À Monsieur Thiers, ministre de l’Intérieur.

Paris, 15 juin 1834.

Monsieur le ministre.

Il y a en ce moment à Paris une femme qui meurt de faim.

Elle s’appelle Mlle Élisa Mercœur. Elle a publié plusieurs volumes de poésie ; ce n’est pas ici le lieu d’en louer le mérite, et d’ailleurs je ne me sens aucune autorité sur ces matières, mais son nom est sans doute connu de vous.

Il y a cinq ans, sous le ministère de M. de Martignac, une pension littéraire lui fut donnée, pension de 1 200 francs, qui a été réduite à 900 francs depuis 1830. Elle a sa mère avec elle, et rien autre chose, pour vivre à Paris, que cette pension de 900 francs. Toutes deux meurent de faim, à la lettre. Vous pouvez faire prendre des informations.

Monsieur le ministre, en 1823, le roi Louis XVIII m’assigna spontanément une pension ou allocation annuelle de 2 000 francs sur les fonds du ministère de l’Intérieur. En 1832, j’ai renoncé volontairement à cette pension.

À cette époque, votre prédécesseur, M. d’Argout, me fit dire qu’il n’acceptait pas ma renonciation, qu’il continuerait de considérer cette pension comme mienne, et qu’il n’en disposerait en faveur de personne.

Ma renonciation étant absolue et définitive, je n’eus pas à m’occuper de ce que le ministre ferait de la pension. Aujourd’hui, tout en ne me reconnaissant aucun droit, quel qu’il soit, sur cette pension, je viens vous prier, dans le cas où le ministre aurait en effet persisté dans sa résolution et n’aurait disposé de ces fonds en faveur de personne, je viens vous prier, dis-je, d’en disposer, vous, monsieur le ministre, en faveur de Mlle Mercœur. Si vous y consentez, je me féliciterai doublement d’y avoir renoncé. Cette pension sera beaucoup mieux placée sur la tête de Mlle Mercœur que sur la mienne. Ces 2 000 francs, ajoutés à ce que reçoit déjà Mlle Mercœur, la feront vivre à peu près avec sa mère. Donnez-la-lui, monsieur le ministre ; ce sera une bonne œuvre. Nous serons heureux tous les deux, vous de l’avoir faite, moi de l’avoir conseillée.

Agréez, monsieur le ministre, l’assurance de ma considération distinguée.

Victor Hugo.

À Liszt.

Bonjour et merci. Votre lettre est charmante. Je vous aime toujours de tout mon cœur. J’y vois à peine clair pour vous écrire, excusez-moi. Je crois par moment que je deviendrai aveugle ; mais la seule chose qui m’affligerait, quand je pense à vous, ce serait de devenir sourd.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

À Léopoldine.

Bonjour, ma Poupée, bonjour, mon cher petit ange. Je t’ai promis de t’écrire. Tu vois que je suis de parole.

J’ai vu la mer, j’ai vu de belles églises, j’ai vu de jolies campagnes. La mer est grande, les églises sont belles, les campagnes sont jolies ; mais les campagnes sont moins jolies que toi, les églises sont moins belles que ta maman, la mer est moins grande que mon amour pour vous tous.

Ma Poupée, j’ai donné bien des fois, en pensant à vous, mes petits, des sous à de pauvres enfants qui allaient pieds nus au bord des routes. Je vous aime bien.

Encore quelques heures, et je t’embrasserai sur tes deux bonnes petites joues, et mon gros Charlot, et ma petite Dédé qui me sourira, j’espère, et mon pauvre Toto l’exilé.

À bientôt, ma Didine. Garde toujours cette lettre. Quand tu seras grande, je serai vieux, tu me la montreras, et nous nous aimerons bien ; quand tu seras vieille, je n’y serai plus, tu la montreras à tes enfants et ils t’aimeront comme je t’aime. — À bientôt.

Ton petit papa,

V.

Étampes, 19 août 1834.

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