À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, dimanche 25 avril [1852].

Je ne veux pas chère amie que madame David reparte sans te porter quelques lignes. J’ai signé le mandat pour Julie qu’elle te remettra. Je l’ai priée également de faire en sorte que mon ancien collègue Martin (de Strasbourg) (qui a refusé le serment ces jours passés) vienne un peu causer avec toi de, ce que j’aurais à faire pour mettre ce que nous possédons en France (meubles et revenus de théâtre) à l’abri des lois Bonaparte contre mon livre. Tu as raison de penser que le projet annoncé par le Siècle me concerne. Il y a là une menace, la menace deviendra fait, il faudra y parer. Mme David priera Martin (de Strasbourg) d’en conférer avec toi et de te dire ce qu’il me conseillerait pour abriter notre avoir, le cas échéant.

Toutes tes objections contre le déménagement sont parfaitement fondées. Il faudrait seulement trouver moyen de louer et être sûrs que nos meubles ne seraient pas confisqués et vendus par le Bonaparte. — Songe à tout cela. — Ton projet d’écrire sur moi me plaît fort, tu feras un charmant et excellent travail intime, et je ferai de mon mieux pour te donner les matériaux.

Dis à ma bonne petite Adèle qu’elle m’a écrit une charmante lettre, pleine de cœur et d’esprit, et que je lui en veux beaucoup de ne pas m’écrire tous les jours. Une page seulement, et je serais content. Gronde un peu mon Victor qui s’amuse, c’est juste, mais qui ne m’écrit pas, c’est moins bien. Pour parler sérieux, je recommande à Victor de vivre beaucoup plus avec toi, et de mêler un peu de bon travail à ses plaisirs ; les plaisirs n’en vaudront que mieux. Il n’aura pas seulement la joie du dehors, il aura la satisfaction intérieure.

Puis-je regarder l’affaire de Charles au Siècle comme faite ? Charles peut-il se mettre à ce travail ? Dans tous les cas, je lui ai dit de commencer, de faire tout de suite une lettre, et de l’envoyer à Louis Desnoyers. La lettre, bien réussie, fera réussir l’affaire. Qu’en penses-tu ?

La gaîté d’Auguste nous fait du bien. C’est là un homme fort. Il rit de ce bon rire robuste qui vient d’un grand cœur. Nous avons lu sa lettre avec bonheur. Dis-le lui bien. Je lui écrirai bientôt, ainsi qu’à notre cher Paul Meurice, dont je tiens en ce moment le Benvenuto. Je n’ai lu encore que la préface qui est très haute et très belle. Dumas, avec qui j’ai passé hier la soirée chez Van Hasselt, m’a dit que le succès d’argent était énorme, 3 000 fr. tous les soirs. Je félicite Paul Meurice et surtout le public.

Notre pauvre Paul F... fait pas mal de platitudes dans l’Indépendance. Avant-hier il s’indignait contre les démagogues incorrigibles qui méconnaissent la « clémence » du prince président. Avertis-le, si tu le vois.

L’hospitalité belge devient de plus en plus maussade pour nos co-proscrits. La Belgique va même, dit-on, fermer prochainement ses portes. Tout cela est triste. Moi pourtant, on me respecte encore, mais je m’attends à être poliment prié un de ces matins d’aller voir en Angleterre si la Belgique y est. J’espère qu’elle n’y sera pas.

Chère bien-aimée, je t’envoie toutes mes plus profondes tendresses ainsi qu’à ma fille. Embrassez toutes les deux notre Victor pour moi.

Mme David trouve ton buste fort beau. Dis-le à Clésinger. — Je serre la main d’Auguste et de Paul Meurice, et je leur écrirai bientôt.

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