1841.

À Savinien Lapointe.

Mars 1841.

Si vos vers, monsieur, n’étaient que de beaux vers, j’en serais moins ému peut-être, mais ce sont de nobles vers. Je suis mieux que charmé, je suis touché. Je vous remercie du fond du cœur. Continuez, monsieur, votre double fonction, votre tâche comme ouvrier, votre apostolat comme penseur. Vous parlez au peuple de près, d’autres lui parlent de haut ; votre parole n’est pas la moins efficace. Vous êtes bien partagé, croyez-moi.

Courage donc, et patience, monsieur. Courage pour les grandes douleurs de la vie, et patience pour les petites. Et puis, quand vous avez laborieusement accompli votre ouvrage de chaque jour, endormez-vous avec sérénité. Dieu veille. Je crois en Dieu, monsieur, et je crois en l’humanité. Dieu met un but au bout de toutes les routes. Il ne s’agit que de marcher. Suivez toujours les conseils mystérieux et graves de votre conscience. Je l’ai dit quelque part, et je le pense plus que jamais : Le poëte a charge d’âmes. Dans la nuit profonde où sont encore tant d’esprits, les hommes comme vous, parmi le peuple, sont les flambeaux qui éclairent le travail des autres. Tâchez d’augmenter sans cesse la quantité et la pureté de votre lumière.

Recevez, monsieur, avec tous mes remercîments, l’assurance de mes sentiments distingués.

Victor Hugo

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