À Adolphe Trébuchet, Nantes.

22 août 1823.

Depuis longtemps, mon cher Adolphe, je me proposais de t’écrire, mais après les soins de la paternité sont venus les embarras du baptême. L’état maladif de ma femme ne lui ayant pas permis le bonheur de nourrir son enfant, nous avons été obligés de le mettre en nourrice ; nous l’avions d’abord placé près de nous, mais la nourrice parisienne à qui nous l’avions confié, parce qu’elle remplissait toutes les conditions physiques nécessaires, ne remplissait malheureusement pas toutes les conditions morales. Il a donc fallu lui retirer l’enfant ; et mon père, auquel nous nous sommes adressés, nous a envoyé de Blois une superbe nourrice qu’il remmènera avec lui à son retour de Paris et qui allaitera l’enfant chez lui, où elle sera logée, payée et nourrie avec toute la famille. Mon père, en cette circonstance, s’est montré pour nous vraiment père. Il n’était pas encore à Paris, mon cher Adolphe, quand nous avons reçu ta lettre pour lui ; nous la lui avons remise dès son arrivée, et il m’a chargé de te dire combien il y a été sensible et avec quel plaisir il te verra passer plusieurs jours chez lui à ton prochain retour.

Comme l’un des fondateurs de la Muse française, deux abonnements étaient à ma disposition ; j’ai donné l’un à mon père, l’autre au tien, qui est aussi le mien. Marque-moi s’il a reçu les deux premières livraisons du recueil que j’ai donné ordre de lui envoyer. J’ai eu le malheur d’égarer, lors de notre déménagement de Gentilly, la lettre où tu m’indiquais par quelle voie je pourrais vous faire parvenir la deuxième édition de Han. Serais-tu assez bon pour me donner de nouveau cette adresse ? je joindrai à l’envoi un certain nombre de prospectus de la Muse que je te prierai de faire distribuer à Nantes. Ce recueil rédigé par l’élite de la jeune littérature, Guiraud, Lamartine, Soumet, etc., obtient un succès étonnant. Les frais sont déjà plus que couverts, et l’éditeur compte avoir 1 500 souscripteurs avant six mois. Te serait-il, possible de me faire envoyer le numéro du Lycée armoricain, où je voudrais lire de tes articles ; je n’ai rien reçu que la livraison d’août.

Adieu, mon bon Adolphe ; mon père, ma femme, Abel et toute la famille Foucher t’embrassent et t’aiment comme moi.

Victor.

La santé physique d’Eugène est toujours bonne, mais sa santé morale... Cependant le docteur Royer-Collard, médecin en chef de Charenton, n’a pas perdu tout espoir de ramener ce cher malade à la raison.

Share on Twitter Share on Facebook