À Mademoiselle Louise Bertin.

[15 septembre 1841] ce mardi soir.

Que vous dire, mademoiselle, et comment vous consoler, moi qui aurais besoin de consolation moi-même ? Vous savez combien j’aimais votre père. Il me semble que c’est le mien que je perds pour la seconde fois.

J’étais à la campagne ce matin quand cette douloureuse nouvelle nous est parvenue. Je suis accouru à Paris comme si tout n’était pas fini, hélas ! Je viens de voir Armand, ce bon Armand. Nous avons parlé de votre père, de vous, mademoiselle Louise, de notre cher Édouard, de vous tous, et cela m’a un peu soulagé. J’avais besoin de cet épanchement. Je croyais votre père guéri, cela faisait partie de mon bonheur cette année. Jugez du coup que nous avons reçu. De pareils hommes ne devraient pas mourir. Lui si doux, si noble, si excellent, si supérieur en tout, en bonté comme en esprit, lui meilleur que nous tous, lui plus fort que nous tous, lui plus jeune que nous tous, si respecté, si heureux, si aimé, si nécessaire, hélas ! Pourquoi est-il mort ? Si sa présence nous manque, que sa pensée du moins ne nous manque pas. Je vous écris plein du souvenir de ces belles et douces années des Roches qui rayonnent maintenant pour moi plus que jamais. Vous, mademoiselle, qui êtes un si grand cœur, pourquoi êtes-vous si cruellement affligée ? Hélas ! Quelque jour j’essaierai de vous dire à vous ce que je pensais, ce que je pense de votre cher et vénérable père. Aujourd’hui je ne puis que baiser vos mains et pleurer.

Victor.

À Monsieur Rampin.

Soyez assez bon, monsieur, pour dire à vos co-intéressés que je pousse la loyauté jusqu’à m’imposer en ce moment un travail qui m’occupe presque nuit et jour, travail gratuit, stérile pour mes intérêts, pour lequel j’ai fait venir à mes frais des documents d’Allemagne curieux et coûteux. Le complément de ces documents ne m’est arrivé que la semaine passée ; ce qui vous explique un retard préjudiciable avant tout pour moi, puisque je ne puis rien faire avant d’avoir terminé ceci. Ce travail, je le répète, est gratuitement ajouté par moi aux deux volumes que vous avez déjà depuis plus d’un mois entièrement imprimés et terminés. Il ajoutera évidemment à la valeur de ces deux volumes, et ces messieurs comprendront aisément que les cinq ou six feuilles que j’ajoute sont plus qu’un dédommagement pour les quelques semaines d’intérêts de la somme payée. Je dis quelques semaines, car l’ouvrage aurait pu paraître il y a plus d’un mois si vous l’aviez voulu publier sans ce complément.

Soyez certain, monsieur, que vos intérêts et ceux de MM. vos associés me préoccupent plus que les miens propres, et que je ne vous l’ai jamais prouvé plus qu’en ce moment.

Soyez assuré également qu’il est plus urgent encore pour moi que pour vous d’avoir promptement fini. Ce retard, dont votre excellent esprit ne se plaindra plus, j’espère, est de ma part un excès de conscience.

Je compte d’ailleurs donner ces jours-ci la fin. J’achève en ce moment le dépouillement des documents qui me sont parvenus et que je suis obligé de faire traduire, sachant très mal l’allemand.

Veuillez, monsieur, communiquer cette lettre à vos associés et leur faire agréer et agréer pour vous-même l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

Victor Hugo.

27 octobre [1841].

Savinien Lapointe était poëte et cordonnier. Nous n’avons qu’une épreuve de cette lettre, destinée sans doute à la Ruche populaire, dont Savinien Lapointe était rédacteur ; cette épreuve est corrigée par Victor Hugo. Archives de la famille de Victor Hugo. C’est dans la Presse, 6 mars 1841, que Mme de Girardin, sous la signature du Vicomte de Launay, donna une curieuse liste des personnalités assistant à une réception chez Mme de Lamartine. Voici quelques noms illustres avec leur désignation particulière : — Grand orateur : M. Guizot. — Grand poëte : M. Victor Hugo. — Grand capitaine : M. le maréchal Soult. — Grand peintre : M. Horace Vernet. — Grand agriculteur : M. de Lamartine. — Grand romancier : M. de Balzac. — Grand sculpteur : M. David. Charles de Lacretelle, historien, professeur d’histoire à la Faculté (1812), académicien, publia de nombreux volumes d’histoire dont le dernier : Histoire du Consulat et de l’Empire, fut très apprécié. Résidence de Charles de Lacretelle. Henri de Lacretelle fit paraître un recueil de vers : Les Cloches, en 1841 ; puis publia plusieurs romans dans les grands journaux de Paris. Député en 1871 et réélu en 1876 et 1877, il siégeait parmi les membres de la gauche radicale. Cousin germain de Mme Victor Hugo ; outre un Victor Hugo intime, Asseline, journaliste et poëte a publié six volumes de prose et de vers. Bibliothèque Nationale. « Votre discours de réception restera dans les archives de l’éloquence française… C’est une vocation nouvelle qui se décèle en vous... Donnez un frère, un compagnon d’armes à Lamartine, un défenseur de plus à la cause de l’ordre public et de l’humanité. » 6 juin 1841. Rédacteur en chef de la Ruche populaire et ouvrier. L’article, publia dans la Ruche populaire, reprochait à Victor Hugo certain passage de son discours de réception qu’il jugeait injurieux pour le peuple.

Cette lettre était accompagnée de la note ci-jointe que nous a communiquée M. Matarosso, libraire :
« Voici, Monsieur, l’épreuve corrigée. Il serait indispensable, pour me mettre à couvert vis-à-vis de mes éditeurs, que vous eussiez la bonté de faire précéder cette lettre de quelques lignes disant en substance que M. Victor Hugo, sur la demande de la Ruche populaire, a autorisé ce journal à publier cette lettre adressée par lui à M. Vinçard qui lui avait envoyé son article.
« L’énonciation de ce fait est indispensable, je le répète, à cause de mes conventions particulières avec mes éditeurs. Ces mêmes conventions m’obligent de vous rappeler que j’attends de votre bonne grâce l’envoi du numéro qui contiendra cette lettre ainsi que celui qui a publié ma lettre à votre collaborateur M. Savinien. — Au besoin j’acquitterai le prix de ces deux numéros.
« Je vous prie, monsieur, de vouloir bien m’accuser réception de cette lettre et agréer l’assurance de mes sentiments très distingués et très sympathiques. »

« Victor Hugo.

Alphonse Karr, à dix-neuf ans, professeur au collège Bourbon, abandonna l’enseignement pour le journalisme. Il collabora d’abord au Corsaire, puis au Figaro qu’il quitta en 1839 pour fonder une revue hebdomadaire : Les Guêpes, qui parurent en plusieurs séries, de 1839 à 1876. Son premier livre : Sous les tilleuls (1831) eut un succès qu’aucun de ses nombreux volumes n’égala. — Alphonse Karr, sous des dehors amicaux, ne fut pas toujours bienveillant pour Victor Hugo ; ses Guêpes, qui piquaient tout et tous, ne ménagèrent pas le poète. Les dernières lettres échangées datent de 1874. L’article d’Alphonse Karr, paru dans les Guêpes, en juillet 1841, avait pour sujet la réception de Victor Hugo à l’Académie française. Ce discours était plutôt désobligeant. Auger, littérateur et auteur dramatique, publia plusieurs romans, drames et comédies ; il fit paraître en 1840 une Physiologie du théâtre. Fulchiron, député en 1831, se spécialisa dans les questions d’économie politique. Pair de France en 1845, il rentra dans la vie privée après la révolution de 1848. Léon Gatayes, compositeur et harpiste distingué, délaissa la musique pour le journalisme. Il avait été camarade de Victor Hugo à la pension Decotte et Cordier. Collection de M lle Rouyer-Karr. Lettres aux Bertin. Inédite — Rampin était co-associé de l’éditeur Duriez qui avait fondé une société pour la publication des œuvres complètes de Victor Hugo. Pour la Conclusion du Rhin. Communiquée par M. Blaizot.

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