À Adolphe Trébuchet.

Paris, 11 juillet 1820.

Il est décidé, mon cher Adolphe, que j’aurai toujours des excuses à te faire, et toi, des pardons à m’accorder. Je ne crois cependant pas que tu puisses m’accuser d’oubli ; tu dois croire assez en mon amitié pour être convaincu que lorsque mes réponses suivent tes lettres à de si longs intervalles, c’est que je manque de temps et non de bonne volonté. J’en suis, certes, plus affligé que tu ne peux l’être.

Quant à toi, mon cher cousin, qui as sans doute plus de loisirs que moi, consacres-en, je te prie, le plus possible à notre correspondance. Il y a beaucoup d’égoïsme dans cette demande. Il faut t’en prendre au plaisir que nous font éprouver tes lettres. Je te remercie, pour ma part, des détails pleins d’intérêt que tu as bien voulu me donner sur ces nobles paysans vendéens, et de ceux que nous a apportés ta lettre du 3 juillet sur les trappistes de Meilleraye. La description de cette abbaye honore ton cœur et ton esprit. Continue, mon cher Adolphe, à nous mettre de moitié dans tes courses en attendant que nous puissions y prendre part en réalité.

C’est une attention dont nous ne saurions trop te savoir gré.

La lettre que notre oncle nous a adressée nous a tous bien profondément touchés, nous comptons répondre avant peu à ce témoignage d’affection. Nous sommes loin de mériter les éloges dont notre excellent oncle veut bien nous honorer. Parle-lui, mon cher ami, de notre respectueux attachement ; nous serions heureux qu’il pût apporter quelque adoucissement à sa douleur.

Nous avons ici notre cousin Daniel (tu vois que j’emprunte tes expressions). C’est, comme tu l’as dit, un homme fort aimable et fort gai. Il nous fait le plaisir de venir nous voir de temps en temps et nous causons de nos trois parents de Nantes ; ce sont là nos sujets de conversation les plus agréables. Nous désirons bien vivement que les affaires qui l’amènent à Paris se terminent à sa satisfaction. Cependant, nous ne pouvons souhaiter qu’elles se terminent bientôt ; il nous semble, tant qu’il reste à Paris, que nous sommes plus près de notre famille.

Hier (nouveau sujet de remerciements) on est venu nous apporter un panier de sardines ; nous avons, sur-le-champ, fait honneur à votre aimable envoi ; elles étaient excellentes et parfaitement fraîches. Nous les aimons tous en bretons : notre seul regret était de ne pouvoir les partager avec vous. Le panier renfermait, en outre, deux numéros de la feuille de Nantes où nous avons encore trouvé de nouvelles preuves d’affection, toujours bien douces de votre part. Je ne saurais te dire, mon cher Adolphe, combien je suis sensible à ces attentions délicates auxquelles notre oncle paraît vouloir nous accoutumer. Exprime-lui bien, je te prie, toute ma reconnaissance ; j’espère, ou du moins je souhaite ardemment pouvoir la lui témoigner dans peu, de vive voix.

On parle beaucoup de la dissolution de la Chambre. Le ministre Siméon, qui désire encore tripoter avec ses ventrus, s’oppose fortement à une mesure qui amènerait une majorité royaliste. On assure que Decazes a reçu le cordon bleu et qu’il ne le déploiera qu’à l’époque du couronnement de George IV. On a offert, il y a trois semaines, le ministère à M. de Villèle, qui l’a refusé. La déplorable affaire du duc de Richelieu et du général Donnadieu paraît être assoupie. La scène s’étant passée sans témoins, on ne sait trop encore qu’en penser.

Adieu, mon bon cousin, j’abandonne le reste de ma lettre à Abel qui veut t’écrire quelques mots ; Eugène te répondra demain. Nous sommes dans les embarras d’un déménagement, ce qui force maman à retarder la réponse qu’elle comptait faire à ton père et à me charger de tous ses remerciements. Adieu encore une fois, porte-toi bien, et présente mes respects à ton papa, et mes hommages à ta sœur. Je t’embrasse cordialement.

Ton bon cousin,

V.-M. Hugo.

P. S. — J’ai lu avec le plus grand intérêt les oraisons funèbres que tu as eu l’attention de nous envoyer. Celle de l’abbé de la Trappe renferme surtout de fort belles parties. Il est inutile, je pense, de te dire que nous t’en remercions.

Quoiqu’on ait parlé du départ de sa majesté le duc Decazes, je te révélerai à ce sujet un fait curieux et peu connu. Les journaux ont annoncé qu’il était parti le 10 à quatre heures de l’après-midi ; la vérité est qu’il est parti avant le jour. Cela tient à ce que Mme la duchesse Decazes avait exigé que son mari se mît en route avant Mme Prinstot (sœur du duc), qu’elle veut priver des honneurs de l’entrée triomphale à Londres. Mme Prinstot est dans les larmes : c’est elle qui n’a quitté Paris qu’à quatre heures ! La discorde s’est introduite, à ce qu’il paraît, dans l’honorable famille.

Et voilà la guerre allumée. Je tiens ces détails d’un noble pair, qui les savait de bonne source ; tu peux les considérer comme authentiques.

V.-M. H.

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