À Mademoiselle Louise Bertin.

27 novembre 1832.

Mademoiselle,

Quelles que soient les malheureuses divisions politiques et littéraires qui se sont élevées et où j’ai la consolation de ne pas avoir eu un tort de mon côté, j’espère que vous n’avez pas douté de moi un seul instant. Vous me savez dévoué du fond du cœur, à vous, mademoiselle, à votre excellent père (que j’aime comme s’il était le mien, et qui est, j’en suis sûr, plus affligé que moi de l’événement inouï qui me frappe), à tout ce qui vous est cher. Cet évènement-là même aura eu cela d’heureux à mes yeux de bien vous faire voir qu’il n’y a jamais eu que des raisons d’attachement personnel et désintéressé dans les relations que j’ai été si heureux et si fier de nouer avec vous, avec vous dont j’admire la belle âme et le profond talent. Dites bien, je vous supplie, à vos bons parents qu’ils ne s’inquiètent de rien avec moi, qu’ils ne se croient pas obligés de gêner les polémiques littéraires ou politiques qu’ils pourraient juger nécessaires contre moi dans la nouvelle position où mes ennemis de toute nature et de tous rangs m’ont placé que je serai toujours, quoi qu’il arrive, empressé et obéissant à vos moindres volontés, et que je ne renoncerai jamais à l’œuvre que nous faisons en commun, à moins que ce ne soit vous qui, dans votre propre intérêt, croyiez devoir répudier une collaboration qui expose à tant d’orages. Vous me connaissez, vous, mademoiselle Louise, et je suis sûr que vous vous êtes déjà dit tout cela à vous-même ; je suis sûr que vous comptez fermement sur moi. Répondez donc de moi, je vous prie. J’irai vous voir. Je vous demanderai vos ordres comme par le passé. Je mettrai tout mon loisir à vos pieds. Je vous demanderai aussi de me plaindre un peu, moi homme tranquille et sérieux, d’être ainsi violemment arraché à toutes mes habitudes et d’avoir à soutenir maintenant ce combat politique en même temps que le combat littéraire.

Où sont nos beaux jours des Roches ?

Je mets tous mes respects et tout mon dévouement à vos pieds.

Victor Hugo.

À Sainte-Beuve.

Ce samedi soir, 1er décembre [1832].

J’ai vu Carrel, mon cher ami, et je l’ai trouvé cordial et excellent. Il m’a dit que vous n’aviez qu’à lui apporter demain un extrait de la préface (Renduel a dû vous l’envoyer ce soir) avec une espèce de petit article où vous diriez ce que vous voudriez, que le tout serait publié lundi matin dans la partie politique du journal. Il m’a déclaré qu’il croyait que c’était le devoir du National de m’appuyer énergiquement et sans restriction dans ce procès que je vais intenter au ministère, et il a ajouté de son propre mouvement que je pouvais vous prier de sa part de faire, d’ici à cinq ou six jours, un article politique étendu sur toute la question et sur la nécessité où est l’opposition de me soutenir chaudement dans cette occasion, si elle ne veut pas s’abdiquer elle-même. J’ai grand besoin de tous ces appuis, mon cher ami, dans la lutte où me voilà contraint de m’engager et de persister, moi à qui vous connaissez des habitudes si recueillies et si domestiques. Somme toute, j’ai été enchanté de Carrel. Il est disposé à tout faire pour donner à mon affaire le plus d’importance possible. Quant à la question littéraire, il est fort bien aussi. Il dit même qu’il ne verra aucun inconvénient à ce que vous ou Magnin fassiez un article sur la pièce imprimée, dans une semaine ou deux, quand l’article de Rolle sera assez complètement oublié pour que le journal n’ait pas l’air de se contredire.

Adieu, mon pauvre ami. Voilà bien des services que je vous demande à la fois, et je dois vous excéder. Mais vous êtes encore l’ami sur lequel je compte le plus, et je demande tous les jours au ciel une occasion de vous rendre tous les bons offices de cœur que je vous dois.

Je me remets tout entier dans vos mains.

Votre ami à toujours,

Victor.

À Monsieur le baron Taylor.

3 décembre [1832]. Lundi.

Tout ce qui est arrivé, mon cher Taylor, n’a pas dépendu de vous, ni de la Comédie, je le sais. Je vais cependant être obligé d’intenter un procès au Théâtre-Français en dommages-intérêts, parce que c’est malheureusement le seul moyen de faire le procès politique au ministère. Cependant je reste votre ami. Odilon Barrot plaidera pour moi, l’affaire aura beaucoup de retentissement et d’éclat, mais je ne voudrais pas qu’il fût rien dit qui pût vous nuire et vous compromettre, vous personnellement. Je sens le besoin de m’entendre avec vous sur cela, je me mets dans votre position et je crois de mon devoir d’ami et d’honnête homme d’agir avec vous comme je voudrais que vous agissiez avec moi si vous étiez à ma place et moi à la vôtre. Guerre loyale et acharnée au pouvoir, mais tous les ménagements possibles et conciliables avec les besoins de la cause pour vous, Taylor, que j’aime et que j’estime. Venez donc me voir et déjeuner avec moi demain matin si vous pouvez. Je vous attendrai jusqu’à onze heures.

Vous recevrez avec ce billet votre exemplaire du Roi s’amuse et de Notre-Dame de Paris.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

À Monsieur Eugène Renduel.

[Décembre 1832.]

J’ai vu hier au soir Carrel ; tout est convenu. Il a été excellent. Je vous conterai la chose en détail. Sainte-Beuve peut faire l’article comme il le voudra et le porter aujourd’hui avec le fragment de préface. Carrel mettra tout. Carrel veut, en outre, un grand article politique pour un de ces jours sur l’affaire. Vous savez que c’est Odilon Barrot qui plaidera pour moi. Venez me voir.

Voici quelques lignes pour le Journal des Débats qu’un de nos amis m’a faites hier au soir. Elles sont en trop grosses lettres, ce qui serait ridicule. Vous ferez bien de les recopier et de les porter tout de suite.

Tout à vous.

Victor H.

Voyez Sainte-Beuve et les journaux.

À Sainte-Beuve.

[Décembre 1832.]

Je ne sais pas l’adresse de Béranger, mon cher Sainte-Beuve. Est-ce que vous seriez assez bon, vous qui le voyez souvent, pour vous charger de ce paquet pour lui ?

À bientôt. Je vous aime plus que jamais.

Victor.

Je pense que Renduel vous a remis votre exemplaire

Que devient notre bon Leroux ? Je ne le vois plus.

Share on Twitter Share on Facebook