Les hypothèses explicatives Théories et doctrines Conclusions de l’auteur

Il est, en général, de très bon ton de professer un scepticisme absolu à l’égard des phénomènes qui font l’objet du présent ouvrage. Pour les trois quarts des citoyens de notre planète, tous les bruits inexpliqués des maisons hantées, tous les déplacements sans contact de corps plus ou moins lourds, tous les mouvements de tables, de meubles, d’objets quelconques déterminés dans les expériences dîtes spirites, toutes les communications dictées par des coups frappés ou par l’écriture inconsciente, toutes les apparitions, partielles ou totales, de formes fantomatiques, sont des illusions, des hallucinations ou des farces. Nulle explication n’est à chercher. La seule opinion raisonnable est que tous les « médiums », professionnels ou non, sont des imposteurs, et les assistants des imbéciles.

Quelquefois, l’un de ces juges éminents consent, non à cesser de cligner de l’œil et de sourire, dans sa royale compétence, mais à daigner assister à une séance. Si, comme cela n’arrive que trop souvent, on n’obtient rien qui obéisse à la volonté, l’illustre observateur se retire, fermement convaincu que, dans sa pénétration hors ligne, il a découvert le truc et tout empêché par sa clairvoyante intuition. Il écrit aussitôt aux journaux, explique la fraude, et verse des larmes de crocodile humanitaire sur le triste spectacle de voir des hommes, intelligents en apparence, se laisser prendre à des fourberies découvertes par lui du premier coup.

Cette première, et simplice explication, que tout est fraude dans ces manifestations, a été si souvent exposée, discutée, et renversée dans le cours de cet ouvrage, que mes lecteurs la considèrent probablement, je l’espère, comme entièrement, absolument, et définitivement jugée et jetée hors cadre.

Toutefois, je ne vous engage pas à trop parler de ces choses à table ou dans un salon, si vous n’aimez pas voir les gens se gaudir de vous plus ou moins discrètement. Vous produiriez le même effet que ces originaux du temps de Ptolémée qui osaient parler du mouvement de la Terre, et qui excitaient une telle risée dans l’honorable société que les échos d’Athènes, d’Alexandrie et de Rome en résonnent encore. C’est comme lorsque Galilée parlait des taches du Soleil, Galvani de l’électricité, Jenner de la vaccine, Jouffroy et Fulton du bateau à vapeur, Chappe du télégraphe, Lebon de l’éclairage au gaz, Stéphenson des chemins de fer, Daguerre de la photographie, Boucher de Perthes de l’homme fossile, Mayer de la thermodynamique, Wheatstone du câble transatlantique, etc., etc, Si l’on pouvait réunir tous les sarcasmes lancés à la tête de ces originaux, on emplirait une belle corbeille de vieilles brioches.

N’en parlons donc pas trop, à moins que cela ne nous amuse, à notre tour, de poser quelques questions aux plus jolies poupées de la compagnie. ... L’une d’elles s’informait, devant moi, hier soir, de quoi s’occupait le nommé Lavoisier, et s’il était mort ; une autre pensait qu’Auguste Comte avait écrit des romances et demandait si l’on n’en connaissait pas une facile à chanter pour une voix de mezzo-soprano ; une autre s’étonnait que Louis XIV n’eût pas fait mettre l’une des deux gares de Versailles plus près du palais.

Du reste, un soir, à mon balcon, un membre de l’Institut qui voyait briller, en plein sud, Jupiter passant au méridien au-dessus de l’une des coupoles de l’Observatoire, me soutenait mordicus que cet astre était l’étoile polaire. Je ne l’ai pas contrarié trop longtemps.

Il y a aussi pas mal de gens qui croient à la fois à la valeur du suffrage universel et à celle des titres de noblesse. Nous ne les ferons pas voter non plus sur l’inadmissibilité des phénomènes psychiques dans le cadre de la science.

Mais nous considérons désormais cette admissibilité comme acquise, nous renvoyons aux joyeux sceptiques, aux habitués des clubs et des cercles, l’opinion mondaine générale dont il vient d’être question, et nous commencerons notre analyse logique.

Nous avons eu sous les yeux dans le cours de cet ouvrage plusieurs théories d’expérimentateurs scientifiques dignes d’attention. Résumons-les tout d’abord.

Pour le comte de Gasparin, ces mouvements inexpliqués sont produits par un fluide émanant de nous sous l’action de notre volonté.

Pour le professeur Thury, ce fluide, qu’il appelle psychode, est une substance qui réunirait l’âme au corps ; mais il peut aussi exister certaines volontés étrangères et de nature inconnue agissant à côté de nous.

Le chimiste Crookes attribue les faits à la force psychique, comme étant l’agent par lequel les phénomènes se produisent ; mais il ajoute que cette force pourrait bien être, en certains cas, saisie et dirigée par quelque autre intelligence. « La différence entre les partisans de la force psychique et ceux du spiritisme, écrit-il, consiste en ceci : — nous soutenons qu’on n’a pas encore prouvé qu’il existe un agent de direction autre que l’intelligence du médium et que ce soient les esprits des morts qui agissent là, tandis que les spirites acceptent comme article de foi, sans en demander plus de preuves, que ces esprits sont les seuls agents de la production des faits observés. »

Albert de Rochas définit ces phénomènes « une extériorisation de la motricité », et les considère comme produits par le double fluidique, le « corps astral » du médium, fluide nerveux pouvant agir et sentir à distance.

Lombroso déclare que l’explication doit être cherchée simplement dans le système nerveux du médium, et que ce sont là des transformations de forces.

Le Dr Ochorowicz affirme qu’il n’a pas trouvé de preuves en faveur de l’hypothèse spirite, ni davantage en faveur de l’intervention d’intelligences étrangères, et que les phénomènes ont pour cause un double fluidique se détachant de l’organisme du médium.

L’astronome Porro a une tendance à admettre l’action possible d’esprits inconnus, de formes de vie différentes de la notre, non pas pour cela âmes de morts, mais entités psychiques à étudier. Dans une lettre récente, il m’écrivait que la doctrine théosophique lui paraissait être la plus approchée de la solution 80 #id_origin80.

Le professeur Charles Richet pense que l’hypothèse spirite est loin d’être démontrée, que les faits observés se rapportent à un tout autre ordre de causes encore très difficiles à dégager, et que, dans l’état actuel de nos connaissances, aucune conclusion définitive ne peut être arrêtée.

Le naturaliste Wallace, le professeur de Morgan, l’électricien Varley, se déclarent, au contraire, suffisamment documentés pour accepter, sans réserves, la doctrine spirite des âmes désincarnées.

Le professeur James H. Hyslop, de l’Université de Colombie, qui a fait une étude spéciale de ces phénomènes dans les Proceedings de la Société des recherches psychiques de Londres et dans ses ouvrages Science and a Future Life et Enigmas of psychical Research, pense que les constatations rigoureuses ne sont pas encore suffisantes pour autoriser aucune théorie.

Le Dr Grasset, disciple de Pierre Janet, n’admet pas comme prouvés les déplacements d’objets sans contact, ni la lévitation, ni la plupart des faits exposés ici, et proclame que ce qu’on appelle le spiritisme est une question médicale de biologie humaine, de « physiopathologie des centres nerveux », dans laquelle un célèbre polygone cérébral, avec un chef d’orchestre nommé O, joue un rôle automatique des plus curieux.

Le Dr Maxwell conclut de ses observations que la plupart des phénomènes, dont la réalité n’est pas douteuse, sont produits par une force existant en nous, que cette force est intelligente, et que l’intelligence manifestée vient des expérimentateurs ; ce serait une sorte de conscience collective.

M. Marcel Mangin n’adopte pas cette « conscience collective » et déclare qu’il est certain que l’être qui assure se manifester est « la subconscience du médium. »

Ce sont là quelques-unes des opinions principales. Il y aurait tout un livre à écrire sur les explications proposées. Ce n’est pas mon but, lequel était de mettre au point la question en ce qui concerne l’ADMISSIBILITÉ DES PHÉNOMÈNES DANS LE CADRE DE LA SCIENCE POSITIVE.

Maintenant que c’est fait, nous ne pouvons pas, néanmoins, ne pas nous demander quelles conclusions peuvent être tirées de toutes ces observations.


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Si nous voulons obtenir nous-mêmes, après ce faisceau de constatations, une explication rationnelle satisfaisante, il nous faut, me semble-t-il, procéder graduellement, classer les faits, les analyser, ne les admettre qu’à mesure que leur certitude absolue est démontrée. Nous voyageons ici à travers un monde extrêmement complexe, et les confusions les plus singulières ont été faites entre des phénomènes très distincts les uns des autres. Comme je le disais en 1869, sur la tombe d’Allan Kardec, « les causes en action sont d’espèces diverses et plus nombreuses qu’on ne le suppose. »

Pouvons-nous expliquer les phénomènes observés, ou au moins une partie ?

Notre devoir est de l’essayer. Dans ce but, je les classerai dans l’ordre croissant des difficultés. Il est toujours convenable de commencer par le commencement.

Je prie le lecteur d’avoir présentes à l’esprit toutes les expériences et observations exposées dans cet ouvrage, car il serait un peu insipide de renvoyer chaque fois aux pages où les phénomènes ont été décrits.


1° ROTATION DE LA TABLE, avec contact des mains d’un certain nombre d’opérateurs.

Cette rotation peut s’expliquer par une impulsion inconsciente. Il suffit que chacun pousse un peu dans le même sens, pour que le mouvement s’établisse.


2° PROMENADE DE LA TABLE, les mains des expérimentateurs y étant appuyées.

On pousse et on conduit le meuble, sans le savoir, chacun agissant plus on moins. On croit le suivre, mais on le conduit réellement. Il n’y a là que le résultat d’efforts musculaires généralement assez légers.


3° SOULÈVEMENT DE LA TABLE du côté opposé à celui sur lequel les mains du principal acteur sont appuyées.

Rien n’est plus simple. La pression des mains sur un guéridon à trois pieds suffit pour opérer le soulèvement du pied éloigné, et pour frapper ainsi toutes les lettres de l’alphabet.

Le mouvement est moins facile pour une table à quatre pieds. Mais on l’obtient également.

Ces trois mouvements sont les seuls, me semble-t-il, qui s’expliquent sans le moindre mystère. Toutefois, le troisième n’est expliqué que si la table n’est pas trop lourde.


4° ANIMATION DE LA TABLE.

Plusieurs expérimentateurs étant assis autour d’une table, et faisant la chaîne avec le désir de la voir se soulever, on constate certains frémissements, d’abord légers, parcourant le bois. Puis on observe des balancements, dont plusieurs peuvent être dus à des impulsions musculaires. Mais il y a déjà ici quelque chose de plus. La table semble s’agiter d’elle-même. Parfois elle se soulève, non plus par l’effet d’un levier, d’une pression sur un côté, mais sous les mains, comme s’il y avait adhérence. Ce soulèvement est contraire à la pesanteur. On dégage donc là une force. Cette force émane de notre organisme. Il n’y a aucune raison suffisante pour chercher autre chose. Mais c’est là, néanmoins, un fait capital.


5° ROTATION SANS CONTACT.

La table étant en rotation rapide, on peut en détacher les mains, et voir se continuer le mouvement. La vitesse acquise peut expliquer cette continuation du mouvement pendant un instant, et l’explication du cas n°1 peut suffire. Mais il y a plus. On obtient la rotation en tenant les mains à quelques millimètres au-dessus de la table, sans aucun contact. Une légère couche de farine saupoudrant la table n’est pas touchée. Donc la force émise par les assistants pénètre le meuble.

Les expériences prouvent que nous possédons en nous une force capable d’agir à distance sur la matière, une force naturelle, généralement latente, mais développée à des degrés divers chez les « médiums », et dont l’action se manifeste en des conditions encore imparfaitement déterminées.

(Relire surtout sur ce point les pages *** à ***, ainsi que la page ***.)

Nous pouvons agir sur la matière brute, sur la matière vivante, sur le cerveau, et sur l’esprit.

Cette action de la volonté se montre dans la télépathie. Elle se montre plus simplement encore par une expérience bien connue. Au théâtre, à l’église, à la musique, un homme habitué à exercer sa volonté, placé à plusieurs rangs derrière une femme, l’oblige en moins d’une minute à se retourner. Une force émane de nous, de notre esprit, agissant sans doute par ondes éthérées dont le point de départ est un mouvement cérébral.

Il n’y a d’ailleurs là rien de bien mystérieux. J’approche ma main d’un thermomètre, et je constate que quelque chose d’invisible et d’actif s’échappe de ma main et fait monter, à distance, la colonne de mercure : ce quelque chose, c’est de la chaleur, c’est-à-dire des ondes aériennes en mouvement. Pourquoi d’autres radiations ne pourraient-elles émaner de nos mains et de tout notre être ?

Mais ce n’en est pas moins là un fait scientifique très important à établir.

Cette force physique est plus considérable que celle des muscles, comme on va le constater.


6° SOULÈVEMENT DE POIDS.

On charge une table de sacs de sable et de pierres pesant ensemble 75 à 80 kilogrammes. La table lève successivement, à plusieurs reprises, chacun des trois pieds. Mais elle succombe sous la charge et se brise. Les opérateurs constatent que leur force musculaire n’aurait pas suffi pour déterminer les mouvements observés. La volonté agit par un prolongement dynamique.


7° SOULÈVEMENTS SANS CONTACT.

Les mains formant la chaîne, à quelques millimètres au-dessus du côté de la table qui doit être soulevé, et toutes les volontés étant réunies, le soulèvement s’opère successivement pour chacun des pieds. Ces soulèvements s’obtiennent plus facilement que les rotations sans contact. Une volonté énergique paraît indispensable. La force inconnue se communique des expérimentateurs à la table, sans aucun contact. La table est saupoudrée de farine, avons-nous dit, et aucun doigt n’y a marqué la plus légère empreinte.

La volonté des assistants est en œuvre. On ordonne à la table de faire tel ou tel geste et elle obéit. Cette volonté semble se prolonger, en dehors de nos corps, par une force assez intense.

Cette puissance se développe par l’action. Les balancements préparent aux soulèvements ; ceux-ci aux lévitations.


8° ALLÈGEMENT DE LA TABLE OU D’OBJETS DIVERS.

On suspend une table quadrangulaire, par un de ses petits côtés, à un dynamomètre, attaché à une corde tenant du haut à un crochet quelconque. L’aiguille du dynamomètre, qui marquait, au repos, 35 kilogrammes, descend graduellement à 3, 2, 1, 0 kilogramme.

Une planche d’acajou est placée horizontalement, avec un bout suspendu à une balance à ressort. Cette balance porte une pointe qui touche une feuille de verre noircie à la fumée. En mettant cette feuille de verre en marche, cette aiguille trace une ligne horizontale. Pendant les expériences, cette ligne cesse d’être droite, et marque des allégements et des alourdissements, produits sans aucun contact. Nous avons vu, dans les expériences de Crookes, le poids d’une planche augmenter de près de trois kilos.

Le médium pose sa main sur le dos d’une chaise et soulève la chaise.


9° AUGMENTATION DU POIDS d’une table ou d’autres objets. Pressions exercées.

Les expériences dynamométriques que nous venons de rappeler viennent déjà de montrer cette augmentation.

J’ai vu plus d’une fois, en d’autres circonstances, une table devenir si lourde qu’il était absolument impossible à deux hommes de la détacher du parquet. Lorsqu’on y parvenait par des secousses, elle paraissait rester collée comme par de la glu ou du caoutchouc, qui la ramenait instantanément au sol.

Dans toutes ces expériences, on constate l’action d’une force naturelle inconnue émanant de l’expérimentateur principal on de l’ensemble du groupe, force organique sous l’influence de la volonté. Il n’est pas nécessaire d’imaginer l’œuvre d’esprits étrangers.


10° SOULÈVEMENT COMPLET D’UNE TABLE OU LÉVITATION.

Comme il peut y avoir confusion en appliquant le mot soulèvement à une table qui ne se lève que d’un côté sous un certain angle, en restant appuyée sur le sol, il convient d’appliquer le mot lévitation aux cas où elle est complètement détachée.

Généralement, elle s’élève ainsi à quinze ou vingt centimètres du sol, pendant quelques secondes seulement, et retombe. Elle se lève en se balançant, en ondulant, en hésitant, en faisant des efforts, et retombe ensuite d’un seul coup. En appuyant nos mains sur elle, nous éprouvons la sensation d’une résistance fluidique, comme si elle était dans l’eau, sensation fluidique que nous éprouvons également lorsque nous présentons un morceau de fer dans la sphère d’activité d’un aimant.

Une table, une chaise, un meuble s’élèvent parfois, non seulement à quelques décimètres, mais à la hauteur des têtes, et jusqu’au plafond.

La force mise en jeu est considérable.


11° ENLÈVEMENT DE CORPS HUMAINS.

Ce cas est du même ordre que le précédent. Le médium peut être enlevé avec sa chaise, et posé sur la table, parfois en équilibre instable. Il peut aussi être enlevé seul 81 #id_origin81.

Ici, la Force inconnue ne paraît plus simplement mécanique ; il s’y mêle une intention, des idées de précautions, qui peuvent d’ailleurs ne provenir que de la mentalité du médium lui-même, aidée peut-être par celle des assistants. Ce fait nous paraît contraire aux lois scientifiques connues. Il en est de même de celui du chat qui sait se retourner de lui-même, sans appui extérieur, en tombant d’un toit, et qui retombe toujours sur ses pattes, fait contraire aux principes de mécanique enseignés dans toutes les universités du monde.


12° SOULÈVEMENT DE MEUBLES TRÈS LOURDS.

Un piano pesant plus de trois cents kilogrammes se soulève de ses deux pieds antérieurs, et l’on constate que son poids varie. La force dont il est animé provient du voisinage d’un enfant de onze ans. Mais ce n’est pas la volonté consciente de cet enfant qui agit. Une table de salle à manger en chêne massif peut s’élever assez haut pour qu’on en vérifie le dessous pendant la lévitation.


13° DÉPLACEMENTS D’OBJETS SANS CONTACT.

Un lourd fauteuil marche tout seul dans un salon. De lourds rideaux tombant du plafond au plancher, sont gonflés avec violence, comme par un vent de tempête, et vont encapuchonner les têtes des personnes assises à une table, à un mètre de distance et davantage. Un guéridon s’obstine à vouloir grimper sur la table d’expériences — et y arrive. Tandis qu’un spectateur sceptique raille « les esprits », la table autour de laquelle on expérimente se dirige vers l’incrédule, entraînant les assistants, et le bloque contre le mur jusqu’à ce qu’il demande grâce.

Comme les précédents, ces mouvements peuvent être l’expression de la volonté du médium et ne pas nécessiter la présence d’un esprit extérieur au sien. Cependant... ?


14° COUPS FRAPPÉS et typtologie.

On entend dans la table, on en perçoit les vibrations au toucher, on entend dans les meubles, dans les murs, dans l’air, des coups ressemblant assez à ceux que l’on peut frapper de la jointure du doigt plié contre un morceau de bois. On se demande d’où viennent ces bruits. On pose la question à haute voix. Ils se répètent. On demande qu’un certain nombre de coups soient frappés : ils le sont. Des airs connus sont rythmés par coups et reconnaissables, des morceaux joués sont accompagnés. Les choses se passent comme si un être invisible entendait et agissait. Mais comment un être sans nerf acoustique et sans tympan pourrait-il entendre ? Les ondes sonores doivent frapper quelque chose pour être interprétées. Est-ce une transmission mentale ?

Ces coups sont frappés. Qui les frappe ? Et comment ? La force mystérieuse émet des radiations de longueurs d’ondes inaccessibles à notre rétine, mais puissantes et rapides, sans doute plus rapides que celles de la lumière, et situées au delà de l’ultra-violet. La lumière, d’ailleurs, gêne leur action.

À mesure que nous avançons dans l’examen des phénomènes observés, l’élément psychique, intellectuel, mental, se mêle de plus en plus à l’élément mécanique et physique. Ici, nous sommes forcés d’admettre la présence, l’action d’une pensée. Cette pensée est-elle simplement celle du médium, de l’expérimentateur principal, ou la résultante de celles des assistants réunis ?

Comme ces coups, ou ceux des pieds de la table interrogée, dictent des mots, des phrases, expriment des idées, ce n’est plus là une simple action mécanique. La force inconnue que nous avons été obligés d’admettre dans les observations précédentes est ici au service d’une intelligence. Le mystère se complique.

C’est à cause de cet élément intellectuel que j’ai proposé (avant 1865 : v. p. ***) de donner le nom de psychique à cette force, nom proposé de nouveau par Crookes en 1871 (v. p. ***). Nous avons vu aussi (p. ***) que dès l’année 1855, Thury avait proposé le nom de psychode, et force ecténeique. À partir de maintenant, il nous sera impossible, dans notre examen, de ne pas tenir compte de cette force psychique.

Jusqu’ici, le fluide de Gasparin pouvait suffire, comme l’action musculaire inconsciente pour les trois premières classes de faits. Mais à partir de cette quatorzième classe — et même déjà on commence à en deviner la présence dans les précédentes — l’ordre psychique se manifeste avec évidence.


15° COUPS DE MAILLET.

J’ai entendu — et tous les expérimentateurs comme moi — non seulement des coups secs, légers, comme ceux dont il vient d’être question, mais des coups de maillet sur une table, ou des coups de poing sur une porte, capables d’assommer celui qui les aurait reçus. Généralement, ces coups violents sont une protestation contre une dénégation d’un assistant. Il y a là une intention, une volonté, une intelligence. Ce peut être aussi celle du médium qui se révolte ou qui s’amuse. L’action n’est pas musculaire, car on tient les mains et les pieds du médium, et cela peut se passer assez loin de lui.


16° ATTOUCHEMENTS.

La fraude pourrait expliquer ceux qui sont opérés à la portée des mains du médium, car ils n’ont lieu que dans l’obscurité. Mais on en a ressenti à une distance supérieure à cette portée, comme si ces mains s’étaient prolongées.


17° ACTION DE MAINS INVISIBLES.

Un accordéon est tenu d’une main dans une cage empêchant toute autre main d’y atteindre, par le bout opposé aux clés ; l’instrument s’allonge et se referme de lui-même en jouant certains airs. Une main invisible, avec des doigts, ou quelque chose d’analogue, agit donc. (Expérience de Crookes avec Home.)

J’ai renouvelé, comme on l’a vu, cette expérience avec Eusapia.

Une autre fois, une boîte à musique tournée par une main invisible a joué synchroniquement avec les gestes qu’Eusapia faisait sur ma joue.

Une main invisible m’a arraché violemment de la main un cahier de papier que je tenais avec le bras allongé, à la hauteur de ma tête.

Des mains invisibles ont enlevé de la tête de M. Schiaparelli ses lunettes à ressort fortement serrées derrière les oreilles, et cela si prestement et si légèrement qu’il ne s’en est aperçu qu’après.


18° APPARITIONS DE MAINS.

Les mains ne sont pas toujours invisibles. On en voit apparaître, semi-lumineuses, dans l’obscurité. Mains d’hommes, mains de femmes, mains d’enfants. Elles sont parfois nettement formées. Au toucher, elles sont généralement solides et tièdes, quelquefois glacées. Parfois elles fondent dans la main. Pour moi, je n’ai jamais pu en saisir une : c’est toujours la main mystérieuse qui a pris la mienne, souvent à travers un rideau, parfois à nu, me pinçant l’oreille ou s’enfonçant à travers mes cheveux, avec une extrême agilité.


19° APPARITIONS DE TÊTES.

Pour ma part, je n’en ai vu que deux : la silhouette barbue de Monfort-l’Amaury, et la tête de jeune fille au front bombé, dans mon salon. Dans le premier cas, j’avais cru à un masque porté par une tringle. Mais chez moi, il n’y avait pas de compère possible, et maintenant je ne suis pas moins sûr du premier. D’autre part, les témoignages des autres observateurs sont trop précis et trop nombreux pour ne pas être associés aux miens.


20° FANTÔMES.

Je n’ai pu ni en voir, ni en photographier. Mais il me paraît impossible de douter de celui de Katie King, observé pendant trois ans, par Crookes et les autres étudiants de Florence Cook. On ne peut guère douter, non plus, de ceux de la Société dialectique de Londres. Nous avons vu que dans ces sortes d’apparitions, la supercherie joue un rôle fréquent. Mais il y a vraiment des observations menées avec une telle clairvoyance qu’elles sont à l’abri de toute objection et portent en elles un caractère nettement scientifique.

Ces fantômes, comme ces têtes, comme ces mains, paraissent être des condensations de fluides produites par les facultés du médium, et ne prouvent pas l’existence d’esprits indépendants.

Ou peut sentir le frôlement d’une barbe sur la main tendue. C’est ce qui m’est arrivé, ainsi qu’à d’autres. La barbe existait-elle réellement, ou n’y a-t-il eu que des sensations tactiles et visuelles ? Ce qui suit plaide en faveur de la réalité.


21° EMPREINTES de têtes et de mains.

Les têtes et les mains formées sont assez denses pour mouler leur empreinte dans du mastic ou de la terre glaise. Le plus curieux, peut-être, est qu’il n’est pas nécessaire que ces formations, ces forces, soient visibles pour produire ces empreintes. Nous avons vu un geste vigoureux s’imprimer à distance dans la terre glaise.


22° TRANSPORT DE LA MATIÈRE à travers la matière. Apports.

Un livre a été vu passant à travers un rideau. Une sonnette est passée d’une salle de bibliothèque fermée à clé dans un salon. Une fleur a été vue traversant perpendiculairement, de haut en bas, une table de salle à manger. On a cru observer des apports de plantes, de fleurs, de fruits, d’objets divers, qui auraient traversé les murs, les plafonds, les portes.

Ce phénomène s’est opéré plusieurs fois en ma présence. Mais je n’ai jamais pu le constater avec certitude, en des conditions de sûreté complète — et j’ai dépisté maintes tricheries.

Les expériences de Zœllner (anneau de bois entrant dans un autre anneau de bois, ficelle attachée des deux bouts se nouant, etc.), seraient vraiment d’un intérêt exceptionnel, comme l’écrivait plus haut M. Schiaparelli, si le médium Slade n’avait pas une réputation d’habile prestidigitateur probablement trop méritée. Celles de Crookes doivent être sûres.

L’espace n’a-t-il que trois dimensions ? Question réservée.


23° MANIFESTATIONS DIRIGÉES PAR UNE INTELLIGENCE.

Elles sont déjà évidentes dans un certain nombre des cas précédents. Les forces en action sont d’ordre psychique autant que physique. La question est de savoir si l’intellect du médium et des assistants suffit pour tout expliquer.

Dans tous les cas qui précèdent, cet intellect paraît suffire — mais en lui attribuant des facultés occultes prodigieuses.

Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous est impossible de nous rendre compte de la manière dont notre esprit, conscient ou inconscient, peut soulever un meuble, frapper des coups, former une main ou une tête, imprimer une empreinte. Ce mode d’action nous demeure absolument inconnu. La science future le découvrira peut-être. Mais tous ces actes restent dans le domaine humain, et même, ne le dissimulons pas, dans un domaine assez vulgaire.

L’hypothèse d’esprits étrangers aux vivants ne paraît pas nécessaire.

Celle du dédoublement psychique du médium est la plus simple. Suffit-elle entièrement à nous satisfaire ?

Des coups de poing violents sur la table, contrastant avec des caresses, peuvent avoir cette cause, malgré l’apparence.

Il en est de même des apparitions de mains, de têtes, de fantômes. On ne peut déclarer impossible cette origine. Et elle est plus simple que de chercher l’explication dans des esprits errants.

Le transport d’objets au-dessus des têtes des expérimentateurs sans toucher ni lustre ni têtes, en pleine obscurité, n’est guère compréhensible. Mais comprenons-nous mieux un esprit ayant des mains, et qui s’amuserait ainsi ?

Des lunettes sont détachées d’un visage sans qu’on s’en aperçoive, un mouchoir autour du cou est enlevé, puis arraché des dents qui veulent le retenir, un éventail est porté d’une poche dans une autre. Des facultés latentes de l’organisme humain suffisent-elles pour expliquer ces actions intentionnelles ? Nous ne sommes en droit ni de l’affirmer, ni de le nier.


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Tel est l’ensemble des phénomènes à expliquer, du moins de ceux auxquels je me suis tenu dans cet ouvrage.

Une première conclusion certaine, c’est que l’être humain possède en soi une force fluidique et psychique de nature encore inconnue, capable d’agir à distance sur la matière et de la faire mouvoir.

Cette force est l’expression de notre volonté, de nos désirs, pour les dix premiers cas de la classification précédente. Pour les cas suivants, il s’y ajoute de l’inconscience, de l’imprévu, des volontés différentes de notre volonté consciente.

La force est à la lois physique et psychique. Si le médium exerce un effort de cinq ou six kilogrammes pour soulever un meuble, son poids subit un accroissement correspondant. La main que nous voyons se former dans son voisinage peut prendre un objet. Elle existe réellement, et se résorbe ensuite.

Ne pourrions-nous comparer la force qui lui donne naissance à celle qui reproduit la patte de l’écrevisse ou la queue du lézard ? L’intervention des esprits n’est pas du tout indispensable 82 #id_origin82.

Dans les expériences médiumniques, les choses se passent comme si un être invisible était là, capable de transporter dans l’air divers objets sans heurter, en général, les têtes qui sont là, dans une obscurité assez grande, agissant sur un rideau comme un vent violent qui le pousserait au loin, pouvant jeter ce rideau sur votre tête, vous en coiffant, et le serrer fortement contre votre figure, comme par deux mains nerveuses, et vous toucher par une main vivante et chaude. Ces mains, je les ai senties avec la certitude la plus incontestable. Cet être invisible peut se condenser assez pour devenir visible, et je l’ai vu passer dans l’air. Supposer que j’aie été dupe d’une hallucination, ainsi que les autres expérimentateurs, n’est pas une hypothèse soutenable un seul instant, et dénoterait simplement chez ceux qui l’imagineraient une hallucination intérieure incomparablement plus probable que la nôtre ou un parti pris inexcusable. Nous étions dans les meilleures conditions requises pour l’observation et l’analyse d’un phénomène quelconque, et nul négateur ne nous fera rien accroire sur ce point.

Il y a certainement un prolongement invisible de l’organisme du médium. Ce prolongement peut être comparé à la radiation qui sort de l’aimant pour aller toucher un morceau de fer et le mettre en mouvement ; on peut le comparer aussi à l’effluve qui émane des corps électrisés 83 #id_origin83 ; nous le comparions également tout à l’heure aux ondes calorifiques.

Quand le médium fait le geste de frapper la table avec son poing fermé, en restant à une distance de 20 à 30 centimètres, et qu’à chaque geste un coup de poing sonore est frappé, nous voyons là la preuve d’un prolongement dynamique du bras du médium.

Quand elle fait sur ma joue le simulacre de la rotation de la manivelle d’une boîte à musique, et que cette boîte joue synchroniquement au simulacre, s’arrête lorsque le doigt s’arrête, précipite l’air lorsque le doigt précipite son tracé, le ralentit lorsqu’il le ralentit, etc., c’est encore là une preuve d’une action dynamique à distance.

Quand un accordéon joue tout seul, quand une sonnette sonne seule, quand un levier indique telle ou telle pression, une force réelle est en action.

Nous devons donc admettre, tout d’abord, ce prolongement de la force musculaire et nerveuse du sujet. Je sens bien que c’est là une proposition hardie, à peine croyable, bizarre, extraordinaire, mais enfin les faits sont là, et que cela nous contrarie ou non, c’est un mince détail.

Ce prolongement est réel, et ne s’étend qu’à une certaine distance du médium, distance que l’on peut mesurer et qui varie avec les circonstances. Mais suffit-il pour expliquer tous les phénomènes observés ?

Nous sommes forcés d’admettre que ce prolongement, généralement invisible et impalpable, peut devenir visible et palpable, prendre, notamment, la forme d’une main articulée, avec de la chair et des muscles, montrer une tête, un corps.

Le fait est incompréhensible, mais après tant d’observations différentes, il me parait impossible de ne voir là que supercheries ou hallucinations. La logique a des droits qui s’imposent.

Du médium (car sa présence est indispensable) peut donc s’échapper momentanément un double fluidique et condensable.

Comment concevoir que ce double, ce corps fluidique présente une consistance de chair et de muscles ? Nous ne le comprenons pas. Mais il ne serait ni sage, ni intelligent de n’admettre que ce que nous comprenons. La plupart du temps d’ailleurs, nous nous imaginons comprendre les choses, parce que nous en donnons une explication, tout simplement. Or, cette explication n’a, presque toujours, aucune valeur intrinsèque. Elle ne consiste qu’en mots joints ensemble. Ainsi, vous vous imaginez comprendre pourquoi une pomme tombe du haut d’un arbre, en disant que la Terre l’attire. Naïveté. En quoi consiste cette attraction de la Terre ? Vous n’en savez rien, mais vous êtes satisfaits, parce que la chose est constante.

Lorsque le rideau se gonfle, comme poussé par un poignet, et que vous vous sentez pincé à l’épaule par une main au moment où le rideau vous touche, vous avez l’impression d’être dupe d’un compère caché derrière le rideau. Il y a là quelqu’un qui vous fait une farce. Vous écartez le rideau : Rien !

Comme il vous est impossible d’admettre un truc quelconque, puisque c’est vous, vous seul, qui avez attaché ce rideau entre deux murs, et que vous savez que personne n’est entré derrière, que vous êtes tout près, que vous ne l’avez pas perdu de vue, que le sujet est assis auprès de vous, les mains et les jambes tenues, vous êtes forcé d’admettre une matérialisation momentanée qui vous a touché.

Il est certain que l’on peut nier ces faits et qu’on les nie. Ceux qui ne les ont pas constatés eux-mêmes, sont excusables. Il ne s’agit pas là de faits ordinaires, qui se passent tous les jours et que chacun peut observer. Évidemment, en thèse générale, si l’on n’admettait que ce que l’on a vu soi-même, on n’irait pas loin. Nous admettons l’existence des îles Philippines sans y être allés, de Charlemagne et de Jules César sans les avoir vus, des éclipses totales de soleil, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, etc., dont nous n’avons pas été témoins nous-mêmes. La distance d’une étoile, le poids d’une planète, la composition chimique d’un astre, les découvertes les plus merveilleuses de l’Astronomie, n’excitent pas le scepticisme, excepté chez les êtres tout à fait incultes, parce qu’on apprécie, en général, la valeur des méthodes astronomiques. Mais ici, vraiment, les phénomènes sont si extraordinaires, que l’on est excusable de n’y pas croire.

Cependant, si l’on veut se donner la peine de raisonner, on est bien forcé de se reconnaître arrêté irrévocablement ici devant le dilemme suivant : ou tous les expérimentateurs ont été dupes des médiums, qui ont constamment triché, ou ces faits si stupéfiants existent réellement.

Comme la première hypothèse est éliminée, nous sommes forcés d’admettre la réalité des faits.

Un corps fluidique se forme aux dépens du médium, sort de son organisme, se meut, agit.

Quelle force intelligente dirige ce corps fluidique et le fait agir de telle ou telle façon ?

Ou c’est l’esprit du médium, ou c’est un autre esprit qui se sert de ce même fluide. Il n’y a pas à sortir de là.

Remarquons que les conditions météorologiques, le beau temps, une température agréable, la gaieté, l’entrain, favorisent les phénomènes ; que le médium ne reste jamais complètement étranger aux manifestations, qu’il sait souvent ce qui va se passer, que la cause est insaisissable et s’évanouit, que les apparitions disparaissent aussi facilement qu’elles se forment, que tout cela semble un rêve.

Remarquez aussi que, dans les manifestations intenses, le médium soufre, se plaint, gémit, perd une force énorme, décèle de grands efforts nerveux, est hypéresthésié, et, à l’apogée de la manifestation, semble un instant anéanti.

Pourquoi son esprit ne s’extérioriserait-il pas aussi bien que son être fluidique ?

La force psychique d’un être humain vivant pourrait donc produire des phénomènes « matériels », des organes, des fantômes... Mais qu’est-ce que la matière ?


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Mes lecteurs savent que la matière n’existe pas telle que la perçoivent nos sens, lesquels ne nous donnent que des impressions incomplètes d’UNE RÉALITÉ INCONNUE. L’analyse nous montre que la matière n’est qu’une forme de l’énergie.

Dans l’ouvrage qui résume ses expériences, À propos d’Eusapia Paladino, M. Guillaume de Fontenay cherche ingénieusement à expliquer les phénomènes par la théorie dynamique de la matière. Il est probable que cette explication est une de celles qui se rapprochent le plus de la vérité.

Dans cette théorie, la qualité qui nous parait caractéristique de la matière, la solidité, la consistance, n’est pas plus réelle que la lumière qui frappe nos yeux ou le son qui frappe nos oreilles. Nous voyons... c’est-à-dire, nous recevons sur la rétine des rayons qui l’impressionnent, en dehors desquels circulent des quantités d’autres qui ne nous impressionnent pas. De même pour nos autres sens.

La matière serait constituée, comme la lumière, comme la chaleur, comme l’électricité, par une espèce de mouvement.

Mouvement de quoi ? De la substance primitive unique, animée de vibrations diverses. À coup sûr, la matière n’est pas cette chose inerte que l’on admet vulgairement.

Une comparaison peut aider à comprendre. Prenons une roue de voiture. Posons-la horizontalement sur un pivot. La roue étant immobile, laissons tomber entre ses rayons une balle de caoutchouc. Cette balle, passant entre les rayons, traversera presque toujours. Maintenant, imprimons un léger mouvement à la roue. La balle accrochera assez souvent et sera renvoyée. Si nous accélérons la rotation, la balle ne traversera plus jamais la roue, qui sera devenue pour elle comme un disque plein impénétrable.

On pourrait tenter une expérience analogue en disposant la roue verticalement et en lançant des flèches au travers. Une roue de bicyclette remplirait bien cet office, à cause de la finesse de ses rayons. Immobile, elle serait traversée neuf fois sur dix. En mouvement, elle imprimerait aux flèches des déviations de plus en plus marquées. Avec l’augmentation de la vitesse, on la rendrait impénétrable, et tous les traits s’y briseraient comme sur un blindage d’acier.

Ces comparaisons nous permettent de concevoir comment la matière n’est en réalité qu’un mode de mouvement, qu’une expression de la force, une manifestation de l’énergie.

Elle disparaît, d’ailleurs, devant l’analyse, qui finit par se réfugier dans l’atome intangible, invisible, impondérable, et, en quelque sorte, immatériel.

L’atome, base de la matière, il y a cinquante ans, se dissout et devient un tourbillon hypothétique insaisissable.

Je me permettrai de répéter ici ce que j’ai dit cent fois ailleurs : l’Univers est un dynamisme.

La difficulté de nous expliquer les apparitions, les matérialisations, quand nous voulons leur appliquer notre conception vulgaire de la matière, s’atténue considérablement du moment où nous concevons que la matière n’est qu’un mode de mouvement.

La vie elle-même, de la cellule la plus rudimentaire aux organismes les plus compliqués, est un mouvement d’un ordre particulier, mouvement déterminé et organisé par une force directrice. Dans cette théorie, les apparitions momentanées seraient moins difficiles à accepter et à comprendre. La force vitale du médium pourrait s’extérioriser et produire en un point de l’espace un régime vibratoire correspondant à un degré plus ou moins avancé de visibilité et de consistance. Ces phénomènes sont difficilement compatibles avec l’hypothèse ancienne de l’existence intrinsèque de la matière, ils s’adaptent mieux à celle du mouvement matière, en un mot du simple mouvement donnant la sensation de la matière.

Il n’y a, naturellement, qu’une substance, la substance primitive, antérieure à la nébuleuse originelle, d’où tous les corps sont issus. Ce que les chimistes prennent pour des corps simples, l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le fer, l’or, l’argent, etc., sont des espèces minérales qui se sont graduellement formées et différenciées, comme plus tard les espèces végétales et les espèces animales. Et non seulement la substance du Monde est simple, mais encore elle a la même origine que l’énergie, et ces deux formes peuvent successivement prendre la place l’une de l’autre. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme 84 #id_origin84.

La substance unique est immatérielle et inconnaissable dans son essence. Nous n’en voyons et touchons que les condensations, les agrégations, les arrangements, c’est-à-dire les formes produites par le mouvement. Matière, force, vie, pensée, ne sont qu’un.

En réalité, il n’y a dans l’Univers qu’un principe, à la fois intelligence, force et matière, embrassant tout ce qui est et tout ce qui est possible. Ce que nous appelons matière n’est qu’une forme de mouvement. Au fond de tout : la force, le dynamisme et l’esprit universel.

Ainsi, qu’est-ce que la Matière ? — Une apparence, une forme de l’énergie.

Et qu’est-ce que la Pesanteur ? — Une propriété de cette apparence, une autre forme de l’énergie.

En quoi consiste sa nature, son essence ? Nul ne le sait. Comment certains phénomènes étudiés ici sont-ils contraires à cette force ? Il est difficile de le définir.

Si la pesanteur et la gravitation sont de l’électro-dynamisme, le mouvement intermoléculaire peut produire des résultats opposés.

Une table en lévitation sous l’influence d’une force physique inconnue n’est pas plus étonnante qu’un morceau de fer attiré par un aimant.

Tout le monde connaît le gyroscope, cette toupie mise en rotation rapide et se créant elle-même une force centrifuge qui annule sa pesanteur. Ce petit appareil se compose d’un disque métallique massif muni d’un axe pouvant tourner sur deux pivots reliés par un cercle de métal. Lorsque ce jouet est inerte, il obéit à la pesanteur, comme tous les corps. Mais si l’on imprime au disque un mouvement de rotation rapide, ce corps inerte s’anime d’une vie propre, résiste à la main qui le tient par son support, se meut dans un certain sens, et, posé horizontalement ou incliné sur une ficelle ou sur un pivot quelconque, s’y maintient contrairement à la direction verticale de la pesanteur. Le mouvement qui l’anime contrebalance l’attraction du globe terrestre, comme nous l’avons remarqué plus haut (p. ***) à propos du couteau oscillant dans la main.

Mais revenons à notre sujet.

Que la « Matière » soit composée d’électrons, d’ions, de tourbillons électriques, peu nous importe.

Le dynamisme régit le monde. Ne cessons pas de le répéter, la matière apparente, qui pour nous représente actuellement l’Univers, et que certaines doctrines classiques considèrent comme produisant toutes choses, mouvement, vie, pensée, n’est qu’un mot vide de sens. L’Univers est, au contraire, un organisme régi par un dynamisme d’ordre psychique. L’esprit est dans tout.

Il y a un milieu psychique ; il y a de l’esprit dans tout, en dehors de la vie humaine et animale, dans les plantes, dans les minéraux, dans l’espace.

Ce n’est pas le corps qui produit la vie. C’est plutôt la vie qui organise le corps. La volonté de vivre ne prolonge-t-elle pas la vie des êtres affaiblis, de même que l’abandon du désir vital peut la raccourcir, l’arrêter même ? La Foi, c’est-à-dire l’auto-suggestion, ne guérit-elle pas... à Lourdes et ailleurs ?

Votre cœur bat, nuit et jour, quelle que soit la position de votre corps. C’est un ressort bien monté. Qui a tendu ce ressort ?

L’embryon se forme dans le sein de la mère, dans l’œuf de l’oiseau. Il n’a ni cœur, ni cerveau. À un certain moment, le cœur bat pour la première fois.

Moment sublime ! Il battra dans l’enfant, dans l’adolescent, dans l’homme, dans la femme, à raison de 100 000 pulsations par jour, environ, de 36.500.000 par an, de 1.825.000.000 pour cinquante ans. Ce cœur qui vient de se former doit battre un milliard de pulsations, deux milliards, trois milliards, un nombre déterminé, fixé par sa puissance, puis il s’arrêtera, et le corps tombera en ruine. Qui a remonté cette montre une fois pour toujours ?

Le dynamisme, l’énergie vitale.

Qui soutient la Terre dans l’espace ?

Le dynamisme, la vitesse de son mouvement.

Qui tue dans une balle ? Sa vitesse.

Partout l’énergie, partout l’élément invisible.

C’est ce même dynamisme qui produit les phénomènes étudiés ici. La question se résout maintenant à décider si ce dynamisme appartient entièrement aux expérimentateurs.

Nous connaissons si peu notre être mental qu’il nous est impossible de savoir ce que cet être est capable de produire, même et surtout dans certains états d’inconscience.

L’intelligence directrice n’est pas toujours l’intelligence personnelle, normale, des expérimentateurs ou de l’un quelconque d’entre eux. Nous demandons à l’entité qui elle est, et elle donne un nom qui n’est pas le nôtre, elle répond à nos questions, et prétend ordinairement être une âme désincarnée, l’esprit d’un défunt. Mais si nous poussons la question à bout, cette entité finit par se dérober sans nous avoir donné des preuves suffisantes d’identité. Il en résulte pour nous l’impression que le sujet principal en expérience s’est répondu à lui-même, s’est reflété lui-même, sans le savoir.

D’autre part, cette entité, cette personnalité, cet esprit, a sa volonté, ses caprices, ses exigences, et agit parfois en contradiction avec nos propres pensées. Il nous dit des choses absurdes, ineptes, brutales, insensées, et s’amuse à de bizarres combinaisons de lettres, à de véritables casse-têtes. Il nous étonne et nous stupéfie.

Quel est cet être ?


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Deux hypothèses s’imposent donc inéluctablement. Ou c’est nous qui produisons ces phénomènes, ou ce sont des esprits. Mais entendons-nous bien : ces esprits ne sont pas nécessairement des âmes des morts, car il peut exister d’autres genres d’êtres spirituels, et l’espace pourrait en être plein sans que nous en sussions jamais rien, à moins de circonstances exceptionnelles. Ne trouvons-nous pas, dans les diverses littératures anciennes, les démons, les anges, les gnômes, les farfadets, les lutins, les larves, les coques, les élémentals, etc., etc. ? Peut-être n’y a-t-il pas là des légendes sans aucun fondement.

D’autre part, nous ne pouvons pas ne pas remarquer que dans les expériences étudiées ici, on s’adresse toujours, pour réussir, à un être invisible qui est censé nous entendre. Si c’est une illusion, elle date de l’origine même du spiritisme, des coups produits inconsciemment par les demoiselles Fox dans leurs chambres d’Hydesville et de Rochester, en 1848. Mais encore une fois, cette personnification peut appartenir à notre être ou représenter un esprit extérieur.

Pour admettre la première hypothèse, il faut admettre en même temps que notre être mental n’est pas simple, qu’il y a en nous plusieurs éléments psychiques, et que l’un au moins de ces éléments peut agir à notre insu, frapper des coups sur une table, remuer un meuble, soulever un poids, toucher par une main apparente, jouer d’un instrument, produire un fantôme, lire un mot caché, répondre à des questions, agir avec une volonté personnelle, tout cela, je le répète, sans que nous le sachions.

C’est assez compliqué. Mais est-ce impossible ?

Qu’il y ait en nous des éléments psychiques, obscurs, inconscients, pouvant s’exercer en dehors de notre conscience normale, c’est ce que nous pouvons observer toutes les nuits dans nos rêves, c’est-à-dire pendant le quart ou le tiers de notre vie. À peine le sommeil a-t-il fermé nos yeux, nos oreilles, tous nos sens, que nos pensées s’exercent tout autrement que pendant le jour, sans direction raisonnable, sans logique, sous les formes les plus incohérentes, libérées de nos conceptions habituelles de l’espace et du temps, en un monde entièrement diffèrent du monde normal. Les physiologistes et les psychologues ont, depuis des siècles, cherché à résoudre le mécanisme du rêve sans avoir encore obtenu la solution du problème. Mais le fait constaté que l’on voit parfois en rêve des événements qui ont lieu à distance, et que l’on prévoit des évènements à venir, prouve qu’il y a en nous des facultés inconnues.

D’autre part, il n’est pas rare, pour chacun de nous, d’éprouver, en plein éveil de toutes nos facultés, l’action d’une influence intérieure, distincte de notre raison dominante. Nous sommes prêts à prononcer des mots qui ne sont pas de notre vocabulaire habituel. Des idées subites viennent traverser et arrêter le cours de nos réflexions. Pendant la lecture d’un livre qui nous paraissait attachant, notre âme s’envole ailleurs, tandis que nos yeux continuent de lire inutilement. Nous discutons certains projets en nous-mêmes comme si nous étions plusieurs juges. Et puis, tout simplement, qu’est-ce que la distraction ?

Dans ses recherches infatigables, le grand scrutateur des phénomènes psychiques Myers, auquel on doit les études synthétiques sur la conscience subliminale, est arrivé à penser, avec Ribot, que « le moi est une coordination ».

Ces phénomènes supranormaux, écrit ce chercheur si documenté et si compétent, sont dus, « non à l’action d’esprits de personnes décédées, comme le croit Wallace, mais, pour la plupart, à l’action d’esprits incarnés, soit de celui du sujet lui-même, soit d’un agent quelconque 85 #id_origin85. Le mot subliminal signifie ce qui est au-dessous du seuil (limen) de la conscience, les sensations, les pensées, les souvenirs qui restent au fond, et représenteraient une sorte de moi endormi. Je ne prétends pas affirmer, ajoute l’auteur, qu’il existe toujours en nous deux moi corrélatifs et parallèles : je désigne plutôt par le moi subliminal cette partie du moi qui reste ordinairement latent, et j’admets qu’il peut y avoir non seulement coopération entre ces deux courants de pensée quasi-indépendants, mais aussi des changements de niveau et des alternances de la personnalité 86 #id_origin86. » L’observation médicale (Félida, Alma) prouve qu’il y a en nous un rudiment de faculté supranormale, de quelque chose qui est probablement sans utilité pour nous, mais qui indique l’existence, au-dessous du niveau de notre conscience, d’une réserve de facultés latentes insoupçonnées 87 #id_origin87.

D’ailleurs, en vérité, qui est-ce qui agit dans les phénomènes de télépathie ? Rappelons, par exemple, le cas de M. Thomas Garrison (Society for Psychical Research, VIII, p. 125) qui, assistant avec sa femme à un office religieux, se lève subitement au milieu d’un sermon, sort du temple, et comme poussé par une impulsion irrésistible, fait 29 kilomètres à pied pour aller voir sa mère, qu’il trouve morte en arrivant, quoiqu’il ne la sût pas malade, et qu’elle fût relativement jeune (58 ans). J’ai cent observations analogues sous les yeux. Ce n’est pas notre être normal habituel qui est en action ici.

Il y a probablement en nous, plus ou moins sensitif, un être subconscient, et c’est lui qui paraît en jeu dans un certain nombre d’expériences médiumniques. Je serais assez de l’avis de Myers lorsqu’il écrit 88 #id_origin88 :

« Les spirites attribuent les mouvements et les dictées à l’action d’intelligences désincarnées, mais si une table exécute des mouvements sans que personne y touche, il n’y a pas de raison d’attribuer ces mouvements à l’intervention de mon grand-père décédé plutôt qu’à la mienne propre, car si l’on ne voit pas la façon dont j’aurais pu la mettre en mouvement moi-même, on ne voit pas plus comment cet effet pourrait être produit par l’action de mon grand-père. Pour les dictées, l’explication la plus plausible me paraît d’admettre qu’elles sont faites non par le moi conscient, mais par cette région profonde et cachée où s’élaborent des rêves fragmentaires et incohérents. »

Cette hypothèse explicative est partagée, avec une modification importante, par un savant distingué auquel nous devons aussi de longues et patientes recherches dans les phénomènes obscurs de psychologie anormale, le Dr Geley, qui résume ainsi lui-même ses conclusions :

« Une portion de la force, de l’intelligence et de la matière, peut être extériorisée de l’organisme, agir, percevoir, organiser et penser en dehors des muscles, des organes, des sens et du cerveau. Elle n’est autre que la portion subconsciente élevée de l’Être. Elle constitue véritablement un être subconscient extériorisable, existant dans le moi avec l’être conscient normal 89 #id_origin89. »

Cet être subconscient ne dépendrait pas de l’organisme. Il lui serait antérieur et lui survivrait. Il lui serait supérieur, doué de facultés et connaissances très différentes des facultés et connaissances de la conscience normale, supranormales et transcendantes.

Assurément, il reste encore ici plus d’un mystère, ne serait-ce que le fait d’agir matériellement à distance, et celui, non moins étrange, d’y rester étrangers en apparence.

La première règle de la méthode scientifique est de chercher d’abord les explications dans les choses connues avant de recourir à l’inconnu, et nous n’y devons jamais faillir. Mais si cette règle ne conduit pas au port, notre devoir est de l’avouer.

C’est, je le crains bien, ce qui arrive ici. Nous ne sommes pas satisfaits. L’explication n’est pas claire, et flotte un peu trop dans les vagues — et le vague — de l’hypothèse.

Au point où nous sommes arrivés dans ce chapitre des explications, nous sommes exactement dans la position d’Alexandre Aksakof lorsqu’il écrivit son grand ouvrage Animisme et Spiritisme, en réponse au livre du Dr Von Hartmann sur Le Spiritisme.

Hartmann a prétendu expliquer tous les phénomènes dont il s’agit par les hypothèses suivantes :

Une force nerveuse produisant, en dehors du corps humain, des effets mécaniques et plastiques. Des hallucinations doublées de cette même force nerveuse et produisant également des effets physiques et plastiques.

Une conscience somnambulique latente, capable — le sujet se trouvant à l’état normal — de lire dans le fond intellectuel d’un autre homme, son présent et son passé — et pouvant même deviner l’avenir.

Aksakof a cherché si ces hypothèses, dont la dernière est assez hardie, sont suffisantes pour tout expliquer, et il conclut qu’elles ne le sont pas.

C’est aussi mon opinion.

Il y a autre chose.

Cette autre chose, ce résidu au fond du creuset de l’expérience, c’est un élément psychique, dont la nature nous reste encore tout à fait cachée.

Je pense que tous les lecteurs de cet ouvrage partageront ma conviction.

Les hypothèses anthropomorphiques sont loin de tout expliquer. D’ailleurs, ce ne sont que des hypothèses. Il ne faut pas nous dissimuler que ces phénomènes nous font pénétrer dans un autre monde, dans un monde inconnu, qui est tout entier à explorer.

Quant à des êtres différents de nous, quelle pourrait être leur nature ? Il nous est impossible de nous en former aucune idée.

Âmes de morts ? C’est très loin d’être démontré. Dans les innombrables observations que j’ai multipliées depuis plus de quarante ans, tout m’a prouvé le contraire.

Aucune identification satisfaisante n’a pu être faîte 90 #id_origin90.

Les communications obtenues ont toujours paru provenir de la mentalité du groupe ou, lorsqu’elles sont hétérogènes, d’esprits de nature incompréhensible. L’être évoqué s’évanouit lorsqu’on insiste pour le pousser à bout et avoir le cœur net de sa réalité. Et puis, mon plus grand espoir a été déçu, cet espoir de ma vingtième année, qui aurait tant aimé recevoir des clartés célestes sur la doctrine de la pluralité des mondes. Les esprits ne nous ont rien appris.

L’agent, néanmoins, parait parfois indépendant. Crookes signale avoir vu Mlle Fox écrire automatiquement une communication pour un des assistants, pendant qu’une autre communication sur un autre sujet lui était donnée pour une deuxième personne au moyen de l’alphabet et par coups frappés, et pendant qu’elle causait avec une troisième personne sur un autre sujet tout différent des deux autres. Ce fait remarquable prouve-t-il avec certitude l’action d’un esprit étranger ?

Le même savant signale que, pendant une de ses séances, une petite latte traversa la table, en pleine lumière, pour venir lui frapper la main, et lui donner une communication suivant les lettres de l’alphabet épelées par lui. L’autre bout de la latte reposait sur la table, à une certaine distance des mains de Home.

Ce cas me parait, comme à Crookes, plus probant en faveur d’un esprit extérieur, d’autant plus que l’expérimentateur ayant demandé que les coups fussent frappés suivant l’alphabet télégraphique Morse, un autre message fut ainsi frappé.

Le savant chimiste signale encore, on s’en souvient, le mot however caché par son doigt, sur un journal, et inconnu de lui, frappé par cette petite latte.

Wallace signale, d’autre part, un nom écrit sur un papier collé par lui sous le pied central de la table d’expérience ; Joncières, une aquarelle faite correctement en pleine obscurité et un thème musical écrit au crayon ; M. Castex-Dégrange, l’annonce d’une mort, la place d’un objet perdu ; nous avons vu, aussi, des phrases dictées à rebours, ou de deux en deux lettres, ou par des combinaisons bizarres manifestant l’action d’une intelligence inconnue. Nous avons mille exemples de cet ordre.

Mais, encore une fois, si l’esprit du médium peut se dégager en un état extranormal, pourquoi ne serait-ce pas lui qui agirait ? N’avons-nous pas dans nos rêves plusieurs personnalités distinctes ? Si elles pouvaient se dégager dynamiquement, n’agiraient-elles pas un peu de cette façon ?

Ce que nous ne devons pas perdre de vue, c’est le caractère mixte et complexe de ces phénomènes. Ils sont à la fois physiques et psychiques, matériels et intelligents, ne sont pas toujours produits par notre volonté consciente, et sont plutôt l’objet de l’observation que de l’expérience.

Il est utile d’insister sur ce caractère. J’entendais un jour (31 janvier 1901) E. Duclaux, membre de l’Institut, directeur de l’Institut Pasteur, faire cette confusion, commune à tant de physiciens et à tant de chimistes, dans une conférence pourtant assez compétente sur ces phénomènes : « Il n’y a de fait scientifique, proclamait-il, qu’un fait qui peut être de nouveau reproduit à volonté 91 #id_origin91. »

Quel singulier raisonnement ! Les témoins de la chute d’un météore nous apportent un aérolithe qui vient de tomber du ciel et que l’on a déterré, tout chaud, du trou dans lequel il s’était enfoncé. Erreur ! illusion ! devrions-nous répondre, ce n’est pas scientifique : nous ne le croirons que lorsque vous recommencerez l’expérience.

On nous apporte le cadavre d’un homme tué par la foudre ; mis entièrement nu, et rasé comme par un rasoir. Impossible ! devrions-nous répondre ; pure invention de vos sens abusés.

Une femme voit apparaître auprès d’elle son mari qui vient de mourir à trois mille kilomètres de distance. Ce n’est pas sérieux, devrions-nous penser, ce ne le sera que lorsqu’il recommencera.

Cette confusion entre l’observation et l’expérience est vraiment singulière de la part des hommes instruits.

Dans les phénomènes psychiques, il y a un élément intellectuel, volontaire, capricieux, incohérent, souvent très fin, subtil, habile et malin.

Je le répète, il faut savoir comprendre que tout ne s’explique pas, et se résigner à attendre des connaissances plus étendues. Il y a de l’intelligence, de la pensée, du psychisme, de l’esprit, dans ces phénomènes ; il y en a plus encore dans certaines communications. L’esprit des vivants suffit-il pour donner raison des observations ? Oui, peut-être, mais en nous attribuant des facultés inconnues et supranormales.

Ce n’est toujours là qu’une hypothèse. L’hypothèse spirite des communications avec des âmes de morts reste, ainsi que celle d’agents mentaux inconnus.


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Que les âmes survivent à la destruction du corps, je n’en ai pas l’ombre d’un doute. Mais qu’elles se manifestent par ces procédés, la méthode expérimentale n’en fournit vraiment aucune preuve absolue.

J’ajouterai même que cette hypothèse n’est pas vraisemblable. Si les âmes des défunts restaient autour de nous, sur notre planète, cette population invisible s’accroîtrait en raison de cent mille par jour, environ 36 millions par an, de 3 milliards 620 millions par siècle, de 36 milliards en dix siècles, etc., à moins d’admettre des réincarnations sur la Terre même.

Combien se présente-t-il d’apparitions on de manifestations ? Que reste-t-il en éliminant les illusions, les autosuggestions, les hallucinations ? À peu près rien. Une aussi exceptionnelle rareté plaide contre une réalité.

On peut supposer, il est vrai, que tous les êtres humains ne survivent pas à leur mort, et que même, en général, leur entité psychique est si insignifiante, si inconsistante, si nulle, qu’elle s’évanouit à peu près dans l’éther, dans le réservoir commun, dans le milieu ambiant, comme les âmes des animaux. Mais les êtres pensants qui ont conscience de leur existence psychique ne perdent pas leur personnalité et continuent le cycle de leur évolution. Il semblerait, dès lors, naturel de les voir se manifester en certaines circonstances. Les condamnés à mort par suite d’erreurs judiciaires et exécutés ne devraient-ils pas revenir protester de leur innocence ? Est-ce que les assassinés inconnus ne devraient pas revenir accuser les assassins ? Connaissant les caractères de Robespierre, de Saint-Just, de Fouquier-Tinville, j’aimerais les avoir vus se venger quelque peu de leurs triomphateurs. Les victimes de 93 n’auraient-elles pas dû venir secouer le sommeil des vainqueurs ? Sur les vingt mille fusillés de la Commune de Paris, j’aurais aimé en voir une douzaine harceler sans cesse l’honorable M. Thiers, qui a vraiment mis trop de gloire à laisser s’organiser cette insurrection et à la châtier.

Pourquoi les enfants pleurés par leurs parents ne viennent-ils jamais les consoler ? Pourquoi nos affections les plus chères semblent-elles disparaître à jamais ? Et les testaments soustraits ? Et les dernières volontés méconnues ? et les intentions travesties ? etc., etc.

Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas, dit un vieux proverbe. Cet aphorisme n’est pas absolu, peut-être, mais les revenants sont rares, très rares, et l’on ne connaît pas, au juste, leur nature. Sont-ce de véritables revenants ? Ce n’est pas encore démontré.

J’ai en vain cherché, jusqu’ici, une preuve certaine d’identité dans les communications médiumniques. On ne voit pas, d’autre part, pourquoi les esprits auraient besoin de médiums pour se manifester, s’ils existent autour de nous. Ils devraient faire partie de la nature, de la nature universelle qui comprend tout.

Néanmoins, l’hypothèse spirite me paraît devoir être conservée, au même titre que les précédentes, car les discussions ne l’ont pas éliminée 92 #id_origin92.

Mais pourquoi ces manifestations sont-elles le résultat du groupement de cinq ou six personnes au tour d’une table ?

Ce n’est pas, non plus, très vraisemblable.

Il peut se faire, il est vrai, que des esprits existent auprès de nous et soient normalement dans l’impossibilité de se rendre visibles, audigibles, tangibles, ne pouvant produire ni des rayons lumineux accessibles à notre rétine, ni des ondes sonores, ni des attouchements. Dès lors, certaines conditions, possédées par les médiums, pourraient être nécessaires à leurs manifestations.

Nul n’a le droit de rien nier.

Mais pourquoi tant d’incohérences ?

J’ai sur un rayon devant moi plusieurs milliers de communications dictées par les « esprits ». L’analyse ne laisse au fond du creuset qu’une obscure incertitude sur les causes. Forces psychiques inconnues. Entités fugaces. Figures évanouissantes. Rien de solide à saisir, même pour la pensée. Cela n’a même pas la consistance d’une définition de chimie ou d’un théorème de géométrie. Une molécule d’hydrogène est un rocher en comparaison.

La plupart des phénomènes observés, bruits, mouvements de meubles, tapages, agitations, coups frappés, réponses aux questions posées, sont véritablement enfantins, puérils, vulgaires, souvent ridicules, et ressemblent plutôt à des espiègleries de gamins, qu’à des actions sérieuses. Nous ne pouvons pas ne pas le constater.

Pourquoi des âmes de morts s’amuseraient-elles ainsi ?

L’hypothèse paraît presque absurde.

Sans doute, un homme ordinaire ne change pas de valeur intellectuelle ou morale du jour au lendemain, et s’il reste existant après sa mort, on peut s’attendre à le retrouver tel qu’il était avant. Mais, encore une fois, que de bizarreries et d’incohérences !

Quoi qu’il en soit, nous ne devons avoir aucune idée préconçue, et notre devoir le plus strict est de faire l’investigation des faits tels qu’ils se présentent.

La force naturelle inconnue mise en activité pour le soulèvement d’une table n’est pas une propriété exclusive des médiums. Elle fait partie, à divers degrés, de tous les organismes, avec des coefficients différents, 100 par exemple pour des organismes tels que ceux de Home ou d’Eusapia, 80 pour d’autres, 50 ou 25 pour de moins favorisés, mais sans doute, en aucun cas ne descendant à 0. La meilleure preuve, c’est qu’avec de la patience, de la persévérance, de la volonté, presque tous les groupes d’expérimentateurs, qui ont voulu s’en occuper sérieusement, sont arrivés à obtenir, non seulement des mouvements, mais encore des soulèvements complets, des coups frappés, etc.

Le mot de médium n’a plus guère de raison d’être, puisqu’il n’est pas prouvé qu’il y ait là un intermédiaire entre des esprits et nous. Mais il peut être conservé, la logique étant ce qu’il y a de plus rare dans la grammaire comme en tout ce qui est humain. Le mot électricité n’a plus rien à faire depuis longtemps avec l’ambre (ελεκτρον), ni le mot vénération avec le génitif de Vénus (Veneris), ni le mot désastre avec astre, ni le mot tragédie avec « le chant du bouc » (τραγος οδη), ni le mot courtisane avec « dame de la cour » ; ce qui n’empêche pas que ces mots sont compris dans leur sens habituel 93 #id_origin93.

Quant aux hypothèses explicatives, je le répète, le champ est ouvert à toutes. On remarque que les communications dictées par les tables sont en rapport avec l’état d’esprit, les idées, les opinions, les croyances, le savoir, la littérature même des expérimentateurs. C’est comme un reflet de cet ensemble. Comparez les communications enregistrées dans la maison de Victor Hugo à Jersey, celles du cercle phalanstérien d’Eugène Nus, celles des réunions astronomiques, celles des croyants religieux, catholiques, protestants, etc., etc.

Si l’hypothèse n’était pas d’une telle hardiesse, qu’elle nous paraisse inacceptable, j’oserais imaginer que la concentration des pensées crée un être intellectuel momentané qui répond aux questions posées et s’évanouit ensuite.

Reflet ? c’est peut-être l’expression véritable.

Tout le monde a vu son portrait réfléchi dans une glace, et personne ne s’en étonne.

Cependant, analysez le fait. Plus vous regarderez cet être optique se mouvant derrière le miroir, plus l’image vous paraîtra remarquable et intéressante.

Or, les miroirs auraient pu n’être pas inventés.

Si nous ne connaissions pas ces grandes glaces qui réfléchissent les appartements et les visiteurs, si nous n’en avions jamais vu, et si l’on nous racontait que des images, des reflets, des personnes vivantes peuvent ainsi se manifester et se mouvoir, nous ne le comprendrions pas et nous ne le croirions pas.

Oui, la personnification éphémère créée dans les séances spirites rappelle parfois l’image virtuelle que l’on voit dans un miroir, qui n’a, en elle-même, rien de réel, mais qui existe pourtant et reproduit l’original. L’image peinte par la photographie est du même ordre et durable. L’image réelle formée au foyer d’un miroir de télescope, incorporelle, intangible, mais que nous pouvons recueillir sur un miroir plan et étudier, en l’amplifiant par le microscope de l’oculaire, se rapproche davantage peut-être de ce qui semble se produire par la concentration de plusieurs énergies psychiques. On crée un être imaginaire, on lui parle, il répond en réfléchissant presque toujours la mentalité des expérimentateurs. Et de même qu’à l’aide de miroirs nous pouvons condenser la lumière, la chaleur, les ondes éthérées, électriques, en un foyer, de même il semble parfois que les assistants ajoutent leurs forces psychiques à celles du médium, du dynamogène, condensant les ondes et aidant à produire une sorte d’être fugitif plus ou moins matériel.

L’être subconscient, le cerveau du médium ou son corps astral, le périsprit fluidique, les inconnus latents dans les organismes sensitifs, ne pourraient-ils être le miroir que nous venons d’imaginer ? — et ce miroir ne pourrait-il aussi recevoir et reproduire l’influence d’une âme lointaine ?

Il importe de ne pas généraliser des conclusions partielles que nous avons déjà beaucoup de peine à définir.

Je ne dis pas que les esprits n’existent pas : j’ai, au contraire, des raisons pour admettre leur existence. Il n’est pas jusqu’à certaines sensations exprimées par les animaux, par des chiens, par des chats, par des chevaux, qui ne plaident en faveur de la présence inattendue et impressionnante d’êtres ou d’agents invisibles. Mais, fidèle serviteur de la méthode expérimentale, je pense que nous devons épuiser toutes les hypothèses simples, naturelles, déjà connues, avant de recourir aux autres.

Malheureusement, un grand nombre de spirites préfèrent ne pas aller au fond des choses, ne rien analyser, et être dupes d’impressions nerveuses. Ils ressemblent aux braves femmes qui disent leur chapelet en croyant avoir devant elles sainte Agnès ou sainte Philomène. Il n’y a pas de mal à cela, dit-on. Mais c’est une illusion. N’en soyons pas dupes.

Si les élémentals, les élémentaires, les esprits de l’air, les gnomes, les larves dont parle Gœthe à la suite de Paracelse, existent, ils sont naturels et non pas surnaturels : ils sont dans la nature, car la nature embrasse tout. Le surnaturel n’existe pas. La science a donc le devoir d’étudier cette question comme toutes les autres.

Comme nous l’avons déjà remarqué, il y a dans ces divers phénomènes plusieurs causes en action. Parmi ces causes, l’œuvre d’esprits désincarnés, d’âmes de morts, est une hypothèse explicative que l’on ne doit pas rejeter sans examen, qui paraît parfois la plus logique, mais qui a contre elle de puissantes objections, et qu’il serait de la plus haute importance de pouvoir démontrer avec certitude. Ses partisans devraient être les premiers à approuver la sévérité des méthodes scientifiques que nous appliquons ici, car plus solidement le spiritisme serait fondé et plus il aurait de valeur. Les croyances naïves et les illusions ne peuvent lui donner aucune base sérieuse. La religion de l’avenir sera la religion de la science. Il n’y a qu’une vérité.

On fait souvent dire aux auteurs ce qu’ils n’ont jamais dit. Pour ma part, j’en ai eu la preuve fréquente, notamment, à propos du spiritisme. Je ne serais pas surpris que certaines interprétations des pages qui précèdent se traduisent par l’opinion que je n’admets pas l’existence des esprits. On ne peut cependant trouver aucune affirmation de ce genre dans cet ouvrage, ni dans aucun de ceux auxquels j’ai donné le jour. Ce que je dis, c’est que les phénomènes physiques étudiés ici ne prouvent pas leur collaboration, peuvent probablement s’expliquer sans eux, par des forces inconnues émanant des expérimentateurs, et notamment des médiums. Mais ces phénomènes indiquent, en même temps, l’existence d’un milieu psychique.

Quel est ce milieu ? Il est, assurément, bien difficile de le concevoir, puisqu’il ne tombe sous aucun de nos sens. Il est également bien difficile de ne pas l’admettre en présence de la multitude des phénomènes observés. Si l’on admet la survivance des âmes, que deviennent ces âmes ? Où vont-elles ? On peut répondre que les conditions d’espace et de temps en relation avec nos sens matériels ne représentent pas la nature réelle de l’espace et du temps, que nos appréciations et nos mesures sont essentiellement relatives, que l’âme, l’esprit, l’entité pensante n’occupe aucune place. Néanmoins, on peut penser aussi que l’esprit pur n’existe pas, qu’il est attaché à une substance occupant un certain point. On peut penser aussi que toutes les âmes ne sont pas égales, qu’il en est de supérieures et d’inférieures, que certains êtres humains ont à peine conscience de leur existence, que les âmes supérieures, ayant conscience d’elles-mêmes, après la mort comme pendant la vie, conservent leur individualité intégrale, peuvent continuer leur évolution, voyager de monde en monde, accroître leur valeur par des réincarnations successives. Mais les autres, les âmes inconscientes, sont-elles plus avancées le lendemain de la mort que la veille ? Pourquoi la mort leur donnerait-elle une perfection quelconque ? Pourquoi d’un imbécile ferait-elle un génie ? Comment d’un méchant ferait-elle un bon ? Pourquoi d’un ignorant ferait-elle un savant ? Comment d’une nullité intellectuelle ferait-elle une lumière ?

Ces âmes inconscientes, c’est-à-dire la multitude, ne se fondent-elles pas, à la mort, dans l’éther ambiant, et ne constituent-elles pas une sorte de milieu psychique, dans lequel une analyse subtile pourrait découvrir des éléments spirituels aussi bien que des éléments matériels ?

Si la force psychique exerce une action dans l’ordre des choses existantes, elle est aussi digne de considération que les diverses formes de l’énergie en activité dans l’éther.

Sans admettre donc l’existence des esprits comme démontrée par ces phénomènes, nous sentons que tout cela n’est pas d’ordre simplement matériel, physiologique, organique, cérébral, et qu’il y a autre chose.

Autre chose d’inexplicable, dans l’état actuel de nos connaissances.

Mais autre chose d’ordre psychique. Peut-être pourrons-nous aller un peu plus loin, quelque jour, dans nos recherches impartiales, indépendantes, guidées par la méthode scientifique expérimentale, ne niant rien d’avance, mais admettant ce qui est constaté par une observation suffisante.


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En résumé, DANS L’ÉTAT ACTUEL DE NOS CONNAISSANCES, IL EST IMPOSSIBLE DE DONNER UNE EXPLICATION COMPLÈTE, TOTALE, ABSOLUE, DÉFINITIVE DES PHÉNOMÈNES OBSERVÉS. L’hypothèse spirite ne doit pas être éliminée. Toutefois, on peut admettre la survivance de l’âme sans admettre pour cela une communication physique entre les morts et les vivants. Aussi, tous les faits d’observation conduisant à affirmer cette communication méritent-ils la plus sérieuse attention du philosophe.

L’une des difficultés majeures de ces communications me parait être l’état même de l’âme affranchie des sens corporels.

Elle perçoit autrement. Elle ne voit pas ; elle n’entend pas ; elle ne touche pas. Comment donc peut-elle entrer en relations avec nos sens ?

Il y a là tout un problème, qui n’est pas négligeable dans l’étude des manifestations psychiques, quelles qu’elles soient.

Nous prenons nos idées pour des réalités. C’est un tort. Pour nous, par exemple, l’air n’est pas un corps solide ; nous le traversons sans effort, tandis que nous ne traversons pas une porte de fer. Pour l’électricité, c’est le contraire : elle traverse le fer et trouve que l’air est un corps solide intraversable. Pour l’électricien, un fil de fer est un canal conduisant l’électricité à travers le roc solide de l’air. Le verre est opaque pour l’électricité et transparent pour le magnétisme. La chair, les vêtements, le bois, sont transparents pour les rayons X, tandis que le verre est opaque, etc.

Nous éprouvons le besoin de tout expliquer, et nous sommes portés à n’admettre que les faits dont nous avons eu l’explication, mais cela ne prouve pas que nos explications soient valables. Ainsi, par exemple, si l’on avait affirmé la possibilité d’une communication instantanée entre Paris et Londres avant l’invention du télégraphe, on n’aurait vu là qu’une utopie. Plus tard on ne l’aurait admise qu’à la condition de l’existence d’un fil entre les deux stations, et l’on aurait déclaré impossible une communication sans fil électrique. Maintenant que nous avons la télégraphie sans fil, nous aimerions tout expliquer par sa théorie.

Pourquoi vouloir à toute force expliquer ces phénomènes ? Pourquoi nous imaginer naïvement que nous le pouvons, dans l’état actuel de la science ?

Les physiologistes qui prétendent voir clair dans cette affaire ressemblent à Ptolémée s’obstinant à rendre compte des mouvements célestes avec l’idée de l’immobilité de la Terre ; à Galilée expliquant l’attraction de l’ambre par la raréfaction de l’air ambiant ; à Lavoisier cherchant, comme le peuple, l’origine des aérolithes dans les orages, et les niant ; à Galvani qui voyait dans ses grenouilles une électricité organique spéciale — et même à Jésus-Christ attribuant les convulsions des hystériques à des possessions diaboliques. Je les mets en bonne compagnie, assurément, et ils n’ont pas à se plaindre. Mais qui ne sent que cette propension si naturelle à tout expliquer n’est pas justifiée, que la science progresse de siècle en siècle, que ce qui n’est pas connu aujourd’hui le sera plus tard, et qu’il convient parfois de savoir attendre ?

Les phénomènes dont nous parlons sont des manifestations du dynamisme universel, avec lequel nos cinq sens ne nous mettent en relation que très imparfaitement. Nous vivons au milieu d’un monde inexploré, dans lequel les forces psychiques jouent un rôle encore très insuffisamment observé.

Ces forces sont d’un ordre supérieur aux forces analysées généralement en mécanique, en physique, en chimie ; elles sont d’ordre psychique, ont quelque chose de vital, et une sorte de mentalité.

Elles confirment ce que nous savons d’autre part : que l’explication purement mécanique de la nature est insuffisante ; et qu’il y a dans l’Univers autre chose que la prétendue matière. Ce n’est pas la matière qui régit le monde : c’est un élément dynamique et psychique.

Quelle lumière l’étude de ces forces encore inexpliquées apportera-t-elle à la connaissance de l’âme et des conditions de sa survivance ? C’est ce que l’avenir nous apprendra.

La réalité de la spiritualité de l’âme comme entité distincte du corps est démontrée par d’autres arguments. Ceux-ci ne sont pas faits pour nuire à cette doctrine, mais tout en la confirmant, tout en mettant en évidence l’application des forces psychiques, ils ne résolvent pas encore le grand problème par les preuves matérielles que nous souhaiterions.

Toutefois, si l’étude de ces phénomènes n’a pas encore donné tout ce qu’on en prétend, ni tout ce qu’elle donnera, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’elle a considérablement élargi le cadre de la psychologie, et que la connaissance de la nature de l’âme et de ses facultés s’est irrévocablement développée vers des horizons insoupçonnés.

Il y a dans la nature, dans la direction de la vie, dans les manifestations de l’instinct chez les végétaux et chez les animaux, dans l’esprit général des choses, dans l’humanité, dans l’univers cosmique, un élément psychique qui se révèle de mieux en mieux à travers les études modernes, notamment dans les recherches d’ordre télépathique et dans les observations des phénomènes inexpliqués dont nous nous sommes occupés dans ce livre. Cet élément, ce principe, est encore inconnu de la science contemporaine ; mais, comme en bien d’autres cas, il a été deviné par les anciens.

Outre les quatre éléments, l’air, le feu, la terre et l’eau, les anciens, en effet, en admettaient un cinquième, d’ordre immatériel, qu’ils nommaient animus, âme du monde, principe animateur, éther. « Aristote, écrit Cicéron (Tuscul. Quæst. I. 22), après avoir rappelé les quatre genres d’éléments matériels, croit devoir admettre une cinquième nature, de laquelle l’âme provient, car, puisque la pensée et les facultés intellectuelles ne peuvent résider en aucun des éléments matériels, il faut admettre un cinquième genre, qui n’avait pas encore reçu de nom, et qu’il nomme entéléchie, c’est-à-dire mouvement éternel et continu. » Les quatre éléments matériels anciens ont été disséqués par l’analyse moderne. Le cinquième est peut-être plus fondamental.

Citant le philosophe Zénon, le même orateur ajoute que ce philosophe n’admettait pas ce cinquième principe, qui pouvait être assimilé au feu. Mais, de toute évidence, le feu et la pensée sont deux.

Virgile a écrit dans l’Enéide (livre VI) ces vers admirables que tout le monde connaît :

Principio cœlum ac terras camposque liquentes,
Lucentemque globum Lunæ Titaniaque astra
Spiritus intus alit, totamque infusa per artus
MENS AGITAT MOLEM, et magno se corpore miscet.

Martianus Capella, comme tous les auteurs des premiers siècles du christianisme, signale cette force directrice, en l’appelant également le cinquième élément, qu’il désigne aussi sous le nom d’éther.

Un empereur romain bien connu des Parisiens, puisque c’est chez eux, au palais des Thermes, construit par son aïeul, qu’il fut proclamé empereur, en l’an 360, Julien, dit l’Apostat, célèbre ce cinquième principe dans son discours en l’honneur du soleil roi 94 #id_origin94, le qualifiant, tantôt de principe solaire, tantôt d’âme du monde ou principe intellectuel, tantôt d’éther ou âme du monde physique.

Cet élément psychique n’est pas confondu par les philosophes avec Dieu et la Providence. C’est, à leurs yeux, quelque chose qui fait partie de la nature.


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*  *

Un mot encore, avant de nous quitter.

Le titre de cet ouvrage, qui date de l’année 1865, proclame l’existence de Forces naturelles inconnues. Celles dont il a été question ici ne représentent qu’une minime partie de la réalité. Il y en a bien d’autres.

L’être humain est doué de facultés encore peu explorées, que les observations faites sur les médiums, sur les dynamogènes, mettent en évidence, de même que le magnétisme humain, l’hypnotisme, la télépathie, la vision sans l’usage des yeux, la prémonition. Ces forces psychiques inconnues méritent d’entrer dans le cadre de l’analyse scientifique. Elles sont encore au temps de Ptolémée, et n’ont pas encore trouvé leur Kepler et leur Newton ; mais elles s’imposent à l’examen.

Bien d’autres forces inconnues se révéleront graduellement. La Terre et les planètes gravitaient autour du Soleil suivant leurs courbes harmonieuses lorsque les théories astronomiques ne voyaient dans leurs mouvements qu’une incohérence compliquée de 79 cercles cristallins. Le magnétisme terrestre enserrait notre globe de ses courants avant l’invention de la boussole qui nous les manifeste. Les ondes de la télégraphie sans fil existaient avant qu’on les saisit au passage. La mer se lamentait sur les rivages avant qu’aucune oreille ne l’entendit. Les étoiles pénétraient l’éther de leurs radiations avant que nul œil humain ne les eût contemplées.

Les observations exposées ici prouvent que la volonté consciente, le désir, d’une part, la conscience subliminale, d’autre part, et des mentalités inconnues, exercent une action dynamique en dehors des limites de notre corps. Il s’agit là de facultés de l’âme et non de propriétés cérébrales. Le cerveau n’est qu’un organe au service de l’esprit. C’est à l’esprit qu’appartiennent les forces psychiques et non à la matière.

Il est assez remarquable que les conclusions de ce travail-ci soient les mêmes que celles de l’Inconnu, fondées sur l’examen des faits de télépathie, manifestations de mourants, communications à distance. rêves prémonitoires, etc. On a lu, en effet, dans ce livre, les conclusions suivantes :

L’âme existe comme être réel, indépendant du corps ;

Elle est douée de facultés encore inconnues à la science ;

Elle peut agir à distance, sans l’intermédiaire des sens.

Celles de cet ouvrage-ci concordent avec les précédentes, et pourtant les faits étudiés ici sont entièrement différents des précédents.

Il s’y ajoute la conclusion générale qu’il existe dans la Nature un ÉLÉMENT PSYCHIQUE en activité variable et dont l’essence nous reste encore cachée. Je serai heureux, pour ma part, si j’ai pu contribuer à établir, par ces deux séries de travaux, ces principes importants, exclusivement fondés sur la constatation scientifique d’un certain nombre de phénomènes étudiés par la méthode expérimentale.


FIN

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