À François-Victor.

17 avril. Bruxelles.

Mon Victor, ta lettre au Siècle est aujourd’hui dans les journaux de Bruxelles. Nos amis me l’apportent avec enthousiasme. Tu as bien fait. Je te félicite, et je te remercie, mon enfant. Tu portes bien mon nom. Aie toujours cette dignité et ce courage.

J’aurais été bien heureux de te revoir et de te ravoir. C’est encore quatre mois de souffrance et de privation, exil pour toi comme pour moi. Offrons cette douleur à l’idée sainte que nous servons.

Cher enfant, Charles et moi, nous t’embrassons bien tendrement.

V.

À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 19 avril [1852].

Chère amie, je te réponds tout de suite. Je suis très content de mon Toto. Dis-le lui bien et embrasse-le pour moi sur les deux joues. Je ne reçois que félicitations et enthousiasmes à son sujet. On m’arrête dans la rue pour me dire : Vous avez un fils digne de vous. Seulement il faut qu’il comprenne que dignité oblige. Il faut qu’il continue et que, lui et Charles, prennent la vie au sérieux. Tout ce que tu m’écris à ce sujet est profondément juste et vrai. — Entends-tu, mon Victor ? — Crois ta mère et suis ses conseils.

Je vais donc vous revoir, et nous allons recommencer la douce vie de famille. Tout cela nous remplit de joie ici. Il faut du reste prendre nos mesures bien vite et dès à présent. Si je vends mon livre en Angleterre, comme c’est de plus en plus probable, je quitterai la Belgique dans quinze jours ou trois semaines. Il serait peu raisonnable peut-être que vous vinssiez y faire un établissement pour si peu de jours, louer un appartement, etc. Voici quel serait mon plan en ce cas : Sitôt mon livre vendu, j’irais à Londres et de là à Jersey tout de suite. Jersey est une ravissante île anglaise, à dix-sept lieues des côtes de France. On y parle français, et l’on y vit très bien à bon marché. Tous les proscrits disent qu’on y est admirablement. Je tâcherais de trouver et je trouverais probablement à Jersey un appartement, peut-être une maisonnette, ayant vue sur la mer et fenêtres au midi, et, pourquoi pas ? un jardin. Je louerais cela non meublé, si c’était possible. Alors tu ferais emballer à Paris nos meubles les plus précieux et les plus dignes du voyage, nos tentures, nos tapis, etc. ; on mettrait notre appartement à louer, et vous viendriez tous me rejoindre par la voie du Havre. Nous nous installerions à Jersey le plus confortablement possible, et que le Bonaparte dure ce qu’il voudra, cela nous serait égal. L’hiver nous pourrions aller à Londres et l’été nous serions à Jersey. À Jersey, on parle français, ce qui est précieux, aucun de nous ne sachant l’anglais. Ceci en outre te laisserait le temps de te retourner quant à l’appartement. Il est fort difficile de le laisser ainsi tout meublé à la merci des portiers, sans compter l’avarie des meubles quand on n’habite pas. Cela vous épargnerait en outre, à ma Dédé et à toi, les longs circuits par Londres et Bruxelles et tous ces trajets de mer. Enfin, pour l’emballage des meubles, tu serais là, et personne, dans une telle besogne, ne peut remplacer l’œil des maîtres. J’ai déjà pris, près de M. Delhasse, qui est ici le correspondant de l’Angleterre, des renseignements sur Jersey. Ils confirment tout ce que je savais, et si mon livre est vite vendu, nous pourrions y être installés dans un mois ou six semaines. Que penses-tu de tout cela ?

J’ajoute que nos amis viendraient nous y rejoindre. Nous aurions une chambre pour Auguste, un étage pour M. et Mme Paul Meurice, et nous pourrions de là faire ensemble le Moniteur universel des peuples dont je jette en ce moment les bases avec M. Trouvé-Chauvel.

M. Trouvé-Chauvel part pour Londres demain ou après, avec des notes dictées par moi. Il est enthousiasmé de mon idée d’une librairie triple à Londres, à Bruxelles et à New-York, et d’un Journal des peuples rédigé par Kossuth, Mazzini, etc., et moi. Je crois que nous allons faire de grandes choses. Mais tout cela nous chasse de la Belgique. J’en suis triste, car c’est un pays doux et honnête, et qui doit être fort agréable l’été. En ce moment nous n’avons que le froid.

Réponds-moi sur tout cela, chère maman bien-aimée. Si tu aimes mieux venir tout de suite, n’hésite pas à le dire, je n’y ferai pas résistance, va ! Si tu crois sage d’adopter mon plan, discute-le avec Dédé et Toto, et écris-le-moi.

Dans tous les cas, je ferai ce que tu voudras, ce que vous voudrez tous, mes chers êtres bien-aimés.

Le bonhomme Jérôme est impayable ! Il a pourtant une dotation de 30 000 fr. ! — Ma douleur au cœur va mieux. Je t’embrasse tendrement, et mes enfants.

Consulte Auguste sur mon projet. — Fais-lui toutes mes plus tendres amitiés, et à Meurice. — Quand aura-t-on l’argent du cautionnement ?

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