À Madame Chapman.

12 mai 1851.

Madame,

Vous voulez bien croire que ma parole, dans cette auguste cause de l’esclavage, ne serait pas sans influence sur ce grand peuple américain que j’aime si profondément et dont les destinées, dans ma pensée, sont liées à la mission de la France. Vous voulez que j’élève la voix. Je le fais tout de suite et je le ferai en toute occasion.

Je n’ai presque rien à ajouter à votre lettre. Je la signerais à chaque ligne. Poursuivez votre œuvre sainte. Vous avez avec vous toutes les grandes âmes et tous les bons cœurs.

Il est impossible, je le pense comme vous, que dans un temps donné, dans un temps prochain, les États-Unis d’Amérique ne renoncent pas à l’esclavage. L’esclavage aux États-Unis ! Y a-t-il un contresens plus monstrueux ? La barbarie installée au cœur d’une société qui tout entière est l’affirmation de la civilisation ; la liberté portant une chaîne, le blasphème sortant de l’autel, le carcan du nègre rivé au piédestal de la statue de Washington ! C’est inouï. Je dis plus, c’est impossible.

C’est là un fait qui se dissoudra de lui-même. Il suffit pour qu’il se dissolve de la clarté du dix-neuvième siècle.

Quoi ! l’esclavage à l’état de loi chez cette illustre nation qui prouve depuis soixante ans le mouvement par la marche, la démocratie par la puissance, la liberté par la prospérité ! l’esclavage aux États-Unis ! Il est du devoir de cette grande République de ne pas donner plus longtemps ce mauvais exemple. C’est une honte, et elle n’est pas faite pour baisser le front ! Ce n’est pas quand l’esclavage s’en va de chez les vieux pays, qu’il peut être recueilli par les jeunes nations. Quoi ! l’esclavage s’en irait de Turquie et il resterait en Amérique ! Quoi ! on le chasse de chez Mustapha et on l’adopterait chez Franklin ! Non ! Non ! Non !

Il y a une logique inflexible qui développe plus ou moins lentement, qui façonne, qui redresse, selon un mystérieux modèle que les grands esprits entrevoient et qui est l’idéal de la civilisation, les faits, les hommes, les lois, les mœurs, les peuples ; ou, pour mieux dire, sous les choses humaines il y a les choses divines. Que tous les cœurs généreux qui aiment les États-Unis comme une patrie, se rassurent !

Il faut que les États-Unis renoncent à l’esclavage, ou il faut qu’ils renoncent à la liberté. Ils ne renonceront pas à la liberté ! Il faut qu’ils renoncent à l’esclavage ou qu’ils renoncent à l’évangile. Ils ne renonceront pas à l’évangile.

Recevez, madame, avec mon adhésion la plus vive, l’hommage de mon respect.

Share on Twitter Share on Facebook