Chapitre XVII

La pauvre Rosette attendit vainement le marquis de Candale, à qui le personnage de M. Jean rendait difficile d’en soutenir un autre ailleurs.

Elle s’étonna de ce manque de galanterie dans un gentilhomme si accompli, et en prit une humeur qui lui fit rabrouer fort aigrement un officier de mousquetaires, un petit collet, et même un fermier général qui se voulait émanciper à sa toilette, quoique ces derniers soient en bonne odeur à l’Opéra, et n’y trouvent pas de cruelles, à ce que l’on prétend.

Le soir, elle dansa son pas tout de travers, perdit la mesure, confondit les temps, et risqua de se faire siffler, car elle cherchait des yeux le vicomte dans la salle, et, ne le voyant pas dans sa loge habituelle, elle tâchait de fouiller du regard les clavecins et les bonnets d’évêque où elle le soupçonnait en bonne fortune avec quelque rivale ; elle ne put rien découvrir et rentra toute dépitée dans la coulisse, sans même penser au peu d’effet de la gargouillade qu’elle venait d’exécuter assez mal, il faut le dire, et qui lui eût attiré, bien réussie, des applaudissements qui, certes, eussent fait enrager son amie Guimard.

Le souper, qu’elle était dans l’habitude de donner après la représentation, fut le plus triste et le plus maussade du monde, quelques efforts que fissent pour l’égayer les convives et les parasites qui ne manquent jamais à ces sortes de fêtes. – Ce fut peut-être pour la première fois qu’on s’ennuya chez Rosette.

Le lendemain, voyant que Candale n’arrivait pas, elle résolut un grand coup de tête : ce fut de l’aller trouver, quoique son amour-propre de femme en pût souffrir ; mais l’amour, qui est plus fort que la mort, n’a pas de peine, lorsqu’il est véritable, à l’emporter sur la vanité.

Elle s’habilla comme une femme qui veut être irrésistible, avec un goût, une grâce et une richesse inouïs. Il semblait que les fées eussent arrangé de leurs mains les délicates merveilles de sa coiffure, et bâti sa robe avec des pétales de fleurs, tant elle était frêle et légère, quoique relevée d’agréments de toute sorte.

Son chignon à la Dubarry, invention charmante due à la favorite, et qui séduit par un air voluptueux et négligé, comme si la chevelure détachée par une main téméraire eût été relevée à la hâte ; l’épingle d’or, ayant pour tête un gros diamant, et piquée de biais, ornement que n’adoptent pas les prudes, mais qui sied à ravir, lui donnaient une physionomie de nymphe en conquête des plus agaçantes, et à laquelle le vieux Priam lui-même n’eût pas résisté, malgré les neiges de l’âge.

Elle monta dans un superbe vis-à-vis dû à la tendresse du prodigue prince de R***, et qui n’avait pas coûté moins de cinquante mille livres ; magnificence qui ne doit point surprendre, lorsqu’on songe que la Guimard se promène à Longchamp dans une voiture aux roues cerclées d’argent et traînée par six chevaux ferrés de même, rien ne semblant assez beau à ces impures qui prennent plaisir à souiller l’or pour narguer la vertu pauvre.

Rien n’était plus magnifique et plus élégant en même temps que la voiture où monta Rosette la danseuse ; une reine ne l’aurait pas souhaitée plus luxueuse.

Outre le chiffre de Rosette tracé en fleurs, qui formait le milieu des quatre panneaux principaux sur fond d’or, sur chacun des panneaux de côté l’on voyait répétés, d’une part, une corbeille garnie d’un lit de roses sur lequel deux colombes se becquetaient lascivement ; de l’autre, un cœur transpercé d’une flèche, le tout enrichi de carquois, de flambeaux, de tous les attributs du dieu de Paphos.

Ces emblèmes ingénieux étaient surmontés d’une guirlande en fleurs de burgau, la plus belle chose qu’on pût voir de ses deux yeux. Le reste était proportionné.

La housse du siège du cocher, les supports des laquais par-derrière, les roues, les moyeux, les marchepieds étaient autant de détails recherchés et finis, qu’on ne pouvait se lasser de contempler, et qui portaient l’empreinte des grâces de la divinité d’un char aussi voluptueux.

Chacun, en le voyant passer, s’écriait que jamais les arts n’avaient été poussés à ce degré de perfection, et que la galanterie ne pouvait aller plus loin.

Ce fut dans ce superbe équipage que Rosette se rendit à l’hôtel de Candale, faisant l’admiration des hommes et le désespoir des femmes, qui s’indignaient de ce qu’une espèce affichât un tel luxe, lorsqu’elles-mêmes étaient forcées de marcher à pied ou de se faire voiturer dans des carrosses de l’autre siècle, aussi surannés que ridicules, mais bien dignes de charrier ces laiderons rechignés et ces vertueuses momies.

Le suisse, colossal et convenablement vermillonné et bourgeonné, secouant la poudre de sa perruque à chaque mouvement, et faisant osciller sur le dos de sa livrée son énorme queue garnie d’un crapaud, ouvrit la porte avec empressement, et le vis-à-vis, traîné par quatre magnifiques chevaux aux crinières nattées de rose et d’argent, tourna dans la cour sablée et vint s’arrêter devant le vestibule de l’escalier qui égalait celui d’un château royal, pour la majesté et le grand goût de la décoration.

Là, un valet de pied, assis sur une banquette, et jouant aux cartes avec un piqueur, répondit au laquais de Rosette que le vicomte de Candale n’y était point.

Peu contente de cette réponse, qui déconcertait ses plus chères espérances, Rosette fit approcher le valet de pied et le voulut interroger elle-même.

« Lafleur ou Labrie ? » dit-elle d’un ton interrogatif.

« Lafleur, pour servir Madame », répondit le valet en saluant.

« Réponds-moi franchement, Lafleur, ton maître est chez lui ?

– Non, madame, il n’y est point.

– Tu es sûr qu’il ne se fait point celer ?

– S’il se faisait celer pour les fâcheux, il y serait pour Madame. M. le vicomte de Candale nous donne pour consigne de laisser passer les jolies femmes », répondit le maraud, qui se piquait d’esprit et lisait quelquefois des romans dans les antichambres.

« Tu es galant, Lafleur, comme un valet de comédie. Voilà deux louis pour ton compliment.

« Tu dis que ton maître t’ordonne de laisser passer les jolies femmes… à moins cependant qu’il n’y en ait déjà une chez lui.

« N’est-ce pas qu’il y en a une ?

– Oh ! non, madame. Lorsque M. le vicomte est en affaire réglée, il va dans sa petite maison du faubourg.

– C’est juste, dit Rosette ; où avais-je l’esprit ?

– Faudra-t-il dire à M. le vicomte que Madame est venue ?

– Oui, n’y manque pas.

– Madame… de quoi ? » dit le valet avec un air malicieux, quoique plein de respect.

« Rosette tout court, ou, s’il te faut un titre, Rosette de l’Opéra, cela vaut un titre de duchesse.

– C’est bien, madame, je n’aurai garde de l’oublier, et je vais boire les deux louis à votre santé, avec mon ami Champagne. »

Rosette fit dire à son cocher de toucher vers le faubourg de ***, où se cachait la petite maison du vicomte de Candale, qu’elle connaissait par les récits de ses compagnes, sans y être allée elle-même, hélas !

Ce n’est pas d’ordinaire en si brillant équipage qu’on se rend à ces mystérieux asiles, mais bien en carrosse uni, avec une livrée grise, empaquetée d’une vaste thérèse ou quelque voile rabattu sur la figure, ou dans une chaise hermétiquement close qui vous jette à la porte, ouverte et refermée aussitôt, sans que le passant curieux ait pu saisir autre chose que la pointe d’une mule de satin et le bout des doigts gantés soulevant le marteau ou tirant le pied de la sonnette.

Comme Rosette n’avait rien à ménager, ni frère féroce, ni mari jaloux, ni protecteur en titre, elle ne risquait rien à se montrer à découvert, et s’en alla heurter bravement à la porte de la petite maison.

Un valet, couvert d’une livrée de fantaisie, et qui habitait là au cas qu’un rendez-vous de jour ou de nuit y amenât M. le vicomte, ouvrit aussitôt et introduisit Rosette dans le sanctuaire.

Ce vénérable portier de Cythère avait l’air grave, empesé, discret et pénétré de l’importance de sa place, qui n’était pas une sinécure, car jusqu’alors le vicomte avait mené joyeuse vie.

Il ne parut nullement étonné de la présence de Rosette, quoiqu’il ne l’attendît pas ; mais M. de Candale avait auprès des belles des façons si persuasives et si triomphantes, que le temps lui manquait souvent pour prévenir les ministres de ses voluptés ; celui-ci pensa donc que c’était un rendez-vous impromptu, et que le vicomte allait arriver.

Cette petite maison, que rien ne décelait du dehors, et qui se cachait derrière de grands murs insignifiants, vieillis à dessein pour ne pas attirer l’œil, était une des plus élégantes du faubourg : tout y était disposé pour le plaisir et le mystère.

Quatre ou cinq pièces plafonnées en coupole et prenant le jour de haut, la composaient. Tout ce que le luxe peut inventer de rare et de voluptueux y était réuni.

Des mythologies amoureuses dues au pinceau agréable et léger de Boucher, le peintre des Grâces et des Amours, agrémentaient les plafonds et les dessus-de-porte.

Les lambris tourmentés et tarabiscotés avec un caprice inouï étincelaient de dorures en or de plusieurs couleurs et représentaient des rocailles, des palmes, des fleurs entremêlées de musettes, de flûtes de Pan, de nids de colombe, de lacs d’amour, de flèches, de cœurs, de coupes, de flacons et autres attributs galants, sculptés avec beaucoup d’art et de délicatesse.

L’ameublement était des plus galants et des plus magnifiques. De grandes glaces semblaient prêtes à multiplier les objets charmants dont ces lieux enchanteurs avaient le privilège de recevoir la visite.

D’énormes vases de Chine en céladon craquelé y contenaient les fleurs les plus rares, incessamment renouvelées ; des tapis épais, semés de roses, y assourdissaient les pas.

Mais une partie qui avait été l’objet d’un soin tout particulier, c’était celle des sophas, des duchesses et des paphos.

Le sopha du boudoir, entre autres, d’une étoffe bleu de ciel relevé de passementerie et de glands d’argent, eût offert un logement riche et commode à l’âme d’Amanzéi, le conteur favori de Schahabam et eût pu lui fournir autant d’aventures à lui seul que tous les divans d’Agra.

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