À Monsieur J.-B. Soulié hôtel de Hollande, rue Neuve-des-Bons-Enfants, à Paris.

Blois, 27 avril 1825, matin.

Savez-vous, mon bon Soulié, que les grâces royales pleuvent sur moi, au moment où je viens à Blois me faire hermite ? Le roi me nomme chevalier de la légion d’honneur, et me fait l’insigne honneur de m’inviter à son sacre. Vous allez vous réjouir, vous qui m’aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous fera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Il y a entre nous une telle fraternité de sentiments et d’opinions, qu’il me semble que ma croix est la vôtre, comme la vôtre serait la mienne. Ce qui accroît beaucoup le prix de cette croix à mes yeux, c’est que je l’obtiens avec Lamartine, par ordonnance spéciale qui ne nomme que nous deux, attendu, a dit le roi, qu’il s’agit de réparer une omission. Ces deux décorations ne comptent pas dans le nombre donné au sacre.

Ce qui ajoute aussi un grand charme à mon voyage de Reims, c’est l’espérance de le faire avec notre Charles Nodier, auquel j’ai écrit hier, pour qu’il s’arrange de manière à m’avoir pour compagnon. Je dois ajouter à tout ceci que M. de La Rochefoucauld a été charmant, dans cette circonstance, pour Lamartine et moi. Il est impossible de s’effacer plus complètement pour laisser au roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grâce et de délicatesse dans ses rapports avec nous. C’est à lui que nous devons nos croix, et c’est lui qui nous remercie. Je dois cette justice haute et entière à un homme qui ne l’obtient pas toujours.

Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espérance pour apporter quelque adoucissement au chagrin de quitter mon Adèle pour la première fois. Dites tout cela à ceux de nos bons amis auxquels je n’aurai pas le temps d’écrire.

Votre canif est beau et excellent ; votre dessin est d’une bizarrerie charmante. Mille fois merci, et merci surtout de votre franche et tendre amitié.

Personne ne vous aime plus que moi.

Victor.

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