6. À Bacchus.

Je chanterai Bacchus, fils illustre de Sémélé : je dirai comment au bord de la mer stérile, sur un promontoire élevé, il parut tel qu’un jeune héros à la fleur de l’âge. Ses beaux cheveux noirs flottaient sur son cou ; ses larges épaules étaient couvertes d’un manteau de pourpre. Tout à coup un navire aux larges flancs chargé de pirates tyrrhéniens s’avance à travers les flots : une destinée contraire amenait ces pirates en ces lieux. Dès qu’ils voient Bacchus, ils se font des signes entre eux et s’élancent ; le coeur transporté de joie, ils se hâtent de le conduire dans leur vaisseau ; ils croyaient qu’il était fils des rois issus de Jupiter et voulaient l’enchaîner avec des liens pesants. Mais rien ne peut le retenir ; l’osier tombe de ses pieds et de ses mains : lui, regardant les nautoniers avec un doux sourire, s’assied auprès d’eux. À cette vue, le pilote effrayé appelle ses compagnons et leur dit :

– Ah ! malheureux, quel est donc ce dieu puissant que vous prétendez enchaîner ? Votre navire solide ne peut y suffire. C’est Jupiter, Neptune ou Apollon à l’arc d’argent. Il ne ressemble pas aux faibles humains, mais aux habitants immortels de l’Olympe. Remettons-le promptement à terre, gardez-vous bien de l’outrager, de peur que dans son courroux il ne déchaîne contre nous les vents furieux et les tempêtes mugissantes.

Il dit, mais le maître du navire s’approchant du pilote lui adresse ces durs reproches :

– Insensé, vois-donc, le vent est favorable ; hâte-toi de tendre les voiles, de préparer les agrès du navire ; quant à lui, les nautoniers en prendront soin, et il nous procurera de grands avantages. Nous le conduirons en Égypte, ou dans l’île de Chypre, ou chez les Hyperboréens, ou même plus loin encore, jusqu’à ce qu’il se soit décidé à nous faire connaître ses parents, ses amis, ses richesses : c’est un dieu qui l’a mis entre nos mains.

Il dit et dresse les mâts et tous les cordages. Le vent souffle dans les voiles et les matelots préparent les agrès du navire. Mais bientôt d’éclatants prodiges brillent â leurs yeux : un vin odorant coule au sein du navire et de délicieux parfums s’exhalent dans les airs. La surprise s’empare de tous les matelots qui considéraient ces prodiges. À l’extrémité de la voile serpente de tous cotés un pampre auquel pendent de nombreuses grappes, un lierre verdâtre chargé de fleurs s’enlace au mât et le couvre de sa délicieuse verdure, des couronnes ornent tous les bancs des rameurs. À cette vue les nautoniers ordonnent au pilote de conduire le navire à terre ; mais à la pointe du navire le dieu leur apparaît sous la forme d’un lion terrible et pousse de longs rugissements. Au milieu du navire, par un autre prodige, se montre un ours hérissé de poils ; l’ours enflammé de fureur se dresse sur ses pieds, tandis qu’à l’extrémité du pont le lion le regarde de ses yeux menaçants. Les matelots effrayés, près de la poupe, se réunissent autour du pilote, homme d’un esprit sage, et s’arrêtent dans les angoisses de la crainte. Soudain, le lion s’élançant enlève le maître du vaisseau. À cette vue les nautoniers pour éviter une terrible destinée se précipitent dans la mer et sont changés en dauphins. Mais Bacchus ayant pitié du pilote l’arrête et lui promet une vie heureuse en ces mots :

– Rassure-toi, noble pilote, cher à mon coeur, tu vois en moi le tumultueux Bacchus qu’enfanta la cadméenne Sémélé, après s’être unie d’amour à Jupiter.

Salut, fils glorieux de Sémélé ; je ne dois pas t’oublier en composant mes douces chansons.

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