À Théophile Gautier,

Bruxelles, 17 avril 1852.

Cher Théophile, vous rappelez-vous nos dimanches de la Tour d’Auvergne ? N’y étiez-vous pas un soir avec Janin quand Mme Dillon s’est mise au piano ? Si vous y étiez, vous n’avez rien oublié, j’en suis sûr. Vous savez que je hais le piano, mais sous les mains de Mme Dillon, ce n’est plus le piano, c’est une voix qui parle, c’est un cœur qui saigne, c’est une âme qui chante. Où pour les autres il n’y a qu’un chaudron, il y a pour Mme Dillon une lyre. Il est vrai que c’est sa propre musique qu’elle chante, et que cette musique elle l’improvise, elle l’invente, elle la crée, elle la prend et la puise dans son cœur et dans le cœur de tous ceux qui l’écoutent. C’est pour cela que c’est beau, grand et touchant.

Aujourd’hui Mme Dillon sort de l’ombre ; vous qui avez la lumière, donnez-la lui, vous qui avez le succès, le triomphe, le rayonnement, la gloire, cher poëte, couronnez-la.

Je vous recommande Mme Dillon.

Si vous le voulez, Mme Dillon aura tout l’applaudissement qu’elle mérite ; vous le voudrez, n’est-ce pas, cher ami ? Et je me dirai : c’est moi qui ai fait cela, et je me figurerai que je suis une puissance dans mon exil.

Vous avez parlé de moi l’autre jour dans la Presse en termes nobles et charmants, en grand poëte et en bon ami que vous êtes. Je ne vous remercie pas, je vous aime.

Victor Hugo.

Share on Twitter Share on Facebook