À Monsieur Ludovic Vitet, secrétaire général du ministère du Commerce, à l’hôtel du ministère.

Paris, ce 28 mai 1834.

Mon cher Vitet,

Il y a ce moment à Douai, dans la prison de St-Waast, un pauvre prisonnier politique, nommé Antony Thouret, détenu depuis un an déjà. C’est un brave et loyal garçon jeté dans les opinions extrêmes par trop d’âme et de cœur. Il est en prison pour je ne sais combien de temps encore, et comme il est affligé d’un embonpoint énorme et qu’il a besoin d’exercice, lequel lui manque, il se meurt et ne sortira évidemment pas vivant de St-Waast. Or, il n’a commis qu’un délit de presse, et il n’est pas condamné à mort. Je le connais depuis longtemps, je vous le garantis homme d’honneur et de probité, et républicain (inoffensif d’ailleurs) qui ne veut pas demander sa grâce, mais que sa grâce toucherait jusqu’au fond du cœur.

Je fais cette démarche près de vous sans son aveu. Je prends sur moi de demander sa grâce, prenez sur vous de la lui faire accorder. Cela sera digne et beau. Antony Thouret a une mère, une femme et un enfant.

J’écrirais bien à M. Duchâtel, mais je pense qu’il a sans doute oublié mon nom ; vous, je vous regarde toujours comme un ami. Parlez-lui. Il est ministre. Il doit bien pouvoir empêcher qu’un pauvre homme ne meure de consomption et de désespoir dans une prison pour avoir écrit quelques folies.

Vous êtes puissant aussi, vous, et vous êtes bon. Je vous recommande Thouret. Il y a quatre ans, vous m’avez demandé quelques vers pour des pauvres. Je vous les ai faits. Faites-moi la grâce de Thouret.

Je l’espère de votre cœur et je vous serre la main.

Victor Hugo.

À Monsieur Jules Lechevalier,
directeur de la Revue du Progrès social.

1er juin 1834.

Monsieur,

J’ai lu avec une extrême attention la Revue du Progrès social et l’exposé de principes que vous avez bien voulu me communiquer. Depuis longtemps tous les hommes éclairés et intelligents qui ont étudié le passé dans un but d’avenir ont, sur les destinées futures de la société, une idée commune qui, éclose et développée à l’heure qu’il est séparément dans chaque cerveau, aboutira quelque jour, prochainement je l’espère, à une grande œuvre générale. Cette œuvre sera la formation paisible, lente et logique d’un ordre social où les principes nouveaux, dégagés par la Révolution française, trouveront enfin leur mode de combinaison avec les principes éternels et primordiaux de toute civilisation. Votre Revue et votre exposé tendent à ce but magnifique par des voies droites et sûres et où les pentes me paraissent bien ménagées. Je suis d’accord avec vous sur presque tous les points et je m’en félicite.

Concourons donc ensemble tous, chacun dans notre région et selon notre loi particulière, à la grande substitution des questions sociales aux questions politiques. Tout est là. Tâchons de rallier à l’idée applicable du progrès tous les hommes d’élite, et d’extraire un parti supérieur qui veuille la civilisation, de tous les partis inférieurs qui ne savent ce qu’ils veulent.

J’applaudis du fond de mon cœur aux efforts de la Revue Sociale que vous dirigez avec une pensée si noble et une conscience si élevée. Je ne doute pas de votre succès, monsieur. La vérité a quelquefois de longues gestations, jamais d’avortements.

Agréez, monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

Victor Hugo.

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