À Monsieur Mérimée, secrétaire de M. le comte d’Argout.

Décembre 1832.

Monsieur,

Il résulte de ce que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire que vous êtes resté complètement étranger aux influences qui ont déterminé le gouvernement à arrêter illégalement ma pièce. En pareille matière, l’affirmation d’un homme d’honneur suffit à un homme d’honneur. Je m’empresse donc de déclarer que tout ce qui pourrait vous concerner personnellement dans le fait que j’ai plutôt indiqué que raconté, sans nommer qui que ce soit, relativement à la suspension de ma pièce, tombe de lui-même devant votre réclamation. Ma loyauté m’impose en effet le devoir de ne laisser aucun nuage sur la vôtre. Mon affaire est une affaire générale, dont rien ne doit me détourner, et non une affaire personnelle, et il m’importe de n’avoir jusqu’à la fin aucun tort de mon côté.

J’espère que ma conduite en cette occasion vous prouvera que rien n’altère en moi l’estime réciproque dont vous me parlez.

Vous pouvez publier cette lettre, si vous le jugez convenable. Je suis, monsieur, votre très humble serviteur,

V. H.

Inédite. Mot illisible. Collection Louis Barthou. Inédite. Édition Renduel. Bibliothèque nationale. Renduel fut le grand éditeur des romantiques ; il commença à être apprécié vers 1830 ; il sut attirer les auteurs à succès (Balzac, Victor Hugo, Théophile Gautier, etc.), et deviner les gloires naissantes. Vers 1840, il dut se retirer, sa santé ne lui permettant pas de continuer. Article sur l’édition Renduel des romans de Victor Hugo. Cet article parut le 24 juillet 1832 dans le Journal des Débats. Archives Spoelberch de Lovenjoul.

Ce même jour, 7 juin, Sainte-Beuve avait écrit à Victor Hugo :

« Mon cher ami,

« On est décidé, au National, à rédiger une déclaration des écrivains en faveur de l’indépendance de la presse à l’occasion de l’état de siège. Lerminier rédige cette déclaration et dans les termes les plus généraux, pour comprendre les diverses nuances de l’opinion libérale. On désirerait le plus de noms honorables, voire même illustres. Ampère va demander la signature de M. de Chateaubriand ; on me prie de demander la vôtre.
« On sera au National vers neuf heures. Un mot de vous ou votre présence seraient excellents ; quelque chose enfin qui autorisât à mettre votre nom à l’acte.

« À vous de tout cœur,

« Sainte-Beuve.

« Je joins à ceci la lettre d’Ampère. »
Gustave Simon. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 1er janvier 1905.

L’état de siège avait été proclamé à la suite de l’insurrection suscitée par les obsèques du général Lamarque. Archives Spoelberch de Lovenjoul. « ... Oh ! mon ami, si vous daignez penser une demi-heure à ces infamies, que vos poésies politiques seront belles et flétrissantes ! » 11 juin 1832. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à Mme Victor Hugo. Revue de Paris, 15 janvier 1905. Frédéric Soulié auteur de plusieurs drames ; l’un d’eux eut un grand succès : la Closerie des genêts. Malgré ces mots contre Frédéric Soulié, Victor Hugo estimait l’écrivain, il le prouva deux fois : par le discours qu’il prononça à ses funérailles, et par le secours qu’il fit obtenir ensuite à son père dont la situation était précaire. Comte d’Argout, pair de France, plusieurs fois ministre. Sénateur en janvier 1852. Fontan, auteur dramatique, fut emprisonné sous Charles X pour ses idées révolutionnaires. Archives Spoelherch de Lovenjoul. Le Roi s’amuse venait d’être reçu au Théâtre-Français. Aux Roches, chez M. Bertin. Monrose ne joua pas Saltabadil qui échut à Beauvallet. Mlle Anaïs créa Blanche. Desmousseaux, sociétaire du Théâtre-Français, y tenait un emploi secondaire. Ciceri était alors le plus illustre décorateur des principaux théâtres de Paris. Bocage, grand interprète des drames romantiques, avait créé le rôle de Didier dans Marion de Lorme. — François Ier fut joué par Perrier. Article publié dans la Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1832. Publiciste, orateur et homme politique, fondateur, avec Lamennais, de l’Avenir. Pair de France, il soutint les doctrines ultramontaines. C’est sans doute par Lamennais que Montalembert connut Victor Hugo ; il lui écrivit une longue lettre enthousiaste après avoir assisté à la lecture de Marion de Lorme ; le 8 octobre suivant il signa : « Votre bien reconnaissant et profondément attaché pour la vie. » Il devint son adversaire politique le plus violent à partir de 1849, et, sous l’empire, il demanda sa radiation de l’Académie française. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Louise Bertin, compositeur et poète, fille de M. Bertin l’aîné, s’était prise d’adoration pour les enfants de Victor Hugo ; l’intimité était telle que le poète pouvait écrire à Mlle Louise : « Vous êtes comme une mère pour mes enfants ». — Mlle Bertin a laissé deux volumes de poésie : Les Glanes et les Nouvelles Glanes. Artiste dramatique. Il créa le rôle de Triboulet dans le Roi s’amuse. Antoni Deschamps. Un exemplaire de Notre-Dame de Paris, roman d’après lequel a été composée la Esmeralda avec la musique de Mlle Louise Bertin. Victor Hugo quittait la rue Jean-Goujon pour aller s’installer place Royale, aujourd’hui place des Vosges. Portrait de M. Bertin l’aîné. Ce portrait est réputé pour être l’un des plus beaux exécutés par le maître peintre dont la réputation est universelle. Le Roi s’amuse fut représenté pour la première fois au Théâtre-Français le 22 novembre 1832. Hortense Allart avait prié Sainte-Beuve de demander pour elle une loge à Victor Hugo. Hortense Allart, femme de lettres, était moins connue par ses écrits que par ses aventures galantes dont la plus célèbre fut sa liaison avec Chateaubriand. Le gentilhomme, comme l’appelait Sainte-Beuve, était Alfred de Vigny. Une brouille, envenimée à plaisir par Sainte-Beuve, était née de cette phrase publiée par la Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1832 (Chronique littéraire, toujours anonyme) : « Drame, roman, poésie, tout relève aujourd’hui de cet écrivain », (Victor Hugo). — A. de Vigny, froissé, protesta par une note rectificative que le directeur de la Revue, Buloz, refusa d’insérer et que Sainte-Beuve finit par rédiger lui-même, tout en dénigrant, dans ses lettres à Victor Hugo, le gentilhomme. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Chef du service de la scène à l’Opéra. Védel, caissier du Théâtre-Français, dont il devint directeur de 1837 à 1839. Le Roi s’amuse avait été interdit le 25 novembre, le lendemain de la première représentation, et Victor Hugo intentait un procès à la Comédie-Française. Le Constitutionnel, 27 novembre 1832. Le Journal des Débats était, quoique indépendant, soumis à un certain contrôle du gouvernement ; or Victor Hugo, tout en attaquant le Théâtre-Français, faisait en réalité le procès au gouvernement qui avait interdit sa pièce. La Esmeralda. Préface du drame Le Roi s’amuse. À propos de ce « petit article » paru dans le National du 13 décembre, Sainte-Beuve se plaignit de ce que « deux ou trois phrases littéraires , très circonspectes, avaient été mises de côté ». Sainte-Beuve, dans sa réponse datée du 8 décembre, se dérobe : « Je n’ai pas d’idées nettes sur cette question de législation théâtrale ». - Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 15 janvier 1905. Article très violent, non signé, dans le National, 25 novembre 1832. — Rolle débuta comme journaliste en 1826, au Figaro, collabora au National en 1832, puis au Constitutionnel, à l’Ordre. Très hostile au mouvement romantique, sa critique était de parti pris et principalement malveillante pour Victor Hugo. Il devint sous l’empire conservateur de la Bibliothèque de la Ville de Paris. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Odilon Barrot, avocat aux Conseils du roi et à la cour de cassation en 1814, préfet de la Seine sous la monarchie de Juillet et président du conseil sous le ministère de Louis Bonaparte. — Odilon Barrot était sincèrement dévoué à Victor Hugo ; nous avons eu sous les yeux cinq lettres de l’avocat qui en font foi, la dernière est du 9 septembre 1843 ; puis l’exil du poète mit fin à leurs relations. Archives de la famille de Victor Hugo. Collection Louis Barthou. Le Roi s’amuse, publié au début de décembre 1832. Pierre Leroux fonda, en 1824, avec Dubois, le Globe ; de 1831 à 1835 il collabora à la Revue encyclopédique , puis à la Revue des Deux Mondes ; en 1838 il fonda l’Encyclopédie nouvelle ; l’année suivante, il créa avec George Sand la Revue indépendante. En 1840 il publia son principal ouvrage :De l’humanité, de son principe et de son avenir. Élu représentant du peuple en 1848, il soutint les doctrines socialistes ; il publia plusieurs ouvrages. Après le coup d’État, il se réfugia à Jersey. Le post-scriptum de cette lettre à Sainte-Beuve semble indiquer que Victor Hugo était en assez bons termes avec Pierre Leroux. Pourtant, en 1863, un livre de Pierre Leroux : La Grève de Samarez est très hostile au proscrit et à son entourage. Archives Spoelberch de Lovenjoul. François-Victor. Adèle. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Mérimée se destinait d’abord au droit ; sa première œuvre : Théâtre de Clara Gazul parut sans nom d’auteur en 1825 ; on a de lui de nombreux romans et nouvelles ; les plus célèbres sont Carmen et Colomba. Il fit une belle carrière dans l’administration ; il fut chef de cabinet de divers ministères, inspecteur des monuments historiques. Élu à l’Académie en 1844, sous l’empire il fut un des familiers de la cour. Cette lettre n’a pas été retrouvée. Discours prononcé au Tribunal de Commerce, séance du 19 décembre 1832. Brouillon. Archives de la famille de Victor Hugo. — Il ne faudrait pas, d’après cette lettre, évidemment officielle, juger des rapports entre Victor Hugo et Mérimée. Les quelques lettres que nous avons eues sous les yeux dénotent, de part et d’autre, une vive cordialité ; Mérimée s’intéressait aux succès du poète qui, de son côté, lui recommandait volontiers des artistes dans le besoin, qu’une commande de l’État tirerait d’embarras. Plus tard, sous l’empire, le proscrit cessa naturellement toutes relations avec l’ami de Mme de Montijo et le protégé de l’impératrice. Mérimée, comblé d’honneurs, mourut le 23 septembre 1870, quelques jours après le retour de Victor Hugo en France.

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