Troisième tableau

Dans le même décor – deux jours plus tard.

Beaumarchais, qui n’a plus son pansement, est revêtu d’une robe de chambre – et il travaille, bien entendu.

(On entend un grand bruit de verrous.)

BEAUMARCHAIS, distraitement. – Entrez.

(Le geôlier entre. Il apporte au prisonnier une bouteille de vin et un légumier d’argent qui lui brûle les doigts.)

LE GEÔLIER. – Votre domestique vient d’apporter cela pour vous. C’est du ragoût – et il vous recommande de le manger pendant qu’il est chaud.

BEAUMARCHAIS. – Merci. Posez-le à terre, je vous prie.

LE GEÔLIER. – Et Monsieur l’Aumônier des Prisons est là.

BEAUMARCHAIS. – Ah ! Qu’il vienne vite.

LE GEÔLIER. – Le voici.

(Le geôlier s’est effacé devant cet Aumônier – qui vient à Beaumarchais, sympathique et cordial.)

BEAUMARCHAIS. – Combien j’étais impatient de vous voir, Monsieur l’Aumônier.

L’AUMÔNIER. – Je me suis hâté d’accourir à votre appel.

BEAUMARCHAIS. – Merci. Mon père, je vous en conjure, intercédez pour moi.

L’AUMÔNIER. – Je l’ai fait ce matin, de moi-même, mon fils – en priant le Bon Dieu de vous prendre en pitié…

BEAUMARCHAIS. – Oh ! Je n’en demande pas tant, mon Père – et c’est auprès de Monsieur de Sartine que je vous demande d’intervenir. Qu’on veuille bien me laisser sortir pendant deux heures, sans plus, chaque jour – car un procès, dont j’ai tout lieu de redouter les conséquences, vient à l’audience dans peu de temps. Je l’avais gagné naguère en première instance, mais, sans doute, vais-je le perdre en appel, si je n’ai pas la possibilité d’aller solliciter mes juges. Or, l’un d’eux m’est hostile : le Conseiller Goëzman – et, là, je m’attaque à forte partie. En me tenant, ici, bouclé, on fait la part trop belle à tous mes ennemis – et si je perdais mon procès, je passerais pour un faussaire aux yeux de l’opinion publique. C’en serait fini de moi, mon Père. Je suis victime à l’heure actuelle d’une machination ourdie contre moi. J’ai été sauvagement attaqué dans ma maison par Monsieur le Duc de Chaulnes – et les coups que j’ai reçus ne sauraient justifier mon incarcération. J’ai adressé ma demande au Directeur de la Prison – mais l’aura-t-il transmise au Lieutenant de Police, à Monsieur de Sartine ?… Ah ! Mon Père, mon Père, – maudite soit l’époque où l’on arrête ainsi des gens – que l’on met en prison – dans l’espoir où l’on est de trouver à la fin la raison pour laquelle il l’aurait mérité !

L’AUMÔNIER. – Est-ce que cela peut vous consoler de savoir que Monsieur le Duc de Chaulnes est incarcéré lui-même à la Prison de Vincennes ?

BEAUMARCHAIS. – Cela ne me console pas, mon Père, mais cela me fait un vif plaisir. Le Duc de Chaulnes est en prison ! Ah ! Çà, mais – y aurait-il une justice !

(La porte s’ouvre et le geôlier paraît.)

LE GEÔLIER. – Monsieur le Directeur de la Prison fait savoir à Monsieur de Beaumarchais que sur l’ordre de Monsieur de Sartine il est autorisé à sortir tous les jours de deux heures à cinq heures – accompagné par un exempt– afin de pourvoir à son procès.

BEAUMARCHAIS. – Il n’est peut-être rien qui soit plus doux au monde que de recouvrer son prestige !

(Transfiguré par la nouvelle qu’il vient d’apprendre, on le retrouve, animé, souriant, prêt à se moquer de la terre entière – et à se battre, s’il le faut.)

LE RIDEAU SE FERME

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