Quatrième tableau

Dans le même décor – huit semaines plus tard.

Beaumarchais est couché. Il s’éveille.

BEAUMARCHAIS. – Soixante jours de prison – déjà ! Et mon procès vient aujourd’hui !… Dans de telles conditions, sortant de ce cachot pour y rentrer ce soir, est-ce que je vais me sentir assez libre d’esprit pour affronter mes juges ?… Vais-je avoir l’énergie et la causticité qui me seraient nécessaires ?… Ah ! Les lâches !… Comme on est vite abandonné !

(La porte s’ouvre – le geôlier introduit Gudin – puis il se retire.)

GUDIN. – Pierre, tu es libéré !

BEAUMARCHAIS. – Libéré ?

GUDIN. – Tout à fait. J’ai pu toucher hier soir le Duc de La Vrillière.

BEAUMARCHAIS. – Mon ami !

(Ils s’embrassent.)

GUDIN. – Personne encore ne le sait…

(On entend des pas précipités dans le couloir – et, brusquement, la porte s’ouvre.)

LE GEÔLIER entrant, essoufflé. – Monsieur de Beaumarchais, vous êtes libéré !

BEAUMARCHAIS. – Oh !… Et vous n’y êtes pas étranger, mon ami, j’en suis sûr.

(Il lui serre les mains.)

LE GEÔLIER. – Tout ce qui était en mon pouvoir – modeste – je l’ai fait. Voici vos deux valets.

(Puis, il ajoute à l’oreille de Beaumarchais :)

Que cela reste entre nous, n’est-ce pas ?

BEAUMARCHAIS. – C’est promis.

(Les deux valets, André et Gustave, sont entrés sur ces mots.)

Bonjour, mes bons amis.

(Ils se précipitent vers leur maître – et ils lui parlent à l’oreille :)

ANDRÉ. – Monsieur est libéré…

GUSTAVE. – Nous venons de l’apprendre à l’instant…

ANDRÉ. – Mais – motus !

BEAUMARCHAIS. – Eh ! Là, bien entendu.

(Gustave est à genoux pour lui mettre ses bas – et André lui présente les victuailles – café très chaud, jambon, fruits et fromage – qu’il apporte.

Mademoiselle Ménard entre alors en coup de vent et elle se jette au cou de Beaumarchais.)

MADEMOISELLE MÉNARD . – Mon aimé, c’en est fait : vous êtes libéré !… J’ai vu Monsieur de Sartine – et, s’il faut tout vous dire : je le vois depuis trois jours, je le vois… jour et nuit – à demi-mot comprends-moi – et ta libération n’est plus qu’une question d’heures – de minutes peut-être – et je suis tellement heureuse à la pensée que tu me la dois – et que j’ai pu l’obtenir de cette façon-là ! Se donner à quelqu’un par amour pour un autre – ah ! – toutes les femmes me comprendront : c’est une volupté sans pareille !… Et j’ai même obtenu de Monsieur de Sartine que notre abominable Duc de Chaulnes reste en prison, lui – car j’ai dit à Sartine que j’entrerais dans un couvent s’il lui rendait sa liberté – ce qui n’est pas si sot, n’est-ce pas ?… Quant à ta liberté à toi : bouche cousue – gardons-en le secret, surtout.

BEAUMARCHAIS. – Je te le jure.

(L’Aumônier paraît alors dans l’encadrement de la porte restée ouverte.)

L’AUMÔNIER. – Mon fils, grâce au Ciel, mes prières n’auront pas été vaines – et je veux être le premier à vous en informer. Gardez votre sang-froid, mon fils, et remerciez Dieu – vous êtes libéré !

Beaumarchais feint la surprise la plus grande – lève les yeux au ciel – et :

LE RIDEAU SE FERME

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