À M. le Rédacteur du Journal des Débats.

Paris, 31 juillet 1824

Monsieur,

M. Z… est beaucoup trop modeste : cela est fort embarrassant pour un pauvre auteur, qui a peut-être de bonnes raisons à alléguer, et que l’on condamne au silence, parce qu’il ne les expose pas assez brutalement. J’avais eu l’honneur d’adresser une petite lettre à M. Z… à l’occasion du petit avant-propos dont il avait assaisonné ma réponse, accueillie lundi dernier par le Journal des Débats. Cette lettre contenait, je l’avoue humblement, de nouveaux témoignages de ma profonde et inaltérable estime pour l’esprit, le talent et l’érudition de votre ingénieux collaborateur. Il est vrai qu’à ces justes éloges j’avais mêlé quelques timides observations, qui n’auront sans doute pas paru à M. Z… un correctif suffisant. Je lui faisais remarquer que je devais plutôt attendre de lui une réplique à ma réponse qu’un nouvel article sur mes odes ; je lui abandonnais d’avance ces compositions si vulnérables sous tous les rapports, ajoutant que lorsqu’il aurait très facilement prouvé que mes vers sont mauvais, il lui referait encore à démontrer que sa théorie sur les classiques et les romantiques n’est pas erronée, ce qui pourtant est le véritable point de la question. Je terminais en le priant de vouloir bien expliquer au public de quelle nature était l’ordre d’insertion qu’il affirmait avoir reçu de moi, ordre qui s’était borné à l’envoi pur et simple de ma lettre, absolument telle qu’on l’avait pu lire dans le « Journal des Débats » du 26 juillet. M. Z…, je le répète, n’a point vu dans ces observations un contrepoids suffisant aux louanges qui les accompagnaient. Un sentiment de pudeur littéraire, vraiment exagéré, l’a porté non seulement à refuser, à ma seconde lettre, la publicité que j’osais lui demander, mais encore à garder un silence absolu sur ce sujet, et notamment sur cette expression d’ordre, qui n’est pas le mot propre, et qui, en conséquence des paroles mêmes de M. Z…, me semble une notable excursion de M. Z… dans ce domaine, tout à la fois aride et vaporeux, étroit et illimité, du romantique.

Quoi qu’il en soit, j’ai lu aujourd’hui avec un plaisir que M. Z… est habitué à faire éprouver à tous ses lecteurs le nouvel article qu’il veut bien me consacrer. J’avoue que je suis surpris de l’erreur historique qu’il paraît m’imposer. Il me semble que les siècles littéraires ne se mesurent pas avec la même rigoureuse exactitude que les siècles historiques. Dans l’histoire et pour la chronologie, le dix-septième siècle a commencé le 1er janvier 1600 et a fini le 1er janvier 1700. Dans les lettres, le dix-septième siècle a commencé avec Corneille, Racine, Bossuet, Pascal, Molière, La Fontaine, Boileau, etc., et n’a fini qu’avec ces écrivains illustres, dont plusieurs pourtant ont prolongé leur vie jusque dans le dix-huitième siècle. On peut, ce me semble, dire, en dépit de la chronologie, que Lucain, Sénèque et Pline le Jeune, appartiennent tous trois au deuxième siècle ou à la deuxième époque littéraire de Rome. On pourrait dire encore que J.-B. Rousseau, par la couleur de quelques-unes de ses odes, appartient plutôt au dix-septième siècle qu’au dix-huitième siècle, où il a historiquement vécu. On pourrait même avancer que M. Z…, par la tournure vive et piquante de son esprit, appartient bien plus au siècle de Voltaire qu’au siècle de Bonaparte. Ce n’est cependant pas moi qui me plaindrai de le compter au nombre de nos contemporains.

Malgré la distinction un peu subtile de M. Z…, je persiste à croire qu’on peut être revêtu d’un nuage sans porter une robe de vapeur. D’ailleurs, puisque M. Z... veut absolument des formes et des contours, le mot robe lui présente l’image que la vapeur lui refuse, à ce qu’il paraît.

Mon spirituel adversaire, qui ne veut pas qu’on puisse se vêtir d’une abstraction, ne s’est point expliqué sur le vers de Rousseau :

Un vice complaisant de grâce revêtu.

Je passe rapidement sur ces détails philosophiques, dont je ne sais pas, comme M. Z…, parer l’aridité, et je me borne à lui exprimer tous mes regrets de ce qu’il n’a pas jugé à propos de m’expliquer par quels procédés les romantiques « tirent des corps du monde des idées ». C’était là cependant le fond de son article ; cette pierre d’achoppement était la clef de sa voûte ou, s’il le préfère, le fondement de son édifice.

Voilà où les lecteurs l’attendent encore.

Quant à moi, qui ai déjà reçu plus d’une preuve de l’extrême bienveillance de M. Z…, je le remercie bien sincèrement des nouvelles critiques dont il me met à même de profiter. J’abandonne la discussion au point où elle commence à me devenir personnelle, et, du moment où il n’y a plus que moi d’accusé, je me range le premier pour la condamnation.

Aussi les deux observations par lesquelles je vais terminer ne porteront-elles que sur des faits.

M. Z… présente, comme « un échantillon » de romantisme « beaucoup plus étrange que les robes de vapeur et le vêtement de mystère » la strophe suivante :

Sors-tu de quelque tour qu’habite le Vertige,
Nain bizarre et cruel, qui sur les monts voltige,
Prête aux feux des marais leur errante rougeur,
Rit dans l’air, des grands pins courbe en criant les cimes.
Et chaque soir, rôdant sur les bords des abîmes.
Jette aux vautours du gouffre un pâle voyageur.

M. Z… veut que « cet être puissant qui courbe les cimes des grands pins » soit une chauve-souris, parce que la pièce est adressée à la chauve-souris ; il en conclut que le poëte, parlant au vocatif, devrait dire : « Nain cruel, qui voltiges, qui prêtes, qui ris, qui jettes, etc. ». Voilà certainement un étrange échantillon, non seulement de romantisme, mais encore de la profonde ignorance du « poëte ». Mais pourquoi vouloir précisément me faire dire ce que je n’ai pas dit ? Le Vertige est ici le nominatif de la phrase, et c’est lui qui voltige, qui rit, qui jette, etc. ; et non la chauve-souris. — C’est là, dira M. Z..., une personnification du Vertige bien romantique ! — Soit ; mais est-elle beaucoup plus singulière que les personnifications classiques du Zéphyr et de l’Écho ? En attendant qu’on décide la chose, je prie M. Z… de croire qu’il n’y a point d’incompatibilité absolue entre les écrivains qu’il nomme romantiques et l’orthographe.

Après m’avoir plus d’une fois fait sentir qu’il s’est plu jusqu’ici à couvrir d’un voile les taches les plus considérables de mes odes, après avoir dit qu’il a cité le moins défectueux de ce qui lui a paru condamnable, M. Z…, poussé à bout, termine par la citation d’une strophe qu’il ne paraît même transcrire qu’à regret, c’est celle sur le cauchemar :

Un monstre aux éléments prend vingt formes nouvelles,
Tantôt dans une eau morte il traîne son corps bleu,
Tantôt son rire éclate en rouges étincelles ;

Deux éclairs sont ses yeux, deux flammes sont ses ailes.

Il vole sur un lac de feu.

« Dira-t-on maintenant, ajoute M. Z…, que j’aie choisi, comme l’a pensé M. Victor Hugo, les défauts les plus saillants de ses odes ? N’avais-je pas fait tout le contraire ? Est-il beaucoup de journalistes qui se fussent refusé le plaisir de rire du corps bleu du cauchemar ? »

Or, monsieur, dans un article qui a paru sur mes premières odes, article du reste bien trop indulgent, et dont j’ai conservé la mémoire dans le sens que les latins attachaient au mot memor, dans cet article, dis-je, la strophe ci-dessus était entièrement rapportée, avec ces réflexions du critique : « Se douterait-on qu’il est question ici du cauchemar ! Ajoutons que ce rire en étincelles est une image fort étrange, et que le corps bleu ne peut jamais se trouver dans une ode. » Hé bien ! le journaliste, qui ne se refusait pas le plaisir de rire du corps bleu, et qui faisait ainsi tout le contraire de ce que M. Z… déclare avoir fait, n’était autre que M. Z... (Voyez le Journal des Débats an 17 novembre 1822.) C’est même d’après l’avis bienveillant de ce critique distingué que je corrigeai ce ridicule corps bleu dans la seconde édition de mes odes.

Je m’adresse à vous, monsieur, pour obtenir l’insertion de cette lettre, craignant que la modestie de M. Z… ne lui permît pas d’en réclamer lui-même la publication. Je désire qu’il demeure convaincu et de ma vive gratitude et du plaisir avec lequel j’ai fourni au public l’occasion de lire un nouvel article de lui.

J’ai l’honneur, etc.

Victor Hugo.

À Monsieur Villars
membre de l’Académie française.

Le dimanche 14 novembre.

Depuis deux ans, presque toujours absent de Paris, je n’ai pas eu l’occasion de cultiver autant que je l’aurais voulu l’agréable et utile commerce de M. Villars. Je suis enchanté aujourd’hui qu’une circonstance fortuite me ramène vers lui et me mette à même de renouer une connaissance qui m’est si précieuse. M. de Lamartine, mon ami, est un des candidats à la place vacante dans l’Académie française ; et, avant de se présenter chez M. Villars, il a désiré que je le prévinsse. Je lui ai dit que la bienveillance dont M. Villars m’avait donné tant de preuves ne suffirait pas seule pour fixer son choix ; mais je ne doute pas que le mérite éminent et l’admirable talent de M. de Lamartine ne soient des recommandations toutes-puissantes auprès de M. Villars. MM. de Chateaubriand et l’évêque d’Hermopolis s’intéressent vivement à la nomination de M. de Lamartine. M. Villars se plaira sans doute à joindre son suffrage au leur et à aplanir à ce beau talent l’entrée de l’Académie où M. Villars occupe une place si distinguée.

Je serai personnellement heureux et flatté d’avoir attiré son attention sur M. de Lamartine ; et la nomination de ce poëte ajoutera une nouvelle obligation à toutes celles que j’ai déjà à mon ancien et respectable ami M. Villars. J’aurai l’honneur de revenir.

Victor Hugo.

Share on Twitter Share on Facebook