À Auguste Vacquerie.

Bruxelles, 8 mai 1852.

Cher Auguste, c’est aujourd’hui le grand jour. Vous sortez. Louis Bonaparte devrait sortir en même temps que vous, mais pour l’instant la providence en a décidé autrement. Que la fange soit bénie !

Je veux que cette lettre vous trouve demain matin chez vous et vous souhaite le bonjour à votre réveil. Nous sommes heureux, Charles et moi, de vous voir hors de prison, pour vous d’abord, qui pouvez respirer à pleins poumons ce qui reste d’air en France ; pour nous, ensuite, qui allons, j’espère, vous revoir bientôt.

Nous sommes ici le pied sur la branche. Il y a une sorte de persécution contre les proscrits français, persécution à laquelle j’échappe, je ne sais trop pourquoi ni comment.

Cependant je m’attends d’un moment à l’autre à recevoir quelque invitation polie à la suite de laquelle je m’en irai. Les journaux ont annoncé que j’étais à Jersey. Pas encore, mais bientôt.

Dites à Victor et à sa mère et à sa sœur que je compte leur écrire par la première occasion. Ceci n’est qu’une poignée de main que je vous envoie par la poste.

Vous serez libre pour la grande mascarade du 10 mai. On en parle beaucoup ici. Force belges font à cette occasion le voyage de Paris pour aller contempler de près l’éclat des lampions et des sénateurs.

À propos, est-ce que c’est vrai ? On dit que Cousin manque aux saintes lois de la platitude et refuse de prêter serment ! j’admire !

J’ai reçu une nouvelle lettre de Londres qui m’annonce que mon idée de librairie universelle va bien. J’attends un anglais nommé M. Piddington, pour jeter les bases. Mon livre sera le premier publié. Cette librairie serait l’usine intellectuelle du monde entier, la France soufflant la forge.

Vous avez dû, cher ami, faire de belles choses dans votre prison. Vous aurez un de ces jours, comme Paul Meurice, une grande acclamation autour de votre nom et un grand succès. Faites vite afin de nous venir rejoindre bientôt.

Chose étrange qu’il y ait à cette heure en France un homme auquel on puisse dire : Vous êtes libre ! Je me dépêche de vous le dire, pour la curiosité du fait, ce matin 8 mai. Vous, de votre côté, dépêchez-vous de mettre votre liberté en sûreté dans l’exil.

Je vous serre les deux mains.

V.

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