À Léopoldine.

Valenciennes, 15 août 1837.

J’arrive dans cette ville au bruit des carillons. C’est la fête de la Vierge. Je te la dédie, mon enfant.

Je n’ai pas voulu, ma Didine bien-aimée, laisser passer ce jour sans t’écrire. Je ne passe pas de jours, je ne passe pas d’heures sans penser à toi. Ta mère, toi, tes frères, ta chère petite sœur, vous êtes toujours présents à ma pensée et mêlés à moi dans un même amour.

As-tu reçu mon petit griffonnage de l’autre fois ? T’a-t-il fait plaisir, ma Didine ? Garde-le pour l’amour de moi.

Garde surtout la candeur et la bonté de l’âme, le respect de Dieu et de ta mère, la simplicité de l’esprit et le désir perpétuel de bien faire ; c’est ainsi que tu pourras, comme ta mère, avoir un jour tout à la fois la vertu de la femme et l’innocence de l’enfant.

J’ai traversé pour venir jusqu’ici de bien beaux paysages verts et fleuris qui me parlaient de Dieu ; moi je leur parlais de toi, je leur parlais de vous tous, mes bien-aimés qui êtes là-bas.

Embrasse pour moi tous ceux que j’aime autour de toi, en commençant par ta mère.

Ton petit père,

V.

À Léopoldine.

Étaples, près Boulogne-sur-Mer,
3 septembre, 9 heures du soir [1837].

J’ai passé Dunkerque, j’ai passé Calais, j’ai passé Boulogne-sur-Mer, ma Didine bien-aimée, et j’ai déjà relu bien des fois tes deux gentilles petites lettres, ainsi que celles de tes frères et de ta bonne mère, si aimée et si digne de l’être. Ton grand-père aussi m’a écrit de bien charmantes lignes. Embrasse-le bien pour cela, et n’oublie pas ma Juju. Je viens de me promener au bord de la mer en pensant à toi, mon pauvre petit ange. J’ai cueilli pour toi cette fleur dans la dune. C’est une pensée sauvage qu’a arrosée plus d’une fois l’écume de l’océan. Garde-la pour l’amour de ton petit père qui t’aime tant. J’ai déjà envoyé à ta mère une fleur des ruines, le coquelicot de Gand ; voici maintenant une fleur de la mer. Et puis, mon ange, j’ai tracé ton nom sur le sable : Didi. La vague de la haute mer l’effacera cette nuit, mais ce que rien n’effacera, c’est l’amour que ton père a pour toi. J’ai bien des fois songé à toi, chère enfant. À chaque belle ville que je voyais, je t’aurais voulue là, et ta mère, et tes frères, et ton grand-père aussi, pour nous expliquer tout. Tout le jour je regardais les églises et les peintures, et puis, le soir, je regardais le ciel, et je songeais encore à toi, ma Didine, en voyant cette belle constellation, ce beau chariot de Dieu, que je t’ai appris à distinguer parmi les étoiles.

Vois, mon enfant, comme Dieu est grand, et comme nous sommes petits : où nous mettons des taches d’encre, il pose des soleils. C’est avec ces lettres-là qu’il écrit. Le ciel est son livre. Je bénirai Dieu si tu sais toujours y lire, ma Didine. Et je l’espère.

Quant aux belles villes que j’ai vues, je te les dirai. En attendant voici qui t’en donnera l’idée à peu près comme l’autre dessin donne l’idée de la Grande-Ourse. Suppose que mon dessin brille, et tu croiras voir ce que j’ai vu.

Dans quelques jours, mon enfant, du 10 au 15, je serai à Paris. Oh ! ce sera une grande joie de t’embrasser et vous tous ! En attendant, donne un baiser pour moi à Charlot, à Toto et à Dédé. Vous êtes tous mes bien-aimés. Je t’embrasse bien tendrement, et ta mère à qui j’écrirai demain.

Ton petit père.

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