, avait annoncé, dès ses premières apparitions, qu’elle ne pourrait se manifester ainsi que pendant trois ans. La fin de ce temps approchait.

Lorsque le moment de nous dire adieu fut arrivé pour Katie, écrit encore M. Crookes, je lui demandai la faveur d’être le dernier à la voir. En conséquence, quand elle eut appelé à elle chaque personne de la société et qu’elle leur eut dit quelques mots en particulier, elle donna des instructions générales pour notre direction future et la protection à donner à Mlle Cook. Ensuite elle m’engagea à entrer dans le cabinet avec elle, et me permit d’y demeurer jusqu’à la fin.

Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi pendant quelque temps, puis elle traversa la chambre pour aller à Mlle Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie la toucha et lui dit : « Éveillez-vous, Florence, éveillez-vous ! Il faut que je vous quitte maintenant ! »

Mlle Cook s’éveilla, et, tout en larmes, elle supplia Katie de rester quelque temps encore. « Ma chère, je ne le puis pas ; ma mission est accomplie. Que Dieu vous bénisse ! » répondit Katie. Puis elle continua à lui parler. Pendant quelques minutes elles causèrent ensemble, jusqu’à ce qu’enfin les larmes de Mlle Cook l’empêchèrent de parler. Suivant les instructions de Katie, je m’élançai pour soutenir Mlle Cook qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi, mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que Mlle Cook fut assez calmée, on apporta une lumière, et je la conduisis hors du cabinet.

Un mot encore, à propos de ce phénomène extraordinaire. M. Home, employé comme on l’a vu, aux premières expériences de M. Crookes, m’a personnellement exprimé son opinion que Mlle Cook avait été une habile farceuse et avait indignement trompé l’illustre savant, et qu’en fait de médium, IL N’Y AVAIT QUE LUI, DANIEL DUNGLAS HOME, D’ABSOLUMENT SÛR. Il m’a même ajouté que le fiancé de Mlle Cook avait donné (à M. Crookes) des témoignages frappants de sa vive contrariété.

Pour qui connaît et a observé de près les rivalités des médiums — aussi marquées que celles des médecins, des acteurs, des musiciens et des femmes — ce propos de M. Home ne me parait pas avoir de réelle valeur intrinsèque. Mais avouons que ledit phénomène est véritablement tellement extraordinaire qu’on est conduit à chercher toutes les explications possibles avant de l’admettre. C’est d’ailleurs là l’opinion de M. Crookes lui-même.

Pour me convaincre, dit-il, j’ai été constamment en garde, et Mlle Cook s’est prêtée à toutes les investigations. Quelque épreuve que j’aie proposée, elle a accepté de s’y soumettre avec la plus grande bonne volonté ; sa parole est franche et va droit au but, et je n’ai jamais rien vu qui pût en rien ressembler à la plus légère apparence du désir de tromper. Vraiment, je ne crois pas qu’elle pût mener une fraude à bonne fin, si elle avait voulu l’essayer ; et si elle l’eût tenté, elle eût été très vite prise, car, une telle manière de faire est tout à fait étrangère à sa nature. Et quant à imaginer qu’elle ait été capable de concevoir et de mener pendant trois ans, avec un plein succès, une aussi gigantesque imposture, et que pendant ce temps elle se soit soumise à toutes les conditions qu’on a exigées d’elle, qu’elle ait supporté les recherches les plus minutieuses, qu’elle ait voulu être inspectée à n’importe quel moment, soit avant, soit après les séances ; qu’elle ait obtenu plus de succès dans ma maison que chez ses parents, sachant qu’elle y venait expressément pour se soumettre à de rigoureux essais scientifiques, — quant à imaginer, dis-je, que la Katie King des trois dernières années puisse être le résultat d’une imposture, cela fait encore plus de violence à la raison et au bon sens que de croire à sa réalité.

Il n’est peut-être pas superflu de compléter encore ces récits de William Crookes par un extrait du journal The Spiritualist, du 29 mai 1874.

Dès le commencement de la médiumnité de Miss Cook, l’Esprit Katie King ou Annie Morgan, qui avait produit le plus de manifestations physiques, avait annoncé qu’il n’avait le pouvoir de rester auprès de son médium que pendant trois ans, et qu’après ce temps il lui ferait ses adieux pour toujours.

La fin de cette période arriva jeudi dernier, mais avant de quitter son médium, il accorda à ses amis encore trois séances.

La dernière eut lieu le jeudi 21 mai 1874. Parmi les spectateurs était M. William Crookes. À 7 heures 23 minutes du soir, M. Crookes conduisit Miss Cook dans le cabinet obscur, où elle s’étendit sur le sol, la tête appuyée sur un coussin. À 7 heures 28 minutes, Katie parla pour la première fois, et à 7 heures 30 minutes elle se montra en dehors du rideau et dans toute sa forme. Elle était vêtue de blanc, les manches courtes et le cou nu. Elle avait de longs cheveux châtain clair, de couleur dorée, tombant en boucles des deux côtés de la tête et le long du dos jusqu’à la taille. Elle portait un long voile blanc qui ne fut abaissé qu’une ou deux fois sur son visage pendant la séance.

Le médium avait une robe bleu clair en mérinos. Pendant presque toute la séance, Katie resta debout devant nous ; le rideau du cabinet était écarté et tous pouvaient voir distinctement le médium endormi, ayant le visage couvert d’un châle rouge, pour le soustraire à la lumière. Katie parla de son départ prochain et accepta un bouquet que M. Tapp lui avait apporté, ainsi que quelques lys attachés ensemble et offerts par M. Crookes. Elle invita M. Tapp à délier le bouquet et à poser les fleurs devant elle sur le plancher ; elle s’assit alors à la manière turque et nous pria tous d’en faire autant autour d’elle. Alors elle partagea les fleurs et donna à chacun un petit bouquet qu’elle entoura d’un ruban bleu.

Elle écrivit aussi des lettres d’adieu à quelques-uns de ses amis, en les signant « ANNIE OWEN MORGAN », et en disant que c’était son vrai nom pendant sa vie terrestre. Elle écrivit également une lettre à son médium, et choisit pour ce dernier un bouton de rose comme cadeau d’adieu. Katie prit alors des ciseaux, coupa une mèche de ses cheveux et nous en donna à tous une large part. Elle prit ensuite le bras de M. Crookes, fit le tour de la chambre, et serra la main de chacun. Katie s’assit de nouveau, coupa plusieurs morceaux de sa robe et de son voile, dont elle fît des cadeaux. Voyant de si grands trous à sa robe, et tandis qu’elle était assise entre M. Crookes et M. Tapp, on lui demanda si elle pourrait réparer le dommage ainsi qu’elle l’avait fait en d’autres circonstances. Elle présenta alors la partie coupée à la clarté de la lumière, frappa un coup dessus, et, à l’instant, cette partie fut aussi complète et aussi nette qu’auparavant. Ceux qui se trouvaient près d’elle examinèrent et touchèrent l’étoffe avec sa permission ; ils affirmèrent qu’il n’existait ni trou, ni couture, ni aucune partie rapportée, là où, un instant auparavant, ils avaient vu des trous de plusieurs pouces de diamètre.

Elle donna ensuite ses dernières instructions à M. Crookes. Puis, paraissant fatiguée, elle ajouta tristement que sa force disparaissait, et réitéra à tous ses adieux de la manière la plus affectueuse. Les assistants la remercièrent pour les manifestations merveilleuses qu’elle leur avait accordées.

Tandis qu’elle dirigeait vers ses amis un dernier regard, grave et pensif, elle laissa tomber le rideau qui la cacha. On l’entendit réveiller le médium qui la pria, en versant des larmes, de rester encore un peu ; mais Katie lui dit : « Ma chère, je ne le puis. Ma mission est accomplie ; que Dieu te bénisse ! » Et nous entendîmes le bruit d’un baiser. Le médium se présenta alors au milieu de nous, entièrement épuisé, et profondément consterné.

Telles sont les expériences de sir William Crookes. J’ai tenu à rapporter ses propres observations, exposées par lui-même. L’histoire de Katie King est assurément l’une des plus mystérieuses, des plus incroyables, qui existent dans toutes les recherches spirites, et en même temps, l’une des plus scrupuleusement étudiées par la méthode expérimentale, y compris la photographie.

Le médium, miss Florence Cook, a épousé, en 1874, M. Elgie Corner, et a, dès lors, à peu près cessé sa contribution aux recherches psychiques. On m’a assuré que plusieurs fois on l’a surprise, elle aussi, en flagrant délit de tricherie. (Toujours l’hystérie !) Mais les investigations de Crookes ont été conduites avec un tel soin et une telle compétence qu’il est bien difficile de se refuser à les admettre.

D’ailleurs, ce savant n’a pas été le seul à étudier la médiumnité de Florence Cook. On peut consulter sur ce sujet, entre autres, un ouvrage contenant un grand nombre de témoignages, et plusieurs des photographies dont il a été question plus haut 64 #id_origin64. Ces témoignages forment un faisceau de documents dont l’étude est des plus instructives. Celui du grand chimiste les domine tous, assurément ; mais il ne diminue pas la valeur intrinsèque de chacun d’eux. Les observations concordent et se confirment mutuellement.

Quant à l’explication, Crookes ne pense pas que nous puissions la trouver. Cette apparition était-elle ce qu’elle disait être ? Rien ne le prouve.

Ne serait-ce pas un double du médium, une production de sa force psychique ?

Le savant chimiste n’a pas changé d’opinion, comme on l’a prétendu, sur l’authenticité des phénomènes étudiés par lui. Dans un discours prononcé au Congrès de l’Association britannique pour l’Avancement des sciences, réuni à Bristol en 1898, et dont il était président, il s’est exprimé comme il suit :

Aucun incident de ma carrière scientifique n’est plus universellement connu que la part que j’ai prise à certaines recherches psychiques. Trente ans se sont écoulés depuis mes premiers comptes rendus d’expériences, tendant à démontrer qu’il existe une force utilisée par des Intelligences autres que les ordinaires intelligences humaines. Cet épisode de ma vie est naturellement bien connu de ceux qui m’ont fait l’honneur de m’inviter à devenir votre président.

Il y a peut-être dans mon auditoire plusieurs personnes qui se demandent curieusement si j’en parlerai ou si je garderai le silence. J’en parlerai, quoique brièvement. Je n’ai pas le droit d’insister ici sur une matière encore sujette à controverse, sur une matière qui, comme Wallace, Lodge, Barrett l’ont déjà montré, n’attire pas encore l’intérêt de la majorité des savants, mes collègues, bien qu’elle ne soit nullement indigne des discussions d’un congrès comme celui-ci. Passer ce sujet sous silence serait un acte de lâcheté que je n’éprouve aucune tentation de commettre.

Le chercheur n’a pas autre chose à faire qu’à marcher droit devant lui, « à explorer dans tous les sens, pouce par pouce, avec sa raison pour flambeau », à suivre la lumière partout où elle pourra le conduire, quand même cette lumière ressemblerait par moments à un feu follet.

Je n’ai rien à rétracter. Je m’en tiens à mes déclarations antérieurement publiées. Je pourrais même y ajouter beaucoup. Dans ces premiers exposés, je ne regrette qu’une certaine crudité qui, à bon droit sans doute, fut une des causes pour lesquelles le monde scientifique refusa de les accepter. Tout ce que je savais à cette époque se bornait à la certitude que certains phénomènes nouveaux pour la science avaient bien eu lieu, constatés par mes sens dans tout leur calme et, mieux encore, enregistrés automatiquement par des instruments. Je ressemblais alors à un être à deux dimensions qui serait arrivé au point singulier d’une surface de Riemann et se trouverait, d’une manière inexplicable, très légèrement en contact avec un plan d’existence autre que le sien.

Aujourd’hui, je crois que je vois un peu plus loin. J’entrevois une certaine cohérence dans ces étranges et décevants phénomènes ; j’entrevois une certaine connexité entre ces forces inconnues et les lois déjà connues. Ce progrès est dû, pour la plus grande partie, à une autre association dont, cette année, j’ai l’honneur d’être aussi le président : la Société pour les Recherches psychiques. Si je présentais aujourd’hui pour la première fois ces recherches au monde scientifique, je choisirais un point de départ différent de celui que j’ai choisi jadis. Il serait bon de commencer par la télépathie 65 #id_origin65, en posant, ce que je crois être une loi fondamentale, que les pensées et les images peuvent être transportées d’un esprit dans un autre sans l’emploi des sens, que des connaissances peuvent pénétrer dans l’esprit humain sans passer par aucun des chemins jusqu’aujourd’hui connus.

Bien que cette recherche nouvelle ait fait jaillir des faits importants en ce qui concerne la nature humaine, elle n’a pas encore atteint la position expérimentale qui lui permettrait d’être examinée utilement par l’un de nos comités. Partant, je me bornerai à signaler la direction dans laquelle l’investigation scientifique peut légitimement s’engager. Si la télépathie existe, nous sommes en présence de deux faits matériels : un changement physique produit dans le cerveau de A, le sujet suggestionneur, et un changement physique analogue produit dans le cerveau de B, le sujet récepteur de la suggestion. Entre ces deux faits physiques, il doit exister toute une chaîne de causes physiques. Quand on commencera à connaître cette série de causes intermédiaires, alors cette investigation rentrera dans le domaine de l’une des sections de l’Association britannique. Cette série de causes réclame la présence d’un milieu. Tous les phénomènes de l’Univers sont, on peut le présumer, en quelque sorte continus, et il est antiscientifique d’appeler à son aide des agents mystérieux, alors que chaque nouveau progrès de la science nous démontre que les vibrations de l’éther ont des pouvoirs et des qualités amplement suffisants pour rendre compte de tout, même de la transmission de pensée. Quelques physiologistes supposent que les cellules essentielles des nerfs ne sont pas en contact, mais qu’elles sont séparées par un étroit intervalle qui s’élargit pendant le sommeil et disparaît presque pendant l’activité mentale de la veille. Cette condition est si singulièrement semblable à celle d’un cohéreur de Branly ou de Lodge, qu’elle suggère une autre analogie.

La structure du cerveau et celle des nerfs étant pareille, on conçoit qu’il puisse y avoir dans le cerveau des masses de semblables cohéreurs nerveux dont la fonction spéciale peut être de recevoir les impulsions apportées du dehors par une série d’ondes de l’éther d’un ordre de grandeur appropriée. Rœntgen nous a familiarisés avec un ordre de vibrations d’une petitesse extrême, à l’égard même des ondes les plus tenues dont nous avions précédemment connaissance, et de dimensions comparables aux distances entre les centres des atomes dont notre Univers matériel est composé ; et il n’y a pas de raisons pour supposer que nous ayons atteint les extrêmes limites de la fréquence. On sait que l’action de la pensée est accompagnée de certains mouvements moléculaires dans le cerveau, et ici nous avons des vibrations physiques capables, par leur extrême petitesse, d’agir directement sur chaque molécule, puisque leur rapidité approche de celle des mouvements internes et externes des atomes eux-mêmes.

Les phénomènes télépathiques sont confirmés par toute une série d’expériences concordantes et par de nombreux faits spontanés qu’on ne peut expliquer autrement. Les preuves les plus variées sont peut-être tirées de l’analyse de l’activité subconsciente de l’esprit, quand cette activité, accidentellement ou intentionnellement, est amenée dans le champ d’observation de la conscience normale. Dès sa fondation, la Société pour les Recherches psychiques a démontré l’existence d’une région s’étendant en dessous du seuil de la conscience normale ; toutes ces preuves ont été pesées et réunies en un tout harmonieux par le génie opiniâtre de F.-W. Myers.

Il nous faudra passer au crible de la science une masse énorme de phénomènes avant que nous puissions comprendre, en effet, une faculté aussi étrange, aussi déconcertante, demeurée pendant des âges aussi impénétrable, que l’action directe d’un esprit sur un autre esprit.

Un homme éminent, l’un de ceux qui m’ont précédé dans ce fauteuil présidentiel, a dit ceci : « Par nécessité intellectuelle, je franchis les limites des preuves expérimentales et je distingue dans cette Matière que, dans notre ignorance de ses pouvoirs latents et malgré le prétendu respect que nous avons pour son Créateur, nous avons jusqu’aujourd’hui couverte d’opprobre, la puissance de créer toute la vie terrestre et la probabilité qu’elle l’a fait. » J’aimerais mieux renverser l’apophtegme et dire : « Dans LA VIE, je vois la puissance de créer toutes les formes de la Matière et la probabilité qu’elle l’a fait. »

Aux vieux temps égyptiens, une inscription bien connue était gravée au-dessus du portail du temple d’Isis : « Je suis tout ce qui a été, est, ou sera ; et nul homme n’a encore soulevé mon voile. » Ce n’est pas ainsi qu’aux chercheurs modernes de la vérité apparaît la Nature — mot par lequel nous désignons l’ensemble des mystères déroutants de l’Univers. Fermement, sans fléchir, nous nous efforçons de pénétrer au cœur même de cette nature, de savoir ce qu’elle a été et de prévoir ce qu’elle sera. Nous avons déjà soulevé bien des voiles, et avec chaque nouveau voile qui tombe, sa face nous apparaît plus belle, plus auguste, plus merveilleuse.

Il serait difficile de mieux penser et de mieux dire. C’est là le langage de la véritable science, et c’est là aussi l’expression de la plus haute philosophie.

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