À Sainte-Beuve.

24 août [1833].

Mon ami, merci de votre lettre. Merci même de la première puisqu’elle me vaut la seconde. Vous ne savez pas quel mal vous m’aviez fait et quel bien vous me faites. Mon Dieu ! que ne peut-on voir le fond de mon cœur, qui est à vous plus que jamais. L’absence ne tue aucune effusion chez moi, l’amitié pas plus que l’amour. Je croyais que vous le saviez. Il y a douze ans, dix-huit mois de séparation n’avaient rendu chez moi l’amour que plus religieux et plus profond. Mon cœur n’a pas changé. Je suis encore l’homme obstiné en tout, qui aime même sans voir. Je souffre, mais j’aime. — Croyez-vous que je n’aie pas bien souffert à votre endroit depuis deux ans ? Vous vous êtes souvent mépris chez moi à un certain calme extérieur.

Ce que vous désiriez, je le désirais bien aussi, allez ! Nous dînerons ensemble une fois la semaine. Nous ne laisserons aucune poussière s’amasser sur nos souvenirs et sur nos autels cachés. Merci mille fois de ce que vous me dites pour Charles. Nous en causerons. Je sens tout ce qu’il y a de vrai et de profond et de touchant dans votre offre, et ce serait un beau titre pour cet enfant. Mais vous concevez les obstacles. En tout cas, que la chose se fasse ou non, elle me va au cœur. Merci mille fois. Vous me faites du bien, vous me rendez un ami, et quel ami !

J’ai besoin de vous aimer et de me savoir aimé de vous. Cela est entré dans ma vie.

J’ai une pièce à finir et à livrer sous dédit d’ici au 1er septembre. Vous savez comme le travail me tient, quand il me tient ; il faut donc que je finisse. Après quoi j’irai vous trouver ou je vous écrirai pour vous demander un jour de causerie et d’effusion. Je suis allé vous voir, il y a quelque temps. L’avez-vous su ? Oh ! Sainte-Beuve, deux amis comme nous ne doivent jamais se séparer. Ils font une chose impie. Je suis bien profondément à vous, allez.

Share on Twitter Share on Facebook