Au général Hugo.

[28 juin 1821.]

Mon cher papa,

Nous avons une nouvelle affreuse à t’annoncer. Aujourd’hui que tout est fini et que nous sommes plus calmes, je trouverai des expressions pour te l’apprendre. Tu sais bien que maman était malade depuis longtemps. Eh bien ! hier, à trois heures de l’après-midi, après trois années de souffrances, un mois de maladie et huit jours d’agonie, elle est morte. Elle a été enterrée aujourd’hui à six heures du soir.

Notre perte est immense, irréparable. Cependant, mon cher papa, tu nous restes et notre amour et notre respect pour toi ne peuvent que s’accroître de ce qu’il ne nous reste plus qu’un seul être auquel nous puissions reporter la tendresse que nous avions pour notre vertueuse mère. Dans cette profonde douleur, c’est une consolation pour nous de pouvoir te dire qu’aucun fiel, aucune amertume contre toi n’ont empoisonné les dernières années, les derniers moments de notre mère. Aujourd’hui que tout disparaît devant cet horrible malheur, tu dois connaître son âme telle qu’elle était : elle n’a jamais parlé de toi avec colère et les sentiments profonds de respect et d’attachement que nous t’avons toujours portés, c’est elle qui les a gravés dans notre cœur. Voilà, mon cher papa, ce que cette noble mère a toujours été, même dans les plus cruels malheurs. Voilà ce qu’elle eût été encore au moment de la mort, si Dieu n’avait voulu lui en épargner les angoisses, en lui enlevant toute connaissance. Elle a expiré dans nos bras, plus heureuse que nous. Nous ne doutons pas, mon cher papa, que tu ne la pleures et la regrettes avec nous, pour nous et pour toi. Il ne nous appartient pas, il ne nous a jamais appartenu de mêler notre jugement dans les déplorables différends qui t’ont séparé d’elle, mais maintenant qu’il ne reste plus d’elle que sa mémoire pure et sans tache, tout le reste n’est-il pas effacé ?

Dans ces moments d’accablement, je ne voudrais te parler que de notre désespoir, mais il est de tristes détails auxquels il faut en venir.

Notre pauvre mère ne laisse rien, que quelques vêtements, qui nous sont bien précieux. Les frais de sa maladie et de son enterrement ont bien outre-passé nos faibles moyens, le peu d’objets de prix qui nous restaient, comme argenterie, montre, etc., ont disparu, et à quel meilleur usage pouvaient-ils être employés ? Nous avons son médecin et quelques autres dettes à payer, si tu ne peux t’en charger, nous tâcherons par la suite de les acquitter du produit de notre travail. Le mobilier qui n’est rien appartient à Abel, chez qui maman demeurait avec nous, ne pouvant payer elle-même de loyer. Tout notre but, mon cher papa, est de cesser d’être à ta charge le plus tôt possible. Nous allons, si telles sont tes intentions, nous hâter d’achever notre droit, que la maladie de maman nous avait fait suspendre pendant quelque temps. Nous gagnerons quelque peu de chose par nous-mêmes, afin de t’alléger le fardeau. Au reste, viens, si tu le peux, ou veuille nous mander tes intentions.

Adieu, mon cher papa, je t’embrasse au nom de mes frères abîmés comme moi dans la douleur.

Ton fils soumis et respectueux,

Victor.

Eugène n’est pas dans le cas de t’écrire, je joins mes prières à celles de Victor pour t’engager à venir, ou à charger quelqu’un de faire connaître tes intentions pour mes frères. En attendant ils restent chez moi dans le logement que nous avons occupé avec maman et tu peux me charger de leur continuer des soins qui, s’ils ne remplacent pas la perte de ma mère, serviront du moins à alléger leur douleur.

A. Hugo.

À Monsieur le comte Jules de Rességuier, à Toulouse.

Juillet 1821.

Monsieur et bien cher confrère,

Les journaux vous ont peut-être appris mon affreux malheur. J’ai perdu ma mère.

Depuis longtemps j’aurais à me reprocher de n’avoir pas répondu à toutes vos honorables marques d’amitié, sans la maladie, sans la mort qui nous l’ont enlevée. Vous n’avez pas connu, monsieur le comte, cette noble mère, dont je ne vous parle pas parce que je n’en saurais parler dignement, mais je ne doute pas que vous ne partagiez ma douleur, et vous me plaindrez beaucoup si vous me plaignez comme je vous aime.

Votre cordialement dévoué serviteur et confrère,

Victor-M. Hugo.

Share on Twitter Share on Facebook