Au général Hugo.

Paris, 18 juillet 1825.

Mon cher papa,

C’est avec un véritable regret que je me vois contraint de t’envoyer la lettre et la note ci-incluses. Ces deux pièces ont besoin d’une petite explication que voici. Ces jours passés, mon vieil et respectable maître, M. de La Rivière, se présenta chez moi ; j’étais sorti. Il dit avoir quelque chose de pressant à me communiquer ; je m’empressai de me rendre chez lui comme je le fais toujours chaque fois que je suppose qu’il peut avoir besoin de moi. Cet excellent homme m’exposa alors que sa position, que son âge et celui de sa femme rendaient plus gênée chaque jour, l’obligeait de me rappeler une dette sur laquelle il s’était tu jusqu’à présent, pensant que ta fortune ou la nôtre ne nous permettaient pas encore d’y faire honneur ; mais la nécessité l’emportant sur son excessive délicatesse, il s’est vu enfin forcé à cette démarche. Cette dette est de 486 fr. 80 et se trouve expliquée dans la note ci-jointe. Je me suis parfaitement rappelé qu’à la mort de ma mère nous avions en effet trouvé ce mémoire dans ses papiers, mais je pensais qu’Abel s’était chargé du soin de te l’envoyer, et depuis j’avais totalement oublié cette dette que je croyais éteinte avec le petit nombre d’autres modiques dettes que ma mère a laissées, et dont la majeure partie fut, dans le temps, acquittée avec le produit de son argenterie et de ses robes ; je savais aussi que tu avais fait honneur aux autres créanciers, et je croyais M. de La Rivière de ce nombre. — Comme le besoin était pressant, je pris l’avis de ma femme, et, de son consentement, je m’empressai d’envoyer à M. de La Rivière une somme de deux cents francs que j’avais disponible et que je réservais pour m’acheter une montre ; cette somme, mon cher papa, servira à décharger d’autant le total de la dette ; c’est une fort légère privation que je m’impose en renonçant à cette montre, et je puis la faire sans me gêner. D’ailleurs je sais, excellent père, que tu es loin d’être riche, et, puisque je suis pour une part dans la dépense faite par M. de La Rivière, ces 200 francs seront ma cotisation personnelle ; ne songe donc plus qu’au reliquat de 286 fr. 80. Il est absolument inutile que je te dise, cher papa, combien une créance de ce genre est sacrée. Le peu que nous savons, le peu que nous valons, nous le devons en grande partie à cet homme vénérable, et je ne doute pas que tu ne t’empresses de le satisfaire, d’autant plus qu’il en a besoin ; il ne subsiste que du produit d’une petite école primaire dont le modique revenu diminue de jour en jour : l’affaiblissement progressif de ses organes et de ses facultés lui faisant perdre par degrés tous ses élèves. Il a attendu dix ans avec une délicatesse admirable, et c’est le seul reproche qu’on lui puisse faire, car je suis sûr que tu aurais fait cesser l’objet de sa réclamation si tu l’avais connue plus tôt. — C’est ce que je lui ai dit en l’engageant à m’envoyer en hâte son compte pour te le faire parvenir ; tu le trouveras ci-inclus avec la lettre qu’il m’a écrite. Je vais m’occuper de chercher l’ancien mémoire détaillé, et, si je le trouve dans le peu qui nous reste des papiers de ma mère, je te l’enverrai sans perdre de temps ; en attendant, tu peux considérer sa note comme authentique.

Adieu, mon bien cher père, mon Adèle te prie d’embrasser pour elle ses deux mères et de leur dire que Juju et Didine se portent à merveille. Tout va bien ici, et tout est impatient de revoir maman Foucher.

Mille hommages à Mme Br…, Pinlevé, etc., amitiés à tes amis.

M. de La Rivière, chef d’institution primaire, demeure rue Saint-Jacques, vis-à-vis l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas.

Je t’embrasse bien tendrement.

Ton fils respectueux et dévoué,

Victor.

Je m’occupe de toutes tes commissions.

Le roi m’a fait annoncer qu’il avait ordonné qu’on ajoutât, à toutes les

faveurs dont il m’honore, un envoi de porcelaines. C’est me combler

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