Les expériences de la Société dialectique de Londres

Une société savante bien connue, la Société dialectique de Londres, fondée en 1867 sous la présidence de Sir John Lubbock, a pris la résolution, en 1869, de faire entrer les phénomènes physiques que cet ouvrage a pour but d’étudier dans le cadre de ses observations, et, après une série d’expériences, a publié un Rapport, auquel elle a joint les attestations, sur le même sujet, d’un certain nombre d’hommes de science parmi lesquels j’ai eu l’honneur d’être compris 49 #id_origin49. Ce rapport a été traduit en français par le Dr Dusart et publié 50 #id_origin50 dans la collection des ouvrages psychiques si heureusement créée et dirigée par le comte de Rochas. Je ne puis mieux faire, pour donner ici un exposé des résultats constatés par cette Société, que d’extraire les points capitaux de ce Rapport d’ordre purement scientifique.

Voici d’abord l’origine de cette fondation.

Dans l’assemblée de la Société dialectique de Londres, tenue le 6 janvier 1869, sous la présidence de M. J.-H Lévy, il fut décidé que le bureau serait invité à constituer un Comité, conformément à l’article 7 des statuts, pour étudier les phénomènes désignés sous le nom de manifestations spirites et pour rédiger un rapport en conséquence.

Ce comité fut formé le 26 janvier suivant. Il était composé de vingt-sept membres. On remarque parmi eux le savant naturaliste Alfred Russel Wallace, membre de la Société royale de Londres.

Le professeur Huxley et M. George-Henri Lewes furent priés d’apporter leur collaboration aux travaux du Comité. Ils refusèrent. La lettre du professeur Huxley est trop typique pour n’être pas reproduite ici.

« Monsieur,

« Je regrette de ne pouvoir accepter l’invitation du bureau de la Société dialectique à me joindre au Comité pour l’étude du Spiritisme ; et cela pour deux raisons. D’abord, je n’ai pas de temps à consacrer à une pareille étude, qui donnera beaucoup d’occupations et (à moins qu’elle ne ressemble pas à toutes les enquêtes de même genre que j’ai connues) beaucoup d’ennuis. En second lieu, je ne prends aucun intérêt à un tel sujet. Le seul cas de spiritisme que j’aie eu l’occasion d’examiner par moi-même fut bien la plus complète fourberie que j’aie jamais vue. Mais, même en supposant que ces phénomènes soient réels, ils n’auraient aucun intérêt pour moi. Si quelqu’un m’offrait l’occasion d’entendre les radotages de quelques vieilles femmes ou de curés dans la cathédrale la plus voisine, je déclinerais cet avantage, ayant beaucoup mieux à faire.

« Si les habitants du monde spirituel ne parlent pas avec plus de sagesse et de sens commun que ne le rapportent leurs amis, je les classe dans la même catégorie.

« Le seul avantage que puisse, selon moi, procurer la démonstration de la réalité du Spiritisme, serait de fournir un argument de plus contre le suicide.

« J’aimerais mieux vivre comme un balayeur des rues, que d’être condamné, après ma mort, à débiter des niaiseries par l’organe d’un médium à un louis la séance.

« Je suis, Monsieur, etc.

« T.-H. HUXLEY. »

« 29 janvier 1869. »

À l’opposé de ce scepticisme radical, fondé sur une seule séance d’observation ( !) le savant électricien Cromwell Varley (qui établit, en 1860, le premier câble transatlantique entre l’Europe et l’Amérique) ne tarda pas à s’associer aux recherches, et à faire faire de grands progrès à l’examen scientifique.

Le Rapport, avec ses dépositions, a été présenté à la Société dialectique, le 20 juillet 1870. Mais on décida de ne pas le publier officiellement, sous le couvert de la Société, pour ne pas la compromettre.

En conséquence, le Comité résolut à l’unanimité de publier ce Rapport sous sa propre responsabilité.

Le voici :

Votre Comité a tenu cinquante séances, dans lesquelles il a reçu les dépositions de trente-trois personnes, qui décrivirent les phénomènes qu’elles affirmèrent avoir observé par leur expérience personnelle.

Il a reçu de trente et une personnes des attestations écrites, relatant les faits observés.

Il a sollicité le concours et réclamé la collaboration et les avis des hommes de science, qui ont exprimé publiquement leurs opinions favorables ou défavorables à l’authenticité des phénomènes.

Il a fait aussi un appel spécial aux personnes qui ont publiquement attribué les phénomènes à l’imposture et à l’illusion.

Comme il semblait à votre Comité qu’il était de la plus haute importance d’étudier les phénomènes en question par des expériences et des constatations personnelles, il résolut de se subdiviser en sous-comités, comme moyen le plus sûr d’arriver à ce but.

En conséquence, six sous-comités furent constitués.

Leurs rapports se confirment respectivement l’un l’autre et paraissent sûrement établir les propositions suivantes :

1° Des bruits de caractères très divers, provenant des différentes parties du mobilier, du parquet ou des murs des chambres (les vibrations accompagnant ces bruits sont toujours nettement perçues par le toucher), se produisent sans être causés ni par une action musculaire, ni par aucun moyen mécanique ;

2° Des déplacements de corps pesants surviennent sans intervention mécanique d’aucune sorte, ou sans action musculaire correspondante de la part des personnes présentes, souvent même en dehors du contact ou du voisinage de qui que ce soit ;

3° Ces bruits et ces mouvements se produisent souvent au moment et dans les conditions demandés par les assistants et, au moyen d’un simple code de signaux, répondent aux questions posées ou dictent des communications suivies ;

4° Les réponses et communications ainsi obtenues sont, pour la plupart, d’un caractère vulgaire ; mais des faits connus d’une seule personne présente ont parfois été rapportés avec exactitude ;

5° Les circonstances dans lesquelles se produit le phénomène sont variables : ce qui ressort le plus nettement, c’est que la présence de certaines personnes semble nécessaire à sa production, tandis que d’autres y sont contraires ; mais cette différence ne semble pas dépendre des opinions favorables ou de l’incrédulité à l’égard des phénomènes ;

6° Cependant, la production du phénomène n’accompagne pas nécessairement la présence des unes ou l’absence des autres. Les témoignages écrits et oraux reçus par votre Comité attestent non seulement des phénomènes de même nature que ceux observés par nos sous-comités, mais encore d’autres, de caractères plus variés et plus extraordinaires.

Ces constatations peuvent se résumer sommairement de la façon suivante :

1° Treize témoins affirment qu’ils ont vu des corps pesants, des hommes dans quelques cas, s’élever doucement dans l’air et y rester un certain temps, sans support visible ou tangible ;

2° Quatorze témoins certifient avoir vu des mains ou des formes n’appartenant à aucun être humain vivant, mais ayant l’aspect et la mobilité de la vie, qu’ils ont plusieurs fois touchées ou saisies dans leurs mains. Ils sont donc convaincus qu’elles n’étaient produites ni par fraude, ni par illusion ;

3° Cinq témoins constatent qu’ils ont été touchés par quelque agent invisible sur diverses parties du corps, souvent sur des points désignés, tandis que les mains de tous les assistants étaient visibles ;

4° Treize témoins déclarent avoir entendu des morceaux de musique bien exécutés sur des instruments qui n’étaient tenus par aucun agent visible ;

5° Cinq témoins affirment qu’ils ont vu des fragments de charbons, chauffés au rouge, appliqués sur les mains ou la tête de diverses personnes, sans produire ni douleur ni brûlures, et trois témoins déclarent que cette expérience a été faite sur eux, avec la même innocuité ;

6° Huit témoins constatent qu’ils ont reçu par coups frappés, écriture ou autres moyens, des informations précises, dont l’exactitude était ignorée d’eux aussi bien que de tous les assistants et fut démontrée parfaite par une enquête subséquente ;

7° Un témoin déclare qu’il a reçu une information précise et détaillée, qui fut néanmoins reconnue absolument erronée ;

8° Trois témoins affirment qu’en leur présence des dessins au crayon et en couleurs furent exécutés en si peu de temps et dans de telles conditions, que cela eût été impossible à un homme ;

9° Six témoins déclarent qu’ils ont reçu l’annonce d’événements à venir et que, dans plusieurs cas, l’heure et la minute auxquelles ils devaient se produire ont été exactement prédites, des jours et même des semaines auparavant.

En outre de tout ce qui précède, on a affirmé des cas de médiumnité parlante, de guérisons, d’écriture automatique, d’apports de fleurs et de fruits dans des chambres bien closes, de voix entendues dans l’air, de visions dans les cristaux et dans les verres, ainsi que d’allongement du corps humain.

Quelques extraits des procès-verbaux mettront mieux encore ces expériences sous les yeux de nos lecteurs, ainsi que leur physionomie toute scientifique.

Toutes ces réunions ont eu lieu dans les domiciles particuliers des membres du Comité, afin d’écarter toute possibilité d’installations mécaniques ou d’autres arrangements.

À toutes les séances, le mobilier garnissant la chambre ou se faisaient les expériences était son mobilier ordinaire.

Les tables furent toujours de lourdes tables à manger, exigeant un grand effort pour être remuées. La plus petite avait 5 pieds 9 pouces de longueur sur 4 pieds de largeur, et la plus grande 9 pieds 3 pouces sur 4 pieds et demi, avec un poids correspondant.

Les chambres, les tables et le mobilier furent chaque fois soumis à un minutieux examen avant et après les expériences, pour s’assurer qu’ils ne cachaient ni engin, ni instrument ou autre disposition, au moyen desquels les bruits ou mouvements cités auraient pu être produits.

Les expériences furent faîtes à la lumière du gaz, sauf dans quelques cas signalés dans les procès-verbaux.

On a évité l’emploi de médiums professionnels ou salariés ; la seule médiumnité était celle des membres, tous occupant une bonne position sociale, étant d’une rigoureuse intégrité, n’ayant à attendre aucun résultat pécuniaire, ni rien à gagner à une fourberie.

Les quatre cinquièmes des membres étaient, au début des expériences, absolument sceptiques au sujet de la réalité des phénomènes. Ils étaient convaincus que ces phénomènes étaient le résultat soit de l’imposture ou de l’illusion, soit de l’action musculaire inconsciente. Ce ne fut que devant l’évidence indiscutable, dans des conditions qui excluaient toute possibilité d’admettre aucune de ces solutions, et après des essais et des épreuves maintes fois répétés, que les plus sceptiques furent amenés peu à peu et comme malgré eux à la conviction que les phénomènes observés dans le cours de leur longue enquête sont des faits incontestables.


*
*  *

La description d’une expérience et de la façon dont elle fut dirigée montrera le soin et les précautions avec lesquels le Comité a poursuivi ses recherches.

Tant qu’il y avait contact ou même possibilité de contact entre les mains ou les pieds d’une des personnes présentes et l’objet en mouvement, on n’a pas admis qu’il y eut certitude absolue que les bruits et les mouvements n’aient pu être dus à la personne ainsi en contact. On fit donc l’expérience suivante :

Un jour que onze membres étaient assis depuis quarante minutes autour d’une des tables à manger décrites ci-dessus et que des bruits et des mouvements variés s’étaient produits, ils tournèrent, dans un but d’épreuve, les dossiers de leurs chaises vers la table, à environ 9 pouces de distance de celle-ci. Tous s’agenouillèrent sur leurs chaises, en plaçant les bras sur la partie supérieure des dossiers. Dans cette position, leurs pieds étaient nécessairement dirigés du côté opposé à la table et il n’était pas possible de les ramener sous elle ou de toucher le parquet. Les mains de chaque assistant étaient étendues au-dessus de la table, à 4 pouces environ de sa surface. Le contact avec une partie quelconque de la table ne pouvait donc avoir lieu sans être découvert.

En moins d’une minute, la table, sans être touchée, remua quatre fois ; la première d’environ cinq pouces dans un sens ; puis d’environ onze pouces dans le sens opposé ; puis de nouveau de quatre pouces dans un sens et six dans un autre.

Les mains de tous les assistants furent ensuite placées sur les dossiers des chaises, à un pied environ de la table, qui, de nouveau, fit comme ci-dessus cinq mouvements, variant de quatre à six pouces. Toutes les chaises furent alors reculées à douze pouces de la table, et chacun s’agenouilla sur sa chaise comme précédemment, sauf que cette fois, les mains étant repliées derrière le dos et le corps se trouvant ainsi à 18 pouces de la table, le dossier de la chaise était interposé entre lui et la table. Celle-ci remua de nouveau quatre fois dans différentes directions. Ainsi, dans le cours de cette expérience concluante, la table, en moins d’une demi-heure, se déplaça treize fois SANS AUCUN CONTACT ni possibilité de contact avec qui que ce fût. Les mouvements eurent lieu en tous sens, et plusieurs d’entre eux conformément à la demande de divers membres du Comité.

La table fut alors minutieusement examinée, retournée sens dessus dessous et démontée ; mais on ne put rien découvrir qui rendit compte du phénomène. L’expérience fut poursuivie tout le temps à la pleine lumière du gaz au-dessus de la table.

Le Comité a constaté plus de cinquante mouvements de ce genre, SANS CONTACT, en huit soirées différentes, dans les domiciles de ses membres, et chaque fois les plus sérieuses précautions furent observées.

Dans toutes les expériences de cette nature, la possibilité d’une action mécanique ou d’un agencement quelconque fut éliminée par ce fait que les mouvements avaient lieu en tous sens, tantôt d’un coté, tantôt de l’autre, une fois à une extrémité de la pièce, la fois suivante à l’autre. De tels mouvements auraient exigé l’intervention de plusieurs mains ou de plusieurs pieds. Vu les grandes dimensions et le poids des tables, ils n’auraient pu avoir lieu que sous l’action visible d’une force musculaire. Chaque main et chaque pied étaient parfaitement en vue et n’eussent pu faire le moindre mouvement sans être aussitôt découverts.

Ils se produisirent si souvent, dans tant et de si diverses conditions ; ils furent entourés de tant de précautions contre l’erreur ou l’illusion et donnèrent des résultats si invariables, que les membres de votre sous-comité, qui suivirent les expériences, quoiqu’ils eussent débuté pour la plupart par un scepticisme absolu, restèrent pleinement convaincus qu’il existe une force capable de mouvoir des corps pesants, sans contact matériel, et que cette force dépend, d’une façon encore inconnue, de la présence d’êtres humains.

Tel fut le premier verdict de la science sur les pratiques du spiritisme en Angleterre, verdict rendu pas des physiciens, des chimistes, des astronomes, des naturalistes, plusieurs étant membres de la Société royale de Londres. Ces études étaient faites notamment par le prof. de Morgan, président de la Société mathématique de Londres, Varley, ingénieur en chef des télégraphes, Russel Wallace, naturaliste, etc. Plusieurs membres de la Société dialectique refusèrent de s’associer à ces conclusions et déclarèrent qu’elles devraient être vérifiées par un autre savant ; par exemple par le chimiste Crookes. Celui-ci accepta la proposition, et telle a été l’origine de ses expériences, dont il sera question plus loin.

Mais avant de présenter ces expériences de l’éminent chimiste, je tiens à mettre sous les yeux de mes lecteurs les principaux faits constatés par le Comité d’études dont nous venons de parler.


Observations spéciales.

9 mars 1869. — Neuf membres présents. Réunion à 8 heures. Les phénomènes suivants se produisirent :

1° Les assistants se tiennent debout et ne posent que le bout des doigts sur la table. Elle fait un mouvement considérable ;

2° Ils tiennent les mains à une distance de plusieurs pouces au-dessus de la table, sans que personne la touche, et elle se déplace de plus d’un pied ;

3° Pour rendre l’expérience absolument concluante, tous les assistants se tiennent notablement éloignés de la table et dirigent leurs mains étendues au-dessus d’elle, sans la toucher, et elle se déplace comme avant et d’une égale quantité. Pendant ce temps, un des membres, accroupi sur le parquet, regarde attentivement sous la table, tandis que d’autres, placés en dehors du cercle, observent si personne ne s’approche de la table. Dans ces conditions, elle exécute de nombreux mouvements, en dehors de toute possibilité de contact de qui que ce soit ;

4° Tandis que l’on se tient ainsi à distance de la table, mais avec le bout des doigts posé dessus, tous, à un signal donné, lèvent les mains en même temps, et la table, à plusieurs reprises, s’enlève du parquet jusqu’à environ un pouce de hauteur ;

5° Tous tiennent les mains à une faible distance au-dessus de la table, mais sans la toucher. Au commandement, tous les lèvent brusquement, et la table s’enlève comme précédemment. Le membre accroupi sur le parquet et ceux qui observent en dehors du cercle ont continué à surveiller très attentivement, et tous constatent que le phénomène est incontestable.


*
*  *

15 avril. — Huit membres présents. Séance à huit heures. Après cinq minutes, des coups sont frappés dans la tablette de la table. Diverses questions, telles que les places à occuper par les assistants, etc., sont posées, et il y est répondu par coups frappés. On demande l’alphabet et le mot « rire » est épelé. On demande si cela veut dire que nous devons rire. La réponse est affirmative, et les assistants éclatent de rire. Sur quoi la table donne une série de coups vigoureux et de mouvements semblant imiter et former l’accompagnement de nos rires, et cela de façon si comique que nous partons tous d’un réel éclat de rire devant lequel la table se secoue, tandis que les coups frappent en mesure pour nous accompagner 51 #id_origin51.

Pour essayer si les bruits continueraient en d’autres conditions, tous s’écartent à une certaine distance de la table et forment un cercle en se tenant les mains autour d’elle. Les coups, au lieu de venir de la table comme auparavant, sont frappés avec violence dans toutes les parties du parquet et sur le fauteuil dans lequel se trouve l’assistant servant de médium. Quelques-uns viennent de l’extrémité de la pièce, à quinze pieds au moins de distance de la personne la plus rapprochée. Une pluie de coups en part de tous les points de la table à la fois, produisant tout à fait le crépitement d’une averse de grêlons tombant sur elle. Tous les coups entendus pendant cette soirée ont été très nets et très distincts. On remarqua que si, pendant nos conversations, les coups semblaient singulièrement enjoués, ils s’arrêtaient cependant — instantanément, dès qu’une question était posée, et on n’en entendait plus un seul, avant que la réponse fût terminée.


*
*  *

29 avril. — Neuf assistants. Au bout d’un quart d’heure, la table exécute divers mouvements accompagnés de coups. Les coups, d’abord très doux, deviennent peu à peu plus violents. Ils battent la mesure des airs joués par une boîte à musique, et se font entendre dans toutes les parties de la table indiquées par les assistants. Plusieurs questions sont posées, et il y est répondu soit par des coups dans la table, soit, plus souvent, par coups frappés par les pieds de la table se soulevant de tout un côté, d’une hauteur variant d’un à quatre pouces. Les expérimentateurs s’efforcent en vain d’empêcher ces mouvements ; la table résiste à tous leurs efforts. À plusieurs reprises, la chaise sur laquelle est assis le médium est traînée sur le parquet. Elle est d’abord tirée à plusieurs pieds en arrière ; fait alors plusieurs tours et circonvolutions puis, finalement, retourne avec le médium à sa position première. La chaise n’a pas de roulettes, et ses mouvements sont cependant tout à fait silencieux, le médium restant absolument immobile et tenant ses pieds soulevés au-dessus du parquet, de telle sorte que, pendant toute la durée du phénomène, aucune partie de sa personne ou de ses vêtements ne touche le parquet. La pièce étant vivement éclairée au gaz, tout le monde peut voir parfaitement ce qui se passe. Pendant tout ce temps, des coups retentissent dans le parquet.


*
*  *

On propose d’essayer si la table exécutera des mouvements sans contact. Tout le monde, y compris le médium, se tient à distance de la table, tenant les mains à 3 ou 6 pouces au-dessus d’elle, sans que qui que ce soit la touche. Des surveillants se placent au-dessous d’elle pour s’assurer que rien ne la touche, et voici ce que l’on constate :

1° À plusieurs reprises la table se déplace toujours dans la direction demandée. Ainsi, sur le désir qui en est exprimé, qu’elle aille d’une extrémité à l’autre de la pièce, elle prend cette direction, et, rencontrant un obstacle, se détourne pour l’éviter ;

2° À un signal donné, tous lèvent brusquement leurs mains et la table s’enlève aussitôt, d’un bond, à un pouce du parquet ;

Les membres du Comité surveillent à tour de rôle le dessous de la table, ou, se tenant autour, notent avec le plus grand soin tout ce qui se produit ; mais personne ne parvient à découvrir le moindre agent visible de leur production.

18 mai. — On joue sur le piano, et un morceau est accompagné par des coups frappés sur tous les points de la table, tandis qu’un second est accompagné de soulèvements de la table, tantôt par un côté, tantôt par un autre. Tous ces bruits et mouvements se font en mesure avec la musique. Le même phénomène se reproduit lorsque l’on se met à chanter. Pendant toute la séance, les bruits sont répartis également sur tous les points et se localisent rarement en l’un des côtés de la table.


*
*  *

9 juin. — Huit assistants. Les faits les plus intéressants de la soirée sont les suivants : les coups continuent à venir des différentes parties de la table, mais surtout de celle qui est voisine du médium : ils persistent à venir plus spécialement de ce dernier point, même lorsque le médium a quitté la table pour aller dans le vestibule recevoir une dépêche. L’alphabet étant récité conformément au signal reçu, on obtient les mots : « Drôles de Pauls ! » Ces mots amusent et intriguent les assistants et, comme on fait remarquer qu’ils s’appliquent probablement aux Chanteurs chrétiens dont les mélodies nègres, à Saint-Georges Hall, s’entendent distinctement par les fenêtres ouvertes de la salle, cette suggestion est accueillie par trois coups formidables dans la table.


*
*  *

17 juin. — Le médium tient à bras tendu, au-dessus de la table, une feuille de papier par un de ses coins et, à sa demande, on entend frapper sur elle des coups petits mais distincts. Les autres coins de la feuille sont alors saisis par d’autres assistants ; les bruits sont entendus par tous les membres présents, et ceux qui tiennent la feuille sentent les chocs produits par les coups invisibles. Une ou plusieurs questions reçoivent leurs réponses par cette voie, en coups frappés entendus distinctement et qui imitent la chute de gouttes d’eau sur le papier. Ce nouveau et curieux phénomène a lieu tout a fait sous les yeux des assistants, sans qu’on puisse lui découvrir aucune cause physique.


*
*  *

21 Juin. Mouvement de l’harmonica sans contact. — Le médium et deux assistants tiennent les mains au-dessus d’un harmonica, sans le toucher en aucune façon. Celui-ci, par petits bonds successifs, fait le tour presque complet de la table. Tandis que les doigts des assistants la touchent légèrement, la table est vivement entraînée à une distance de six pieds.

Un cylindre de toile de trois pieds de haut et de deux de diamètre est placé sous une petite table, dont il entoure les pieds. Dans le cylindre, une sonnette ne tinte pas, mais des coups sont donnés sur la table, qui bondit à plusieurs reprises. Ce cylindre s’oppose absolument à tout contact entre les pieds des assistants et ceux de la table. Pendant toute la séance, il se produit des bruits et des mouvements.


*
*  *

14 décembre. — Coups de ton et d’intensité variés partant de tous les points de la table. En réponse à une question, trois violents coups retentissant sur la table, comme s’ils avaient été donnés avec le poing fermé. De temps à autre des coups partent de toutes les parties de la salle. Des coups battent la mesure des chants ou des morceaux exécutés sur le piano.

Bruits dans la table, sans contact. — Tous les assistants se tiennent loin de la table, sans le moindre contact avec elle, et les bruits continuent à s’y faire entendre, quoique plus faibles.

Mouvements sans contact. — Question : « La table voudrait-elle maintenant se déplacer sans contact ? — Oui », répondent trois coups dans la table.

Toutes les chaises sont alors retournées avec leurs dossiers vers la table et à 9 pouces d’elle. Tous les assistants s’agenouillent sur les chaises, laissant reposer leurs poignets sur les dossiers, de sorte que les mains sont à quelques pouces au-dessus de la table.

Dans ces conditions, la lourde table à manger déjà décrite fait quatre mouvements, chacun de 4 à 6 pouces, et un autre de près de 12 pouces.

Toutes les mains sont alors placées sur les dossiers des chaises, à près d’un pied de la table, et quatre mouvements sont exécutés. Chacun se faisant doucement et sans arrêt, en près d’une minute.

Tous les assistants placent ensuite leurs mains derrière leur dos, restant agenouillés, le corps droit, ce qui les écarte à environ un pied de la table. On ouvre davantage le gaz de façon à assurer un large éclairage, et dans ces conditions de contrôle il se produit des mouvement distincts, de plusieurs pouces chaque fois, visibles pour tous les assistants.

Les mouvements se font dans diverses directions, vers toutes les parties de la salle ; quelques-uns sont brusques, d’autres calmes. En même temps et dans les mêmes conditions, des coups bien nets sont frappés aussi bien dans la table que dans le parquet, en réponse à des questions posées.

Les mouvements ci-dessus sont tellement hors de contestation, que tous les assistants, à l’unanimité, manifestent leur conviction qu’ils ne peuvent être dus à aucune force physique émanant d’aucun des assistants. Ils déclarent ensuite par écrit qu’un rigoureux examen de la table a prouvé que c’est une table à manger ordinaire, dépourvue de tout rapport avec une machine ou un appareil quelconque. La table a été renversée sur le parquet, les pieds en l’air, et démontée aussi complètement que possible.

Ces expériences sont la répétition et la confirmation absolue de celles qui ont été exposées depuis les premières pages de cet ouvrage. Mais elles suffiraient, à elles seules, pour justifier les convictions.

Ce premier sous-comité, dont nous venons de donner les principales expériences, n’avait pour but que les phénomènes physiques. Le sous-comité n° 2 s’est occupé plus spécialement des communications intelligentes, des dictées médiumniques Nous n’avons pas à nous en occuper ici ; elles seront à leur place dans un ouvrage spécial sur le spiritisme.

Le même Comité a publié dans ce Rapport général la lettre suivante, qu’il m’avait fait l’honneur de me demander :

Je dois vous avouer d’abord, messieurs, que parmi ceux qui s’appellent médiums ou spirites, un nombre considérable sont des personnes d’intelligence limitée, incapables d’adapter une méthode expérimentale convenable à l’étude des phénomènes de cet ordre et qui, très souvent, sont dupes de leur ignorance et de leur crédulité. D’autres, au contraire, dont le nombre est également considérable, sont des imposteurs dont le sens moral est tellement oblitéré par les habitudes de fraude, qu’ils semblent bien incapables d’apprécier à quel point il est odieux d’abuser criminellement, comme ils le font, de la confiance de ceux qui recherchent dans ces phénomènes des moyens d’instruction ou des motifs de consolation.

Même quand la question est étudiée sérieusement et avec bonne foi, la force à laquelle sont dus ces phénomènes est si capricieuse dans son action, que leur étude expérimentale entraîne forcément beaucoup de désappointements et de perte de temps. Ce n’est donc pas chose facile d’éliminer les obstacles ainsi accumulés sous les pas des chercheurs, de supprimer les sources d’erreur, d’obtenir des manifestations authentiques de ces phénomènes, et de mettre en garde son esprit contre toute illusion dans l’examen méthodique des faits en question. Néanmoins, je n’hésite pas à affirmer ma conviction, basée sur l’examen personnel du sujet, que les savants qui déclarent que les phénomènes nommés magnétiques, somnambuliques, médiumniques et autres non encore expliqués par la science sont impossibles, doivent être rangés au nombre de ceux qui parlent de ce qu’ils ignorent. De même, l’homme habitué par ses occupations professionnelles à l’observation scientifique évitera de laisser envahir son esprit par des idées préconçues et de laisser obscurcir son intelligence par cette autre espèce d’illusion, malheureusement trop commune dans le monde des gens instruits, qui consiste à se figurer que toutes les lois de la nature sont connues et que tout ce qui semble franchir les limites de nos formules actuelles est impossible. On peut et on doit arriver à acquérir une certitude radicale expérimentalement fondée, de la réalité des faits dont il est question.

Après une affirmation aussi catégorique, j’ai à peine besoin d’assurer les membres de la Société dialectique que j’ai acquis par ma propre observation la certitude absolue de la réalité de ces phénomènes.

... Quoique, en l’absence de données concluantes sur la cause des phénomènes dits spirites, je sois porté à m’abstenir d’émettre aucune affirmation positive sur ce sujet, je dois ajouter cependant que l’affirmation unanime de leur origine spirituelle de la part de ces agents occultes qui, dans ce dernier quart de siècle, se sont ainsi manifestés sur toute la surface du globe, imprime à ce problème un caractère qui, par son universalité, mérite de fixer l’attention du chercheur impartial. L’histoire de la race humaine depuis les temps les plus reculés fournit des exemples de coïncidences, de prévisions et d’avertissements au sujet de choses futures, reçus dans certains moments critiques, dapparitions plus ou moins nettement vues, que des témoignages aussi dignes de foi que tous ceux que nous possédons sur toute autre branche de la tradition historique, assurent s’être produits réellement.

Je dois ajouter aussi que mes recherches dans les domaines de la philosophie et de l’astronomie moderne m’ont amené, comme on le sait, à adopter une façon de voir personnelle au sujet de l’espace et du temps, de la pluralité des mondes habités, de l’éternité et de l’ubiquité des forces agissantes de l’Univers, de l’indestructibilité des âmes aussi bien que des atomes.

La permanence de la vie intellectuelle doit être regardée comme le résultat de la succession harmonieuse des incarnations sidérales.

Notre globe étant une des terres de l’espace, une province de l’existence planétaire, et notre vie présente n’étant qu’un chapitre de notre durée éternelle, il semble tout naturel, car le surnaturel n’existe pas, qu’il existe un lien permanent entre les sphères, les corps et les âmes de tout l’Univers, et il est probable que l’existence de ce lien sera démontrée dans le cours des temps, par les progrès des découvertes scientifiques.

Il serait bien difficile d’exagérer l’importance des questions présentées ainsi à nos réflexions, et j’ai vu avec une vive satisfaction la noble initiative que, par la constitution de votre Comité de recherches, un groupe d’hommes aussi justement considérés que les membres de la Société dialectique, a prise pour l’étude expérimentale de ces phénomènes si profondément intéressants. Je suis donc très heureux de répondre au vœu contenu dans votre lettre, en vous adressant l’humble tribut de mes observations sur le sujet en question, et d’avoir ainsi l’occasion d’offrir à votre Société l’assurance de ma plus sincère bonne volonté pour l’élucidation approfondie de ces mystères de la nature, que l’on n’avait pas encore introduits dans le domaine des sciences positives.

CAMILLE FLAMMARION.

Paris, 8 mai 1870.

Ce résumé des travaux de la Société dialectique de Londres établit de nouveau que, depuis longtemps déjà, l’étude des phénomènes produits par les médiums est entrée dans la voie de l’expérimentation scientifique. Il n’y a, semble-t-il, que les aveugles qui puissent nier désormais.

Il répond également à une question souvent posée, c’est que l’on peut entreprendre ces expériences sans connaître de médium attitré. Il s’en trouve toujours dans une réunion d’une dizaine de personnes. C’est ce qu’avaient déjà établi les séances du comte de Gasparin.

Le même rapport contient aussi (25 mai 1869) une communication de l’électricien Cromwell Varley déclarant que les phénomènes médiumniques ne peuvent être contestés par tout observateur de bonne foi, et que, pour lui, l’hypothèse des esprits désincarnés est celle qui les explique le mieux, esprits vulgaires, en général, comme la majorité des citoyens de notre planète.

Cette expérimentation scientifique a été continuée par la Society for psychical Research, fondée en 1882, qui a eu pour présidents successifs le professeur Sidgwick, le professeur Balfour Stewart, le professeur Sidgwick une seconde fois, A. J. Balfour (premier ministre), le professeur William James, sir William Crookes, Frédéric Myers, sir Oliver Lodge, le prof. Ch. Richet, c’est-à-dire des hommes éminents dans la science et dans l’enseignement. Signalons ici, à ce propos, les magnifiques travaux du docteur Hodgson et du professeur Hyslop dans la branche américaine de cette Société.

Elle a été continuée, cette expérimentation, d’une manière magistrale, par le célèbre chimiste William Crookes, et lui a apporté les résultats les plus merveilleux. Nos lecteurs vont également s’en rendre compte.

Share on Twitter Share on Facebook