À Mademoiselle Louise Bertin.

[6 juillet 1833.]

Vos lettres, si bonnes et si charmantes, mademoiselle, nous ont été au fond du cœur. Croyez que je suis à vous bien profondément. Je suis toujours heureux de déposer à vos pieds l’hommage d’une amitié, blessée quelquefois, toujours entière. Les ennemis qui essaient de me nuire ou de m’attrister sont au fond bien réellement impuissants. Il y a une chose qui m’est bien précieuse, c’est votre bonté pour moi, il y a une chose qui m’est bien sacrée, c’est mon dévouement pour vous. Vous êtes bien sûre, n’est-ce-pas, que rien ne peut rien contre ces deux choses-là ? Vous êtes comme une mère pour mes enfants, comme une sœur pour moi. Tout est là. Je vous baise les mains.

Victor H.

Rappelez-nous au souvenir de vos excellents et chers parents.

À Mademoiselle Louise Bertin.

Voici une lettre de Poupée qui a bien plutôt l’air de la lettre d’un chat que de celle d’une poupée. Vous l’excuserez quand vous saurez qu’elle l’a écrite de son lit, où elle est depuis quelques jours pour une fièvre de croissance. C’est cette petite maladie qui nous a empêchés, Poupée et moi, de vous donner plus tôt des nouvelles de la place Royale.

Je mets sous le même pli les quelques vers que vous m’avez demandés. J’espère qu’ils ne vous ont pas fait faute.

Je suis d’ailleurs toujours jusqu’au cou dans le travail, éperonné des deux côtés par Renduel et Harel, qui sont bien les deux plus ennuyeux hommes de négoce qu’il y ait. J’ai déclaré à Harel qu’il n’aurait pas ma pièce avant le 1er septembre, et malgré ses lamentations, incantations et gémissements, j’en suis resté là. Que saint Georges et saint Martin lui soient en aide !

C’est aujourd’hui dimanche, et belle et joyeuse journée aux Roches. Vous ne sauriez croire combien votre vie de campagne, de poésie et de musique paraît charmante et désirable à nous autres pauvres ouvriers du quartier Saint-Antoine, condamnés à tourner la roue qui verse l’argent dans la poche d’un libraire ou d’un imprésario, et non dans la nôtre. Vos arbres sont bien beaux, je vous jure, votre vallée est bien admirable, votre piano est bien poétique et bien harmonieux. Vous en êtes encore à la partie charmante de l’œuvre que nous accomplissons ensemble. Mais quand vous en serez au théâtre et à la coulisse, vous me direz ce que vous pensez de ma vie actuelle comparée à votre vie actuelle. Quand vous en serez à Véron, vous me direz ce que vous pensez de Harel.

Adieu, mademoiselle, j’espère que cette lettre vous parviendra. Est-ce qu’Édouard reste aux Roches à poste fixe ? Nous ne l’avons pas vu, et nous l’espérions à dîner tous les jours de cette semaine, dites-le-lui bien, je vous prie. Vous savez combien je suis tout dévoué de cœur aux excellents habitants des Roches. Je mets mes respects et mon amitié à vos pieds.

V.

14 juillet.

À Victor Pavie.

Paris, 25 juillet [1833].

Personne ne me comprend donc, pas même vous, Pavie, vous que je comprends pourtant si bien, vous dont l’âme est si élevée et si bienveillante ! Cela est douloureux pour moi !

J’ai publié, il y a six semaines, un article dans l’Europe littéraire. Lisez le paragraphe qui se termine par Deus centrum et locus rerum. Vous aurez ma pensée. Commentez-la en vous-même dans mon sens. Je crois que cela modifiera vos idées actuelles sur moi.

Le théâtre est une sorte d’église, l’humanité est une sorte de religion. Méditez ceci, Pavie. C’est beaucoup d’impiété ou beaucoup de piété, je crois accomplir une mission...

Je n’ai jamais commis plus de fautes que cette année, et je n’ai jamais été meilleur. Je vaux bien mieux maintenant qu’à mon temps d’innocence que vous regrettez. Autrefois, j’étais innocent ; maintenant, je suis indulgent. C’est un grand progrès. Dieu le sait. J’ai auprès de moi une bonne et chère amie, cet ange qui le sait aussi, que vous vénérez comme moi, et qui me pardonne et qui m’aime. Aimer et pardonner, ce n’est pas de l’homme, c’est de Dieu, ou de la femme.

Certes, vous avez bien raison de dire que vous êtes mon ami. À qui écrirais-je ainsi ?

Allez ! je vois bien clair dans mon avenir, car je vais avec foi, l’œil fixé au but. Je tomberai peut-être en chemin, mais je tomberai en avant. Quand j’aurai fini ma vie et mon œuvre, fautes et défauts, volonté et fatalité, bien et mal, on me jugera.

Aimez-moi toujours ; je vous serre dans mes bras.

V. H.

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