À Victor Pavie.

25 février 1831.

Vous avez raison, mon ami, mille fois raison. Je n’ai jamais songé à diriger un théâtre, mais à en avoir un. Je ne veux pas être directeur d’une troupe, mais propriétaire d’une exploitation, maître d’un atelier où l’art se cisèlerait en grand, ayant tout sous moi et loin de moi, directeur et acteurs. Je veux pouvoir pétrir et repétrir l’argile à mon gré, fondre et refondre la cire, et pour cela il faut que la cire et l’argile soient à moi. Du reste, quelqu’un administrera, dirigera pour mon compte à moi. Je ne ferai que des pièces et, la machine une fois en train, je les irai peut-être faire au lac de Côme ou sur les bords du Rhin, ou chez vous. Je serai même moins mêlé de cette façon aux choses du théâtre qu’en restant auteur du dehors. Ce qui salit le poëte, ce sont les tracasseries de la coulisse. Vous concevez qu’il n’y a pas de tracasseries pour le maître. D’ailleurs, aurai-je un théâtre, et tout ceci n’est-il pas une chimère ? Mais tranquillisez-vous, venez me voir, je vous achèverai cette lettre en causerie. Je ne saurais vous dire combien la vôtre m’a touché. Pour rien au monde je ne froisserais une si noble et si tendre amitié quand même elle aurait tort, mais ici elle a raison. Je suis, j’étais, d’avance, d’accord avec vous. Le fond de moi ne change pas ; vous savez que je suis un homme synthétique, et par conséquent plein de préjugés.

Gardez cette lettre bien secrète et bien entre nous deux pour mille raisons, et venez me voir. J’ai un service à vous demander.

Ex imo corde.

V. H.

Monsieur David.

Il faut absolument, mon brave ami, qu’on rende justice à M. Duseigneur. Vous qui êtes si grand par le talent et par le cœur, vous sentez au fond de l’âme, j’en suis bien sûr, tout ce qu’il y a d’odieux et d’amer à enlever ainsi l’air et le soleil à un jeune homme plein d’avenir. Que le jury d’admission et d’exclusion du Salon prochain prenne garde à lui, car je me sens pour ma part une infinie démangeaison de lui dire son fait un de ces matins à dix ou douze mille exemplaires. Vous êtes digne, vous David, de les remettre dans la bonne voie et de leur enseigner les égards dus à la jeunesse, à la conscience et au talent. Tendez la main à M. Duseigneur, mon grand sculpteur, faites exposer son groupe, vous aurez agi comme vous devez toujours agir, en homme de cœur et en homme de talent.

Mettez-moi aux pieds de madame David. Je vous embrasse.

Victor H.

26 février [1831].

À Sainte-Beuve.

Ce 9 mars [1831].

Il y a des siècles, cher ami, que je ne vous ai vu et je passe ma vie à parler de vous et à y penser. Je vous enverrai Notre-Dame de Paris un de ces matins. N’en pensez pas trop de mal, je vous prie.

Permettez-moi, en attendant, de vous adresser M. Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes, recueil qui se régénère, et qui serait bien puissamment rajeuni si vous vouliez y coopérer. M. Buloz qui, je crois, vous plaira beaucoup, désire vivement vous entretenir de cette affaire.

Faites pour lui, je vous prie, tout ce que vous pourrez.

Votre éternel ami,

V. H..

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