Recherches du professeur Thury

Les explications insuffisantes de Chevreul et de Faraday, les négations scientifiques de Babinet, les expériences si consciencieuses du comte de Gasparin avaient engagé plusieurs hommes de science à étudier la question au point de vue purement scientifique. De ce nombre fut un savant de haute valeur que j’ai visité à Genève, M. Marc Thury, professeur de physique et d’astronomie à l’Académie de cette ville. Nous lui devons un mémoire remarquable et peu connu 45 #id_origin45, que mon devoir est de résumer ici.

En présence des phénomènes nouveaux, écrit Thury, il n’y avait qu’une alternative :

1° Rejeter, au nom du sens commun et des résultats acquis de la science, tous les prétendus phénomènes des tables, comme des jeux puérils, indignes d’occuper les heures du vrai savant, parce que leur absurdité est évidente a priori. Faire tomber la chose en lui refusant l’attention sérieuse qu’elle ne mérite pas.

2° Ou bien examiner quand même, étudier le fait dans ses détails, afin de mettre dans tout leur jour les causes d’illusion dont le public est dupe, séparer le vrai du faux et jeter une pleine lumière sur tous les côtés du phénomène physique, physiologique ou psychologique, afin que cette clarté surabondante ne permette plus de douter.

Ce dernier parti, nous n’avons pas besoin de le dire, est celui qu’adopte Thury comme le comte Gasparin, et qu’il considère comme seul convenable, efficace et légitime.

La seule force de la science est dans la lumière ; elle n’a aucune puissance sur ce qu’elle laisse dans l’ombre. La question est donc celle-ci : ce qui se passe dans le phénomène des tables est-il tellement évident que l’on puisse faire toucher du doigt les causes d’illusion, et montrer clairement qu’il n’y a en jeu aucun élément inconnu et nouveau.

Je ne trouve pas, répond le professeur genevois, que l’on soit arrivé à ce degré d’évidence : je n’en veux qu’une preuve, ce sont les explications qui ont été tentées.

S’il est donc bien établi que l’explication vulgaire n’est pas évidente aux yeux de tous les hommes intelligents et sensés, il reste une tache à remplir, un devoir pour la science, celui de répandre une pleine lumière sur le phénomène dont il s’agit, et cette tâche ne saurait être échangée contre celle, plus facile, de jeter l’ironie ou le dédain sur ceux qui se sont égarés dans le chemin que la science n’a pas voulu éclairer.

Les savants sont toutefois excusables de ne pas aller trop vite, dirons-nous à notre tour, avec Thury.

Comment donc ! une force perturbatrice que posséderait l’organisme humain, une force de calibre à soulever des tables et qui n’aurait jamais produit le plus petit dérangement dans les milliers d’expériences exactes que les physiciens font journellement dans leurs laboratoires ! Leurs balances sensibles à un dixième de milligramme, leurs pendules dont les oscillations s’accomplissent avec une régularité mathématique, n’eussent jamais ressenti la moindre influence de ces forces dont le principe est là, présent, partout où il y a un homme et une volonté. Or, la volonté du physicien existe toujours pour que l’expérience marche selon les prévisions de la théorie.

Et même, sans sortir de l’organisme humain, qui ne peut mouvoir la plus petite partie de soi-même, si cette partie est dépourvue de muscles et de nerfs, et si un cheveu de notre tête est absolument soustrait aux ordres de notre volonté, combien, à plus forte raison, le seront les corps inertes placés en dehors de nous !

Mais s’il y a invraisemblance profonde, on ne peut pas dire qu’il y ait impossibilité. Nul ne peut démontrer a priori l’impossibilité des phénomènes annoncés, comme on démontre l’impossibilité du mouvement perpétuel on de la quadrature du cercle. Nul, par conséquent, n’est en droit de traiter d’absurdes les témoignages qui viendraient les affirmer, et si ces témoignages sont rendus par des hommes judicieux et véridiques, alors il vaut la peine d’examiner. Si l’on avait suivi cette marche logique et la seule moralement juste, le travail serait fait, et des savants en auraient en la gloire.

Thury commence par examiner les expériences du comte de Gasparin à Valleyres.

Les expériences de Valleyres, écrit-il, tendent à établir les deux principes suivants :

1° La volonté, dans un certain état de l’organisme humain, peut agir à distance sur les corps inertes, par un moyen différent de l’action musculaire.

2° La pensée peut, dans les mêmes conditions, se communiquer directement d’un individu à l’autre, d’une manière inconsciente.

Aussi longtemps que l’on ne connut pas d’autres faits que ceux d’un mouvement qui s’effectuait au contact des doigts, dans un sens où l’action mécanique des doigts était possible, les résultats des expériences sur la table furent toujours d’une interprétation difficile et douteuse. Ils devaient nécessairement se fonder sur l’appréciation de la force mécanique exercée par les mains, comparée à la valeur des résistances à vaincre. Mais la force mécanique des mains est difficile à mesurer exactement dans les conditions nécessaires pour que le phénomène se produise.

Hors de là, il restait deux partis à prendre.

A. Disposer les appareils de manière à ce que le mouvement que l’on veut amener soit un de ceux que l’action mécanique des doigts serait incapable de produire.

B. Opérer les mouvements à distance, sans aucune espèce de contact.

Voici d’abord les premières expériences :

A. Action mécanique rendue impossible. — La première expérience tentée dans cette voie donna des résultats entièrement négatifs. Nous avions fait suspendre une table à une corde, laquelle passait sur deux poulies fixées au plafond, et se terminait par un contrepoids. Il était facile, en réglant ce contre-poids, d’équilibrer la totalité ou seulement une fraction plus ou moins grande du poids de la table.

L’équilibre avait été presque établi, l’un seulement des trois pieds de la table touchait encore au sol. Les opérateurs posèrent leurs mains sur le plateau. On agit d’abord circulairement, préparation reconnue efficace dans les expériences antérieures. On chercha ensuite, mais en vain, à soulever la table eu la détachant du sol ; on n’obtint aucun résultat positif.

Déjà l’année dernière nous avions fait suspendre une table à un dynamomètre, et les efforts de quatre magnétiseurs furent impuissants à soulager le dynamomètre d’une fraction appréciable du poids du meuble.

Mais les conditions essentielles pour que le phénomène se produise nous sont encore inconnues, et par conséquent lorsque les expériences tentées conduisent à des résultats négatifs, il faut en essayer d’autres, sans trop se presser de conclure. C’est ainsi qu’ont été obtenus les résultats que je vais décrire.

Expérience de la table à bascule. — Il fallait un appareil où l’action mécanique des doigts fût rendue impossible.

Dans ce but, nous avons fait construire une table ronde ayant un plateau de 0 m. 84 de diamètre, et un pied central trifurqué à sa partie inférieure. Cette table était presque semblable, en apparence, à celle qui avait servi jusqu’alors, et pouvait tourner comme sa devancière. Toutefois, la nouvelle table était susceptible de se transformer en un instant dans l’appareil que je vais décrire.

Le sommet du trépied est devenu le point d’appui d’un levier du premier genre, qui peut se balancer librement dans un plan vertical Ce levier, dont les deux bras sont égaux entre eux et au rayon de la table, porte à l’une de ses extrémités le plateau tenu, par le bord, et vers l’autre extrémité un contrepoids, qui fait équilibre au plateau, mais que l’on peut modifier à volonté. Au centre inférieur du plateau est assujetti un pied qui repose sur le sol.

Après les rotations préliminaires nécessaires, la table est disposée sous sa deuxième forme : l’équilibre est d’abord établi, puis on enlève un quart de kilogramme au contrepoids ; la force nécessaire pour soulever le plateau par son centre est alors de 95 grammes, et des expériences préalables ont démontré que l’adhérence des doigts des opérateurs (le plateau était poli et non pas verni) et les effets possibles d’élasticité forment un total inférieur à ce chiffre. Cependant le plateau est soulevé par l’action des doigts posés légèrement à sa face supérieure, à distance du bord. Alors on diminue le contrepoids ; la difficulté mécanique du soulèvement augmente, cependant le soulèvement a encore lieu. On diminue encore et de plus en plus le contrepoids, jusqu’à la limite que l’appareil ne peut dépasser : la force nécessaire pour soulever le plateau est alors de 4 kil. 27, et le contrepoids a été déchargé de 11 kilogrammes ; cependant le soulèvement a encore lieu avec facilité. On diminue graduellement le nombre des opérateurs de onze à six ; la difficulté va croissant ; cependant six opérateurs suffisent encore ; mais cinq ne suffisent plus. Six opérateurs soulevant 4 kil. 27, cela fait en moyenne 0 kil. 71 pour chaque opérateur.

On possède maintenant dans l’appareil que je viens de décrire un instrument de mesure.

B. Voici maintenant les mouvements opérés sans contact.

La table sur laquelle se faisaient les essais dont j’ai été témoin, a 82 centimètres de diamètre, et pèse 14 kilogrammes. Une force tangentielle moyenne de 2 kilogrammes, pouvant s’élever à 3 kilogrammes, suivant les inégalités du plancher, appliquée au bord du plateau, est nécessaire pour donner au meuble un mouvement de rotation. Le nombre des personnes qui agissent sur cette table est en général de dix.

Pour nous assurer de l’absence de tout contact, nous placions notre œil à la hauteur du plateau, de manière à voir le jour entre nos doigts et la surface de la table : les doigts se maintenaient à un centimètre environ au-dessus du plateau. En général deux personnes observaient à la fois. Par exemple, M. Edmond Boissier observait les pieds de la table, tandis que je surveillais le plateau ; puis nous changions de rôle. Quelquefois deux personnes se plaçaient aux extrémités d’un même diamètre, l’une vis-à-vis de l’autre, pour surveiller le plateau. Et, à bien des reprises, nous avons vu la table se mettre en mouvement sans qu’il nous fût possible de surprendre le moindre attouchement des doigts. D’après mes calculs, il faudrait au moins le frôlement de 100 doigts ou la pression légère de 30, ou deux mains agissant volontairement et avec fraude, pour expliquer mécaniquement les mouvements que nous avons observés.

Bien plus souvent encore ont été opérés les balancements sans contact, balancements qui allaient quelquefois jusqu’au renversement total du meuble. Pour expliquer mécaniquement ces effets, tels que nous les avons observés, il faudrait admettre le frôlement involontaire de 84 doigts ou la pression légère de 25, ou deux mains agissant avec fraude, suppositions qui ne sont non plus aucunement admissibles.

Néanmoins, nous avons toujours senti que l’on objecterait la difficulté d’observer ces faits d’une manière certaine, et nous avons constamment engagé M. de Gasparin à rendre solidaire de quelque effet matériel le contact des doigts. De la est née la dernière expérience en date, et la plus concluante de toutes. Une couche légère de farine a été répandue sur la table presque instantanément, à l’aide d’un soufflet à soufrer la vigne : l’action des mains placées à distance a entraîné le meuble ; puis on a fait l’inspection de la couche de farine, qui était demeurée vierge de tout contact. Répétée à plusieurs reprises et dans des jours différents, elle a toujours donné les mêmes résultats.

Tels sont les faits principaux qui établissent la réalité du phénomène. Thury aborde ensuite la recherche plus difficile des causes.

Siège de la force. — Ou bien la force qui produit les phénomènes est une force générale, tellurique, qui se transmet seulement par les opérateurs, ou qui est mise en action par eux ; ou bien cette force réside dans les opérateurs eux-mêmes.

Pour décider cette question, nous avons fait construire un grand plateau mobile sur un axe parfaitement vertical. Ce plateau portait quatre chaises à la périphérie, et une table au centre. Quatre opérateurs, exercés aux actions nervo-magnétiques, se placèrent sur ces chaises, et posant leurs mains sur la table qui était au centre, ils cherchèrent à entraîner celle-ci non mécaniquement. Bientôt, en effet, la table commença à se mouvoir. Alors elle fut arrêtée sur le plateau tournant au moyen de trois vis. L’effort exercé sur cette table par les quatre magnétiseurs fut tel qu’au bout de trois quarts d’heure d’expérience, le pied du meuble finit par se rompre. Cependant le plateau mobile ne tourna pas. La force tangentielle nécessaire pour entraîner mécaniquement le plateau à vide était seulement de quelques grammes ; chargée des quatre opérateurs, elle était de 250 grammes appliqués à 0 m. 73 du centre. Ce chiffre eut été beaucoup moindre, s’il avait été possible de répartir uniformément le poids des opérateurs.

Il résulte de cette expérience (du 4 juin 1853) que la force qui tend à faire tourner la table est dans les individus et non pas dans le sol, car l’action exercée sur la table tend à entraîner le plateau ; si donc le plateau demeure immobile, il faut qu’une action égale et contraire soit exercée par les opérateurs ; c’est donc en eux que réside le point d’appui et le siège de la force. Si, au contraire cette force eût émané en tout ou en partie notable du sol, si c’eût été une force immédiatement tellurique, le plateau eût tourné, l’effort que la table exerçait sur lui n’étant plus contrebalancé par une réaction égale provenant des individus.

Conditions de production et d’action de la force. — Nous avons dit que les conditions de production de la force sont mal connues. À défaut de lois précises, nous indiquerons ce qui a été plus ou moins constaté sur les trois points suivants :

a) Conditions d’action relatives aux opérateurs ;

b) Conditions relatives aux objets à mouvoir ;

c) Conditions relatives au mode d’action des opérateurs sur les objets à mouvoir.

LA VOLONTÉ. La première condition et la plus indispensable, suivant M. de Gasparin, c’est la volonté de celui qui opère : « Sans la volonté, dit-il, on n’obtient rien ; on formerait la chaîne vingt-quatre heures de suite, qu’on n’arriverait pas au plus léger mouvement ». Plus loin l’auteur parle, il est vrai, de mouvements inattendus différents de ceux que la volonté ordonne, mais il est évident qu’il s’agit ici d’une combinaison nécessaire des mouvements ordonnés et des résistances extérieures, les mouvements effectifs étant la résultante de ceux qui ont été voulus, et des forces de résistance développées dans les obstacles extérieurs : somme toute, la volonté est donc toujours le mobile primitif.

Rien, dans les expériences de Valleyres, n’autorisait à croire qu’il en pût être autrement ; mais aussi ce résultat purement négatif, généralité provisoire déduite d’un nombre limité d’expériences, ne saurait infirmer les résultats d’expériences contraires, dans le cas où celles-ci existeraient. En d’autres termes, la volonté peut être ordinairement nécessaire, sans l’être toujours. C’est ainsi que le contact est ordinairement nécessaire, et qu’il l’a été toujours chez un grand nombre d’opérateurs, sans cependant que ceux-ci fussent en droit de conclure que le contact est la condition indispensable du phénomène et que les résultats différents obtenus à Valleyres n’ont été qu’illusion ou erreur.

Comme il s’agit ici d’un point capital dans la question, qu’il nous soit permis de rapporter avec quelque détail des faits qui semblent contraires à la thèse soutenue par M. de Gasparin. Ces faits ont pour garant le témoignage d’un homme que je voudrais pouvoir nommer, parce que sa science et son caractère sont connus de tous ; c’est dans sa maison et sous ses yeux qu’ont eu lieu des faits que je vais rapporter.

Dans le temps où chacun s’amusait à faire tourner et parler des tables, ou à conduire sur le papier des crayons plantés dans des bobèches, les enfants de la maison, plusieurs fois, se divertirent à ce jeu. D’abord, les réponses obtenues furent telles, que l’on pouvait y voir un reflet de la pensée inconsciente des opérateurs, un « rêve des opérateurs éveillés ». Bientôt, cependant, le caractère de ces réponses parut changer : ce qu’elles manifestaient semblait plus difficilement pouvoir sortir de l’âme des jeunes interrogateurs ; enfin il y eut une opposition telle aux ordres donnés, que M. N..., incertain sur la nature vraie de ces manifestations où semblait apparaître une volonté différente de la volonté humaine, défendit qu’elles fussent de nouveau provoquées. Dès lors, bobèches et table rentrèrent dans le repos.

Une semaine s’était à peine écoulée depuis la fin de ces choses, lorsqu’un enfant de la maison, celui qui auparavant réussissait le mieux dans les expériences des tables, devint l’acteur ou l’instrument de phénomènes étranges ; cet enfant recevait une leçon de piano, lorsqu’un bruit sourd retentit dans l’instrument qui s’ébranla et fut déplacé, tellement que l’élève et la maîtresse le fermèrent en toute hâte et quittèrent le salon. Le lendemain M. N..., prévenu de ce qui s’était passé, assiste à la leçon qui se donne à la même heure, à la tombée de la nuit. Au bout de cinq à dix minutes, il entend de l’intérieur du piano sortir un bruit difficile à définir ; mais qui était bien tel que devait le produire un instrument de musique ; il avait quelque chose de musical et de métallique. Bientôt après le piano, d’un poids supérieur à 300 kilogrammes, se soulève quelque peu de ses deux pieds antérieurs. M. N... se place à l’une des extrémités de l’instrument qu’il essaie de soulever ; tantôt il avait sa pesanteur ordinaire qui dépasse la mesure des forces de M. N..., tantôt il faisait l’effet de n’avoir plus aucun poids, et n’opposait plus la moindre résistance. Comme les bruits intérieurs devenaient de plus en plus intenses, on mit fin à cette leçon, dans la crainte que le piano ne souffrît quelque dommage. On transporta la leçon au matin et dans un autre salon situé au rez-de-chaussée ; les mêmes phénomènes se reproduisirent, et le piano, qui était plus léger que l’autre, se soulevait beaucoup plus (c’est-à-dire de plusieurs centimètres). M. N... et un jeune homme de dix-neuf ans essayèrent de peser ensemble de toutes leurs forces aux angles qui se soulevaient ; ou bien leur résistance était vaine, et l’instrument se soulevait encore, ou bien le tabouret sur lequel l’enfant était assis reculait avec une grande vitesse.

Si des faits pareils ne s’étaient produits qu’une seule fois, on pourrait croire à quelque illusion de l’enfant ou des personnes qui étaient alors présentes ; mais ils se renouvellent un grand nombre de fois, et cela pendant quinze jours de suite, en présence de témoins divers. Puis, un certain jour, une manifestation violente se produit, et dès lors aucun fait extraordinaire n’a plus lieu dans la maison. C’est d’abord le matin et le soir que ces perturbations ont lieu ; puis à toutes les heures, constamment, chaque fois que l’enfant se met au piano, après cinq ou dix minutes de jeu. Cela n’arrive qu’à cet enfant, bien qu’il y ait là d’autres personnes musiciennes, et cela lui arrive indifféremment aux deux pianos de la maison.

Nous avons vu ces instruments : le plus petit, placé au rez-de-chaussée, est un piano rectangulaire horizontal. D’après nos mesures, une force d’environ 75 kilogrammes appliquée au bord de la caisse, au-dessous du clavier, est nécessaire pour opérer le soulèvement, qui avait lieu. L’instrument du premier étage est un lourd piano d’Erard, à cinq barres, pesant avec la caisse dans laquelle il fut envoyé 370 kilogrammes, selon la lettre de voiture que nous avons eue sous les yeux. D’après nos mesures approximatives, un effort de 200 kilogrammes est nécessaire pour soulever ce piano, dans les mêmes conditions que le premier.

Nous ne pensons pas que l’on soit tenté d’attribuer à l’effort musculaire direct d’un enfant de onze ans, le soulèvement d’un poids de 200 kilogrammes 46 #id_origin46. Une dame qui avait expliqué l’effet produit par l’action des genoux, passa elle-même la main entre le bord du piano et les genoux de l’enfant et put ainsi se convaincre que son explication n’était pas fondée ; l’enfant lui-même, se plaçant pour jouer à genoux sur le tabouret, ne voyait point cesser les perturbations qu’il redoutait.

Ces constatations du professeur Thury sont à la fois précises et formidables. Deux pianos qui se soulèvent du sol et qui sautent ! Diable ! Que faut-il donc aux physiciens, aux chimistes, aux savants du fonctionnarisme officiel, pour éveiller leur torpeur, secouer leurs oreilles, ouvrir leurs yeux, exciter leur noble et pharisaïque indolence ?

Pourtant, nul ne s’occupe du problème posé, à part de rares chercheurs, affranchis de la crainte du ridicule, sachant ce que vaut la race humaine, en gros et en détail.

Mais écoutons encore le narrateur. Il discute ensuite l’explication par « la volonté ».

L’enfant, écrit-il, voulait-il ce qui s’est produit, comme il faudrait l’admettre dans la théorie de M. de Gasparin ? Selon son témoignage, que nous croyons entièrement vrai, il ne le voulait pas ; il paraissait visiblement contrarié de ces choses, qui troublaient ses habitudes d’assiduité à ses leçons et ses goûts de régularité et d’ordre, connus de ses alentours. Notre conviction personnelle est que l’on ne saurait absolument pas admettre, de la part de cet enfant, une volonté consciente, un dessein arrêté de produire ces phénomènes étranges. Mais on sait que parfois notre être se dédouble, s’entretient avec lui-même (rêves), désire inconsciemment ce qu’il ne veut pas, et qu’entre la volonté et le désir il n’y a que différence de plus ou de moins. Il faudrait avoir recours à des explications de ce genre, trop subtiles peut-être, pour faire cadrer ces faits avec la théorie de M. Gasparin, et encore serait-il nécessaire de modifier et d’élargir celles-ci, en admettant que le désir même inconscient suffit à défaut de la volonté formulée. Il y a donc sur ce point essentiel raison de doute : c’est la seule conséquence que nous voulons tirer des faits que nous avons rapportés.

Ce soulèvement équivalant à un effort de 200 kilogrammes a sa valeur scientifique. Mais comment la volonté, consciente ou inconsciente, lèverait-elle un meuble de ce poids ? Par une force inconnue que l’on est bien obligé d’admettre.

Action préalable. — La puissance se développe par l’action. Les rotations préparent aux balancements et aux soulèvements. Les rotations et les balancements avec contact semblent développer la force nécessaire pour opérer les rotations et les balancements sans contact. À leur tour, les rotations et les balancements sans contact disposent à opérer les vrais soulèvements, tels que ceux de la table à bascule ; et les personnes qui ont réveillé en elles cette force latente sont plus aptes à l’appeler de nouveau.

Il y a donc une préparation graduelle nécessaire au moins pour la grande généralité des opérateurs. Cette opération consiste-t-elle dans une modification survenue dans l’opérateur, ou dans le corps inerte sur lequel il agit, ou dans l’un et l’autre ? Afin de résoudre cette question, des opérateurs exercés sur une table se sont portés sur une autre, sur laquelle ils ont retrouvé toute la puissance de leur action. La préparation consiste donc dans une modification survenue dans les individus, et non pas dans le corps inerte 47 #id_origin47. Cette modification survenue dans les individus, se dissipe assez rapidement, surtout lorsque la chaîne des opérateurs est brisée.

Dispositions intérieures des opérateurs. — Ce n’est qu’après un certain temps d’attente que les opérateurs, qui n’ont pas agi préalablement, déterminent le mouvement le plus facile, celui de rotation avec contact. C’est pendant la durée de ce temps que la force, ou les conditions de manifestation de la force, se développent : dès lors, la force développée n’a plus qu’à s’accroître. Ce qui se passe dans ce moment d’attente est donc très important à considérer. Nous savons déjà que ce sont les opérateurs qui se modifient ; mais que se passe-t-il en eux ?

Il faut qu’il s’exerce une action particulière dans l’organisme, action pour laquelle l’intervention de la volonté est ordinairement nécessaire. Cette action, ce travail est accompagné d’une certaine fatigue, il ne se fait pas d’une manière également facile ou prompte chez tous les opérateurs ; il y a même des personnes (l’auteur évalue leur nombre à une sur dix), où il semble qu’il ne puisse pas se produire.

Au milieu de cette grande diversité, on observe que des enfants « se sont fait obéir comme les grandes personnes », cependant les enfants ne magnétisent pas. Ainsi, bien que plusieurs faits semblent établir que les magnétiseurs ont souvent un pouvoir énergique sur les tables, on ne peut pas admettre l’identité du pouvoir magnétisant et de l’action sur les tables, l’un n’est pas la mesure de l’autre. Seulement la puissance magnétisante constituerait ou supposerait une condition favorable.

Une volonté simple et ferme, de la verve, de l’entrain ; la concentration des pensées sur le travail à faire, un bon état de santé, peut-être l’action physique de tourner. Et aussi, tout ce qui peut amener l’unité de volonté entre les opérateurs ; c’est dans ce sens que les ordres prononcés avec force, et l’autorité sont efficaces.

Les tables, dit M. de Gasparin, « veulent être prises gaiement, lestement, avec entrain et confiance ; elles veulent au début des exercices amusants et faciles. » « On ne gouverne fermement la table qu’à condition d’être bien portant d’abord et confiant ensuite. »

Il faut compter, au contraire, parmi les circonstances défavorables : un état de tension nerveuse, la fatigue ; trop de passion ; un esprit soucieux, préoccupé ou distrait.

Les tables, dit encore M. de Gasparin, dans son langage métaphorique, « détestent les gens qui se fâchent, soit contre elles, soit en leur faveur. » « Aussitôt que j’y mettais trop d’intérêt, je cessais de me faire obéir. » « S’il m’arrivait de désirer trop fortement le succès et de m’impatienter en cas de retard, je n’avais plus aucune action sur la table. » « Rencontrent-elles des préoccupations ou des excitations nerveuses, elles se mettent à bouder. » « Susceptibles, soucieux... on ne fait rien qui vaille. » « Au milieu des distractions, des causeries, des plaisanteries, les opérateurs perdent immanquablement toute leur puissance. » Point d’expériences de salon.

Faut-il être croyant ? Ce n’est pas nécessaire ; mais la confiance au résultat dispose favorablement à une plus grande puissance. Il ne suffit pas d’être croyant ; il y a des personnes croyantes et de bonne volonté, dont l’action est tout à fait nulle.

La force musculaire ou la susceptibilité nerveuse, ne paraissent jouer aucun rôle.

Les conditions météorologiques ont paru avoir quelque influence, probablement en agissant sur le physique et le moral des opérateurs. Ainsi le beau temps, un temps sec et chaud, mais non pas une chaleur suffocante, agissent favorablement.

L’action particulièrement efficace de la chaleur sèche sur la surface de la table 48 #id_origin48 recevra peut-être une explication différente.

Action musculaire inconsciente, se produisant dans un état nerveux particulier. — Aussi longtemps que l’on ne connut pas d’autres faits que ceux de mouvement avec contact, dans lesquels le mouvement observé était un de ceux que l’action musculaire pouvait produire, des explications fondées sur l’hypothèse de l’action inconsciente des muscles étaient certainement suffisantes, et bien plus probables que toutes les autres explications qui avaient été jusqu’alors proposées.

Dans ce point de vue, entièrement physiologique, on établit qu’il faut distinguer l’effort qu’un muscle exerce, de la conscience que nous avons de cet effort. On rappelle que dans l’organisme humain il existe un grand nombre de muscles qui exercent habituellement des efforts considérables, sans que nous ayons le moindre sentiment de ces efforts. On montre qu’il existe des muscles dont les contractions sont perceptibles pour nous dans un certain état de l’organisme, et inaperçues dans un autre état. Il serait donc concevable que les muscles de nos membres offrissent exceptionnellement le même phénomène. La préparation au mouvement des tables, l’état particulier de réaction qui a lieu dans ce moment d’attente, mettent le système nerveux dans un état particulier, où certains mouvements musculaires peuvent avoir lieu d’une manière inconsciente.

Mais, évidemment, cette théorie ne suffit pas pour expliquer les mouvements sans contact, ni ceux qui s’accomplissent dans un sens où l’action musculaire ne saurait les produire. Ce sont donc ces deux faits nouveaux qui doivent servir de base à de nouvelles expériences et de fondement à une nouvelle théorie.

Comment aussi expliquer le caractère tout particulier et véritablement inconcevable des mouvements de la table : ce départ si insensible, si doux, si étranger aux brusqueries de l’impulsion mécanique, ces soulèvements spontanés, énergiques, qui s’élancent à l’encontre des mains... ces danses et ces imitations musicales qu’on tenterait vainement d’égaler au moyen de l’action combinée et volontaire des opérateurs ; les petits coups succèdent aux grands dès que l’ordre est donné et dont rien ne saurait exprimer l’exquise délicatesse. Plusieurs fois, lorsqu’on demandait son âge au soi-disant esprit, l’un des pieds du guéridon se levait et comptait 1, 2, 3, etc., puis le mouvement s’accélérait, et enfin les trois pieds battaient une espèce de roulement si rapide qu’il n’était plus possible de compter, et que le plus habile ne parviendrait jamais à imiter. Dans une autre occasion, la table tournait au contact des mains, sur trois pieds, sur deux, sur un seul, et dans cette dernière position changeait de pieds en se jetant sur l’un, sur l’autre sans embarras, sans rien de brusque ni de saccadé. Jamais les expérimentateurs ni leurs plus grands contradicteurs ne purent imiter mécaniquement cette danse de la table, et surtout les pirouettes et les changements de pieds.

Électricité. — Beaucoup de personnes ont voulu expliquer les mouvements des tables par l’électricité. En supposant qu’il y ait là production même très abondante de cet agent, aucun effet connu de l’électricité ne rendrait compte du mouvement des tables. Au reste, il est facile de montrer qu’il n’y a point d’électricité produite, car ayant interposé un galvanomètre dans la chaîne, il n’y eut aucune déviation de l’aiguille. L’électromètre demeure aussi indifférent que la boussole aux sollicitations des tables.

Nervo-magnétisme. — Il y a certainement quelque analogie entre plusieurs phénomènes de nervo-magnétisme et ceux des tables. Ces passes qui semblent favoriser le balancement sans contact, l’action exercée par la chaîne des opérateurs sur cet homme qu’ils font tourner, si toutefois il n’y a pas là quelque effet de l’imagination ; enfin le pouvoir que beaucoup de magnétiseurs exercent sur les tables, tout cela semble indiquer une parenté entre ces deux ordres de phénomènes. Mais comme les lois du nervo-magnétisme sont encore très peu connues, il n’y a rien à tirer de là, et il nous semble qu’il vaut mieux, pour le moment, étudier à part le phénomène des tables qui se prête mieux à l’expérimentation physique, et qui, bien étudié, rendra plus de services au nervo-magnétisme qu’il ne pourrait de longtemps en recevoir de cette branche obscure de physiologie.

Thury arrive ensuite à la théorie de M. de Gasparin sur l’action fluidique. Sûr de comprendre exactement cette théorie, il la résume dans les points suivants :

1° Un fluide est produit par le cerveau et se dirige le long des nerfs.

2° Ce fluide peut franchir les limites du corps ; il peut être émis.

3° Sous l’influence de la volonté, il peut se diriger ça et là.

4° Ce fluide agit sur les corps inertes, toutefois il fuit le contact de certaines substances, telles que le verre.

5° Il soulève les parties vers lesquelles il se porte ou s’accumule.

6° Il agit en outre sur les corps inertes par attraction ou par répulsion, tendant à rapprocher les corps inertes de l’organisme ou à les en éloigner.

7° Il peut aussi déterminer des mouvements intérieurs dans la matière, et donner lieu à des bruits.

8° Ce fluide se produit et se développe surtout en tournant, et par la volonté et l’union des mains d’une certaine manière.

9° Il se communique d’une personne à l’autre par voisinage ou par contact. Certaines personnes en entravent cependant la communication.

10° Nous n’avons aucune conscience des mouvements particuliers du fluide, que la volonté détermine.

11° Ce fluide est probablement identique au fluide nerveux et au fluide nervo-magnétique.

Application. — La rotation est une résultante de l’action du fluide et des résistances du plancher.

Le balancement résulte de l’accumulation du fluide sur le pied de la table qui se lève.

Le verre placé au milieu de la table arrête le mouvement, parce qu’il fait fuir le fluide.

Le verre placé au bord de la table fait soulever le bord opposé, parce que le fluide fuyant le verre s’y accumule.

Thury n’essaie pas la discussion de cette théorie. Mais nous pouvons redire avec Gasparin ; « Quand vous m’aurez expliqué comment je lève la main, je vous expliquerai comment je fais lever le pied de la table. »

Là, en effet, est tout le problème : l’action de l’âme sur la matière. Le résoudre actuellement, il n’y faut pas songer. Ramener les faits nouveaux à l’analogie des faits anciens, c’est-à-dire l’action de l’âme sur les corps inertes placés en dehors de nous, à l’action de l’âme sur la matière qui est en nous, tel est le seul problème que la science actuelle puisse raisonnablement se proposer. Thury en posa les termes généraux comme il suit :

Question générale de l’action de l’âme sur la matière. — Nous chercherons à formuler les résultats de l’expérience, jusqu’au point où l’expérience nous abandonne ; dès lors nous suivrons toutes les alternatives qui s’offriront à notre esprit, comme de simples possibilités, dont quelques-unes donneront lieu à des hypothèses explicatives des phénomènes nouveaux.

Premier principe : Dans l’état ordinaire du corps, la volonté n’agit directement que dans la sphère de l’organisme. — La matière appartenant au monde extérieur se modifie au contact de l’organisme, et les modifications qu’elle subit en produisent d’autres de proche en proche par contiguïté : c’est ainsi que nous pouvons agir sur les objets éloignés de nous ; notre action à distance sur tout ce qui nous entoure est médiaté, et non pas immédiate.

Nous croyons même qu’il en est ainsi de l’action de toutes les forces physiques, telles que la pesanteur, la chaleur et l’électricité ; leur effet se communique de proche en proche, et ainsi seulement franchit les distances.

Deuxième principe : Dans l’organisme même, il y a une série d’actes médiats. Ainsi, la volonté n’agit pas directement sur les os qui reçoivent le mouvement des muscles, la volonté ne modifie pas non plus directement les muscles, puisque ceux-ci, privés de nerfs, sont incapables de mouvement. La volonté agit-elle directement sur les nerfs ? Est-ce qu’elle les modifie médiatement ou immédiatement, c’est une question irrésolue. Ainsi, la substance sur laquelle l’âme agit immédiatement, est encore indéterminée : substance peut-être solide, peut-être fluide ; substance encore inconnue, ou bien état particulier de substances connues. Qu’il nous soit permis, pour éviter une périphrase, de lui donner un nom ; nous l’appellerons le psychode « ψυχὴ âme, όδός chemin. »

Troisième principe : La substance sur laquelle l’âme agit immédiatement, le psychode, n’est susceptible que de modifications très simples sous l’influence de l’âme, car dès que les mouvements doivent être un peu variés, on voit apparaître dans l’organisme une grande complication d’appareils, et tout un système de muscles, de vaisseaux et de nerfs, etc., qui n’existent pas chez les animaux inférieurs, où les mouvements sont très simples, et qui auraient été inutiles si la matière eût été immédiatement susceptible de modifications également variées sous l’influence de l’âme. Quand les mouvements doivent être très simples (infusoires), ces appareils disparaissent, et l’âme agit sur une matière presque uniforme.

On peut faire sur le psychode les quatre hypothèses suivantes :

a) Le psychode est une substance propre à l’organisme, et non susceptible d’en sortir : il n’agit que médiatement sur tout ce qui est placé en dehors de l’organisme visible.

b) Le psychode est une substance propre à l’organisme, susceptible de s’étendre au delà des limites de l’organisme visible dans certaines conditions particulières. Les modifications qu’il éprouve agissent nécessairement sur les autres corps inertes. La volonté agit sur le psychode, et ainsi, médiatement, sur les corps que la sphère de cette substance enveloppe.

c) Le psychode est une substance universelle, qui trouve ses conditions d’action sur les autres corps inertes dans la structure des organismes vivants, ou dans un certain état des corps inorganiques, état déterminé par l’influence des organismes vivants en certaines conditions particulières.

d) Le psychode est un état particulier de la matière, état qui se produit habituellement dans la sphère de l’organisme, mais qui peut aussi se produire au dehors sous l’influence d’un certain état de l’organisme, influence comparable à celle des aimants dans les phénomènes de diamagnétisme.

Thury propose de nommer état ecténeique (έκτενεια extension) cet état particulier de l’organisme dans lequel l’âme peut, en quelque sorte, étendre les limites habituelles de son action ; et force ecténeique celle qui se développe dans cet état.

La première hypothèse, ajoute-t-il, ne s’adapterait aucunement aux phénomènes qu’il s’agit d’expliquer. Mais les trois autres donnent lieu à trois explications différentes, dans lesquelles rentreront, assure-t-il, la plupart de celles qui seront tentées.

Explications qui se fondent sur l’intervention des esprits. M. de Gasparin a réfuté toutes ces explications :

1° Par des considérations théologiques

2° Par la remarque très juste que l’on ne doit recourir à des explications du genre de celles dont il s’agit, qu’alors que les autres explications sont décidément insuffisantes.

3° Enfin par des considérations physiques. Envisageant ici la question uniquement au point de vue de la physique générale, nous ne suivrons pas l’auteur, dit-il, dans le premier genre de considérations. Quant au second, nous ferons seulement observer que la suffisance des explications purement physiques ne doit rigoureusement s’entendre que des expériences de Valleyres, ou rien, en effet, ne témoigne d’une intervention de volontés différentes de la volonté humaine.

L’intervention des esprits pourrait se conclure du contenu des révélations, dans le cas où ce contenu serait tel qu’il ne pourrait évidemment pas être sorti de l’âme humaine. Nous n’avons point à discuter cette question ; notre étude actuelle se rapporte uniquement aux mouvements des corps inertes, et nous n’avons à considérer parmi les arguments de l’auteur que ceux qui ne sortent pas de ce point de vue.

Or, ces arguments nous semblent tous résumés dans ces lignes un peu ironiques : « Étranges esprits... que ceux dont la présence dépendrait d’une rotation, dépendrait du froid ou du chaud, de la santé ou de la maladie, de l’entrain ou de la lassitude, d’une troupe de magiciens sans le savoir. J’ai la migraine ou j’ai la grippe, donc les démons ne pourront pas venir aujourd’hui. »

M. de Mirville, qui croit aux esprits servis par des fluides, pourrait cependant répondre à l’auteur que les conditions de la manifestation ostensible des esprits sont peut-être précisément l’état fluidique ; que, s’il en était ainsi, il pourrait très bien y avoir manifestation fluidique sans intervention d’esprits, mais non pas intervention d’esprits sans manifestation fluidique préalable, et qu’ainsi l’on ne provoque de telles manifestations qu’à ses risques et périls.

Thury examine ensuite comment la question des esprits doit être posée.

La tache de la science, écrit-il, est de rendre témoignage de la vérité. Elle ne peut le faire si elle emprunte une partie de ses données à la Révélation ou à la tradition, car il y a pétition de principe, et le témoignage de la science devient nul.

Les faits de l’ordre naturel se rapportent à deux catégories de forces : les unes nécessaires, les autres libres. À la première catégorie appartiennent les forces générales de pesanteur, de chaleur, de lumière, d’électricité, et la force végétative. Il est possible que l’on en découvre d’autres un jour ; mais actuellement ce sont les seules que l’on connaisse. À la seconde catégorie de forces appartiennent seulement l’âme des animaux et celle de l’homme : ce sont bien là des forces, puisque ce sont des causes de mouvements et de phénomènes variés dans le monde physique.

L’expérience nous apprend que ces forces se manifestent par l’intermédiaire d’organismes particuliers, fort compliqués chez les animaux supérieurs et chez l’homme, mais simples chez les animaux les plus inférieurs, où l’âme n’a plus besoin de muscles et de nerfs pour se manifester au dehors et où elle semble agir sur une matière homogène dont elle détermine les mouvements (Amæba d’Ehrenberg). C’est là où le problème de l’action de l’âme sur le corps se trouve en quelque sorte posé dans ses termes les plus simples, réduit à sa plus simple expression.

Dès que l’on admet l’existence de l’âme voulante comme distincte, au moins en principe, du corps matériel, il devient uniquement une question d’expérience de constater si d’autres volontés que celle de l’homme et des animaux jouent un rôle quelconque, fréquent ou rare, dans le monde où nous vivons. Ces volontés, si elles existent, auront un moyen quelconque de manifestations que l’expérience seule peut nous faire connaître. En effet, tout ce qu’il est possible d’affirmer a priori, c’est que la matière sera le moyen nécessaire de leur manifestation. Mais ce serait une idée bien étroite, et déjà démentie par l’observation du règne animal dans ses types inférieurs, que celle d’attribuer à cette matière une organisation nécessaire de muscles, de nerfs, etc. Aussi longtemps que l’on ne connaîtra pas le lien qui unit l’âme à la matière dans laquelle elle se manifeste, il sera parfaitement illogique de poser a priori les conditions particulières que la matière doit remplir pour cette manifestation. Ces conditions demeurent parfaitement indéterminées. Ainsi, nous pouvons chercher les signes de ces manifestations dans l’éther cosmique ou dans la matière pondérable ; dans les gaz, dans les liquides, ou dans les solides ; dans la matière sans organisation, ou bien dans la matière déjà organisée, comme celle des animaux et de l’homme. Il serait de mauvaise logique d’affirmer que l’on ne saurait découvrir d’autres volontés que celles des animaux ou de l’homme, parce que jusqu’ici on n’a rien vu encore de semblable, car des faits de ce genre peuvent avoir été observés, mais non pas éclaircis et constatés scientifiquement. Ils pourraient aussi se produire à de longs intervalles, et les temps de la nature ne se mesurent pas à notre durée et à nos souvenirs qui sont d’hier.

Tels sont les faits et les idées exposés dans ce consciencieux Mémoire du professeur Thury. On voit que pour lui : 1° les phénomènes sont certains ; 2° ils sont produits par une substance inconnue, à laquelle il donne le nom de psychode, qui existerait en nous et servirait d’intermédiaire entre l’âme et le corps, entre la volonté et les organes ; le psychode pourrait s’étendre au-delà du corps ; 3° l’auteur ne déclare pas absurde l’hypothèse des esprits, et admet qu’il peut exister, dans le monde où nous vivons, d’autres volontés que celles de l’homme et des animaux, pouvant agir sur la matière.

Le professeur Marc Thury est mort en 1905, après avoir consacré sa vie entière à l’étude des sciences exactes, et notamment de l’astronomie.

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