À Monsieur Sainte-Beuve, Tubney Lodge, near Oxford. — England.

Paris, le 17 septembre 1828.

Vos deux lettres, cher ami, ont été une vive joie pour moi. J’avais pris, je l’avoue, cette douce habitude de vous voir souvent, d’échanger mes idées avec vos idées, de rêver quelquefois à l’harmonie de vos vers ; votre absence me laissait un grand vide. Elle me dépeuplait presque la rue Notre-Dame-des-Champs. Vos deux lettres sont venues, bien bonnes et bien belles qu’elles sont, nous rendre quelque chose de votre vive et haute conversation, de la poésie de votre cœur et de votre esprit.

Je ne saurais vous dire avec quelle curieuse avidité je vous ai suivi dans votre voyage, chaque détail de vos lettres m’a été précieux, j’y voyais saillir tous les bas-reliefs et reluire les vitraux gothiques des belles églises que vous avez visitées, heureux homme que vous êtes !

Tandis que vous courez ainsi de sensations en sensations, nous passons ici des jours qui se ressemblent tous. Vous savez notre train de vie ; seulement, voilà quelque temps que nous sommes sevrés de couchers de soleil. Il se couche maintenant pendant notre dîner, cela m’attriste. C’est le premier larcin que me fait l’approche de l’hiver.

Je voudrais bien vous envoyer des nouvelles d’ici, mais vous savez dans quelle solitude je vis. Je sais qu’Ancelot vient de faire jouer son Olga, dont le Globe dit du bien. Il y a eu aussi dans le Globe un article stupide de M. C… R… sur votre beau livre. En revanche, le Provincial a dit à votre sujet d’assez bonnes choses que je vous garde pour votre retour. Nous avons bien parlé de vous avec tous nos amis. Les oreilles ont dû vous tinter. Il ne s’est pas dit un vers dans ma cellule qui n’ait fait regretter les vôtres. J’espère que vous nous en rapporterez d’Angleterre pour nous consoler de ce long jeûne. J’ai annoncé hier à madame votre mère votre prochain retour. Elle m’a chargé de vous dire qu’elle se portait bien et désirait vivement vous embrasser. Pas plus vivement que nous tous, à coup sûr, toute votre mère qu’elle est.

Sans adieu, bien cher ami. Revenez-nous vite. Je vous recommande Canterbury. C’est une cathédrale à vous remuer et à vous ravir d’enthousiasme. Ce que vous me dites des restaurations de Westminster m’afflige. Les anglais ont la manie de mêler le fashionable au gothique.

À bientôt. Nous vous embrassons tous bien tendrement.

Victor.

M. Le Prévost, qui sera bien ravi de vous voir, demeure rue Fontenelle, à Rouen. — Nous attendons ici Lamartine. Paul, Boulanger, les

Devéria, David, qui ne va pas à Londres, vous embrassent et vous remercient.

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