À Monsieur Gustave d’Eichtal.

26 octobre 1849.

Les idées qui vous occupent m’occupent aussi. Je vais même au delà. Mais à l’heure où nous sommes peut-on tout dire à la fois ? Quand la flamme est faible, trop d’huile éteint la lampe. Il y a des choses qu’il faut taire, des lueurs qu’il faut voiler, des perspectives qu’il faut masquer, des réalités futures qui seraient des chimères pour le temps présent. L’homme ne supporte aucune nudité, pas plus la nudité de l’avenir qu’aucune autre. Cette nudité lumineuse lui blesserait les yeux. Cela tient à ce qu’il avait perdu depuis longtemps et qu’il ne recouvre que peu à peu le sens et le goût de l’idéal.

C’est à lui rendre ce sens et ce goût de l’idéal que nous devons travailler tous. Il ne faut pas désespérer, bien au contraire. Nous avons déjà soulevé un coin du voile dans le Congrès de la paix. J’ai essayé d’en soulever un autre dans la discussion de Rome. Peu à peu le jour se fait, et notre siècle, d’abord si incrédule et si ironique, commence, grâce aux efforts courageux de ceux qui pensent, à s’accoutumer à la clarté de l’avenir.

Vous êtes, monsieur, de ceux qui déchiffrent ce grand inconnu, qui est ténébreux pour les faibles et rayonnant pour les forts. Vous êtes de ceux qui affirment et qui espèrent. Je suis heureux de me sentir comme vous plein de foi, c’est-à-dire plein d’amour. Les ultra-catholiques de nos jours ne croient pas, et la preuve, c’est qu’ils haïssent. Ils ont les ténèbres sur les yeux et la glace dans le cœur. Plaignons-les, monsieur, et prions Dieu que les grands destins de l’humanité arrivent assez à temps pour les rendre, malgré eux-mêmes, heureux et confiants.

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