4 octobre 1813.
Mon cher et bon papa, il y a trop longtemps que je ne me suis entretenu avec toi pour ne pas sentir le besoin de te témoigner aussi moi-même combien je suis profondément touché de toutes les bontés dont notre Léopold est comblé par toi et par son excellente grand’maman. La première lettre que je puis écrire avec ma main convalescente doit être pour toi, cher papa. J’ignore comment je pourrai te rendre tous les sentiments de reconnaissance et de tendresse que je voudrais t’exprimer, mais cette impuissance même fait mon bonheur. Puisse un jour ton petit-fils, digne de toi, te payer ainsi que la seconde mère qu’il a trouvée en ta femme, par tout ce que l’amour filial a de plus tendre et de plus dévoué. Voilà des sentiments qu’il me sera aisé de lui inspirer. Nous espérons que ce pauvre petit chevreau continue à se bien trouver de son nouveau régime. Paul nous a dit tous les soins et toutes les caresses que tu lui prodigues ainsi que sa grand’mère et toute ta maison ; ce récit a ému Adèle jusqu’aux larmes, c’est te dire l’impression qu’il a produite sur moi.
L’écusson colorié a coûté 14 francs au lieu de 12 à cause d’un passe-partout qui le rend tout à fait digne d’être encadré. Je ne t’ai point encore envoyé le livre que tu me demandes, parce que j’ai pensé que si la dame qui doit venir à Paris veut bien s’en charger, ainsi que du cachet et de l’écusson peint, cela t’épargnera des frais de port. Mande-moi tes instructions définitives à cet égard.
Voici une lettre de Francis qui est pour toi. Ma maudite habitude de ne pas lire les adresses de mes lettres fait que je l’ai décachetée étourdiment. Maintenant j’y prendrai garde puisque le major choisit mon canal pour t’écrire. Ma femme qui est souffrante et qu’on purge désire beaucoup lire tes Mémoires avant tout le monde.
Désir de femme est un feu qui dévore.
J’ai fait prier Ladvocat de m’envoyer les feuilles à mesure qu’elles s’impriment ; écris-lui, si tu en as le temps, pour qu’il presse les envois.
Adieu, bien cher et excellent père ; nous ne voyons Abel que bien rarement, mais je t’embrasse toujours en son nom et au mien.
Ton fils tendre et respectueux,
Victor.
Mes empressés hommages à la grand’maman.
Au général Hugo.
13 octobre [1823].
Mon cher papa,
L’impatience d’avoir des nouvelles de son Léopold a porté ma femme à décacheter hier la lettre que tu écrivais à son père. Tu peux juger de sa désolation et de ses inquiétudes.
Pour moi, bon et excellent père, je m’abandonne avec une tendre confiance aux sollicitudes maternelles de ta femme. Dis-lui, répète-lui cent fois que nul être au monde ne sent plus profondément que moi tout ce qu’elle fait pour ce pauvre enfant, qui sera plus encore à elle qu’à moi.
Nous espérons, puisque ta lettre permet encore d’espérer ; nous espérons, puisque ta femme a eu la secourable pensée de s’adresser au ciel ; nous espérons enfin, puisque vous êtes là, vous, ses bons parents, ses protecteurs, ses sauveurs.
Envoie-nous promptement de ses nouvelles, cher papa ; nous espérons, mais nous sommes résignés ; c’est une force qui vient aussi du ciel. Adèle attend ta réponse avec courage ; je ne t’embrasse pas pour elle, elle veut le faire elle-même. Porte l’expression de ma tendre et profonde reconnaissance aux pieds de la grand’maman de ce pauvre petit ange. Je t’embrasse encore une fois avec tendresse et respect.
Victor.
Au général Hugo.
13 octobre [1823].
Cher papa,
Je n’accroîtrai pas ta douleur en te dépeignant la nôtre ; tu as senti tout ce que je sens ; ta femme éprouve tout ce qu’éprouve Adèle. Non, je ne veux pas t’attrister de toute notre afflictions si tu étais ici, excellent père, nous pleurerions ensemble et nous nous consolerions en partageant nos larmes.
Tout le monde est ici plongé dans la stupeur, comme si Léopold, comme si cet enfant né d’hier, cet être maladif et délicat n’était pas mortel. Hélas, il faut remercier Dieu qui a daigné lui épargner les douleurs de la vie. Il est des moments où elles sont bien cruelles. Notre Léopold est un ange aujourd’hui, cher papa, nous le prierons pour nous, pour toi, pour sa seconde mère, pour tous ceux qui l’ont aimé pendant sa courte apparition sur la terre.
Il ne faut pas croire que Dieu n’ait pas eu son dessein en nous envoyant ce petit ange, sitôt rappelé à lui. Il a voulu que Léopold fût un lien de plus entre vous, tendres parents, et nous, enfants dévoués. Mon Adèle au milieu de ses sanglots me répétait hier que l’une de ses douleurs les plus vives était de penser à celles que toi et ton excellente femme avez éprouvées.
Ce n’est pas à ta lettre que je réponds ; j’ai appris la fatale nouvelle de Mme Foucher. Dans le premier moment, elle avait caché les deux lettres, de peur qu’Adèle ne les lût ; elle n’a pu les retrouver depuis. Du reste, elle m’a dit tout votre chagrin, toutes vos tendres et pieuses intentions pour que la trace de ce cher petit ne s’efface pas plus sur la terre qu’elle ne s’effacera dans nos cœurs.
Adieu, bon et cher papa, console-toi de mon malheur.
C’était hier (12 octobre) l’anniversaire de notre mariage. Le bon Dieu nous a donné une consolation en nous ramenant ce doux souvenir de joie au milieu d’une si vive douleur. Adieu encore, ma femme et moi avons le cœur plein de tendresse pour vous deux.
Ton fils résigné et respectueux,
Victor.
Au général Hugo.
Samedi, novembre [1813].
Mon cher papa,
Je t’écris à la hâte quelques mots ; M. de Féraudy attend ma lettre et le paquet ; ma femme se dépêche de terminer le dessin qu’elle envoie à ses bons parents de Blois ; j’espère que tu en seras content, et je me tais, parce que je craindrais, en louant le talent de mon Adèle, de paraître vouloir rehausser son présent. Nous aurions bien voulu t’envoyer ceci encadré ; mais M. de Féraudy nous ayant fait quelques observations sur les difficultés du transport, tu sens qu’une délicatesse impérieuse nous a interdit de t’offrir ce beau dessin dans toute sa splendeur. Au reste, M. de Féraudy s’est chargé de la commission avec une grâce toute parfaite, et je te prie de lui réitérer à Blois tous nos vifs remerciements.
Il y a bien longtemps, ce me semble, cher papa, que nous n’avons de vos nouvelles. Comment se porte ta femme ? Console-la en notre nom de notre malheur. Je chercherai ce que tu me demandes.
Mon Adèle est toujours bien souffrante. Ce coup n’a pas contribué à la remettre ; cependant elle a éprouvé une grande douceur à faire quelque chose pour toi, mon excellent père, et pour la grand’mère de son Léopold. Elle ne prend pas en ce moment la plume pour vous parce qu’elle tient encore le crayon. Je ne puis m’empêcher de te dire tout bas que son dessin a fait ici l’admiration de tous ceux qui l’ont vu.
Ce bon Adolphe est peut-être à Blois en ce moment ; embrasse-le pour nous, en attendant que je l’embrasse pour toi. Adieu, bon et cher papa ; nous t’embrassons bien tendrement.
Il faut fermer ma lettre. M. de Féraudy m’attend. Une ligne de plus serait une indiscrétion. Nos respects à ta femme.
V.
À Monsieur le général Hugo, à Blois.
16 décembre [1823].
Mon cher papa,
Je me fais violence de jour en jour depuis longtemps, parce que je n’aurais pas voulu t’écrire sans te mander quelque nouvelle concernant le ministère des Affaires étrangères et nos biens d’Espagne ; mais l’embarras des fêtes m’a jusqu’ici empêché de voir M. de Ch... comme je l’aurais voulu, et je ne puis résister plus longtemps au besoin de t’exprimer, ainsi qu’à ta femme, notre tendre reconnaissance de toutes tes bontés. Le charmant tableau que nous avons reçu hier si à propos m’a touché plus encore qu’Adèle, s’il est possible, parce que les témoignages de tendresse que vous donnez à ma femme me sont encore plus précieux que ceux qui me concernent. Il est impossible de te dire quelle admiration ce beau travail excite dans la maison.
J’ai lu tes Mémoires, j’aurais voulu les relire, mais Abel ne nous en a encore donné qu’un exemplaire et tout le monde me l’arrache. Ils sont d’un intérêt bien profond pour tes fils, et je ne doute pas qu’il ne soit partagé par tous les lecteurs. Ils paraissent produire ici une vive sensation. La Foudre et la Muse en ont parlé, entre autres journaux, et je compte, quand le tome III aura paru, en parler, moi, dans l’Oriflamme. Ce serait un beau moment que celui de l’ivresse générale, pour te faire obtenir le grade de lieutenant général et une haute mission diplomatique. Je te rendrai un compte fidèle de ma conversation avec M. de Ch...
Je viens de vendre 2 000 fr. pour deux ans à Ladvocat un nouveau vol. d’Odes où tu trouveras la tienne. Le marché est bon, mais il ne m’a rien donné comptant. — Quant à la pension que tu veux bien nous faire, cher et excellent papa, nous désirons que tu suives, pour nous la payer, tes aises avant tout. Je vais répondre aux aimables lettres de M. de Féraudy, dis-lui, je te prie, que je vais me hâter de remplir ses intentions. — Adolphe et moi avons déjà écrit à notre Eugène. — Adieu, bien cher papa, embrasse pour nous ta femme et crois à tout mon tendre respect.
Victor.