À Monsieur Charles de Lacretelle.

Paris, 9 juillet 1844.

Votre excellente lettre, mon cher et vénérable ami, m’a fait un bien que je ne saurais vous dire. Dans cette mélancolie profonde où je suis, c’est un grand encouragement à porter la vie que la contemplation d’une âme de vieillard, belle, forte et sereine comme la vôtre. Il est doux et utile en même temps à nous, hommes plus jeunes, que la providence afflige et éprouve, d’arrêter notre pensée sur votre tête couverte de cheveux blancs, sur votre esprit plein de toutes les sagesses. Vous aussi vous avez vécu, vous avez lutté, vous avez souffert. Là où j’ai des plaies, vous avez des cicatrices. Aujourd’hui vous êtes calme, satisfait, résigné et heureux, et vous regardez avec douceur ce ciel majestueux d’où tombent sur nous tous les rayons qui éclairent nos yeux et tous les malheurs qui éclairent notre âme. Car cela n’est que trop vrai, le malheur est une clarté. Que de choses j’ai vues en moi et hors de moi depuis que je souffre ! La plus haute espérance sort du deuil le plus profond, remercions Dieu de nous avoir donné le droit de souffrir, puisque c’était nous donner le droit d’espérer.

Pour vous, mon respectable et excellent ami, vous êtes heureux dès à présent, dès ici-bas. Votre belle et noble vieillesse participe de ces joies promises à ceux qui sont élus. Qu’est-ce que l’éternité bienheureuse pourrait vous donner de meilleur que cette noble et charmante femme qui vous aime et qui vous admire, que ces doux et bons et nobles enfants que vous faites heureux et qui vous font heureux ? Dieu est juste. Il vous a commencé votre ciel sur la terre. Vous ne mourrez pas, vous continuerez.

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