À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 15 mai [1852] 4 h. 1/2.

Je ne voulais t’écrire, chère amie, qu’après avoir vu M. Piddington pour l’affaire de Londres. Je pense comme toi qu’elle traîne un peu, et je voulais t’envoyer un résultat positif, mais voici une occasion pour Paris, et je ne veux pas la laisser échapper. M. Piddington ne m’est annoncé que pour demain dimanche. Je t’écrirai ce qu’il m’aura dit par le retour de M. Stingeray qui sera jeudi ou vendredi à Paris.

En ce moment Charles achève son article pour le Siècle. Il va me le lire tout à l’heure. Je te l’enverrai sous ce pli. Depuis quelques jours Charles a bien et beaucoup travaillé ; je suis content de lui. Mais ce n’est encore qu’un commencement. Il faut que cela continue.

J’ai reçu une nouvelle lettre de M. Trouvé-Chauvel. C’est lui qui m’annonce l’arrivée de M. Piddington pour dimanche. L’affaire est toujours en bon train, cependant je vois poindre précisément l’obstacle que je craignais. Les libraires de Londres craignent, eux aussi, un procès de Louis Bonaparte, — l’imitation du procès fait par le premier Consul à Peltier pendant la paix d’Amiens. Ils demandent communication préalable de mon manuscrit. J’ai répondu tout de suite et courrier par courrier que j’étais prêt à lire sur place tout ce qu’on voudrait, mais que je ne confierais le manuscrit à personne, que du reste mon livre était d’un bout à l’autre indigné et impitoyable pour le guet-apens de Bonaparte, qu’en aucun cas je ne consentirais à l’atténuer, et que si la liberté de la presse n’existait plus, même en Angleterre , j’aimerais mieux enfouir mon livre que l’amoindrir. J’attends la réponse. Je pense qu’ils n’insisteront pas.

Garde mes lettres, tu as raison, car je t’y envoie tout mon cœur, mais ne te plains pas de la rareté. Si tu savais comme je travaille ! Je croyais ne faire qu’un volume, il se trouve que j’en ferai deux. Mais le plus long et le plus difficile et le plus laborieux, c’est l’instruction du procès, c’est le travail des renseignements à réunir. Hier Baze est venu. Il m’a dit des choses fort curieuses, je l’ai invité à dîner. Il est triste, mais courageux.

Je m’interromps. Charles m’apporte son article fini pour me le lire.

5 h. 1/4.

Je reprends cette lettre. Charles a commencé sa lecture. Tout ce qu’il m’a lu est excellent et lui fera, je crois, un succès dans le Siècle. Mais Magen vient d’entrer. B... part dans dix minutes. Nul moyen d’achever même la lecture de l’article. Tu ne l’auras donc que demain, par une autre occasion. Je t’envoie en attendant cette lettre que je termine à la hâte.

Connais-tu la lettre de Changarnier ?

Charles te prie de lui faire envoyer ses effets par le docteur Hodé, médecin, rue de l’Échiquier, 24. S’adresser à lui de la part de M. Magen. M. Magen vient de publier un livre sur le 2 décembre que je te ferai parvenir.

Je ferme cette lettre à la hâte, et Charles et moi nous vous envoyons à toi, chère maman, à ma Dédé et à mon Toto nos plus tendres embrassements. Demain soir dimanche tu auras l’article de Charles.

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