Monsieur le général Hugo à sa terre de Saint-Lazare, près de Blois.

Paris, 4 juillet.

Mon cher papa,

Je mettais à suivre la demande de la Société autant d’activité que le bureau des belles-lettres y mettait de lenteur. Enfin, il y a quelques jours, M. de Lourdoueix m’annonça qu’il fallait m’adresser aux bureaux de M. Franchet, c’est-à-dire à la police générale ; il me demanda en outre la liste des membres que je ne pus lui donner ; puis il ajouta que, du reste, puisqu’elle était recommandée par moi, la Société de Blois était sans doute composée de manière à ne pouvoir inquiéter le gouvernement. Je crus pouvoir lui en donner l’assurance et il me dit que très probablement, dans le moment de troubles où nous sommes, l’approbation de l’autorité dépendrait de la composition de la Société. Je me rendis d’après son indication aux bureaux de la direction de la police, où l’on me promit de faire des recherches. Hier j’y suis retourné et le chef de bureau auquel a dû être renvoyée la demande (qui est je crois celui de l’ordre) m’a déclaré l’avoir cherchée en vain et n’en avoir jamais entendu parler. 11 paraît donc qu’elle s’est égarée de l’un à l’autre ministère. Il m’a conseillé d’en faire expédier sur-le-champ une autre accompagnée de la liste de MM. les membres et des statuts ; car c’est d’après ces pièces que doit décider le ministre, lequel, m’a-t-il dit, accorde très difficilement ces sortes de demandes dans l’instant de crise où nous sommes. Je m’empresse de te rendre fidèlement compte de tous ces détails, cher papa, afin que tu te consultes sur ce que tu veux faire. Tu me trouveras toujours prêt à te seconder de tout mon faible pouvoir.

D’après ton désir, je suis retourné chez M. le général d’Hurbal que je n’ai point trouvé chez lui. J’ai demandé son adresse à Meudon, et j’irai, quoiqu’on m’ait dit qu’il était assez difficile de le rencontrer parce qu’il fait de fréquentes excursions.

Puisque l’eau de Barèges te fait du bien, je te prie d’en continuer l’usage. Il faut espérer que les palpitations dont tu te plains disparaîtront tout à fait avec du repos et du bonheur.

Pour moi, mon bon et cher papa, je vois le moment du mien approcher avec la fin de mes affaires aux ministères ; mon impatience est grande, et tu le comprendras. Quand j’aurai tout reçu de toi, comment pourrai-je m’acquitter ?

Je croyais t’avoir dit qu’Eugène n’avait d’autre ressource que la pension que tu lui fais, en attendant qu’il s’en soit créé par son travail ; c’est pour cela que je le recommandai si souvent à ta générosité. Nul doute qu’en se refroidissant, il ne sente toute la reconnaissance qu’il te doit.

Nous supporterons encore le sacrifice que la nécessité t’oblige de nous faire supporter. Nous ne doutons pas que, puisque tu le fais, c’est que tu ne peux autrement.

Adieu, cher papa, j’attends avec impatience ton poëme et les conseils que tu m’annonces. Je te remercie vivement de toute la peine que je te cause. Ils pourront m’être fort utiles pour ma seconde édition à laquelle je vais bientôt songer, car celle-ci s’épuise avec une rapidité que j’étais loin d’espérer. Crois-tu qu’il s’en vendrait à Blois ?

Le papier me manque pour te parler de mes grands projets littéraires, mais non pour te renouveler la tendre assurance de mon respect et de mon amour. Je t’embrasse.

Ton fils soumis,

Victor.

J’ai envoyé au colonel un exemplaire avant d’avoir reçu ta lettre.

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