Monsieur l’abbé F. de Lammenais à la Chesnaie, près Dinan (Côtes-du-Nord).

Paris, 17 mai.

Je voulais, mon respectable ami, vous envoyer avec ma réponse le recueil d’odes que je publie en ce moment ; mais l’imprimerie tarde un peu, et je sens le besoin de vous dire combien votre dernière lettre m’a apporté de joie et de consolation. Je me décide donc de vous écrire sans attendre mon volume, qui viendra toujours d’ailleurs assez tôt.

J’éprouve un grand charme à voir votre âme si forte et si profonde dans vos ouvrages devenir si douce et si intime dans vos lettres ; et quand je pense que c’est pour moi que vous êtes ainsi, en vérité je suis tout fier. Je voudrais que quelqu’un pût vous dire là-bas quel vide je vois depuis votre absence parmi tous ceux que j’aime, et avec quel sentiment de reconnaissance et de joie impatiente je reçois de vos nouvelles. Il me semble, quand je lis une de vos lettres, que c’est la consolation qu’il fallait précisément à la souffrance que j’éprouve dans le moment même. Les paroles de l’amitié sont si puissantes qu’elles soulagent toutes les douleurs dans tous les instants. Simples et tendres, elles sont comme le remède unique et universel des maladies de l’âme. Et avec qui doit-on mieux sentir cette vérité qu’avec un ami tel que vous ? Vous m’avez confirmé dans cette conviction qui m’est venue depuis longtemps, c’est qu’un homme supérieur aime avec son génie, comme il écrit avec son âme.

Je vous remercie bien vivement de la correction que vous m’avez indiquée. Vous verrez dans mon volume si je suis docile. Je regrette seulement que vous n’ayez pas été plus sévère et que vous n’ayez pas écouté plus souvent en lisant ces deux odes votre goût excellent. Vous m’auriez certainement aidé à faire disparaître bien des taches et ce serait une reconnaissance de plus que je vous devrais. Au reste, vous verrez dans ce recueil, aux nombreuses corrections que j’ai faites, que j’ai eu l’intention de rendre ces ouvrages le moins imparfaits possible ; et cette intention me suffira, j’en suis sûr, auprès de vous. L’intérêt que vous prenez à mes affaires à la maison du roi m’a également vivement touché. J’ai en ce moment l’assurance que les promesses dont on me berce depuis si longtemps seront réalisées avant six semaines. J’attends avec impatience ce moment qui fixera mon avenir et me permettra de songer à vivre et à être heureux. Il faut souvent tant de circonstances matérielles pour réaliser le rêve le plus pur et le plus idéal.

Adieu, cher et illustre ami, écrivez-moi, vos lettres me font tant de bien ! et mêlez quelquefois mon souvenir à vos pensées et mon nom à vos prières.

Victor.

Parlez-moi, de grâce, du point où en est le troisième volume de votre admirable ouvrage.

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