XXIV

D’un bond, toute frémissante, Mlle Gilberte se dressa sur ses pieds.

– C’est trop d’audace ! s’écria-t-elle.

Et elle se demandait s’il fallait lui faire refuser la porte ou l’attendre et le congédier elle-même honteusement.

Une soudaine inspiration l’arrêta.

– Que veut-il, pensa-t-elle, et qui l’amène ? Pourquoi ne pas le recevoir et essayer de surprendre ce qu’il sait ? Car il doit savoir la vérité, lui !…

Il n’était plus temps de délibérer.

Au-dessus de l’épaule de la servante, s’allongeait, impudente et blême, la face de M. Costeclar.

La servante s’étant effacée, il parut, son chapeau à la main.

Quoiqu’il ne fût pas neuf heures encore, sa toilette matinale était d’une irréprochable correction. Il avait déjà subi le fer du coiffeur, et pas un de ses cheveux, ramenés en avant sur son front déprimé, ne dépassait l’autre.

Il portait un de ces pantalons ridicules qui s’évasent à partir du genou, et qui ont été mis à la mode par des tailleurs prussiens pour dissimuler les pieds ignobles de leurs pratiques. Sous son léger pardessus de couleur claire, se croisait une jaquette à revers de velours, ornée d’une rose à la boutonnière.

Cependant, il demeurait immobile sur le seuil de la porte, grimaçant un sourire et balbutiant de ces phrases qu’on n’achève jamais.

– Veuillez croire, mademoiselle… l’absence de madame votre mère… ma très-respectueuse admiration…

Réellement, il était ébloui du désordre de la toilette de la jeune fille, désordre qu’elle n’avait pas eu le temps de réparer, depuis que les clameurs des créanciers l’avaient arrachée de son lit.

Elle était vêtue d’un long peignoir de laine brune, très-serré sur les hanches, qui accusait la souple vigueur de sa taille, les perfections virginales de son corsage et les rondeurs exquises de son cou. Relevés à la hâte, ses épais cheveux blonds s’échappaient de leurs épingles et s’épandaient à demi sur ses épaules, en cascades lumineuses.

Jamais elle n’avait paru à M. Costeclar aussi admirablement belle qu’en ce moment, où elle vibrait de tout son corps d’indignations contenues, la joue empourprée, l’œil plein d’éclairs.

– Prenez la peine d’entrer, monsieur, prononça-t-elle.

Il s’avança, non plus l’échine pliée, comme jadis, mais le jarret tendu et bombant la poitrine d’un air mal dissimulé de vaniteuse satisfaction.

– Je ne m’attendais pas à l’honneur de votre visite, monsieur, reprit la jeune fille.

Vivement, il passa de la main droite dans la gauche son chapeau et sa canne ; et la main droite appuyée sur le cœur, les yeux vers le ciel, et de toute la profondeur d’expression dont il était capable :

– C’est quand vient le malheur, mademoiselle, prononça-t-il, qu’on connaît les amis véritables. Les autres, ceux sur lesquels on comptait le plus, souvent s’envolent au premier revers et ne reparaissent plus.

Elle sentit comme un frisson dans ses veines. Était-ce une allusion à Marius de Trégars ?

L’autre, changeant de ton, poursuivait :

– C’est hier soir seulement que j’ai appris la déconfiture de ce pauvre Favoral, à la petite Bourse, où j’allais prendre le vent. On ne parlait que de cela. Douze millions ! c’est roide !… Du coup, le Comptoir de crédit mutuel pourrait bien sombrer. De 580, qu’il faisait à la Bourse avant la nouvelle, il était dès huit heures tombé au-dessous de 300. À neuf heures, personne n’en voulait plus à 180. Et cependant, s’il n’y a bien que ce qu’on dit, à 180, moi, j’en suis !…

S’oubliait-il, ou faisait-il semblant ?

– Mais, excusez-moi, mademoiselle, reprit-il, ce n’est certes pas là ce que je suis venu vous dire.

– Ah !

– Je venais vous demander des nouvelles de ce pauvre Favoral ?

– Nous n’en avons pas, monsieur.

– Alors, c’est bien vrai ; il a réussi à filer par la fenêtre ?

– Oui.

– Et il ne vous a pas dit où il comptait se réfugier ?

– Non.

Observant M. Costeclar de toute la puissance de sa pénétration, Mlle Gilberte croyait découvrir en lui une certaine surprise mêlée de joie.

– Comme cela, reprit-il, Favoral serait parti sans un sou ?

– On l’accuse d’avoir emporté des millions, monsieur, mais je jurerais qu’on se trompe.

De la tête, M. Costeclar approuvait.

– Je suis de votre avis, déclara-t-il, à moins que… mais non, il n’était pas de force à jouer une telle partie ! D’un autre côté, cependant… mais non, encore, il était veillé de trop près ! Il avait des charges, d’ailleurs, des charges très-lourdes qui épuisaient toutes ses ressources…

Mlle Gilberte allait-elle donc apprendre quelque chose ? Elle l’espéra, et, faisant effort pour conserver son sang-froid :

– Que voulez-vous dire ? interrogea-t-elle.

Il la regarda, sourit, et d’un ton léger :

– Rien, répondit-il, ce sont des réflexions que je fais à part moi, de simples conjectures…

Et se laissant tomber sur un fauteuil, le buste renversé, la tête contre le dossier :

– Ce n’est pas encore là le but de ma visite, prononça-t-il. Voilà Favoral à la mer, n’en parlons plus. Qu’il ait, ou non, « le sac », je vous déclare que vous ne le reverrez jamais. C’est fini, il est mort. Donc, causons des vivants, de vous… Qu’allez-vous devenir ?…

– Je ne m’explique pas votre question, monsieur.

– Elle est limpide, cependant. Je me demande comment vous allez vivre, votre mère et vous ?…

– La Providence ne nous abandonnera pas.

M. Costeclar avait croisé les jambes, et, du bout de sa canne, négligemment, il fouettait sa botte, d’un vernis immaculé.

– Très-joli, la Providence ! ricana-t-il, au boulevard, dans un drame, avec trémolo à l’orchestre… Je vois ça d’ici ! Dans la vie réelle, malheureusement, celle que nous vivons, vous et moi, ce n’est pas avec des mots, quand ils auraient une aune de long, qu’on paye le boulanger et la fruitière, qu’on solde ces canailles de propriétaires, qu’on s’achète des robes et des souliers…

Elle ne répondit pas.

– Or, poursuivit-il, vous voilà sans un sou. Est-ce Maxence qui vous donnera de l’argent ? Pauvre garçon ! Où le prendrait-il, lui qui n’en a même pas assez pour sa maîtresse ? Donc, qu’allez-vous faire ?

– Je travaillerai, monsieur.

Il se leva, fit un profond salut, et se rasseyant :

– Tous mes compliments, fit-il. Je ne vois qu’un obstacle à cette belle résolution : il est impossible à une femme de se suffire avec son seul travail. Il n’y a à manger à peu près leur comptant que les servantes…

– Je me ferai servante, s’il le faut.

Il resta deux secondes interloqué, mais reprenant son aplomb :

– Vous n’en seriez pas là, reprit-il d’une voix câline, si vous ne m’aviez pas repoussé, quand je voulais être votre mari… Mais vous ne pouviez pas me voir en peinture !… Et cependant, parole d’honneur, je vous aimais, oh ! mais, là, pour tout de bon… C’est que je m’y connais en femmes, et que je voyais bien quel effet vous feriez, si vous étiez habillée, coiffée, parée et étendue dans un huit ressorts, au bois…

Plus fort que la volonté, le dégoût montait aux lèvres de la jeune fille.

– Ah ! monsieur ! fit-elle.

Il se méprit.

– Vous regrettez tout cela, continua-t-il, je le vois bien. Autrefois, hein ? vous n’auriez jamais consenti à me recevoir comme cela, seul avec vous… Ce qui prouve qu’il ne faut pas faire sa tête, ma chère enfant…

Lui, Costeclar, il l’appelait, il osait l’appeler « ma chère enfant ! » Indignée et révoltée…

– Oh !… fit-elle.

Mais il était lancé.

– Eh bien ! moi, reprit-il, tel j’étais, tel je suis !… Dame, il ne serait peut-être plus question de mariage entre nous, mais là, franchement, que vous importerait, si les conditions étaient les mêmes, et si vous aviez néanmoins, maison montée, voitures, domestiques, chevaux…

Jusqu’à ce moment, elle n’avait pas compris.

Se dressant de toute sa hauteur :

– Sortez ! commanda-t-elle.

C’est ce qu’il ne semblait nullement disposé à faire, et même, plus blême que de coutume, l’œil injecté, la lèvre tremblante, et souriant d’un étrange sourire, il s’avançait vers Mlle Gilberte.

– Comment, disait-il, vous êtes dans le malheur, je viens bénévolement vous offrir mes services, et c’est ainsi que vous me recevez !… Vous préférez travailler ? Soit, allez-y gaiement, piquez vos jolis doigts, ma charmante, et rougissez vos beaux yeux… J’aurai ma revanche !… La fatigue et la misère, le froid l’hiver, la faim en toute saison, parleront à votre petit cœur de ce bon Costeclar qui vous adore, comme un grand toqué qu’il est, qui est un homme sérieux, qui a de l’argent, beaucoup d’argent…

Hors de soi :

– Misérable ! cria la jeune fille ! sortez, sortez !…

– Un moment !… fit une voix forte.

M. Costeclar se retourna.

Dans le cadre de la porte ouverte, Marius de Trégars se tenait debout.

– Marius !… murmura Mlle Gilberte, clouée sur place par une stupeur immense, moins grande pourtant que sa joie.

Le revoir ainsi soudainement, alors qu’elle en était à se demander si elle le reverrait jamais, le voir apparaître au moment même où elle se trouvait seule, exposée aux plus lâches outrages, c’était un de ces bonheurs inouïs auxquels on peut à peine croire, et du fond de son âme montait comme un cantique d’actions de grâces.

Cependant elle était confondue de l’attitude de M. Costeclar.

Selon elle, et d’après ce qu’elle croyait savoir, il eût dû être pétrifié de l’arrivée de M. de Trégars.

Et voilà qu’il n’avait pas même l’air de le connaître. Il paraissait choqué, contrarié d’avoir été interrompu, légèrement surpris, mais il ne semblait ni ému, ni effrayé.

Fronçant le sourcil :

– Vous désirez ? demanda-t-il de son ton le plus impertinent, lequel ne l’était pas médiocrement.

M. de Trégars s’avança. Il était un peu pâle, mais d’un calme, d’un sang-froid, d’un flegme véritablement effrayants.

S’inclinant devant Mlle Gilberte.

– Si je me suis permis de pénétrer ainsi chez vous, mademoiselle, prononça-t-il doucement, c’est que passant devant votre porte, j’ai cru reconnaître la voiture de monsieur…

Et du doigt, par dessus l’épaule, il désignait M. Costeclar.

– Or, poursuivit-il, j’avais lieu de m’en étonner considérablement, après la défense formelle que je lui ai faite de remettre les pieds, non pas seulement dans cette maison, mais même dans le quartier. J’ai voulu savoir à quoi m’en tenir, je suis monté, j’ai entendu…

Tout cela était dit d’un ton de mépris si écrasant qu’un soufflet eût été moins cruel. Tout ce que M. Costeclar avait de sang dans les veines lui montait à la face.

– Vous, interrompit-il insolemment, je ne vous connais pas…

Imperturbable, M. de Trégars retirait ses gants.

– En êtes-vous bien sûr ? répondit-il. Voyons, vous connaissez bien mon vieil ami, le comte de Villegré ?

Un nuage d’inquiétude descendit comme un crêpe sur le front déprimé de M. Costeclar.

– En effet, balbutia-t-il.

– M. de Villegré, avant la guerre, n’est-il pas allé vous rendre visite ?…

– Si.

– Eh bien ! c’est moi qui l’envoyais, et les volontés qu’il vous a signifiées étaient les miennes…

– À vous ?

– À moi, Marius de Trégars.

Un tressaillement nerveux secoua le maigre corps de M. Costeclar ; il eut comme un mouvement de recul, son œil instinctivement chercha la porte.

– Vous voyez, poursuivit Marius, toujours avec la même douceur, que nous sommes, vous et moi, de vieilles connaissances. Car vous me remettez bien, maintenant, n’est-ce pas ? Je suis le fils de ce pauvre marquis de Trégars, qui était venu à Paris, du fond de sa Bretagne, avec toute sa fortune, plus de deux millions.

– Je me souviens, fit vivement l’homme de Bourse, je me souviens parfaitement !…

– Sur les conseils d’habiles gens, le marquis de Trégars se lança dans les affaires. Pauvre bonhomme ! Il n’y entendait pas malice ! Dans le même temps qu’il croyait s’enrichir, il perdait tout. Il était fermement persuadé qu’il avait déjà plus que doublé ses capitaux, le jour où ses honorables associés lui démontrèrent qu’il était ruiné, et de plus compromis par certaines signatures imprudemment données…

Mlle Gilberte écoutait bouche béante, se demandant où en voulait venir Marius, et comment il pouvait demeurer si calme.

– Ce désastre, continuait-il, fut, à l’époque, le sujet d’une énorme quantité de plaisanteries bien spirituelles. Les gens de Bourse ne pouvaient assez admirer le savoir-faire des hardis financiers qui avaient si lestement débarrassé de son argent ce candide marquis. C’était bien fait pour lui, de quoi se mêlait-il ! Moi, pour empêcher les poursuites dont on menaçait mon père, j’abandonnai tout ce que j’avais. J’étais fort jeune, et, comme vous le voyez, fort naïf. Je n’en suis plus là. Si pareille aventure m’arrivait aujourd’hui, je voudrais savoir ce que sont devenus les millions, je palperais les poches autour de moi, je crierais : au voleur !…

À chaque mot, pour ainsi dire, le malaise de M. Costeclar devenait plus manifeste.

– Ce n’est pas moi, dit-il, qui ai profité de la fortune de M. de Trégars.

Du geste, Marius approuva.

– Je sais, maintenant, répondit-il, entre qui ont été partagées les dépouilles. Vous, monsieur Costeclar, vous en avez tiré ce que vous avez pu, timidement, selon vos moyens. Les requins sont toujours accompagnés de petits poissons auxquels ils abandonnent les débris qu’ils dédaignent. Vous n’étiez alors qu’un petit poisson. Vous vous êtes arrangé de ce dont ne voulaient pas vos patrons les requins. Quand vous avez voulu opérer seul, vous avez été maladroit, vous avez laissé des preuves de votre grand appétit de l’argent des autres. Je les ai entre les mains, ces preuves…

M. Costeclar était à la torture.

– On me tient, fit-il, je le sais, je l’ai dit à M. de Villegré…

– Alors comment êtes-vous ici ?

– Eh ! savais-je que le comte venait de votre part ?

– Pauvre raison, monsieur.

– Après ce qui s’était passé, d’ailleurs, après la fuite de Favoral, je me croyais relevé de l’engagement que j’avais pris…

– En vérité !

– Enfin, soit, si vous y tenez, j’ai eu tort…

Le flegme de M. de Trégars ne se démentait toujours pas.

– Non-seulement vous avez eu tort, prononça-t-il, mais vous avez commis une imprudence insigne. En manquant à vos engagements, vous m’avez délié des miens. Le pacte est rompu. D’après nos conventions, j’ai le droit, en sortant d’ici, de me rendre tout droit au parquet…

L’œil terne de l’homme de Bourse vacillait.

– Je ne croyais pas mal faire, bégaya-t-il. Favoral a été mon ami…

– Et c’est à ce titre que vous veniez proposer à Mlle Favoral de devenir votre maîtresse ? Vous vous êtes dit : La voilà sans ressources, sans pain littéralement, sans parents, sans amis pour la défendre, c’est le moment de se montrer. Et pensant pouvoir être impunément lâche, infâme, vil, bravement vous êtes venu…

Être ainsi traité, lui l’homme à succès, devant cette jeune fille qu’il écrasait l’instant d’avant de son impudente opulence, non, M. Costeclar ne put l’endurer.

Perdant la tête :

– Il fallait me faire savoir qu’elle était votre maîtresse ! s’écria-t-il.

Il passa comme une flamme sur le visage de Marius, ses yeux s’emplirent d’éclairs. Se dressant de toute la hauteur de sa colère, qui éclatait à la fin, terrible :

– Ah ! misérable ! s’écria-t-il.

Brusquement, M. Costeclar se jeta de côté.

– Monsieur !…

Mais d’un bond, M. de Trégars fut sur lui.

– À genoux !… cria-t-il.

Et le saisissant au collet, d’un poignet de fer, il le souleva, lui fit perdre plante, et le jeta à deux genoux sur le parquet, violemment, comme s’il eût voulu l’y enfoncer.

– Parle ! commanda-t-il. Répète : Mademoiselle…

M. Costeclar avait cru lire pis que cela dans les yeux de M. de Trégars. Une peur affreuse avait instantanément brisé en lui toute velléité de résistance.

– Mademoiselle… bégaya-t-il d’une voix étranglée.

– Je suis le dernier des misérables !… continua Marius.

La tête blême de M. de Costeclar, comme une chose inerte, oscillait sur son col brisé selon la mode de la veille.

– Je suis, répéta-t-il, le dernier des misérables…

– Et je vous supplie…

Mais le cœur de Mlle Gilberte se soulevait de dégoût.

– Assez !… interrompit-elle.

Ne sentant plus sur son épaule la lourde main de M. de Trégars, l’homme de Bourse se releva péniblement. Telle était sa pâleur livide, qu’on eût dit tout son sang tourné en fiel.

Essuyant du bout de son gant les genoux de son pantalon, et rétablissant, tant bien que mal, l’harmonie fort compromise de sa toilette :

– Est-ce donc un acte de courage, grommelait-il, que d’abuser de sa force physique ?

Déjà M. de Trégars était redevenu maître de soi, et Mlle Gilberte croyait lire sur son visage le regret de sa violence.

– Valait-il mieux, dit-il, faire usage de ce que vous savez ?…

M. Costeclar joignit les mains.

– Vous ne feriez pas cela ! s’écria-t-il. À quoi cela vous avancerait-il, de me perdre ?…

– À rien, répondit M. de Trégars, vous avez raison. Mais vous ?…

Et plongeant son regard dans les yeux de M. Costeclar :

– Si vous pouviez me servir, interrogea-t-il, le feriez-vous ?

– Peut-être !… pour rentrer en possession des papiers que vous avez.

M. de Trégars réfléchissait.

– Après ce qui vient de se passer, dit-il enfin, il nous faut une explication. Attendez-moi chez vous, avant une heure, j’y serai…

M. Costeclar était devenu plus souple que ses gants gris perle. Souple à ce point que c’en était inquiétant.

– Je suis à vos ordres, monsieur, répondit-il à M. de Trégars.

Et s’inclinant jusqu’à terre devant Mlle Gilberte, il quitta le salon, et on entendit presque aussitôt se refermer sur lui la porte de la rue.

– Ah ! le misérable ! s’écria la jeune fille, affreusement bouleversée. Marius, avez-vous vu quel regard il nous a lancé en sortant ?

– Je l’ai vu, répondit M. de Trégars.

– Cet homme nous hait. Il ne reculerait pas devant un crime pour se venger de l’atroce humiliation qu’il vient de subir.

– Je le crois comme vous.

Mlle Gilberte eut un geste désolé.

– Pourquoi l’avoir traité si cruellement ? murmura-t-elle.

– Je m’étais promis et il eût été politique de rester calme. Mais il est de ces outrages abominables qu’un homme de cœur ne peut pas endurer. Je ne regrette pas ce que j’ai fait.

Un long silence suivit, et ils restaient debout, en face l’un de l’autre, oppressés, émus, détournant les yeux. Mlle Gilberte s’apercevait du désordre de sa toilette et elle en avait honte. M. de Trégars s’étonnait maintenant de la hardiesse qu’il avait eue de pénétrer ainsi dans cette maison.

– Vous savez quel malheur nous frappe ? reprit enfin la jeune fille.

– Je l’ai appris ce matin par le journal.

– Quoi ! les journaux savent déjà ?…

– Tout.

– Et notre nom y est imprimé ?

– Oui.

Elle se voila le visage de ses deux mains, et accablée :

– Quelle honte !… fit-elle.

– Sur le premier moment, continuait M. de Trégars, je ne pouvais croire à la réalité de ce que je lisais. Je me suis hâté d’accourir, et le premier boutiquier des environs que j’ai questionné, ne m’a que trop prouvé que le journal disait vrai. Dès lors, je n’ai plus eu qu’un désir, impérieux, immense : vous parler. Et je suis arrivé rue Saint-Gilles poussé par l’espérance incertaine de vous apercevoir. En reconnaissant à votre porte l’équipage de M. Costeclar, j’ai eu comme un pressentiment de la vérité. Je suis entré chez le concierge et j’ai demandé votre mère ou votre frère. On m’a répondu que Maxence était sorti depuis un moment déjà, et que Mme Favoral venait de sortir, en voiture, avec M. Chapelain, l’ancien avoué. À l’idée que vous étiez seule avec M. Costeclar, je n’ai pas hésité. Je me suis lancé dans l’escalier. La porte de votre appartement n’étant pas fermée, je n’ai pas eu besoin de sonner, et votre domestique m’a laissé entrer sans seulement me demander ce que je voulais…

Non sans efforts, Mlle Gilberte maîtrisait les sanglots qui gonflaient sa poitrine.

– Je n’espérais plus vous revoir, balbutia-t-elle.

– Oh !

– Et vous trouverez là, sur la table, la lettre que je venais de commencer pour vous, lorsque M. Costeclar m’a interrompue.

Vivement, M. de Trégars s’en empara. Deux lignes seulement étaient écrites ; il lut :

« Je vous rends votre parole, Marius, désormais vous êtes libre ! ! ! »

Devenu plus blanc qu’un linge :

– Vous me rendiez ma parole, s’écria-t-il, vous !…

– N’est-ce pas mon devoir ?

– Gilberte !…

– Ah ! s’il ne se fût agi que de notre fortune, loin de la regretter, je me serais peut-être réjouie de la perdre. Je connais votre cœur. Je me serais dit que la pauvreté nous rapprochait. Mais c’est l’honneur qui est perdu, Marius, l’honneur, la fierté de soi, le droit de marcher le front haut. Le nom que je porte est à jamais flétri. Que mon père soit repris, ou qu’il échappe à toutes les recherches, il n’en sera pas moins traduit en cour d’assises, jugé et condamnée à une peine infamante pour détournements et pour faux !…

Si M. de Trégars la laissait poursuivre, c’est qu’il sentait toutes ses idées tourbillonner dans son cerveau, c’est qu’elle était si belle ainsi, tout éplorée et les cheveux à demi épars, c’est qu’il se dégageait d’elle un charme si puissant, qu’il était comme pris de vertige, et que les mots manquaient aux sensations qui le remuaient.

– Pouvez-vous, disait-elle, prendre pour femme la fille d’un homme déshonoré ? Non, n’est-ce pas. Reprenez donc votre parole, ne m’en veuillez pas d’avoir un instant détourné votre vie de son but, pardonnez-moi le chagrin dont je vous suis le sujet, abandonnez-moi aux misères de ma destinée, oubliez-moi !…

Elle suffoquait.

– Ah !… Vous ne m’avez jamais aimé ! s’écria Marius.

Elle leva les bras au ciel :

– Tu l’entends, grand Dieu ! prononça-t-elle, comme révoltée d’un blasphème.

– Il vous serait donc aisé de m’oublier ?

– Hélas !

– Si le malheur me frappait, vous me reprendriez donc votre parole, vous cesseriez donc de m’aimer ?…

Elle osa lui prendre les mains, et les pressant entre les siennes :

– Cesser de vous aimer ne dépend plus de ma volonté, murmura-t-elle avec des frémissements de lèvres. Pauvre, abandonné de tous, méprisé, déshonoré, criminel, je vous aimerais de même, encore, toujours !…

D’un mouvement éperdu, Marius lui jeta le bras autour de la taille, et l’attirant à lui, l’étreignant contre sa poitrine et dévorant de baisers ses cheveux blonds enflammés :

– Eh bien ! c’est ainsi que je t’aime, s’écria-t-il, et de toute mon âme, et de toute ma chair, uniquement, pour la vie !… Que m’importent les tiens !… Ta famille ! est-ce que je la connais ? Ton père ! est-ce qu’il existe ? Ton nom ! c’est le mien, le nom sans tache des Trégars. Tu es ma femme, tu es à moi, tu es moi !…

Elle se débattait faiblement, un engourdissement presque invincible l’envahissait. Elle sentait sa raison se troubler, son énergie se dissoudre, ses yeux se voiler, l’air manquer à sa poitrine haletante…

Un grand effort de volonté la remit sur pied. Elle se dégagea doucement, et pliant sous l’excès de son émotion, moins forte contre la joie que contre la douleur, elle s’affaissa sur un fauteuil.

– Pardonnez-moi, balbutiait-elle, pardonnez-moi d’avoir douté de vous…

M. de Trégars n’était guère moins bouleversé que Mlle Gilberte, mais il était homme, et les ressorts de son énergie avaient une trempe supérieure. Avant qu’une minute se fût écoulée, il avait repris l’entière possession de soi et imposé à ses traits leur expression accoutumée.

Attirant une chaise, où il s’assit, près du fauteuil de Mlle Gilberte :

– Permettez-moi, mon amie, lui dit-il, de vous rappeler que nos moments sont comptés, et qu’il est bien des détails qu’il est urgent que je sache…

Elle releva la tête, et s’efforçant de hausser son sang-froid jusqu’à celui de Marius :

– Quels détails ? interrogea-t-elle.

– Au sujet de votre père.

Elle le regarda d’un air de stupeur profonde.

– N’en savez-vous pas bien plus que moi, répondit-elle, plus que ma mère, plus que nous tous ? N’est-ce donc pas vous qui, en poursuivant les gens qui ont dépouillé votre père, avez atteint le mien ? Et c’est moi, malheureuse que je suis ! qui vous ai inspiré cette résolution fatale, et je n’ai pas la force de vous en vouloir…

Imperceptiblement, M. de Trégars avait rougi.

– Comment avez-vous su ? commença-t-il…

– N’a-t-on pas dit que vous alliez épouser Mlle de Thaller ?

Il se dressa brusquement :

– Jamais ! s’écria-t-il, ce mariage n’a existé que dans la cervelle de M. de Thaller et de la baronne de Thaller, surtout. L’idée ridicule lui en est venue, parce que mon nom lui plaît, et qu’elle serait ravie de voir sa fille marquise de Trégars. Jamais elle ne m’en a ouvert la bouche, mais elle en a parlé de tous côtés, juste assez secrètement pour donner matière à un bon cancan de salon. Elle a été jusqu’à confier à plusieurs personnes de mes relations, le chiffre de la dot, pensant ainsi m’encourager… Autant qu’il était en moi, je vous avais mise en garde contre cette fausse nouvelle, par l’intermédiaire du signor Gismondo.

Peut-être, sans se l’avouer, Mlle Gilberte n’était-elle pas fâchée de l’explication, non plus que de la véhémence de Marius.

– Le signor Gismondo m’a délivrée de cruelles anxiétés, répondit-elle, mais j’avais tout d’abord soupçonné la vérité.

– Cependant…

– N’étais-je pas la confidente de vos espérances, ne savais-je pas quel but vous poursuivez ? Je n’avais vu dans ces projets de mariage qu’un moyen de vous avancer dans l’intimité de M. de Thaller sans éveiller ses défiances…

M. de Trégars n’était pas homme à nier un fait vrai.

– Peut-être, en effet, dit-il, n’ai-je pas été étranger au désastre de M. Favoral. Et quand je m’exprime ainsi, je veux dire qu’il se peut que je l’aie avancé de quelques mois, de quelques jours seulement, peut-être, car il était inévitable, fatal. Quoiqu’il en soit, si j’avais pu me douter de ce qui en était, je me serais abstenu, Gilberte, je vous le jure ; j’aurais renoncé à mes desseins plutôt que de m’exposer à atteindre votre père. Il n’y a pas à revenir sur ce qui a été fait. Mais si on ne peut pas réparer complétement le mal, on peut l’atténuer, peut-être…

Mlle Gilberte tressaillit.

– Grand Dieu ! s’écria-t-elle, croiriez-vous donc à l’innocence de mon père ?…

Mieux que personne, Mlle Gilberte eût dû être convaincue de la culpabilité de M. Favoral.

Ne l’avait-elle pas vu, humilié et tremblant devant le baron de Thaller ? Ne l’avait-elle pas entendu reconnaître, en quelque sorte, l’exactitude de l’accusation qui pesait sur lui ?

Mais ce n’est pas à vingt ans qu’on s’incline sans révolte sous la brutalité du fait. Entrevoyant une lueur d’espoir, elle s’y était précipitée.

Et quand, au silence de M. de Trégars, elle comprit combien elle s’était méprise, baissant la tête :

– C’est de la folie, murmura-t-elle, et je ne le sens que trop, mais le cœur est plus fort que la raison. Il est si cruel d’en être réduit à mépriser son père ! J’aurais tant besoin, pour moi plus encore que pour les autres, de l’excuser, de le justifier !…

Elle essuya les larmes qui jaillissaient de ses yeux, et d’une voix plus ferme :

– Ce qui arrive est si invraisemblable ! poursuivit-elle, si incompréhensible ! Comment ne pas croire à quelqu’un de ces mystères que le temps seul explique !

Depuis hier soir nous nous perdons en conjectures vaines, mais toujours, fatalement, nous en arrivons à cette conclusion, que mon père doit être victime de quelque ténébreuse intrigue.

C’est l’opinion de M. Chapelain, qu’une perte de cent soixante mille francs ne devrait cependant pas disposer à l’indulgence…

– Eh ! c’est aussi mon opinion, s’écria Marius.

– Vous voyez donc !…

Mais il ne la laissa pas poursuivre. Lui prenant doucement la main :

– Laissez-moi tout vous dire, interrompit-il, et chercher avec vous une issue, s’il en est une, à cette affreuse situation. Il court, sur M. Favoral, des bruits étranges. On prétend que son austérité n’était qu’un masque, son économie sordide un moyen de surprendre la confiance. On affirme que réellement il s’abandonnait à toutes sortes de désordres, qu’il avait quelque part, dans Paris, un ménage où il prodiguait l’argent dont il se montrait si avare ici. Est-ce vrai ? On en dit autant de tous les gens entre les mains de qui on voit fondre des fortunes…

La jeune fille était devenue fort rouge.

– Je crois qu’on dit vrai, répondit-elle.

– Ah !

– Le commissaire de police nous l’a affirmé. Il a trouvé parmi les papiers de mon père les factures acquittées d’une certaine quantité d’objets coûteux qui ne pouvaient être destinés qu’à une femme…

Le front de M. de Trégars se plissait.

– Et sait-on quelle est cette femme ? interrogea-t-il. La connaît-on ?…

– Non.

– Quelle qu’elle soit, j’admets qu’elle a dû coûter à M. Favoral des sommes considérables. Mais lui a-t-elle coûté douze millions ?

– Voilà précisément la remarque que faisait M. Chapelain.

– Et ce sera celle de tout homme sensé. Je sais bien que ce n’est pas de l’argent liquide que l’on détourne, et que le plus souvent, pour avoir dix mille francs, il faut en prendre trente mille. Je sais bien que pour cacher pendant des années un déficit considérable, il faut le creuser chaque jour davantage ; qu’il faut recourir à des manœuvres de fonds, à des ventes, à des achats, à des virements qui ruinent. Mais, d’un autre côté, M. Favoral gagnait de l’argent, beaucoup d’argent. Il a été riche. On lui croyait des millions. Est-ce que sans cela Costeclar eût jamais demandé votre main ?

– M. Chapelain prétend qu’à une certaine époque, mon père possédait au moins cinquante mille livres de rentes.

– Il en est sûr ?

– Il le dit.

– C’est à s’y perdre…

Pendant plus de deux minutes, M. de Trégars demeura pensif, remuant dans son esprit toutes les éventualités imaginables, puis :

– Mais qu’importe ! reprit-il. Quand j’ai appris, ce matin, le chiffre du déficit, des doutes aussitôt me sont venus. Et c’est pour cela, mon amie, que je tenais tant à vous voir, à vous parler. Il me faudrait savoir exactement ce qui s’est passé ici, hier soir…

Rapidement, mais sans omettre un détail utile, Mlle Gilberte raconta les scènes de la veille, la soudaine arrivée de M. de Thaller, la survenue du commissaire de police, l’évasion de M. Favoral, grâce à la présence d’esprit de Maxence.

Toutes les paroles de son père lui étaient restées dans la mémoire, et c’est presque littéralement qu’elle répétait ses discours étranges à ses amis indignés, et ses propos incohérents au moment de fuir, alors que tout en s’accusant, il disait qu’il n’était pas coupable comme on croyait, qu’il ne l’était pas seul en tout cas, et qu’il était indignement sacrifié.

Lorsqu’elle eut achevé :

– Voilà bien ce que je pensais, dit M. de Trégars.

– Quoi ?

– M. Favoral a accepté un rôle dans quelqu’une de ces terribles comédies financières, qui ruinent un millier de pauvres dupes au profit de deux ou trois habiles gredins. Votre père voulait être riche, il lui fallait de l’argent pour alimenter ses désordres, il a été tenté. On lui a montré les bénéfices immenses, les risques nuls, il s’est laissé séduire, il a cessé d’être honnête homme. Mais tandis qu’il se croyait un des directeurs du spectacle appelés à partager la recette, il n’était qu’un comparse à appointements fixes. Le moment du dénoûment venu, ses soi-disant associés ont disparu par une trappe avec la caisse, et il reste seul en face du public qui redemande l’argent…

À agiter ces désolantes questions, Marius et Mlle Gilberte avaient repris toutes les apparences du sang-froid.

Jamais, à les voir assis l’un près de l’autre, on n’eût soupçonné l’étrangeté de leur situation. Eux-mêmes l’oubliaient.

– S’il en est ainsi, reprit la jeune fille, comment mon père s’est-il tu ?

– Que devait-il dire ?

– Nommer les complices.

– Et s’il n’avait pas de preuves à donner de leur complicité ? Il était le caissier du Comptoir de crédit mutuel, c’est à sa caisse que les millions manquent…

Les conjectures de Mlle Gilberte avaient bien devancé cette phrase.

Regardant fixement Marius :

– Alors, fit-elle, de même que M. Chapelain, vous croyez que M. le baron de Thaller ?…

– Ah ! M. Chapelain croit…

– Que le directeur du Crédit mutuel connaissait les détournements.

– Et qu’il en a profité ?

– Plus que son caissier, oui.

Un singulier sourire plissait les lèvres de M. de Trégars.

– C’est possible, répondit-il, c’est bien possible…

Depuis un moment, l’embarras de Mlle Gilberte se lisait dans son regard. Enfin, surmontant son hésitation :

– Pardonnez-moi, dit-elle, je m’étais imaginé que M. de Thaller était un des hommes que vous voulez frapper, et je m’étais bercée de cette espérance que, peut-être, en faisant rendre justice à votre père, vous songiez à venger le mien…

Comme s’il eût été mû par un ressort, M. de Trégars se dressa.

– Eh bien ! oui, s’écria-t-il, oui, vous m’avez deviné !… Mais comment atteindre ce double but ? Une fausse manœuvre, en ce moment, perdrait tout ! Ah ! si je savais la véritable situation de votre père ! Si je pouvais le voir, lui parler ! D’un mot, il mettrait peut-être entre mes mains une arme sûre, l’arme que je n’ai pu trouver encore…

La jeune fille eut un geste désolé.

– Malheureusement, répondit-elle, nous sommes sans nouvelles de mon père, et il n’a même pas voulu nous dire où il comptait se réfugier…

– Mais il vous écrira peut-être ? Et d’ailleurs on pourrait le chercher, avec précaution, de façon à ne pas donner l’éveil à la police, et si votre frère, si Maxence voulait me seconder…

– Hélas ! je crains que Maxence n’ait d’autres soucis ; il a voulu sortir, ce matin, absolument, malgré ma mère…

Mais Marius l’arrêta, et de l’accent d’un homme qui en sait bien plus qu’il n’en veut dire :

– Ne calomniez pas Maxence, fit-il. Peut-être est-ce par lui que nous viendra le secours dont nous avons besoin…

Onze heures sonnaient. Mlle Gilberte tressaillit.

– Et ma mère !… s’écria-t-elle, ma mère qui va rentrer !…

M. de Trégars eut pu l’attendre. Il n’avait plus à se cacher désormais. Et cependant, après en avoir délibéré avec la jeune fille, il fut décidé qu’il allait se retirer et qu’il enverrait M. de Villegré exposer ses intentions.

Il se retira donc, et il était temps, car moins de cinq minutes plus tard Mme Favoral et M. Chapelain reparaissaient.

L’ancien avoué était furieux, et c’est avec un mouvement de rage qu’il lança sur la table les billets de banque dont il s’était chargé.

– Pour les rendre à M. de Thaller, il eût fallu arriver jusqu’à lui ! s’écria-t-il, et Monsieur est invisible, Monsieur se tient clos et celé, gardé par une nuée de valets en livrée !…

Mais Mme Favoral s’était approchée de sa fille et tout bas :

– Et ton frère ? interrogea-t-elle.

– Il n’est pas rentré.

– Mon Dieu ! soupira la pauvre mère, en un tel moment, il nous abandonne, et pour qui ?…

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