À Victor Pavie.

28 janvier 1828.


Nos lettres se croisaient, mon poëte. À l’heure où je lisais votre gentil message, vous lisiez, vous, mon griffonnage inextricable, mais n’importe ! votre amitié, n’est-il pas vrai, me devine quand vos yeux ne peuvent me déchiffrer, et, quand je vous écris, si la plume est mauvaise, le cœur est bon.

Savez-vous que je m’en veux de vous avoir écrit toute une page sans vous avoir dit encore que votre deuxième article est plus beau, s’il est possible, que le premier ; que vous êtes déjà mûr pour n’avoir que vingt ans !

Quelle verve ! quel éclat de style et d’idées ! Sainte-Beuve s’extasiait hier sur votre article ; il le sait par cœur, à la lettre, et le récite à tout le monde.

Il ne s’est pas fait en France de si remarquable article que le vôtre sur ce Cromwell ; il n’y a que les hauts articles des Reviews anglaises qui soient dignes d’être lus après les vôtres.

Pardon pour mon gâchis. Vous savez que notre David va tout à fait bien, qu’il sort, qu’il se promène au soleil et qu’il va reprendre ses travaux. Je le vais voir tous les jours, pour le voir et pour causer de Victor d’Angers. Mille souvenirs de ma femme et de moi à votre excellent père. Je viens de marier mon frère aîné ; quand vous serez marié, j’aurai une belle-sœur de plus.

Victor.

À Victor Pavie.

Paris, 29 février [1828].

Je ne vous ai pas encore remercié, mon jeune poëte, de votre bonne lettre, de la lettre de votre excellent père. Je sais que vous êtes tous deux pleins d’indulgence pour moi comme pour mes œuvres, et mon deuil profond, mon deuil inconsolable ne m’excuse que trop près d’amis tels que vous. J’ai perdu l’homme qui m’aimait le plus au monde, un être noble et bon, qui mettait en moi un peu d’orgueil et beaucoup d’amour, un père dont l’œil ne me quittait jamais. C’est un appui qui me manque de bien bonne heure ! Oh ! mon bien cher Victor, priez Dieu qu’il vous laisse longtemps votre père !

Vous savez la petite infortune advenue à Paul. C’est un bien petit malheur près d’un bien grand. J’ai dû le couvrir de mon mieux dans cette occurrence. D’ailleurs, c’est moi qui lui avais porté malheur. La plébécule cabalante qui a sifflé Amy Robsart croyait siffler Cromwell par contre-coup. C’est une malheureuse petite intrigue classique qui ne vaut pas, du reste, la peine qu’on en parle.

Adieu, mon poëte. Comment en êtes-vous encore à me demander une place dans mon amitié ? N’êtes-vous pas déjà de mes vieux amis ? La perte de mon père me laisse un vide immense et profond ; mais vous êtes de ceux qui le rempliraient s’il pouvait être rempli.

Votre frère,

Victor.

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