À David d’Angers.

Paris, 3 août 1833.

J’arrive de la campagne, mon cher David, et je trouve tous les trésors de bronze que vous m’avez envoyés. C’est bien vous. Toujours grand artiste et toujours bon ami !

J’ai fait dans l’Europe littéraire il y a une vingtaine de jours, un petit article sur votre affaire avec Thiers. J’avais recommandé qu’on vous le fît tenir. L’a-t-on fait ?

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

À Sainte-Beuve.

20 août [1833].

J’irai vous voir un de ces jours, mon cher Sainte-Beuve, j’ai besoin de vous parler, j’ai besoin de vous dire ce que je viens de dire à quelqu’un qui me rapportait, sans malveillance d’ailleurs, de prétendues paroles froides de vous sur moi. J’ai dit que cela n’était pas, que vous saviez bien que vous n’aviez pas d’ami plus éprouvé que moi, ni moi que vous, que notre amitié était de celles qui résistent à l’absence et aux bavardages, et que j’étais à vous comme toujours du fond du cœur. J’ai dit cela, et puis je me mets à vous l’écrire, afin qu’il ne s’introduise rien à notre insu entre nous, et qu’il ne se forme pas la moindre pellicule entre votre cœur et le mien.

À bientôt. Je vous serre la main. J’ai toujours bien mal aux yeux, et je travaille sans relâche.

Victor.

À Sainte-Beuve.

22 août [1833].

Je veux vous écrire sur-le-champ, sur l’impression de votre lettre. Je devrais peut-être attendre un jour ou deux, mais je ne pourrais. Vous connaissez bien peu ma nature, Sainte-Beuve, vous m’avez toujours cru vivant par l’esprit, et je ne vis que par le cœur. Aimer, et avoir besoin d’amour et d’amitié, mettez ces deux mots sur qui vous voudrez, voilà le fond heureux ou malheureux, public ou secret, sain ou saignant, de ma vie, vous n’avez jamais assez reconnu cela en moi. De là plus d’une erreur capitale dans le jugement bienveillant d’ailleurs que vous portez sur moi. Vous secouerez même peut-être la tête à ceci. Cela est bien vrai pourtant. Vous m’écrivez une longue lettre, mon pauvre et bon ami, pleine de détails littéraires et de petits faits grossis par l’éloignement qui s’évanouiraient et nous feraient rire tous les deux après une demi-heure de causerie. J’en suis tellement convaincu que je suis sûr que vous en conviendrez vous-même après deux minutes de réflexion et que je ne m’y arrête pas. Je vous l’ai déjà écrit une fois, je crois, Sainte-Beuve, il n’y a pas de question littéraire entre nous. Il y avait un ami et un ami. Rien de plus et rien de moins. J’avoue que l’absence a produit sur nous deux des effets inverses. Vous m’aimez moins qu’il y a deux ans, moi je vous aime plus. En y réfléchissant, on voit que c’est tout simple. C’est moi qui étais le blessé. L’oubli lent et graduel de part et d’autre des faits qui nous ont séparés tourne pour vous dans mon cœur et contre moi dans le vôtre. Puisque la vie est ainsi faite, résignons-nous.

Tout était encore tellement adhérent à vous de mon côté que votre lettre, en m’annonçant que je n’ai plus en vous un ami, me laisse tout à vif et tout déchiré. La plaie saignera longtemps. Adieu. Je suis toujours à vous du fond du cœur. Ma consolation dans cette vie sera de n’avoir jamais quitté le premier un cœur qui m’aimait.

Boulanger ne m’avait rien dit. Je vous l’aurais nommé.

À Sainte-Beuve.

24 août [1833].

Mon ami, merci de votre lettre. Merci même de la première puisqu’elle me vaut la seconde. Vous ne savez pas quel mal vous m’aviez fait et quel bien vous me faites. Mon Dieu ! que ne peut-on voir le fond de mon cœur, qui est à vous plus que jamais. L’absence ne tue aucune effusion chez moi, l’amitié pas plus que l’amour. Je croyais que vous le saviez. Il y a douze ans, dix-huit mois de séparation n’avaient rendu chez moi l’amour que plus religieux et plus profond. Mon cœur n’a pas changé. Je suis encore l’homme obstiné en tout, qui aime même sans voir. Je souffre, mais j’aime. — Croyez-vous que je n’aie pas bien souffert à votre endroit depuis deux ans ? Vous vous êtes souvent mépris chez moi à un certain calme extérieur.

Ce que vous désiriez, je le désirais bien aussi, allez ! Nous dînerons ensemble une fois la semaine. Nous ne laisserons aucune poussière s’amasser sur nos souvenirs et sur nos autels cachés. Merci mille fois de ce que vous me dites pour Charles. Nous en causerons. Je sens tout ce qu’il y a de vrai et de profond et de touchant dans votre offre, et ce serait un beau titre pour cet enfant. Mais vous concevez les obstacles. En tout cas, que la chose se fasse ou non, elle me va au cœur. Merci mille fois. Vous me faites du bien, vous me rendez un ami, et quel ami !

J’ai besoin de vous aimer et de me savoir aimé de vous. Cela est entré dans ma vie.

J’ai une pièce à finir et à livrer sous dédit d’ici au 1er septembre. Vous savez comme le travail me tient, quand il me tient ; il faut donc que je finisse. Après quoi j’irai vous trouver ou je vous écrirai pour vous demander un jour de causerie et d’effusion. Je suis allé vous voir, il y a quelque temps. L’avez-vous su ? Oh ! Sainte-Beuve, deux amis comme nous ne doivent jamais se séparer. Ils font une chose impie. Je suis bien profondément à vous, allez.

À Sainte-Beuve.

28 août [1833].

Je veux seulement vous dire, mon ami, que je travaille, que je pense à vous, que je suis à vous du fond du cœur.

À bientôt. Aimez-moi.

V.

À Sainte-Beuve.

1er octobre [1833], aux Roches.

Je vous écris de la campagne, mon ami, mais je serai à Paris lundi prochain, 7. Plusieurs de nos amis me demandent ma pièce. Je la leur lirai à sept heures du soir, place Royale. Voulez-vous en être ? Vous serez bien reçu du fond du cœur. Ce sera une soirée qui nous rappellera des jours plus heureux.

Je vous serre la main. Nous choisirons, ce jour-là, le jour que vous me demandez pour dîner ensemble.

Votre vieil ami,

Victor.

À Sainte-Beuve.

21 octobre [1833].

Merci, mon ami, de vos deux bonnes petites lettres. Je ferai en sorte que tout ce que vous désirez soit fait. On n’aura qu’à envoyer au théâtre la veille de la représentation. Nous dînerons ensemble le jour que vous voudrez.

Je vous aime du fond du cœur.

Victor.

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